La Bohême et mon Cœur

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Nouvelle Édition nouvelle, JA Coulange et cie (p. 53-76).

LA BOHÊME ET MON CŒUR

à Jean Pellerin

Ah ! je t’aime ! Où donc es-tu
Ailleurs que dans mes poèmes ?
Voici l’hiver qui ramène
Mes chagrins noirs et têtus.


Les acacias frémissent
Quand le vent descend sur eux.
Tu te chauffais, sans chemise,
Toute nue au coin du feu.


La pluie battait la fenêtre ;
Le bois sifflait en brûlant…
… J’attends que le matin blanc
Se lève encor dans les vitres !

Amour

Tu riais, tu te renversais
Dans mes bras et l’aube amoureuse
Illuminait ma tête creuse
Et lourde, mais je te berçais

En chantant. Le jour dans la pluie
Se levait et n’en pouvait plus.
Contre ta hanche étroite et nue,
Je tombais enfin d’insomnie.

Matins amers, amour charmant,
Épuisante et trouble folie…
Au réveil, la mélancolie
Sépara plus tard ces amants…

Pourquoi ? Nul ne le sut… Lui-même
Pleurait en s’éloignant de toi.
… Et, depuis ce temps, que de fois
L’aube a fripé ses roses blêmes !…

Les Tilleuls, les Lilas d’Espagne…

à Michel Puy

Les tilleuls, les lilas d’Espagne et les sureaux
Sous l’averse chaude d’avril
S’épanouissent… Quand le soleil brillera-t-il ?
Ah ! quand chanteront les oiseaux ?…


L’herbe envahit le jardin tout entier…
Le chat s’endort dans le grenier
J’entens grincer la pluie en haut du toit
La girouette
Tourne sur elle trente six fois
Et puis s’arrête…


Qui marche dans l’herbe mouillée,
Qui secoue l’arbre chargé d’eau,
Qui fait, sur ses vieux gonds rouillés,
Rouler la porte et qui touche au marteau ?..


Un volet bat. Du plâtre tombe dans les orties.
L’horloge sonne étourdiment,
Et, tout en écoutant le vent,
Je sens, contre les murs et les feuilles, la pluie
Continuer son rauque et doux crépitement…

Province

L’ombre du clocher noir entre dans la boutique
Un lilas, débordant les grilles d’un jardin,
Se balance et je vois luire et trembler soudain
Des fouillis bleus, la route et l’auberge rustique.

Des pigeons, mollement arrivés sur le vent,
Tournent dans l’azur pâle en éployant leurs ailes…
Province ! Ah ! ce bonheur, que j’ai connu loin d’elle,
Comme il pèse en mon cœur scrupuleux et fervent !

Et pourtant, il faut s’habituer à vivre,
Même seul, même triste, indifférent et las,
Car, ô ma Vision troublante, n’es-tu pas
Un mirage incessant trop difficile à suivre ?

Impression

Matin gris, paresse ingénue…
Sur l’horizon,
Les vieux noyers de l’avenue
Et le toit bleu de la maison.

Le vent berce les feuilles rousses
D’un peuplier.
On dirait qu’à brusques secousses
Il pleut soudain dans l’air mouillé…

Et rien n’est si doux, ni si triste
Que de savoir
Le vent d’automne qui persiste
À faire qu’il pourrait pleuvoir.

Adieu

Tu t’en vas et tu me quittes…
Adieu !… Pense à moi quelquefois !
— Je ne t’oublierai pas, petite !
Tu me quittes… tu t’en vas !

On s’écrira trois semaines
(Le cœur y est) bien gentiment,
Et puis tu berceras tes peines
Dans les bras d’un autre amant.

Tu sanglotes… Je suis triste…
Le train siffle… Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !
Je ne veux pas que tu me quittes
Maintenant que c’est sérieux.

Chanson

Si l’humble cabaret noirci
Par la pluie et le vent d’automne
M’accueille, tu n’es plus ici…
Je souffre et l’amour m’abandonne.

Je souffre affreusement. Le jour
Où tu partis j’appris à rire.
J’ai depuis pleuré, sans amour,
Et vécu tristement ma vie…

Au moins, garde le Souvenir,
Garde mon cœur, berce ma peine,
Chéris cette tendresse ancienne
Qui voulut, blessée, en finir…

… Je rirai contre une autre épaule.
D’autres baisers me suffiront,
Je les marquerai de mes dents :
Mais tu resteras la plus belle.

Autre Chanson

Tes yeux cernés, ta bouche avide
De baisers, ton corps svelte et droit
M’enchantent, mais j’ai l’esprit vide
Quand j’ai passé la nuit chez toi.

Aussi je m’en vais dans la rue
Où je traîne, rêvant, forgeant
Des vers, faisant le pied de grue
Devant des cafés, sans argent,

Et, lorsqu’après minuit je rentre
Dans ta chambre, tu sais très bien
Quel infernal et chaud lien
Nous r’accouplera ventre à ventre.

Des Saules et des Peupliers…

Des saules et des peupliers
Bordent la rive.
Entends, contre les vieux piliers
Du pont, l’eau vive !

Elle chante, comme une voix
Jase et s’amuse,
Et puis s’écrase sur le bois
Frais de l’écluse.

Le moulin tourne… Il fait si bon,
Quand tout vous laisse,
S’abandonner, doux vagabond,
Dans l’herbe épaisse !…

Prière

Une pauvre cloche fêlée
Tinte faux dans le matin clair,
Et cette pauvre cloche a l’air
D’être, mon Dieu, si désolée !…

Vous entendez comme elle bat,
Vous comprenez comme elle est triste.
Mais, mon Dieu, vous ne voulez pas
Arrêter l’élan qui persiste !

Longtemps, longtemps !… Le vent têtu
Faisait grincer dans les persiennes
Les lianes molles que retiennent
Des fils de fer noirs et tordus…

Le Vent du Soir

Le vent du soir berce ma peine,
De molles branches, doucement
Balancées, frémissent à peine
Sous un souffle lent et clément.

Le ciel mouvant tourne et s’abaisse,
Et, brusquement, voici la nuit.
J’entends glisser entre les haies
La fraîcheur vive de la pluie.

Et, par dessus le mur, je vois
— Horizon calme — de confuses
Prairies mouillées, mêlées, fondues
Dans les brouillards blêmes et froids.

Compagnons

I

Hélas ! la pluie, hélas ! la brume
Ont abîmé mon vêtement,
Et je contemple obstinément
La lampe claire qu’on allume.

Les fossés luisent chargés d’eau,
Je marche dans l’herbe mouillée ;
Les hautes cîmes dépouillées
Sont croassantes de corbeaux.

Par cette nuit qui me tourmente
Ceux qu’on retient voudraient partir…
Eh ! tavernier, mon repentir
Est sincère, encor que je mente.

II

Qui je suis ?… — Mais toi qui es-tu ?
La lampe fume.
Le vent qui se plaignait s’est tû.
Quelle douceur ! Quelle amertume !

D’où je viens ? — Mais toi d’où viens-tu ?
L’horloge sonne.
Tu regardes, las et têtu,
Mais tu ne reconnais personne…

Où je vais ? — Mais où t’en vas-tu ?
Buttant aux pierres,
Par la nuit sans lune, et vêtu
De tes défroques coutumières ?

III

Tu ne voudrais pas me donner la main…
Je cherche ma route…
J’ai toujours suivi le mauvais chemin…

Tu ne pourrais pas… Tu ne saurais pas…
Je cherche ma route…
Faire que ton pas s’accorde à mon pas.

Berceuse

Ce lent et cher frémissement,
C’est la pluie douce dans les feuilles,
Elle s’afflige et tu l’accueilles
Dans un muet enchantement.

Le vent s’embrouille avec la pluie.
Tu t’exaltes, moi je voudrais
Mourir dans ce murmure frais
D’eau molle que le vent essuie !

C’est la pluie qui sanglote, c’est
Le vent qui pleure, je t’assure.
Je meurs d’une exquise blessure
Et tu ne sais pas ce que c’est…

Le Souvenir

Ni le plus jaune hurluberlu,
Ni la plus absurde duègne
Ne pourront jamais te connaître
Aussi bien que je t’ai connue.

Tu railles. Mans le cœur s’ennuie.
Mets du rouge et ris de toi-même…
Ah ! ris, minaude et sois cruelle,
Puisque le diable te dédaigne.

Et j’emporterai dans mon âme
Le souvenir le plus amer,
Car tu connaissais mon amour
Et tu te mirais dans ta glace.

Complainte

Maigre, boiteux et ridicule,
Il s’assit au fond du café.
Par la vitre, le crépuscule
Maintenant tombait tout à fait.

— Qui es-tu ? — Laissez-moi tranquille.
— Veux-tu boire ? Veux-tu manger ?
Il but, mangea, troussa la fille
Et chanta comme un enragé.

— Adieu ! — Ne t’en va pas ! — Qu’importe !…
À minuit juste il disparut
Et la belle, contre sa porte,
Lendemain le trouva pendu.

Le diable était à la croisée,
Qui riait et tenait sa proie.
Depuis, il tourne sur le toit,
Et pisse par la cheminée.

Sagesse

Mieux qu’un jardin paisible aux arbres vermoulus,
Je fume les ronciers épais de ma tristesse
Avec de bons chagrins amers et, pour le reste,
J’attends que le temps l’use.

Les jours sont comme un vol de mouette à l’horizon,
Le soleil de midi fait tourner les tulipes,
Tout passe : œillets, lilas, roses et clématites,
Les tilleuls et la viorne.

Pourtant, pleureur joyeux, sache te réserver
Pour le jour où mourra, sans clameur et sans geste,
Ingénument, le beau roncier de ta tristesse :
Et ménage le Rêve !

Sourire

J’écoute un remuement léger de feuilles fraîches,
Couché dans l’herbe, sur le dos ;
Et les rosiers fleuris font un mouvant rideau
Qui flambe et tremble sur la brèche

Vieux murs, jardin désert, c’est près de vous, pourtant,
Que je viens m’endormir à l’aise
Puisqu’au fond la fadeur de vivre est si niaise
Que le rêve en est insultant.

Or, jusqu’à la nuit bleue et pleine de murmures,
Je suis resté, béant au ciel,
Car l’ombre avait un goût de lauriers et de miel,
D’abandon et de pêches mûres…

Mais quand la lune, au front du paisible horizon,
A ruisselé jusqu’à mes lèvres,
Je suis parti, gonflé de rancœurs et de fièvres,
Et j’ai regretté ma prison.

…L’azur était semé d’étoiles merveilleuses…
Hélas ! moi je n’aime l’azur
Qu’emmitouflé de brume et sali par l’obscur
Rayon malade des veilleuses.

Matins fouettés de pluie, glacés et maugréants,
Indéfinissables journées,
Ces tristesses, mon Dieu, que vous m’avez données,
Me feront mourir à trente ans !

L’alcool est un démon fardé par les sauvages,
C’est un terrible et faux ami
Qui vous laisse, abîmé de fatigue et blêmi
Par les plus fous dévergondages

N’importe ! Il faut encor s’empêcher de faiblir,
Et la mort a les dents si blanches
Q’on en ferait un beau collier pour les dimanches
Et qu’on l’aimerait sans pâlir.

Aussi j’ai, dans ma belle pipe empoisonnée,
Fumé mes derniers souvenirs
Et j’ai brûlé d’anciens papiers, sans avenir !
Pour allumer la cheminée.

Plus tard, un vieil ami me sachant enfin mort
Me chassera de sa mémoire :
Mais j’aurai oublié les bourgeois et la gloire,
La monnaie triste et les sous d’or.

Montmartre

Montmartre a connu d’autre jeux,
D’autres voix, d’autres rires jeunes.
Mais cela n’importe : le jaune
Matin brille dans les carreaux.

Hélas ! l’Amour nous trompe et pleure,
Nous l’accueillons et le fêtons.
Le matin bleuit tristement,
L’horloge ne marque pas l’heure.

Ceux qui nous ont quittés sont là :
L’un chante et l’autre est près du feu.
Ils boivent et se rient entre eux
Du jour et de son mauve éclat.

Voici Mimi, Blanche et Germaine ;
La plus sévère a les yeux faits.
Le jour envahit tout à fait
Les carreaux encrassés et blêmes.

Et toi, buttée contre mon cœur,
Pauvre petite abandonnée,
Tu te plains à la dérobée
De quel cruel et doux malheur ?

Tais-toi : mes souvenirs blessés
Dorlotent tes mauvais sourires.
Je t’adorais sans te le dire.
Tu pleuras quand j’en eus assez.

O Moreau, poète ! Hégésippe !
Parle lui, tu sais consoler.
Moi, dans le matin violet,
(Jaune, bleu, mauve, violet)
Je descends en fumant ma pipe…