La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Sectes des Juifs

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DES SECTES DES JUIFS

VERS LE TEMPS D’HÉRODE.

SADUCÉENS.

Du temps d’Hérode on disputa beaucoup en Judée sur la religion. C’était la passion d’un peuple oisif soumis aux romains, et qui jouissait de la paix avec presque tout le reste de l’empire depuis la bataille d’Actium. La philosophie de Platon, tirée en partie des anciens livres égyptiens, avait occupé Alexandrie, ville raisonneuse quoique commerçante, et avait percé, comme nous l’avons dit[1], jusqu’à Jérusalem. Il paraît qu’il y eut dans tous les temps, chez les nations un peu policées, des hommes qui s’occuperent à rechercher au moins des vérités, s’ils ne furent pas assez heureux pour en découvrir. Ils formerent des écoles, des sociétés qui subsisterent au milieu du fracas et des horreurs des guerres étrangeres et civiles. On en vit à la Chine, dans les Indes, en Perse, en égypte ; chez les grecs, chez les romains, et même chez les juifs. Parmi toutes ces sectes il y en eut de religieuses, et d’autres purement philosophiques. On connaissait assez les trois principales de la Judée, les saducéens, les pharisiens, les esséniens. La secte saducéenne était la plus ancienne. Tous les commentateurs, tous les savants, conviennent qu’elle n’admit jamais l’immortalité de l’ame, par conséquent ni enfer ni paradis chez elle, encore moins de résurrection. C’était en ce point la doctrine d’épicure. Mais en niant une autre vie ils voulaient une justice rigoureuse dans celle-ci, et ils joignaient la sévérité stoïque aux dogmes épicuriens. Ceux qui professeraient hautement parmi nous de tels dogmes, approuvés en Grece et à Rome, seraient persécutés, condamnés par les tribunaux, suppliciés, mis à mort ; et il y en a des exemples. Comment donc étaient-ils non seulement tolérés chez le peuple le plus cruellement superstitieux de la terre, mais honorés, dominants, supérieurs aux pharisiens-mêmes, admis aux plus grandes dignités, et souvent élevés à celle de grand-prêtre ? C’est en vertu de cette superstition même dont le peuple juif était possédé. Ils étaient respectés parce qu’on respectait Moyse. Nous avons vu que le pentateuque ne parle en aucun endroit de récompenses ni de peines après la mort, d’immortalité des ames, de résurrection. Les saducéens s’en tenaient scrupuleusement à la lettre de Moyse. Il faut être étrangement absurde, ou d’une mauvaise foi bien intrépide, il faut se jouer indignement de la crédulité humaine, pour s’efforcer de tordre quelques passages du pentateuque, et d’en corrompre le sens au point d’y trouver l’immortalité de l’ame et un enfer qui n’y furent jamais. On a osé entendre, ou faire semblant d’entendre par le mot shéol , qui signifie la fosse, le souterrain, un vaste cachot qui ressemblait au tartare. On a cité ce passage du deuteronome en le tronquant : ils m’ont provoqué dans leur vanité ; et moi je les provoquerai dans celui qui n’est pas peuple ; je les irriterai dans la nation insensée ; il s’est allumé un feu dans ma fureur, et il brûlera jusqu’aux fondements de la terre, et il dévorera la terre jusqu’à son germe, et il brûlera la racine des montagnes ; j’assemblerai sur eux les maux, et je remplirai mes fleches sur eux, et ils seront consumés par la faim ; les oiseaux les dévoreront par des morsures ameres ; je lâcherai sur eux les dents des bêtes qui se traînent avec fureur sur la terre, et des serpents . Voilà où l’on a cru trouver l’enfer, le séjour des diables ; on a saisi ces seules paroles, il s’est allumé un feu dans sa fureur, et les détachant du reste on a inferé que Moyse pouvait bien avoir par-là sous-entendu le Phlégéton brûlant et les flammes du Tartare. Quand on veut se prévaloir de la décision d’un législateur, il faut que cette décision soit précise et claire. Si l’auteur du pentateuque avait voulu annoncer que l’ame est une substance immatérielle, unie au corps, laquelle ressusciterait avec ce corps et serait éternellement punie de ses péchés avec ce corps dans les enfers, il eût fallu le dire en propres mots. Or aucun auteur juif ne l’a dit avant les pharisiens ; et encore aucun pharisien ne l’a dit expressément. Donc il était très-permis aux saducéens de n’en rien croire. Ces saducéens avaient sans doute des mœurs irréprochables, puisque nos évangiles ne rapportent aucune parole de Jesus-Christ contre eux, non plus que contre les esséniens, dont la vertu était encore plus épurée et plus respectable.

ESSÉNIENS.

les esséniens étaient précisément ce que sont aujourd’hui les dunkars en Pensylvanie, des especes de religieux, dont quelques-uns étaient mariés. Volontairement asservis à des regles rigoureuses, vivant tous en commun entre eux soit dans des villes, soit dans des déserts, partageant leur temps entre la priere et le travail, ayant banni l’esprit de propriété, ne communiquant qu’avec leurs freres, et fuyant le reste des hommes. C’est d’eux que Pline le naturaliste a dit, nation éternelle dans laquelle il ne naît personne . Il croyait qu’ils ne se mariaient jamais ; et en cela seul il se trompait. Il est beau qu’il se soit formé une société si pure et si sainte dans une nation telle que la juive, presque toujours en guerre avec ses voisins ou avec elle-même, opprimante ou opprimée, toujours ambitieuse et souvent esclave, passant rapidement du culte d’un dieu à un autre, et souillée de tous les crimes, dont leur propre histoire fait un aveu si formel. La religion des esséniens, quoique juive, tenait quelque chose des perses. Ils révéraient le soleil soit comme Dieu, soit comme le plus bel ouvrage de Dieu, et ils craignaient de souiller ses rayons en satisfaisant aux besoins de la nature. Leur croyance sur les ames leur était particuliere. Les âmes, selon eux, étaient des êtres aériens, qu’un attrait invincible attirait dans les corps organisés. Elles allaient au sortir de leur prison dans un climat tempéré et agréable au-delà de l’océan, si elles avaient bien vécu : les âmes des méchants allaient dans un pays froid et orageux. On a cru cette société une branche de celle des thérapeutes égyptiens, dont nous parlerons.

PHARISIENS.


les pharisiens formaient une école plus nombreuse et plus puissante dans l’état. Ils étaient le contraire des esséniens, entrant dans toutes les affaires autant que les esséniens s’en abstenaient. On pourrait en cela seul les comparer aux jésuites ; et les esséniens aux chartreux. Cette secte, très-étendue, ne fit pas un corps à part, quoique leur nom signifiât séparés ; point de college, de lieu d’assemblée, de dignité attachée à leur ordre, de regle commune, rien en un mot qui désignât une société particuliere. Ils avaient un très-grand crédit ; mais c’était comme en Angleterre, où tantôt les wighs et tantôt les toris dominerent, sans qu’il y eût un corps de toris et de wighs. Ces pharisiens ajoutaient à la loi du pentateuque la tradition orale, et par-là ils acquirent la réputation de savants. C’est sur cette tradition orale qu’ils admettaient la métempsychose ; et c’est sur cette doctrine de la métempsychose qu’ils établirent que les esprits malins, les âmes des diables, pouvaient entrer dans le corps des hommes. Toutes les maladies inconnues (et quelle maladie au fond ne l’est pas ! ) leur parurent des possessions de démons. Ils se vantèrent de chasser ces diables avec des exorcismes et une racine nommée barath. L’un d’eux forgea un livre intitulé la clavicule de Salomon, qui renfermait ces secrets. On peut juger si leur pouvoir de chasser les diables, pouvoir dont Jesus-Christ lui-même convient dans l’évangile de st Matthieu, augmenta leur crédit. On les révérait comme les interprêtes de la loi ; on s’empressait de s’initier à leurs mysteres. Ils enseignaient la résurrection et le royaume des cieux. Nos évangiles nous apprennent avec quelle véhémence Jesus-Christ se déclara contre eux. Il les appellait[2] hypocrites, sépulcres blanchis, race de viperes. Ces paroles ne s’adressaient pas à tous. Tous n’étaient pas sépulcres et viperes. Il n’y a gueres eu de société dont tous les membres fussent méchants. Mais plusieurs pharisiens l’étaient évidemment, puisqu’ils trompaient le peuple qu’ils voulaient gouverner.

THÉRAPEUTES.

les thérapeutes étaient une vraie société, semblable à celle des esséniens, établie, en égypte au midi du lac Moeris. On connaît le beau portrait que fait d’eux le juif Philon leur compatriote. Il n’est pas étonnant qu’après toutes les querelles, souvent sanglantes, que les juifs transplantés en égypte eurent avec les alexandrins leurs rivaux dans le commerce, il y en eût plusieurs qui se retirassent loin des troubles du monde, et qui embrassassent une vie solitaire et contemplative. Chacun avait sa cellule et son oratoire. Ils s’assemblaient le jour du sabat dans un oratoire commun, dans lequel ils célébraient leurs quatre grandes fêtes, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, séparés par un petit mur. Leur vie était à la vérité inutile au monde, mais si pure, si édifiante, qu’Eusebe, dans son histoire, les a pris pour des moines chrétiens, attendu qu’en effet plusieurs moines les imiterent ensuite en égypte. Ce qui contribua encore à tromper Eusebe, c’est que les retraites des thérapeutes s’appellaient monasteres. Les équivoques et les ressemblances de nom ont été la source de mille erreurs. Une méprise encore plus singuliere a été de croire les thérapeutes descendants des anciens disciples de Pythagore, parce qu’ils gardaient la même abstinence, le même silence, la même aversion pour les plaisirs. Enfin on prétendit que Pythagore, ayant voyagé dans la Judée, et s’étant fait essénien, alla fonder les thérapeutes en égypte. Ce n’est pas tout : étant retourné à Samos, il s’y fit carme, du moins les carmes en ont été long-temps convaincus. Ils ont soutenu en 1682 des theses publiques à Béziers, dans lesquelles ils prouverent contre tout argumentant, que Pythagore était un moine de leur ordre[3].

HÉRODIENS.

Il y eut une secte d'hérodiens. On dispute si elle commença du temps de ce barbare Hérode, surnommé le Grand, ou du temps d’Hérode Second. Mais quelle que soit l’époque de cette institution, elle prouve qu’Hérode avait un parti considérable, malgré ses cruautés. Le peuple fut plus frappé de sa magnificence, qu’indigné de ses barbaries. Ses grands monuments, et sur-tout le temple, parlaient aux yeux, et fesaient oublier ses fureurs. Ce nom de grand qu’on lui donna, et qui est toujours prodigué d’abord par la populace, atteste assez qu’il subjugua l’esprit du public, en étant abhorré des grands et des sages. C’est ainsi qu’est fait le vulgaire. On avait été en paix sous son regne ; il avait bâti un temple plus beau que celui de Salomon ; et ce temple, selon les juifs, devait un jour être celui de l’univers. Voilà pourquoi ils l’appellerent messie. Nous avons vu[4] que c’était un nom qu’ils prodiguaient à quiconque leur avait fait du bien. Ainsi, tandis que la plupart des pharisiens célébraient le jour de sa mort comme un jour de délivrance, les hérodiens fêtaient son avenement au trône comme l’époque de la félicité publique. Cette secte, qui reconnut Hérode pour un bienfaiteur, pour un messie, dura jusqu’à la destruction de Jérusalem, mais en s’affaiblissant de jour en jour. Les juifs de Rome, pour lesquels il avait obtenu de grands privileges, avaient une fête en son honneur. Perse en parle dans ses satyres : herodis venere dies . à quoi sert donc la vertu, si l’on voit tant de méchants honorés ?


DES AUTRES SECTES, ET DES SAMARITAINS.

Les caraïtes étaient encore une grande secte des juifs. Ils se sont perpétués au fond de la Pologne, où ils exercent le métier de courtiers, et croient expliquer l’ancien testament. Les rabanites leurs adversaires les combattent par la tradition. Un Judas éleva une autre secte du temps de Pilate. Ces judaïtes regardaient comme un grand péché d’obéir aux romains : ils exciterent une sédition furieuse contre ce Pilate, dans laquelle il y eut beaucoup de sang répandu. Ces fanatiques furent même une des causes de la mort de Jesus-Christ ; car Pilate, ne voulant pas exciter parmi eux une sédition nouvelle, aima mieux faire supplicier Jesus que d’irriter des esprits si farouches. Outre ces sectes principales il y en avait beaucoup d’obscures formées par des enthousiastes de la lie du peuple : des gorthéniens, des masbothéens, des baptistes, des génistes, des méristes, dont les noms seuls sont à peine connus. C’est ainsi que nous avons eu des gomaristes, des arminiens, des voetiens, des jansénistes, des molinistes, des thomistes, des piétistes, des quiétistes, des moraves, des millenaires, des convulsionnaires, etc. Dont les noms se précipiteront dans un éternel oubli. Il n’en fut pas ainsi des samaritains, qui formaient une nation très-différente de celle de Jérusalem. Nous avons vu que les israélites qui habitaient la province de Samarie ayant été enlevés par Salmanazar[5], son successeur Assaradon envoya d’autres colonies à leur place. Ces colonies embrasserent une partie de la religion juive, et rejetterent l’autre : ils ne voulurent point sur-tout aller sacrifier dans Jérusalem, ni y porter leur argent. Ainsi les juifs furent toujours leurs ennemis, et le sont encore ; leur division a survécu à leur patrie. La capitale des samaritains est Sichem, à dix de nos lieues de Jérusalem. Le voisinage fut une raison de plus pour ces deux peuples de se haïr. Quoique les samaritains aient eu chez eux des prophetes, ils n’en admettent aucun parmi leurs livres sacrés, et se contentent de leur pentateuque. Ils ont les mêmes quatre grandes fêtes que les autres juifs, la même circoncision ; d’ailleurs très-pauvres et très-misérables, et réduits à un petit nombre sous le gouvernement turc, qui n’est pas encourageant. Toutes ces sectes furent contenues par l’autorité d’Hérode ; et tout se taisait dans l’empire romain devant la puissance suprême d’Auguste. Hérode avait déclaré par son testament Archelaus, l’un de ses fils, son successeur sous le bon plaisir de l’empereur. Il fallut qu’Archelaus allât à Rome faire confirmer le testament de son pere. Mais avant qu’il fît ce voyage, les juifs, qui ne l’aimaient pas, chasserent ses officiers de leur temple à coups de pierres pendant leur fête de pâques. Les officiers et les soldats s’armerent ; environ trois mille séditieux furent tués aux portes du temple. Archélaus partit, s’embarqua au port de Césarée bâtie par son pere, et alla se jetter aux genoux d’Auguste. Antipas son frere fit le même voyage de son côté pour lui disputer la couronne ; c’était pendant l’enfance de Jesus-Christ. Varus était depuis long-temps gouverneur de Syrie ; il avait envoyé Sabinus à Jérusalem avec une légion : cette légion fut attaquée par les séditieux aux portes du temple. Les romains renverserent et brûlerent les portiques magnifiques de cet édifice, destiné à être toujours la proie des flammes. Tout le pays fut en armes, et rempli de brigands. Varus fut obligé d’accourir lui-même avec des forces supérieures, et de punir les rebelles. Pendant que Varus pacifiait la Judée, Hérode Archélaus et son frere Hérode Antipas plaidaient leur cause aux pieds d’Auguste. Ils la perdirent tous-deux ; aucun ne fut roi. L’empereur donna Jérusalem et Samarie à Archélaus ; il ne lui accorda que le titre d’ethnarque, et lui promit de le faire roi s’il s’en rendait digne. Hérode Antipas obtint la Galilée, et quelques terres au-delà du Jourdain. Un troisieme Hérode leur frere, surnommé Philippe, eut les montagnes de la Trachonite, et le pays stérile de la Bathanée. Joseph, qui ne perd pas une occasion de vanter son pays, dit que le revenu d’Archélaus fut de quatre cents talents, celui d’Hérode-Antipas de deux cents, et le troisieme de cent. Ainsi tout le royaume aurait valu sept cents talents, quatre millions cent mille livres de net, après avoir payé le tribut à l’empereur. Toute la Judée ne vaut pas cinq cents mille livres aux turcs : il y a loin de-là aux vingt-cinq milliards de David et de Salomon. Auguste, neuf ans après, exila l’ethnarque Archélaus à Vienne dans les Gaules, et réduisit son état en province romaine sous le gouvernement de la Syrie. Après la mort d’Auguste, il parut sous l’empire de Tibere un petit-fils d’Hérode Le Grand, qui avait pris le nom d’Agrippa. Il cherchait quelque fortune à Rome ; il n’y trouva d’abord que la prison, dans laquelle Tibere le fit enfermer. Caligula lui donna la petite tétrarchie d’Hérode Philippe son oncle, et enfin lui accorda le titre de roi. C’est lui qui fit mettre aux fers saint Pierre, et qui condamna saint Jacques Le Majeur à la mort. Nous voici donc parvenus au temps de Jesus-Christ et de l’établissement du christianisme. Dans notre profonde vénération pour ces objets, contents d’adorer Jesus, et fuyant toute dispute, nous nous bornerons aux faits indisputables, divinement consignés dans le nouveau testament. Nous ne parlerons pas même des évangiles nommés apocryphes, dont plusieurs ont passé chez les savants pour être plus anciens que les quatre reconnus par l’église. Nous nous en tenons à ces quatre qui sont sacrés. Dans ces quatre nous ne choisissons que l’historique ; et nous n’en prenons que les passages les plus importants, pour tâcher d’être courts sur un sujet inépuisable.

  1. Tome XX, page 537, et ci-dessus, page 274.
  2. Saint Matthieu, chap. xxiii. (Note de Voltaire.)
  3. Voyez Basnage, Histoire des Juifs, livre III, chap. vii.
  4. Tome XX, page 64; et XXVI, 221.
  5. Tome XI, page 119; et ci-dEssus, page 273.