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La Bonne d’enfant

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OPERETTE BOUFFE



REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, A PARIS, SUR LE THÉATRE DES BOUFFES-PARISIENS, LE 14 OCTOBRE 1856.


PERSONNAGES :
MITOUFLARD, sapeur MM. Dubouchet.
GARGAILLOU, fumiste Michel.
DOROTHÉE, bonne d’enfant Mlle Garnier.
LE BOURGEOIS, père de l’enfant M. Delaquis.

La scène se passe à Givet.



Une salle à manger ordinaire : portes au fond et à droite, fenêtre au fond ; à gauche un placard, un berceau d’enfant, chaises, petite table.


Scène PREMIÈRE.

LE BOURGEOIS, à la porte du fond. Allons, adieu Dorothée… veille bien sur le petit…

DOROTHÉE.

Ayez pas peur, Monsieur… la maison sera bien gardée, et l’enfant aussi… (Elle berce l’enfant.)

LE BOURGEOIS, à part.

Je lui fais des recommandations… c’est bien pour la forme… car au fond je suis tranquille… nous avons là une bonne modèle !… (Il sort.)

DOROTHÉE, seule,

Ouf ! les voilà enfin partis, c’est pas malheureux, quelle scie, que des maîtres pareils, ça se donne le genre d’aller en soirée chez le voisin d’en face et faut que la bonne reste à trimer toute seule en les attendant, avec leur affreux mioche, un moutard de dix-huit mois ; déjà plus laid que père et mère… Aussi, j’ai qu’une idée, moi : c’est de quiller leur baraque et de me marier, pour devenir maîtresse à mon tour. J’ai bien trois amoureux, mais les hommes c’est si fragile ! D’abord M. Gargaillou le fumiste, je crois qu’il en tient pour le bon motif, mais il n’est guère joli ; vous me direz qu’il a son établissement et que c’est lui qui ramone toutes les cheminées de Givet, mais il n’est guère joli… Ensuite M. Mitouflard, un superbe homme, sapeur de la garnison, et farceur, trop farceur ! j’ai pas confiance, et enfin Brindamour le trompette des dragons, qui me plairait bien aussi ; mais voudra-t-il me conduire à la mairie. Il m’a donné rendez-vous ce soir sur le rempart pour causer ; sa trompette doit m’avertir. Déjà huit heures et je n’entends rien. (On sonne.) Tiens si, on a sonné. Si c’était encore mes maîtres, quel ennuit Madame a tant de giries, qu’elle est capable d’avoiroublié ses soques et de revenir ! (On sonne.) Eh ! c’est bon ! j’ai bien entendu, on y va ! Quelle barraque !


Scène II.

DOROTHÉE, GARGAILLOU.
GARGAILLOU.

Excusez, mademoiselle Dorothée, cha n’est que moi, j’ peux t’y entrer une minute ?

DOROTHÉE.
Ah ! c’est vous, M. Gargaillou. Nos cheminées vont bien, nous n’avons rien à ramoner. Qu’est-ce qui vous amène ?
GARGAILLOU.

L’amour, mademoiselle Dorothée, l’amour ; j’ai ramoné 28 cheminées aujourd’hui, j’ai fini ma journée, et je viens vous dire combien que j’ai de l’attache pour vous. (Ils s’asseyent.) Comment que ça va ce soir, mademoiselle Dorothée ?

DOROTHÉE.

A la douce, merci, si ce n’est les crampes, que je suis harassée de travailler, rapport à Madame qu’est un vrai balai de crin ; c’est à se périr ici.

GARGAILLOU.

Sortez-en, mademoiselle Dorothée ; venez couronner l’existence de Gargaillou, faites-vous fumiste : c’est un bien bel état pour une femme.

DOROTHÉE.

Vous êtes bien honnête, monsieur Gargaillou, mais les hommes ça promet, et puis des fois c’est inconséquent ; faut réfléchir.

GARGAILLOU.

Oh ! ne réfléchissez pas, quand je vous vois, j’en perds la tête, ça me fait l’effet comme si j’étais dans une cheminée et qu’on a oublié de l’éteindre.

DUETTO.
GARGAILLOU.

Je rôtis, je brûle,
Dans mon sang circule
Un feu dévorant :
Je sens une flamme
Qui fait de mon âme
Un tison ardent.

DOROTHÉE.

Serait-il prudent
Pour une simple femme
De prendre un amant ?

GARGAILLOU.

Couronnez ma flamme.

DOROTHÉE.

De prendre un amant,
Un amant,
Si brûlant !

ENSEMBLE.
GARGAILLOU.

Au feu !
Au feu !
A l’incendie !
A moi !
A moi !
Secourez-moi !
Craignez,
Craignez
La tragédie
D’un noir trépas
Que vous n’attendez pas.

DOROTHÉE.

Quel feu !
Quel feu !
Quel incendie !
Pourquoi,
Pourquoi
Tout cet émoi ?
Cessez,
Cessez
La tragédie
D’un noir trépas
Auquel je ne crois pas.

(On sonne violemment à la porte.)

DOROTHÉE.

Je suis perdue, écoutez la sonnette :
Ce sont les maîtres de ces lieux.

(On resonne.)

On y va !… Malheureux ! dans cette humble cachette

(Elle le mène à l’armoire.)

Dérobez-vous à tous les yeux.

(On sonne.)

GARGAILLOU, regardant l’armoire.

On y va ! C’est bien noir, je crains le mal de tête !

DOROTHÉE.

Songez que si l’on trouve un homme ! un homme ici,
C’est la mort pour tous deux, la mort !

GARGAILLOU.

C’est la mort pour tous deux, la mort ! Ah ! sapristi !

(Il se précipite dans l’armoire. Dorothée court ouvrir.)


Scène III.

DOROTHÉE, MITOUFLARD.
MITOUFLARD.

Je rôtis, je brûle,
Dans mon sang circule
Un feu dévorant.
Je sens une flamme
Qui fait de mon âme
Un tison ardent.

DOROTHÉE.

Quel événement
Pour une simple femme !
Encore un amant !

MITOUFLARD.

Couronnez ma flamme.

DOROTHÉE.

Encore un amant,
Tendre ardent
Et brûlant.

ENSEMBLE.
MITOUFLARD.

L’amour vous appelle,
Cédez à l’amour !
Le guerrier, ma belle,
Doit vaincre toujours !
Femme ou citadelle,
Il n’est de rebelle
Au vrai troubadour !…

DOROTHÉE.

Quand l’amour m’appelle,
J’ai peur de l’amour !
Le cœur d’une belle
Hésite toujours !
Il faut que près d’elle
Se montre fidèle
Le vrai troubadour !

MITOUFLARD.

Couronnez, ma tigresse,
Les vœux d’un tendre amant.

DOROTHÉE.

Croire à votre tendresse
N’est-il pas imprudent ?

MITOUFLARD.

Je suis le plus constant
De tout le régiment ;
Croyez au dévoûment
Du plus brûlant amant.

DOROTHÉE.

Je ne crois pas à votre flamme,
Vous trompez une faible femme ;
Je ne crois pas vraiment
A votre sentiment.

ENSEMBLE.
MITOUFLARD.

L’amour nous appelle, etc.

DOROTHÉE.

Quand l’amour m’appelle, etc.

DOROTHÉE, se reculant.

A-t-on jamais vu ? vous voulez encore m’enjoler, vous ; mais moi, j’entends qu’on m’épouse. Voulez vous oui ou non me conduire devant M. le maire ?

MITOUFLARD.

M. le maire est une autorité civile et analogue : comme homme je ne ne l’ai jamais fréquenté, mais comme supérieur je le respecte conjointement.

DOROTHÉE.

C’est un mari qu’il me faut, tenez-vous-le pour dit. Ainsi prononcez-vous, moi j’ai à sortir. (A part.) Il faut que je voie Brindamour.

MITOUFLARD.

Dorothée, vous êtes rude comme un boulet de canon relativement à l’égard de ma flamme. Je vais postérieurement s’expliquer comme un militaire verbal et intempestif ; c’est donc pour dire : que c’est le conjungo que vous en faites l’histoire de la chose.

DOROTHÉE.

Oui, cent fois, oui, voilà une heure que je vous le répète.

MITOUFLARD.

J’en suis inculqué superlativement ; mais, rêve de mon cœur, c’est que je suis encore un peu jeune : sans vous commander, et je me flatte de l’idée, qu’il serait plus folâtre d’attendre que j’aurais fini mon second congé. Je n’ai plus que cinq ans trois quarts à faire ; ça n’empêche pas de s’adorer et de se dire des bêtises, hein, fille des bois ?

DOROTHÉE.

Allons donc ! bonsoir !

MITOUFLARD, la suivant.
Encore un mot de dialogue, avec votre agrément subreptice, ô nymphes des cascades.
DOROTHÉE sort par la porte de gauche et lui ferme la porte au nez.

Bonsoir !

MITOUFLARD.

Oh ! fermée à clé… La petite bonne se méfie indistinctement de mon amour, et ce n’est point sans intelligence : pour l’hyménée, nisco ! mais elle est bonne à dévisager cette jeune domestique ; je la trouve folichonne, et ne s’en vais pas d’ici comme un conscrit, je m’inclus ; attention au commandement et surveillons les avant-postes. (Il va à la porte pour chercher à voir et à entendre, puis revient s’asseoir à cheval sur une chaise en face de la porte et le dos contre l’armoire. L’armoire s’ouvre brusquement, il tombe avec sa chaise.)


Scène IV.

MITOUFLARD, GARGAILLOU, en femme.
GARGAILLOU.

Ah ! j’étouffais là-dedans.

MITOUFLARD, par terre.

Ah ! une femme du sexe !

GARGAILLOU.

Un militaire ! ça doit être un soldat !

MITOUFLARD, se relevant.

Soignons notre tenue.

GARGAILLOU, à part.

Il a l’air féroce…

MITOUFLARD, de même.

Fourniment d’élite… tournure distinguée.

GARGAILLOU, à part.

J’ai mis les robes de la bourgeoise pour conserver mon incognito.

MITOUFLARD, de même.

Ça a l’air d’une femme à chapeau.

GARGAILLOU, de même.

Tâchons d’avoir l’air aimable : pour qu’il ne me reconnaisse pas. (Il sourit et fait des mines.)

MITOUFLARD, de même.

Cette particulière est superbe, on dirait que je lui reviens.

GARGAILLOU, il tousse en faisant des mines.

Hum ! hum ! hum !

MITOUFLARD.

Madame paraît tousser définitivement : excusez, sans vous commander, c’est peut-être un rhume de cerveau, nous avons chez nous le sergent-major qui a aussi attrapé z’une pituite, c’est rapport au beau temps qu’il fait z’aujourd’hui.

GARGAILLOU.

Trop honnête, monsieur le militaire, le vent est à l’ouest, les cheminées fument.

MITOUFLARD.

Mais le militaire ne fume pas de rencontrer une personne… une personne… aussi délectable.

GARGAILLOU.

Oh ! Monsieur !…

MITOUFLARD.

Madame est peut-être l’épouse du boucher ?

GARGAILLOU.

Je suis… je suis la cousine de mademoiselle Dorothée.

MITOUFLARD.

Mille boutons de guestre ! comme ça se trouve, je suis son oncle, indéfiniment à la mode de Bretagne, O belle bouchère, je sentais bien à ma sympathie que nous étions immatriculés simultanément dans les liens de la même famille.

GARGAILLOU.

Jeune homme, soyez modéré.

MITOUFLARD.

Calmez vos sens, femme agaçante ; le troupier ne connaît que sa consigne. Quand j’étais-t’en garnison z’à Sarreguemines, pour lors qu’il y avait la femme d’un apothicaire, même que le lieutenant z’il me dit, qui dit, dit-il, Mitouflard, vous êtes un scélérat bien fortuné. Eh bien, je donnerais ce succès flatteur et dubitatif pour un de vos regards, ô capricieuse bouchère !

GARGAILLOU.

Monsieur ! oh ! Monsieur ! ah ben, non, na !

ENSEMBLE.
MITOUFLARD.

Superbe créature !
Je chéris tes appas,
La voix de la nature
Me conduit sur tes pas.

GARGAILLOU.

Sans succès il m’assure
Qu’il chérit mes appas !
Ce n’est pas la nature
Qui l’a mis sur mes pas.

GARGAILLOU.

Ce militaire m’attriste,
Son aveuglement
Me trouble vraiment,
Comme homme et comme fumiste ;
Puis-je poliment
Répondre à son doux compliment ?

MITOUFLARD.

De mon hommage, adorable bouchère,
Ah ! ne rougissez pas !
Du sapeur on connait le noble caractère.

GARGAILLOU.

Voyez mon embarras,
Monsieur n’insistez pas.

MITOUFLARD, lui prenant la main.

Cette main, cette main si jolie,
Je la tiens, je la liens (ter.) sur mon cœur.

GARGAILLOU.

Près de vous, près de vous je m’oublie ;
Lâchez ma main, sapeur.

(Il relire sa main.)

MITOUFLARD.

Tudieu ! quelle vigueur !

ENSEMBLE.
MITOUFLARD.

Cupidon m’inspire,
Ce petit blagueur
Prend pour tout séduire
L’aspect d’un sapeur !

GARGAILLOU.

Cupidon m’inspire,
Suis-je assez blagueur,
Je viens de séduire
Les yeux d’un sapeur !


Scène V.

GARGAILLOU, MITOUFLARD, DOROTHÉE, venant de la gauche du public.
DOROTHÉE.

Le sapeur aux genoux d’une femme !

MITOUFLARD.

Je dialoguais simultanément avec madame votre cousine.

GARGAILLOU.

Je tenais compagnie à monsieur votre oncle.

DOROTHÉE.

Ma cousine ! mon oncle ! (Bas.) Eh quoi ! c’est vous monsieur Gargaillou ! Oh ! la drôle de mine. Ah ! ah ! ah ! (Elle rit.)

GARGAILLOU, à part.

Je lui plais ! (Haut.) J’ai induit ces hardes de la bourgeoise pour ne pas vous compromettre. (Il rit.) Eh ! eh ! eh !

DOROTHÉE.

Bonjour, ma cousine, hi, hi, hi. (Elle rit.) Bonjour, mon oncle.

MITOUFLARD.

Vous êtes ma nièce, hein ? elle est assez bonne la farce, elle est astiquée. (Il rit.) Ah ! ah ! ah ! (Mitouflard et Gargaillou veulent s’asseoir et tombent par terre.)

GARGAILLOU, à part.

J’ai du succès. (Il rit.) Oh ! oh ! oh !

DOROTHÉE.

Eh bien ! mes bons parents, c’est pas la peine de vous asseoir, je suis heureuse de vous avoir vus, mais il est tard, mes maîtres vont rentrer, je suis forcée de vous renvoyer.

MITOUFLARD.

Si madame la bouchère veut bien me faire celui de crocher mon bras protecteur.

GARGAILLOU.

Trop honnête, monsieur le militaire.

MITOUFLARD.

Ma nièce, venez que je dépose sur votre joue le baiser de la famille. (Il embrasse Dorothée.)

GARGAILLOU.

Adieu, petite cousine. (Il l’embrasse à son tour.)

MITOUFLARD.

Embrassez pour moi votre parrain. (Il l’embrasse encore.)

GARGAILLOU.

Bien des compliments à notre tante. (Il l’embrasse de même.)

DOROTHÉE.

Ah ! mais c’est assez ! Merci, merci, portez-vous bien et adieu.

MITOUFLARD, lui tendant la joue.

Vous n’avez pas de commissions pour chez nous à me donner ?

DOROTHÉE.

Non, non, bonsoir.

MITOUFLARD, à Gargaillou.
Pour lors emboîtons le pas. (Il lui tend le bras.)
MITOUFLARD ET GARGAILLOU, ensemble.

Qu’elle est belle !

MITOUFLARD.

Plus blanche que mon tablier à la p…de[illisible].

GARGAILLOU.

Plus belle qu’une cheminée à la parisienne.

ENSEMBLE.

Qu’elle est belle ! (Ils sortent.)


Scène VI.

DOROTHÉE.

Enfin, me v’là débarrassée ! ça n’est pas malheureux. A-t-on jamais vu des inventions pareilles (On entend la trompette.) Qu’est-ce que j’entends là ?… Mais, je ne me trompe pas, c’est Brindamour qui m’appelle. (Elle va ouvrir la fenêtre du fond.) Ne vous impatientez pas, on y va.

BOLÉRO.

De la trompette
J’entends,
Les accents éclatants
Et je m’enfuis seulette
Au rendez-vous
Bien doux
Qu’amour loin des jaloux
Me demande en cachette
On ne pourra me voir
Grâce à l’ombre du soir.
Pourtant il fait bien noir,
Et je suis inquiète ;
Mais malgré ma frayeur,
D’espoir et de bonheur,
Je sens battre mon cœur
Au son de la trompette.
Et cependant,
Est-ce prudent,
Pendant la nuit,
D’aller sans bruit (bis.)
Sur les remparts, (bis.)
Loin des regards ?
Pour y chercher (bis.)
Un mari…
Un mari…
Qui peut-être dira nenni !
La, la, la, la, la,
De la trompette
J’entends
Les accents éclatants !
Et je m’en vais seulette
Au rendez-vous
Bien doux
Qu’amour loin des jaloux
Me demande en cachette

Allons, c’est décidé, on peut bien risquer quelque chose pour le bon motif. Le moutard dort, il ronfle comme une toupie d’Allemagne. Pour plus de sûreté, je vas le mettre dans le lit de Madame… Il ronflera plus a son aise… (Elle va porter l’enfant dans la chambre voisine.) Là, tout est en ordre. Je serai revenue avant que mes maîtres ne rentrent, sauvons-nous. (Elle sort.)


Scène VII.

(La scène reste vide un instant ; à peine Dorothée est-elle sortie, que Gargaillou tombe et roule dans l’appartement par la cheminée. On entend des chutes de matériaux.)

GARGAILLOU, par terre, tout noirci.

Ah ! sapristi ! c’est moi tout de même ; bonsoir mademoiselle Dorothée, ne vous effrayez pas, je viens vous rapporter les effets de la bourgeoise, et j’ai pris le chemin de la cheminée pour ne pas rencontrer de monde, ça me connaît… Tiens, il n’y a personne ici, je suis donc seul à la maison ; oùs qu’elle est donc, mademoiselle Dorothée ?… Pas de chance, mon pauvre Gargaillou ; je lâche le militaire au coin de la rue, je monte sur la maison, j’entre dans la cheminée pour retrouver mes amours, me voilà, et elle n’y est pas ; pas de chance, pauvre Gargaillou, pas de chance ! (On entend du bruit. On voit apparaître à la fenêtre du fond le bonnet à poil de Mitouflard.) Qu’est-ce que c’est que ça, un ours, où me cacher ? (Il court partout. Devant le lit de l’enfant.) Ah ! dans le lit de l’enfant. C’est un peu petit, mais je m’y ferai. (Il entre et se blottit comme il peut dans le berceau.)


Scène VIII.

GARGAILLOU, dans le berceau. MITOUFLARD, grimpant par la fenêtre du fond.
MITOUFLARD, enjambant la fenêtre.

Mille millions de boutons de guêtre, j’aimerais mieux monter à l’assaut d’une citadelle. Cette maison possède des clous désobligeants et indiscrets, mon fourniment z’en a souffert intrinsèquement ; par bonheur encore qu’il y a z’un treillage, me voilà réinclus dans le temple de Paphos.

GARGAILLOU, levant la tête.

C’est encore ce fantassin barbu… Dérobons-nous à ses regards. (Il se baisse.)

MITOUFLARD.

La déesse s’est évaporée, il n’y a personne intrinsèquement z’ici, c’est bon, je vas l’attendre et me poser de faction z’avec allégresse et animosité. Allumons simultanément la bouffarde du sentiment discret. (Il allume sa pipe.)

GARGAILLOU, même jeu.

Je suis bien mal à mon aise là-dedans. Ce berceau n’a pas été fait pour moi. (Il éternue.)

MITOUFLARD.

Tiens… le jeune nourrisson est inclus dedans son berceau ; il s’ennuie ce petit… Je vais se livrer à son égard à des soins maternels… Accordons-nous cet exercice fallacieux et récréatif. (Il se met à bercer la bercelonnette.)

GARGAILLOU.

Oh ! le gredin, j’ai les côtes brisées, il me disloque les reins.

MITOUFLARD, même jeu.

Do, do, do, tu grognes galopin, c’est que t’as peut-être soif, mon fiston… Oùs qu’est le liquide à son usage ? (Il cherche.) Je ne trouve rien… Attends, j’ai ma fiole dans ma poche, du pur trois six, ça va le rafraîchir. (Il entonne sa gourde vers la bouche de Gargaillou.).

GARGAILLOU.

Ah ! fichtra ! (Il tousse.)

MITOUFLARD.

Tu tousses, petit… ça ne sera rien… c’est bon et velouté dans le gosier ça, hein ! (Gargaillou tousse.) Actuellement, faut dormir comme un homme, capilaine. Les nourrices font de la mélodie à seule fin d’endormir ces insectes-là. Qu’est-ce que je pourrais bien lui chanter dans le genre doux analogue à son âge respectif ? Ah ! j’y suis : La garnison de Charenton…

CHANSON.

La garnison
De Charenton
Passe à Bicêtre,
La garnison
De Charenton
Passe le pont !
Cric, crac,
Cric, crac,
Giberne et sac !
Boutons de guêtre !
Paille au bivouac !
Cric, crac !
Y avait trois chevaliers
Qui s’en allaient en guerre ;
Un à cheval, l’autr’ à pied,
Le troisième par terre ;
C’était le brigadier
Qui portait la soupière ;
Qu’est-ce que nous ferons
D’un si bel escadron ? (bis.)
Cric, crac,
Giberne et sac
Paille au bivouac
Cric, crac !
Mais le premier répondit :
J’annoncerai l’affaire ;
Puis-le deuxième reprit :
Moi je reste en arrière ;
Alors le troisième dit :
Je garde la soupière ;
Ils étaient trois lurons
Dans ce bel escadron
Cric, crac,
Giberne et sac
Paille au bivouac,
Cric, crac !

Je crois que si le moutard ne repose pas maintenant sur un lit de roses, il y mettra de la mauvaise volonté. (Ou entend les cris d’un enfant dans la pièce voisine.) Qu’est-ce que c’est que ça ? des gloussements plaintifs ! dans ctte chambre à côté… Attention au commandement, et voyons voir… (Il entre dans la chambre voisine.)


Scène IX.

GARGAILLOU.
Je voudrais bien m’en aller ramoner une cheminée ! si je pouvais sortir de cette maudite cage. (Il sort à moitié du berceau.)
MITOUFLARD, dans la coulisse.

Ah ! tonnerre !

GARGAILLOU.

Oh ! il revient, rentrons… (Il se remet dans le berceau.)


Scène X.

GARGAILLOU, MITOUFLARD.
MITOUFLARD, portant un enfant au maillot.

C’était un second galopin, mille clarinettes !… c’est donc un bureau de sevrage, ici ? Je ne peux pourtant pas passer ma jeunesse à alimenter subséquemment ce bataillon de mioches. C’est fatigant z’et insidieux, à la fin, mille clarinettes ; satanée marmaille, va !… (Il donne un grand coup de pied au berceau qui tombe. Gargaillou roule par terre.)

GARGAILLOU.

Fichtra !

MITOUFLARD.

Un nègre ! non ! c’est plutôt un singe des bois, un orang dégoûtant ! je vais l’exterminer !… (Il lève sur sa tête l’enfant qu’il porte.)

GARGAILLOU.

Arrêtez, je suis fumiste !…

MITOUFLARD.

Tu vas l’être bientôt, fumé !…


Scène XI.

GARGAILLOU, MITOUFLARD, DOROTHÉE.
TRIO.
DOROTHÉE.

O mon Dieu ! quel spectacle horrible !
Quel combat odieux !
Le sapeur, le fumiste et cet enfant terrible
Vont-ils s’égorger à mes yeux ?

(Elle reprend l’enfant.)

MITOUFLARD ET GARGAILLOU.

Mademoiselle Dorothée !

DOROTHÉE.

Oui, c’est moi qui suis suffoquée
De ce duel féroce et de vos cris affreux !

MITOUFLARD ET GARGAILLOU.

Mademoiselle Dorothée !

GARGAILLOU.

Pourquoi se montrer irritée ?

MITOUFLARD.

C’est une pile méritée
Que je donne à ce singe affreux !

DOROTHÉE.

Je vous bannis pour jamais tous les deux !

ENSEMBLE.
GARGAILLOU.

Quelle injustice !
Quelle malice !
Pour ses attraits,
Quand je souffrais,
Que j’patissais,
Pour récompense
D’ma patience,
Me voir banni
Sans m dir’ merci,
C’ n’est pas joli !

MITOUFLARD.

Quelle injustice !
Quelle malice !
Pour ses attraits,
Quand je brûlais,
Que j’ me battais,
Pour récompense
De ma vaillance,
Me voir banni
Sans m’ dir’ merci,
C’ n’est pas joli !

DOROTHÉE.

Qu’on déguerpisse !
Que ça finisse !
Pour mes attraits,
Je vous laissais
Soupirer, mais,
Pour récompense
De ma clémence,
S’ conduire ainsi,
Se battre ici,
C’ n’est pas joli !…

(On entend battre la retraite.)

DOROTHÉE.

Entendez-vous, c’est la retraite.

MITOUFLARD.

Il me faut rentrer au quartier.

GARGAILLOU.

Il me faut opérer ma retraite.

MITOUFLARD.

Pour toi, je serai sans quartier.

DOROTHÉE.

C’est le tambour,
Partez la nuit est belle ;
Non, plus d’amour !
Là bas, le devoir vous appelle,
Le devoir doit avoir son tour.

MITOUFLARD.

C’est le tambour !
Partons, la nuit est belle ;
Mon cher amour,
Loin d’ici le devoir m’appelle,
Le devoir doit avoir son tour.

GARGAILLOU.

C’est le tambour !
Partons, la nuit est belle ;
Mon cher amour,
Je te serai toujours fidèle,
Bientôt, je serai de retour !

MITOUFLARD.

Un instant ! entre nous, il faut qu’on se prononce ;
Allons, la belle, choisissez.

GARGAILLOU.

Oui, choisissez,
Mademoiselle, choisissez.

MITOUFLARD.

Ce fumiste est très-laid, cela se voit assez,
Et c’est moi…

GARGAILLOU.

Et c’est moi… Non, c’est moi…

MITOUFLARD.

Non, c’est moi…

GARGAILLOU.

Non, c’est moi… Non, c’est moi !…

MITOUFLARD.

Moi que vous chérissez.

DOROTHÉE.

J’aime Brindamour,
Le joli trompette ;
Lui seul pour toujours
A fait ma conquête ;
Tous deux vous viendrez
A mon mariage,
Et suivant l’usage
Vous y danserez.

GARGAILLOU.

Eh quoi ! plus d’amour ;
Elle aime un trompette !
Lui seul pour toujours
A fait ma conquête.

MITOUFLARD.

Eh ! quoi Brindamour
Ce fichu trompette !
J’aurai donc fait four,
Mille clarinette !…

(Ou bat la retraite au dehors.)

GARGAILLOU.

Brindamour !

MITOUFLARD.

Brindamour !

DOROTHÉE.

La retraite s’est fait entendre,

MITOUFLARD.

Ne nous faisons pas attendre !

DOROTHÉE.

C’est assez,
Partez !…

MITOUFLARD.

Allons, fumiste, sans rancune !

GARGAILLOU.

Sapeur, devenons bons amis.
Cette blonde aujourd’hui d’ici nous a proscrits…

MITOUFLARD.

Nous nous retrouverons un jour près d’une brune.

ENSEMBLE.

En attendant,
Prenons notre malheur gaîment…
C’est le tambour !
Partons, la nuit est belle ;
Adieu l’amour !
Là-bas, le devoir nous appelle,
C’est le tambour !

(Le bourgeois entre, voit l’enfant entre les bras du sapeur et pousse un cri.)


FIN