La Campagne coloniale des alliés en 1914 et 1915/03

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La Campagne coloniale des alliés en 1914 et 1915
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 30 (p. 641-676).
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LA CAMPAGNE COLONIALE DES ALLIÉS
EN 1914 ET 1915

III.[1]
LE SUD-OUEST AFRICAIN ALLEMAND — L’EST AFRICAIN ALLEMAND. — LA NOUVELLE-GUINÉE — LES ILES MARSHALL ET SAMOA. — TSING-TAO


I. — LE SUD-OUEST AFRICAIN

Le Sud-Ouest africain couvre une surface de 835 100 kilomètres carrés. Cette colonie, une fois et demie grande comme l’Empire allemand, occupe une large partie de la côte Ouest de l’Afrique. L’Angola limite sa frontière septentrionale. Partout ailleurs, elle voisine avec la terre britannique.

En 1883, Adolphe Lüderitz prenait possession d’Angra-Pequena et du pays limitrophe. Dès lors, ces régions furent placées sous le protectorat allemand. Toutefois, une petite enclave, située sur la côte, fit exception. Walfisch bay restait au pouvoir des Anglais.

Dès 1886, les frontières entre le Sud-Ouest africain et les possessions portugaises furent établies. Il fallut attendre 1890 pour obtenir les mêmes précisions du côté de l’Angleterre. Puis la colonie se développa dans une paix relative, sauf pendant l’année 1904 où la révolte des Hereros et des Hottentots ne fut brisée que grâce à de coûteux efforts. En 1911, la population de la colonie ne comptait pas moins de 13 962 blancs dont 11 140 Allemands, parmi lesquels il y avait 2 468 femmes européennes. L’élément indigène comprenait surtout 20 000 Hereros, 18 500 Bergdamara, 14 000 Muma, 8 000 Buschmen, 60 000 Owambo, 6 500 Cafres. Tels étaient les élémens principaux de ce peuple bigarré.

Le relief du pays est puissant. Il suffit de citer le mont Karas, haut de 2 000 mètres, l’Auas qui s’élève à 2 481 mètres et l’Omataka dont l’altitude approche 2 700 mètres.

L’hydrographie fluviale est largement représentée par l’Orange, qui dessine la frontière méridionale et le Kumene, dont le large sillon traçait la ligne séparative de l’autorité germanique d’avec l’influence portugaise. L’Okawango se jette dans le lac Ngami et forme une partie de la séparation d’avec l’Angola. Tous les fleuves de cette région qui portent leurs eaux vers l’océan Atlantique sont secs la majeure partie de l’année. Du Septentrion vers l’Orient, l’Amboland, le Damaraland, le Gross-Namaland, échelonnent leurs grandes divisions territoriales.

Ce qui, surtout, doit retenir notre attention, c’est le développement admirable du cheptel Sud-Ouest africain. En 1911, il n’y avait pas moins de 144 000 têtes de gros bétail. Les moutons à laine se chiffraient à 32 000, les moutons de boucherie à 381 000. Les chèvres angora broutaient la steppe au nombre de 10 000 et les chèvres ordinaires formaient un troupeau de 385 000 têtes. Se lançant dans l’élevage des autruches, déjà les Allemands en avaient parqué 640 beaux spécimens. Dès 1910, le service de la statistique de Berlin faisait orgueilleusement ressortir le chiffre de 1 141 grandes fermes déjà bien installées et prospères. Le commerce des métaux se montait, en 1911, à 37 millions de marks. Le cuivre d’Otawie y figurait pour une bonne part, ce cuivre dont l’Allemagne éprouve aujourd’hui un si grand besoin. Bientôt, dans les dunes de sable de Namib, on découvrait des gisemens de diamant.

Le commerce d’importation valait 44 344 000 marks et le chiffre des exportations n’était pas inférieur à 34 991 009 marks.

Rien qu’à Swakopmund en 1911, 144 vapeurs touchaient la côte. Ils représentaient un tonnage de 523 000 tonneaux. À Lüderitzbucht, 195 vapeurs venaient à quai la même année. Ils jaugeaient dans leur ensemble 674 000 tonneaux.

Nous ne serons pas étonnés de voir ici une application nouvelle de cette tenace politique de construction des chemins de fer, dont partout ailleurs, dans les pays d’outre-mer aussi bien qu’en Europe, l’Allemagne a su réaliser lus fructueux projets.

De Swakopmund à Windhuk, il y a 382 kilomètres de rail. De Swakopmund à Karibib, le chemin de fer multiplie son activité. De Swakopmund encore, montant vers le Nord-Ouest, la voie ferrée se déploie sur une distance de 570 kilomètres, atteint Tsumeb et donne au passage un embranchement vers l’Est qui, long de 93 kilomètres, va toucher Groot Fontein. Descendant vers le Sud, à Lüderitzbucht, sur le littoral, une autre voie s’amorce, se dirige vers l’Est et gagne Keetmanshoop. De ce dernier point se déroulent vers l’Orient 183 kilomètres de rail, rattachant Kalkfontein à la côte. Enfin, ce magnifique réseau se complète par un trajet de 528 kilomètres, reliant en quelque sorte le système ferré du Nord à celui du Sud. Ainsi, Keetmanshoop est rattaché à Windhuk.

Cet immense pays se divise en 15 districts, auxquels il faut ajouter la résidence de Capriviziftel, longue pointe de terre qui s’enfonce dans la Rhodesia. Le gouvernement siégeait à Whinduk qui était vraiment bien le centre du pays.


Le 2 août au matin, M. E. Jore, consul de France au Cap, recevait un télégramme de M. Cambon, ambassadeur à Londres, annonçant la mobilisation générale. Les agens consulaires de France en résidence à Port-Elisabeth et à East London en furent instruits. Déjà avant les derniers jours de juillet 1914, l’opinion publique et les journaux du Cap étaient sortis peu à peu de la neutralité dans laquelle ils s’étaient tenus longtemps. L’insolence et la brutalité de l’Allemagne provoquaient le sentiment public. Voilà pourquoi, en apprenant l’entrée en lice de l’Angleterre, les gens du Cap furent satisfaits.

Le gouvernement de l’Union avait pris toutes les mesures nécessaires à la défense du pays contre une attaque allemande. Un double projet fut formé. D’abord, envoyer un corps expéditionnaire en Europe. Ensuite, et c’est là ce qui intéresse notre sujet, envahir le Sud-Ouest allemand. Notons en passant que, depuis les récentes découvertes de riches gisemens diamantifères dans cette colonie, elle avait subitement pris une valeur nouvelle. L’idée de tous au Cap était que l’Afrique du Sud entière devait appartenir à l’Empire britannique. Voilà pourquoi depuis la conquête du Sud-Ouest africain allemand la colonie du Cap s’est livrée à différentes manifestations dont le sens se résume en ces mots : « Maintenant que nous nous y sommes installés, personne ne pourra nous en déloger. »

Dès cette époque, — nous sommes au mois d’août 1914, — le prix des denrées a augmenté au Cap de 10 pour 100. L’exportation des vivres de première nécessité est interdite. La réserve en charbon est considérable. Cependant la grande compagnie De Beers à Kimberley où les Français ont engagé environ 300 millions de francs décidait de suspendre ses travaux. L’importante mine de diamans « Premier » en fit autant.

La station navale anglaise était alors composée de trois bateaux de guerre. L’Hyacinth, l’Astrea et le Pegasus, qui furent renforcés par deux unités nouvelles, le Nottingham et le Dorset. Ceux-ci venaient de capturer deux navires de commerce ennemis, portant des provisions à la colonie du Sud-Ouest. Le gouvernement annonçait officiellement, dès le 21 août au soir, que les troupes allemandes avaient envahi le territoire, de l’Union entre Nakob et Upington et s’y étaient retranchées. À ce moment, les effectifs ennemis étaient estimés à 2 000 hommes environ de troupes européennes. Les autorités compétentes estimaient que les Allemands pourraient mobiliser 5 000 soldats environ.

Les autorités appelaient immédiatement de nouveaux effectifs sous les armes. L’état de siège était proclamé à Simonstown, station navale anglaise à 30 kilomètres du Cap et reliée par chemin de fer. Un camp de concentration pour les mobilisés allemands fut organisé à Johannesburg et un autre à Bloemfontein. A la date du 20 août, 200 Austro-Allemands étaient ainsi faits prisonniers, y compris le prince de Salm-Salm, aussitôt interné à Bloemfontein.

Les troupes anglaises régulières stationnées dans l’Afrique du Sud comprenaient 6 000 hommes. Elles étaient tenues prêtes à partir pour la destination secrète qui leur serait indiquée.

Bientôt les ministres de l’Union recevaient de l’Angleterre un crédit de 7 millions de livres sterling et décidaient l’envoi d’une forte armée contre la colonie allemande voisine. Le corps expéditionnaire était alors estimé à 20 000 hommes de troupes sud-africaines. Ces effectifs étaient accompagnés d’un important matériel de guerre en plus de nombreux chevaux, mules, ânes et provisions de toutes sortes envoyées du Cap par la voie de mer. La Chambre des députés approuvait par 92 voix contre 12 l’envoi de ces forces. L’opposition du général Hertzog et de ses amis germanophiles fut grande, mais sans effet pratique. Ces boers intransigeans déclaraient n’avoir point à s’occuper des intérêts de l’Empire britannique.

Parmi les mesures prises par le gouvernement du Cap, il faut citer, en ce qui concerne notre sujet, une loi autorisant la construction d’une ligne ferrée de Prieska au Sud-Ouest africain.

Deux incidens de la politique intérieure et qui nous intéressent se passèrent alors. Ce fut la démission du général de la Rey, sénateur, qui avait protesté contre l’envoi de troupes pour l’attaque de la colonie voisine. Le général Beyers, commandant en chef des troupes sud-africaines, se retirait pour les mêmes raisons. Quand cet officier résigna ses fonctions, il y eut un échange de lettres entre lui et le général Smuts, ministre de la Guerre. Publiée par tous les journaux, cette correspondance provoqua une assez grande surexcitation entre le parti intransigeant et germanophile dirigé par les généraux Hertzog, Beyers et De Wet, et le parti boer anglophile dont les généraux Botha et Smuts sont les chefs. Botha déclarait très crânement qu’il allait lui-même se mettre à la, tête du corps expéditionnaire. En outre, il appuyait sa déclaration par un nouvel appel sous les armes de 7 000 hommes.

Ce fut à ce moment que les forces sud-africaines occupèrent sans combat Lüderitzbucht, sur la côte atlantique. Les Allemands venaient d’évacuer la place parce qu’ils se concentraient dans l’intérieur et plus au Nord, à Windhuk.

La conquête de cette colonie ne devait pas se faire sans difficulté. Depuis longtemps, les troupes ennemies étaient préparées en vue de la guerre. Il y avait contre nous 8 000 soldats bien entraînés, armés à la perfection. Surtout, l’adversaire possédait des canons en nombre supérieur et d’un calibre plus fort que celui de l’artillerie sud-africaine.

Au début d’octobre se produisit la trahison du colonel Maritz, chef des troupes de l’Union à Prieska, près de la frontière et au Nord de la province du Cap. La Revue des Deux Mondes a exposé en détail ces événemens qui firent sensation l’automne dernier. Nous rappellerons simplement que cet officier félon s’était mis d’accord avec le commandement du Sud-Ouest africain pour envahir l’Union et y proclamer la République. S’engageant dans la même voie que le colonel Maritz, les généraux De Wet et Beyers se révoltaient à leur tour.

Ces graves circonstances contrariaient l’offensive de nos alliés. Il avait fallu rappeler des frontières et de Lüderitzbucht spécialement une grande quantité de troupes montées et de canons. La situation, à ce moment, fut difficile. Le traité de Vereeniging et la Constitution de 1910 étaient menacés d’être remis en discussion. En même temps, la question musulmane venait joindre de nouvelles incertitudes à ces événemens déjà troublés. Nombreux sont, en effet, les musulmans qui habitent l’Afrique du Sud. Qu’allaient-ils faire, puisque la Turquie se déclarait contre les Alliés ?

Ce fut alors qu’un désastre naval vint très à propos enlever aux Allemands un de leurs principaux appuis. L’Emden était détruit en Océanie et le Kœnigsberg embouteillé dans le fleuve Rufidji de l’Est africain. Depuis plus de deux mois, le Kœnigsberg constituait une menace pour les vaisseaux naviguant à l’Est de l’Afrique et dans les eaux de Madagascar. Le consul de France à Cape Town, M. Emile Jore, ne fut pas étranger à l’embouteillage du croiseur ennemi. Les renseignemens qu’il donna, par télégraphie sans fil, furent grandement utiles.

Sur ces entrefaites, après une poursuite acharnée de plusieurs jours, à cheval et en automobile, le 1er décembre 1914, De Wet était rejoint et fait prisonnier près de Vrybourg, dans le Bechuanaland. Le lieutenant-colonel Jordaan recevait la reddition des troupes qui accompagnaient ce général rebelle. C’était la fin prochaine d’une triste révolte où s’est ternie la gloire de valeureux soldats.

L’offensive allait être reprise avec une activité nouvelle, appuyée par l’importante escadre britannique qui se trouvait à Simonstown. Le projet d’attaque semblait tenir dans les indications suivantes : offensive menée à l’Ouest par Swakopmund, sur la côte, puis par Prieska et Upington, au Sud-Est. Il fallait marcher sur Windhuk, où se trouve une importante station de télégraphie sans fil. Tenir la capitale, c’était couper l’importante voie ferrée reliant le Nord au Sud.

A ce moment, tandis qu’il fuyait, le général Beyers se noyait le 3 décembre en voulant traverser la rivière Vaal, près de Zandspruit dans l’État d’Orange.

L’escadre de Simonslown cingle vers le Sud-Ouest africain, et des troupes sont dirigées du même côté par voie de terre.

Ce fut alors qu’arrivèrent au Cap deux délégués du gouvernement belge, M. Eugène Standaert, avocat à Bruges et M. Alfred Van de Perre, docteur en médecine à Anvers, membres de la Chambre des représentans. Nous notons ce fait parce que ces deux hommes politiques venaient exposer aux populations du Cap, dans une série de conférences accompagnées de projections photographiques, les épouvantables atrocités commises par les Allemands en Belgique. Ces informations produisirent un grand effet. L’opinion publique indécise, et qui lentement tournait en faveur de la guerre, y fut aidée par la connaissance de ce qu’était en réalité la culture germanique.

Le général Botha se trouvait au Cap depuis dix jours déjà et s’occupait de l’organisation des nouveaux contingens de la Defence force. Swakopmund venait d’être pris. D’autres petits succès étaient signalés de différens côtés de la frontière. Dès ce moment, l’envahissement du territoire ennemi était en bonne voie d’exécution.

Un croiseur de 1re classe, le Goliath, ainsi qu’un croiseur auxiliaire de 22 000 tonneaux de la Cunard Line venaient en rade de Simonstown renforcer l’escadre anglaise.

Tout semblait bien aller, quand, le 24 janvier, Maritz et Kemp attaquèrent la ville d’Upington, point terminus de la ligne ferrée sur le fleuve Orange, à l’Est de l’extrême frontière orientale allemande. Malgré les 1 200 hommes dont ils disposaient, ces colonels échouèrent. On constata alors comment les révoltés étaient tous vêtus d’uniformes allemands et armés de fusils Mauser.

Le 2 février, le colonel Kemp faisait spontanément sa soumission avec tout son commando comprenant 40 officiers et 517 hommes. C’était là le résultat d’un désaccord survenu entre les chefs boers révoltés et les officiers allemands. Ainsi plusieurs milliers de soldats boers purent être joints au corps expéditionnaire. Dès le 26 février 1915, le général Botha annonçait au Parlement du Cap, par un message daté de Swakopmund, que la campagne serait rapidement menée à bonne fin.

A la date du 13 mars, on estimait que le gouvernement du Cap avait mis 70 000 hommes sous les armes, dont plus de 40 000 furent envoyés au Damaraland. À ce total, il faut ajouter des milliers de noirs engagés pour servir l’armée, et surtout afin de rétablir les lignes de chemin de fer détruites par les Allemands pour couvrir leur retraite.

Entre temps, la situation intérieure au Cap s’améliorait à ce point que le général Smuts, ministre de la Guerre, qui remplissait les fonctions de premier ministre en l’absence du général Botha, put, lui aussi, se rendre sur le théâtre des opérations. Dès lors, Botha se trouvait à la tête de l’armée du Nord à Walfisch bay-Swakopmund, tandis que le général Smuts attaquait par la voie Upington-Kakamas-Warmbud et de Lüderitzbucht, se frayant ainsi un passage de l’Est à l’Ouest. Telle était la direction de l’armée du Sud.

Vers le 21 avril, les effectifs venant à la fois de Lüderitzbucht par la voie de mer et d’Hasnul par la voie de terre se réunissaient pour occuper les points importans de Seeheim, sur la ligne de Lüderitzbucht à Keetmanshoop, puis Keetmanshoop même. Elles étaient ainsi maîtresses de toutes les voies ferrées du Sud. D’autre part, au Nord, le général Botha occupait l’importante station de Yackalswater, située sur le chemin de fer de Swakopmund à Windhuk, et en dehors du désert de la côte.

La plus grande difficulté de cette campagne résidait dans le passage de l’armée à travers le désert d’environ 110 kilomètres, séparant la côte des premiers plateaux de l’intérieur. L’obstacle était surmonté, dès la fin d’avril. Les Allemands se retiraient peu à peu, et souvent sans combattre. Ils faisaient le vide derrière eux, détruisant les voies ferrées, semant des mines explosives et empoisonnant les eaux.

Les troupes du Cap se trouvèrent bientôt dans des régions moins inhospitalières. Il y avait de l’eau en abondance et d’excellens fourrages pour les chevaux. Des dispositions furent prises pour marcher sur Windhuk à la fois par le Nord et par le Sud, en suivant les lignes ferrées, qui, de part et d’autre, se déroulent vers la capitale.

L’Afrique du Sud devait trouver dans la possession de la colonie germanique voisine un complément naturel, en faisant de Walfisch bay son principal débouché. Walfisch bay, en effet, est le seul bon port de la côte du Cap à Lobito. Nous savons maintenant qu’en cela très prévoyante, l’Angleterre a déjà fait relier par le rail Walfisch bay a la grande ligne de Swakopmund vers Windhuk. En outre, les Anglais travaillaient, dès le mois dernier, au raccordement des chemins de fer de l’Union à ceux de l’Ouest allemand. A cet effet, ils prolongent la voie d’Upington, dans la province du Cap, jusqu’à Warmbud, dans la colonie allemande. Cette ligne, qui semble avoir une importance stratégique de premier ordre, est sur le point d’être terminée. Ainsi l’Allemagne avait construit ici une grande partie de ses voies ferrées pour un but de conquête ; elle ne visait rien moins qu’à s’emparer elle-même de l’Afrique du Sud ; et, aujourd’hui, sa colonie est conquise par ses voisins au moyen des armes qu’elle avait forgées contre eux. La voie, à l’achèvement de laquelle les Anglais travaillent, abrégera d’environ deux ou trois jours les communications de l’Europe avec le Transvaal, l’Orange, la Rhodésie et le Congo belge.

Le gouvernement s’occupe non seulement de la conquête militaire d’une des principales colonies allemandes, mais encore de sa conquête économique et politique. Voilà l’explication d’un envoi de troupes aussi importantes. En effet, il est à prévoir qu’un grand nombre de soldats boers ou anglais resteront dans le Sud-Ouest allemand, dont le climat et les terres sont les mêmes qu’au Transvaal. Des concessions leur seront attribuées. Après la guerre, il semble que le nombre des Anglo-Boers dans le Sud-Ouest africain l’emportera sur celui des Allemands. Ainsi sera définitivement assurée la domination des vainqueurs.

Cette colonie contient d’immenses gisemens de diamans et de cuivre. Ce sont autant de raisons pour attirer les capitalistes sud-africains. Par cette acquisition, l’Union sud-africaine affermira sa sécurité et son indépendance que menaçaient des voisins dangereux, et elle aura réalisé une affaire excellente pour le développement de sa prospérité.

Sur ces entrefaites, les troupes du Sud, sous les ordres du général Smuts, occupaient Garbus, à 20 milles au Nord de Keetmanshoop, à la suite d’un combat sans grande importance.

Après avril, les forces de l’Union marchèrent de succès en succès. Leur progression, pendant la première semaine du mois de mai, fut considérable. La ville de Gibson, sur la ligne de Lüderitzbucht à Windhuk, fut occupée à la suite d’un très vif engagement. D’autre part, au Nord, le général Botha s’emparait successivement d’Otjimbingwe, puis de l’importante ville de Karibib. Les Anglais y entrèrent le 5 mai. Cette cité se trouve sur le chemin de fer reliant Swakopmund à Windhuk. Poussant plus loin encore, ces troupes prirent les stations de Johannalbrechtshohe et de Willemstal. En outre, la ligne de Swakopmund aux riches mines d’Ottavi fut occupée. Au cœur du pays, Onguati, relié à Karibib par une petite voie ferrée, tomba aussi au pouvoir des Anglais.

À cette même époque, la colonne du Nord ne se trouvait donc plus qu’a cinquante milles environ de Windhuk. De son côté, celle du Sud s’avançait a marches forcées vers la capitale. Une fois de plus, indépendantes au début, les opérations militaires de cette campagne se soudaient dans une action commune.

L’armée de l’Union est constituée spécialement par des Boers, aussi sa mobilité est-elle extraordinaire. Botha écrivit à ce sujet que ses hommes venaient d’exécuter une formidable marche de 190 milles en cinq jours, ce qui fait une moyenne de 60 kilomètres par 24 heures. Le général exprimait l’espoir d’occuper bientôt Windhuk.

Jusqu’à ce moment, les Allemands n’avaient offert qu’une assez faible résistance. Ils s’étaient retirés en toute hâte, et même en désordre, devant un envahisseur aussi rapide que puissant. D’après les communiqués officiels pendant la première semaine de mai, les contingens de l’Union perdirent une cinquantaine de tués.

Dès le 16 février, deux jours après l’occupation de Swakopmund dont nous avons parlé, les Anglais avaient trouvé six sources empoisonnées à l’aide d’un produit à base d’arsenic appelé au Cap du nom de « Kopper » ou « Coopers Dip » et qu’on y emploie généralement pour le traitement des maladies de peau du bétail. Aussitôt, le général Botha adressa une lettre officielle au lieutenant-colonel Franke, commandant en chef dans la colonie du Sud-Ouest africain : il lui signala cet acte contraire à l’article XXIII de la Convention de La Haye, en ajoutant que, si ces tentatives d’empoisonnement se renouvelaient, il en rendrait responsables les officiers ennemis. Franke répondit que ses ordres étaient tels, que les troupes sous son commandement, ne devaient laisser aux mains de l’ennemi aucune eau pouvant servir à l’alimentation des hommes et des bêtes : en conséquence, l’officier chargé de défendre Swakopmund avait fait jeter dans les sources plusieurs sacs de sel de cuisine. Mais le sel ayant un effet de courte durée, il avait ordonné l’emploi du « Kopper Dip. » Grâce à ce procédé, « les Anglais occupant le pays ne pourraient pas longtemps se servir des eaux allemandes. » Le colonel affirmait avoir ordonné que des inscriptions fussent placées sur le bord des sources. Ainsi, les Anglais seraient prévenus. Le 28 février, le général répondait au colonel Franke en exprimant le regret de voir les officiers allemands soutenir le droit d’empoisonner les eaux en en donnant avis : en fait, d’ailleurs, aucun de ces avis n’avait été trouvé au moment de l’occupation de Swakopmund. Botha renouvelait sa ferme décision de rendre les chefs responsables des conséquences de ces empoisonnemens. Aucun compte ne fut tenu de ces lettres.

Le 12 mai, Windhuk était occupé sans combat. Ensuite, Botha continuait à s’avancer sur la ligne ferrée d’Onguat, à Ottavi. Il atteignit ainsi Grootfontein, où, disait-on, 4 000 Allemands s’étaient réfugiés. L’ennemi continuait à se retirer en refusant le combat. Bien entendu, il détruisait systématiquement tout ce qu’il ne pouvait emporter.

A la date du 14 juin 1915, suivant une note officielle du gouvernement de Pretoria, les troupes de l’Union avaient perdu 122 tués depuis le début de la guerre. Mais dans la rébellion du Cap, les corps fidèles au gouvernement auraient eu 131 hommes tués par leurs propres compatriotes.

Le 9 juillet, les forces allemandes se rendaient au général Botha. Les honneurs de la guerre leur étaient accordés, ce qui, étonna bien des gens, à la suite des procédés de combat auxquels l’ennemi avait recouru. Tel fut l’avis des principaux organes de la presse du Cap tels que le Times et l’Argus.

Suivant des documens officiels, dès la fin de juin dernier, la guerre du Sud-Ouest africain et la rébellion du Cap avaient déjà coûté 425 millions de francs à la charge de l’Union. En revanche, les pertes en hommes étaient insignifiantes. La campagne avait été remarquablement organisée et conduite. Surtout, les services de santé et de ravitaillement furent excellens. De même, le service du chemin de fer, dont le rôle devait être capital en vue d’un succès rapide, a été admirablement fait. L’honneur en revient à M. Hoy, directeur général des services de la traction.

Le 22 juillet, à deux heures de l’après-midi, le général Botha, premier ministre et commandant en chef des troupes de l’Union, arrivait à Cape-Town. Il déclara que ce n’était pas l’armée allemande, mais les difficultés naturelles du pays qui avaient été ses plus grands ennemis dans le Sud-Ouest.

En terminant, il n’est pas inutile de faire remarquer que ce fut précisément la colonie anglaise sur la révolte de laquelle l’Allemagne avait le plus sûrement compté, qui obtint la première victoire de l’Empire britannique dans des opérations de grande envergure. Un territoire trois fois grand comme le Royaume-Uni venait d’être ajouté à l’Union sud-africaine. Il est riche en mines de diamans et de cuivre, contient de vastes étendues d’espaces cultivables : et ce qui double la valeur de ce pays, c’est son voisinage des possessions britanniques, dont il constitue le prolongement naturel.


II. — L’EST AFRICAIN ALLEMAND

A l’Est de l’Afrique, l’Allemagne régnait aussi sur une vaste contrée, aujourd’hui dernier territoire d’outre-mer partiellement encore en son pouvoir.

Le 27 février 1885, un explorateur allemand, le docteur Carl Peters, prenait possession des terres qui servirent d’amorce au gouvernement de Berlin pour se tailler une grande colonie. De 1904 à 1910, les frontières en ont été établies par des accords conclus avec l’Angleterre, la Belgique et le Portugal. La surface totale de l’Est africain allemand est de 995 000 kilomètres carrés, deux fois la superficie de l’Empire d’Allemagne.

En 1911, la population blanche comptait 4 227 individus, dont 3 113 Allemands. A partir de 1904, se produisit une active immigration de Boers, de Grecs et d’Italiens. Quant à l’élément indigène, il oscille entre six et neuf millions. Ce sont surtout des nègres bantoums, zoulous, wahehe et mafiti. Il y avait encore quelques milliers d’Arabes, de Parsis, de Syriens, d’Égyptiens, de Turcs, et surtout des Indiens au nombre de 6 750.

Prise dans son ensemble, cette colonie constitue la partie principale de la haute plaine d’Afrique qui s’étend d’Abyssinie au Tafelberg. L’altitude moyenne varie entre 1 000 et 1500 mètres.) A la frontière septentrionale, les monts Kilimandscharo, avec à l’Est la pointe Mawensi, haute de 5 355 mètres, et, vers l’Ouest, la cime Kibo qui s’élance jusqu’à 6 010 mètres, forment un puissant massif de 3 770 kilomètres carrés. Non loin du Kilimandscharo, se trouve le Paregebirge, aux pentes très abruptes. En se rapprochant de la côte, on aperçoit les montagnes d’Usambara. Sur la rive droite du fleuve Pangani, dont le cours se développe du Nord-Ouest vers l’Est, se voit la terrasse de l’Usigua. Plus vers l’Orient, les monts Nguru amorcent les crêtes qui dessinent un demi-cercle jusqu’au lac Nyassa, se dressant à travers l’Ussagara et l’IIhche. Vers la frontière, il y a les montagnes Ruboho, situées entre l’Ussagara et l’Uhehe. Nous aurons suffisamment fait ressortir les élémens principaux du relief de ce pays en citant pour finir les monts Livingstone, qui se dressent jusqu’à 3 000 mètres, non loin du lac Nyassa.

Grands tributaires de l’océan Indien, le Pangani descend des versans du Kilimandscharo ; le Wami et le Ruwa se jettent dans la mer, en face de Zanzibar. Le Rufidji, navigable dans son cours inférieur, a son embouchure en face de l’île Mafia. Vers le Portugal, la frontière est tracée par trois grands cours d’eau : le Mbemkuru, le Lukuledi et le Rowuma. Le lac Tanganika absorbe le flot du Mlagarassi. Le lac Victoria reçoit le Kagera, dont la bouche se trouve en territoire britannique.

Le centre de l’Est africain est remarquable par les trois grandes mers d’eau douce qu’il contient en partie. Les lacs Victoria, Tanganika et Nyassa couvrent des surfaces respectivement égales à celle de la Bavière, de la Prusse orientale et de la Prusse occidentale. Enfin, le lac Kiou et, à l’Ouest du Kilimandscharo, les trois lacs Natron, Manjara et Njarasa complètent l’hydrographie si intéressante de cette contrée.

Les importations de la colonie représentaient, en 1911, 38 659 000 marks. Quant aux exportations, elles n’étaient pas inférieures à 20 805 000 marks.

Le réseau ferré, quoique moins développé que celui du Sud-Ouest, comporte cependant la ligne qui réunit Dar-es-Salam, sur la côte, à Tabora, vers l’Ouest, en couvrant 850 kilomètres avec des voies de 1 mètre, d’écartement. Moins importante est la ligne d’Usambara avec 352 kilomètres et celle de Sigi longue de 23 kilomètres seulement.

La côte est semée de ports assez nombreux. Onze de ceux-ci ont été touchés en 1910 par 933 navires d’un tonnage de charge effective égal à 2 millions de tonnes.

Rappelons, puisqu’ils intervinrent dans la campagne militaire, que trois steamers naviguaient dans l’intérieur. Sur le lac Nyassa, il y avait l’Hermann-von-Wiessmann ; sur le Tanganika, le Hedwig-von-Wiessmann, et sur le Victoria, l’Ukerewe.

Le siège du gouvernement se trouvait à Dar-es-Salam. De là l’action administrative se faisait ressentir au loin, à travers les vingt-trois cercles entre lesquels le territoire était réparti.


Les nouvelles reçues de la campagne anglaise contre la colonie allemande de l’Est africain sont plutôt rares. En novembre 1914, les Anglais ont essuyé quelques échecs devant les ports de Tanga et de Dar-es-Salam. Depuis, les opérations furent réduites. Toutefois, nos alliés ont occupé l’île Mafia située en face des bouches de la rivière Roufidji. Il s’y trouvait une trentaine d’Allemands, qui y firent une défense très énergique. Plus de la moitié de la garnison, dont un grand nombre de blessés, fut amenée à Zanzibar.

Dès le commencement de janvier, les Anglais avec des troupes de l’Ouganda ont occupé Mouanza sur la rive méridionale du lac Victoria. À cette occasion, on crut même un moment que les Beiges du Congo avaient réussi à passer le Tanganika et étaient en marche sur Tabora, la capitale de l’Est africain et point terminus du principal chemin de fer. La frontière commune entre le Congo belge et l’Est africain allemand présente un développement d’environ 800 kilomètres depuis le Sud du lac Tanganika jusqu’au volcan Sabinio, dans la chaîne des monts Virunga au Nord du lac Kivu. La plus grande partie de ce vaste secteur est constituée par le lac Tanganika, véritable mer intérieure dont les deux colonies se partagent les eaux.

De ce côté, les hostilités débutèrent le 22 août 1914. Le premier acte de guerre fut le bombardement de Lukuga. Nous en avons donné les détails en parlant du rôle de la Belgique au Congo. Lukuga constitue un point stratégique important. C’est en effet la tête de ligne du chemin de fer conduisant au fleuve Congo (ligne Lukuga-Kabalo). Cette voie ferrée, dont la guerre n’interrompit pas la construction, fut achevée au printemps 1945.

La flottille allemande du Tanganika attaqua à diverses reprises Lukuga. Elle bombarda Albertville et Uvira.

Plusieurs tentatives de débarquement furent repoussées. Ces agressions n’ont plus été renouvelées depuis que le feu de la grosse artillerie, mise en position à Lukuga, a endommagé, le 2 février 1915, l’Hedwig-von-Wiessmann.

Les deux flottilles belge et allemande se disputent la maîtrise du lac.


La Rhodésie du Nord-Est ayant été attaquée au mois de septembre 1914, les autorités britanniques firent appel aux troupes belges du Katanga. Celles-ci franchirent aussitôt la frontière rhodésienne et marchèrent sur Abercorn qu’assiégeaient les Allemands. A leur approche, l’ennemi se retira sur son territoire. Depuis cette époque, ce contingent belge assurait avec les troupes locales anglaises la protection de la frontière anglo-allemande, au Sud-Est du lac Tanganika, où il constitue en même temps la défense avancée du Katanga.

Le vice -gouverneur général du Katanga a fait savoir que les troupes belges opérant avec les forces britanniques en Rhodésie ont livré un nouveau combat le 28 juin dernier à Saisi, à 25 kilomètres à l’Est d’ Abercorn.

Les Allemands renouvelèrent leurs attaques contre la position de Saisi le 26 juillet. La bataille se prolongea jusqu’au 3 août. L’ennemi fut repoussé après avoir éprouvé des pertes sensibles parmi lesquelles 60 Européens tués. Les contingens belges ont combattu avec une grande vaillance. Les forces allemandes engagées à Saisi s’élevaient à 2 000 hommes avec 18 canons et mitrailleuses.

Les troupes anglo-belges ont encore livré quelques combats contre des partis allemands qui tentaient de rompre le cordon de surveillance établi à la frontière. Toutes les tentatives de l’ennemi ont été déjouées et sévèrement réprimées.

Le principal théâtre des opérations dans lesquelles sont engagées actuellement les troupes du Congo est le district de Kiva, qui s’étend de l’extrémité septentrionale du lac Tanganika à la ligne des monts Virunga. Au Sud et au Nord du lac Kiva, la frontière terrestre entre le Congo belge et l’Est africain-allemand présente un développement total de 200 kilomètres environ. De ce côté, les Allemands remportèrent quelques avantages au début des hostilités.

Les effectifs qui gardaient cette province éloignée étaient peu nombreux. Los ordres du gouvernement leur interdisaient toute action offensive, de sorte que l’ennemi, attaquant à l’heure et au point qu’il s’était choisi, réussit à pénétrer en territoire belge. Le 24 septembre, il s’empara de l’ile de Kwidjivi qui domine le lac, détruisit la station frontière de Goma, sur la rive et lança à travers le pays des forces régulières précédées de milliers d’indigènes Watuzi qu’ils avaient armés de fusils perfectionnés. Ces bandes sauvages brûlèrent les villages sur leur passage, massacrèrent les habitans mâles et emmenèrent en captivité les femmes et les enfans. Ce fut la guerre africaine, barbare et féroce, telle que le Congo l’avait connue vingt années auparavant, lorsque les Arabes esclavagistes dominaient la province orientale.

L’invasion fut promptement enrayée. Les renforts arrivaient par toutes les routes de l’intérieur du Congo. Bientôt une première colonne se concentrait à Rutshura sous les ordres du lieutenant-colonel Henry et descendait vers le Kiva par le défilé de Burunga. Les bandes Watuzi furent balayées et leurs débris regagnèrent le territoire allemand, après avoir abandonné le produit de leurs razzias. Les Belges les poursuivirent et se heurtèrent, le 4 octobre, aux troupes régulières qui couvraient la retraite de ces auxiliaires. L’affaire s’engagea dans la plaine de lave que domine le mont Lubavu. Elle se prolongea pendant neuf heures et fut d’une extrême violence, ainsi que l’atteste la proportion élevée des pertes subies de part et d’autre, représentant 20 pour 100 de l’effectif engagé. La nuit mit fin au combat. Les Allemands se retirèrent en repassant la frontière toute proche. Les troupes noires belges s’étaient comportées admirablement. Au nombre des morts du côté belge se trouvaient les lieutenans Robert Terlinden et de l’Epine, tués l’un et l’autre à la tête de leur troupe au cours de l’attaque finale qui détermina le succès de la journée.

L’engagement du 4 octobre 1914 arrêta les incursions de l’ennemi sur le territoire belge. Mais, à diverses reprises, il tenta des attaques. Toujours elles furent repoussées, le 27 novembre à Rushombo, le 1er janvier et le 3 mars 1915 à Tshahafi, le 14 février à Luvungi, le 2 mars au mont Hehu. Ces rencontres confirmèrent la valeur des troupes coloniales belges. Finalement, le 28 mai 1915, elles prirent à leur tour l’offensive, franchirent la frontière et s’emparèrent du poste de Kissegnics.

Dans le courant du mois de septembre dernier, les Allemands ont poussé des reconnaissances sur le front de la rivière Ruzizi, au Nord du lac Tanganika. Une de ces opérations a donné lieu à un engagement le 11 septembre, non loin du delta de la Ruzizi, l’ennemi fut repoussé avec pertes et ramené Jusqu’à la frontière.

Un combat particulièrement violent s’est produit le 29 septembre près de la station frontière de Luvungi que les Allemands attaquèrent avec des forces importantes pourvues d’artillerie et de mitrailleuses. L’action dura quatorze heures, elle fut vivement disputée. Les troupes belges restèrent maîtresses du champ de bataille et l’ennemi ne put se retirer qu’à la faveur de la nuit, en emportant plusieurs Européens tués et de nombreux blessés blancs et noirs. Ils ont laissé sur le terrain deux officiers européens et 66 soldats noirs tués. Nos troupes se sont emparées d’une mitrailleuse, de fusils, de munitions et d’un nombreux matériel.

De ce côté, les opérations continuent. La lenteur avec laquelle elles se sont déroulées jusqu’ici s’explique par le fait que le Kiva est éloigné de 1800 kilomètres à vol d’oiseau du Bas-Congo et de l’Océan. La Belgique vient d’y engager de nouveaux contingens dont l’importance dépasse celle que la France et l’Angleterre réunies ont au Cameroun.


Les troupes des Indes opèrent sur la frontière occidentale de l’Est africain anglais, entre Wanga (au Sud de Mombasa) et le Kilimandscharo. Leur marche est très lente, l’expédition difficile et son importance nécessitera les efforts conjugués des troupes françaises et anglaises.

Dès le 18 décembre, les Anglais avancèrent dans la vallée de l’Umba avec le dessein de rejeter l’ennemi hors de la frontière. Celui-ci, depuis plusieurs mois, occupait une portion considérable du district de l’Umba. Dès le 20 au soir, nos alliés avaient atteint leur but. Le 22, ils établissaient des postes sur la rive Sud de l’Umba. L’adversaire redoubla d’activité. Ses efforts furent vains. Les Anglais restèrent fortement établis sur leurs positions.

Le 8 janvier, la station allemande de Shirati, sur le lac Victoria, fut attaquée et prise après une légère résistance. Le territoire et le fort qui le défend restèrent en notre pouvoir.

Vers le commencement du mois de février, les opérations anglaises contre l’Afrique orientale allemande paraissaient engagées dans une longue série de difficultés. Les forces britanniques remportèrent cependant un succès devant Jasin, à la suite duquel les Allemands firent une contre-attaque, le 18 janvier, avec 2 000 hommes, six canons et quatorze ou quinze mitrailleuses. Grâce à cela, ils reprirent Jasin et tous les efforts faits par les Anglais, commandés par le général Tighes, demeurèrent vains. Toutefois, le 20 janvier, un communiqué officiel du gouvernement de Nairobi annonçait que la garnison de Jasin s’était rendue par suite du manque de munitions. Il ajoutait que les pertes de l’ennemi étaient énormes. Quant à la position anglaise sur la rivière Umba, on la disait sans changement.

Lord Kitchener intervint à ce moment et le général sir Arthur Barret fut envoyé de Londres pour commander l’expédition. Des Indiens furent amenés en masse sur la frontière.

Le général Wapshore, le commanding officer, demanda à la colonie 600 volontaires dont 800 fantassins et 100 cavaliers.

Vers le 21 février, le quartier général britannique à Nairobi demandait du renfort pour l’East African Mounted Rifles. En même temps, on annonçait l’arrivée de chevaux en nombre.

A la fin du mois d’avril, les opérations militaires sur le continent se réduisaient à de sanglantes escarmouches. Elles se produisaient tout le long de l’immense frontière qui va du lac Victoria à la baie de Wanga. Les Anglais ont pénétré sur le territoire occidental le long de la rive du grand lac jusqu’à la rivière Mara. En revanche, pendant ce temps, les Allemands font des raids près du lac Magadi, au Sud de Nairobi et sur les pentes Est du Kilimandscharo, où se trouve Rombe. A cette époque, on craignait une attaque contre le chemin de fer.

D’un autre côté, les opérations navales avaient été assez actives. Un transport allemand fut détruit dans la baie de Mansa ou Hansa, au Nord de Tanga. Ce navire, le Cosmos, avait abord du charbon et des munitions que l’on supposait parties des îles Falkland. Il se dirigeait vers les bouches de la Roufidji. Arrivé à proximité de ces parages, il échangea des télégrammes sans fil chiffrés soit avec le Kœnigsberg, soit avec une station de terre. Ce fut la cause de sa perte. En effet, ces télégrammes furent interceptés par les navires de guerre britanniques qui font le blocus et, sans doute, purent-il les déchiffrer. En tout cas, le Cosmos s’étant éloigné des voies qu’il suivait et ayant pris la direction Sud-Nord, à l’Est et au large des îles de Zanzibar et de Pemba, doubla cette dernière île. Il fila vers la baie de Mansa où l’obligeaient sans doute à se rendre les ordres reçus. Là il trouva le Hyacinth, qui l’incendia.

Le résident de Zanzibar craignait la venue d’un nouveau bateau. On mit des canons en batterie. Le blocus des côtes de l’Afrique occidentale allemande était assuré par les navires suivans : Hyacinth, Weymouth, Kniforth (celui-ci croiseur auxiliaire ayant appartenu à l’Union Castle Line), le Pioneer, le Pyramus et le Duplex, bateau câble et deux remorqueurs pris aux Allemands.

Vers le 15 mai, le pont de Makindu avait été détruit, paralysant tout le trafic. Les Anglais en étaient toujours à la défensive. Les raids de l’ennemi étaient facilités par la saison des pluies qui venait de commencer et rend plus praticables les terrains désertiques à traverser. En même temps, dans ces régions, les sources d’eau sont alimentées. Ainsi, l’hivernage favorise les Allemands de ce côté, tandis qu’il nous a arrêtés momentanément dans la conquête du Cameroun. Jusqu’alors, les soldats indiens n’avaient pas encore fait leurs preuves sur ce terrain, et les Anglais se décidèrent à faire venir des troupes métropolitaines. Le 4 mai, 1 500 hommes arrivaient à Mombassa, et d’autres contingens sont encore attendus. Pendant ce temps-là, il n’y eut guère que de rares escarmouches. Mais les Allemands tiennent toujours une position offensive contre le chemin de fer Mombassa au lac Victoria et sur le lac même.

Si les résultats obtenus dans l’offensive ne sont pas très apparens, cela est dû à la solide préparation de la colonie allemande. Vers le commencement de juin 1915, elle était deux fois plus forte qu’au début de la guerre et comptait 10 000 hommes de troupes entraînées et munies d’une quantité de mitrailleuses. Nombreux furent les actes de sauvagerie commis par des soldats nègres allemands sur des blessés anglais, en présence de gradés allemands : triste témoignage de la haine profonde qui anime l’ennemi.

Nous le répétons, les renseignemens sont peu nombreux ; c’est ce qui nous autorise à nous tourner du côté de l’Allemagne. Nous y trouvons quelques informations utiles à noter.

Suivant le point de vue de l’adversaire, les événemens de guerre dans l’Est africain se sont d’abord déroutés en cinq contrées éloignées les unes des autres.

1° La côte près de Dar-es-Salam ; 2° Au Sud-Ouest, la frontière anglo-allemande entre les lacs Nyassa et Tanganika ; 3° Au Nord et Nord-Est de l’autre côté de la frontière anglo-allemande, en territoire anglais sur la rive Est du lac Victoria ; 4° Dans la région Nord-Est du Kilimandscharo ; 5° Au Nord-Ouest du lac Kiva.

Dans les quatre premières régions, Anglais et Allemands se sont trouvés aux prises. Dans la cinquième, les Belges ont contre-attaque les Allemands après avoir été, d’abord, assaillis par eux, comme nous l’avons dit.

Les Anglais ont attaqué Dar-es-Salam par la voie de mer. Le petit croiseur Pegasus et aussi peut-être un autre vaisseau de modeste importance, le Pandard, ont essayé de démolir à coups de canon la tour de télégraphie sans fil de Dar-es-Salam ; mais ce but ne fut pas atteint. Plus tard, cette même tour fut détruite sur l’ordre du gouverneur allemand qui, en même temps, fit couler la vieille canonnière Move stationnant dans le port de Dar-es-Salam.

Quelques jours après, le croiseur anglais Pegasus fut attaqué devant Zanzibar par le Kœnigsberg, qui le mit hors de combat. — A la mi-août, les Anglais ont occupé Dar-es-Salam, mais après que les Allemands eurent enlevé une partie de leurs réserves en munitions, équipemens, archives et matériel de chemin de fer.

Un autre port, Tanga, tête de ligne de la région d’Usambara, a été également occupé par les forces britanniques.

Sur le lac Nyassa, au Sud-Ouest de la colonie, un vapeur anglais armé de deux canons surprit l’aviso Hermann-von-Wiessmann dans le port du Sphinx, sur la rive occidentale du lac, lui enleva une partie de ses machines et l’abandonna, après l’avoir ainsi rendu inutilisable.

Le 5 septembre, un détachement allemand attaqua Abercorn situé sur le plateau de Tanganika, au Nord de la Rhodésie. Il fut repoussé. D’autre part, des combats plus violens eurent lieu au Nord-Ouest du lac Nyassa. Le 8 septembre, les ennemis évitèrent les Anglais et attaquèrent, sans succès d’ailleurs, le 9, Karango. A l’approche de renforts britanniques, les Allemands se retirèrent sur le fleuve Songwe, qui marque la frontière et se couvrirent en détruisant le pont qui enjambe ce fleuve. Dans cette affaire, l’ennemi eut 1 Européens tués et 3 blessés. Plusieurs furent faits prisonniers, dont les lieutenans von Veltheim et Kieckocfer. Nos amis perdirent 4 morts et 7 blessés.

Sur la frontière Nord-Est, l’adversaire, dans le courant de septembre, s’avança le long de la limite anglo-allemande Est africaine. Son but était de couper la ligne de chemin de fer de l’Uganda sur le territoire anglais. Les Allemands occupèrent une station peu importante de la frontière, probablement Tavela sur la route de Moché à Voi. A part cela, les tentatives de pénétrer dans l’Afrique orientale anglaise furent repoussées.

Le 6 septembre, une violente rencontre eut lieu. D’une part, des effectifs composés de troupes indiennes et de King’s African Rifles (troupes noires), de l’autre un fort détachement allemand, qui fut repoussé. Dans cette affaire, les Punjabs, troupes indiennes, essayèrent, par une charge hardie à la baïonnette, d’enlever des mitrailleuses. Le fait est à retenir comme indice de l’attitude des troupes exotiques sous l’action de ces armes qui leur font une si grande impression.

Les Allemands subirent encore un échec quand ils tentèrent de faire sauter le pont du chemin de fer l’Uganda près de Voi. Deux patrouilles chargées de réaliser ce projet furent anéanties. Les officiers en furent faits prisonniers et conduits à Nairobi.

Différentes escarmouches ont eu également lieu à Voi et à Tjavo.

Le 10 septembre, au bord Est du lac Victoria, dans la région du Karungu, station frontière anglaise, au Nord du poste allemand de Schirati, un détachement fort de 400 hommes, dont 50 Européens, pénétra en territoire anglais et le M occupa Kissii. Le 12, une colonne les obligea à évacuer Kissii le 13 et à battre en retraite sur Karungu. Les troupes britanniques reprirent Kissii.

Quelques jours plus tard, à Karungu, il y eut un combat d’artillerie entre la flottille anglaise composée des canonnières Winifred et Kavirondo, faisant partie de la ligne de l’Uganda, et le vapeur allemand Nuausa. Nos alliés s’emparèrent de Karungu, qui venait d’être évacué.

Le 19 septembre, l’ennemi attaqua le poste de Campiya Narabu, dans le territoire du fleuve Tsavo. Il fut repoussé et perdit. 13 tués. Les King’s African Rifles firent très bonne contenance, et c’est à retenir au profit de ces troupes noires.

Le 23 septembre, les Allemands, forts de 100 hommes, attaquent l’avant-poste Majoreni dans le voisinage de Kissii. Ils doivent se retirer sur le fleuve Nivena. Deux jours après, un autre engagement a lieu dans le territoire compris entre le chemin de fer de Nagadi, à l’embranchement de la ligne Uganda qui conduit au lac Magadi et la frontière elle-même. Ensuite, 35 Européens et 150 indigènes attaquent avec 2 mitrailleuses une troupe anglaise de tirailleurs montés. Ils doivent se replier sur le Longido. Le 26, près de Nzima, sur le fleuve de Tsavo, 50 Allemands européens et 6 mitrailleuses prirent l’offensive contre les King’s African Rifles. D’autre part, l’ennemi obtint un succès sur les troupes belges qui avaient pénétré à Kissenji, à l’extrémité Nord du Kivupes. À cette occasion, les Belges essuyèrent un échec assez sérieux.

En somme, pendant ces trois premiers mois de guerre dans l’Est africain allemand, rien de bien important n’était acquis ni pour l’un ni pour l’autre parti. Cependant des efforts considérables avaient été déjà dépensés par les Alliés.


Le 7 novembre, 3 croiseurs britanniques bombardent le delta de Rufidji, 4 barcasses armées et un bateau pourvu de mitrailleuses essayent vainement de forcer la passe. Le 11 novembre, un gros vapeur anglais est coulé à l’embouchure de la rivière Simba-Uranga, alors qu’il entrait escorté par les 4 barcasses et un autre vapeur.

En novembre également, une compagnie belge attaque avec deux mitrailleuses la position placée sous les ordres du lieutenant Hasselbacher, près de Pambète et Kasakalawe, en territoire britannique, à l’extrémité du lac Tanganika, pendant l’absence du Kingane et du Hedwig-Wiessmann, qui évacuaient du matériel télégraphique. Le vapeur Cecil Rhodes sauta. Un autre bateau fut détruit près du Kituta, sur le lac anglais Tanganika.

Dans la bataille de Tanga, dont nous avons parlé plus haut, 2 navires de guerre et 14 vapeurs de transport se présentèrent devant Tanga le 2 novembre. Sur le refus des Allemands de se rendre sans condition, les vaisseaux, après s’être éloignés, revinrent à la nuit et opérèrent un débarquement. La lutte dura trois jours, du 3 au 5 novembre. Les Anglais disposaient de 8 compagnies du North Lancashire et de 8 régimens indiens. Ils furent très éprouvés par l’attaque des forces sous le commandement du lieutenant-colonel von Lettow.

Les troupes anglaises près de Nifumbiro, à l’Ouest du lac Victoria, envahirent le district de Bukoba. Elles furent repoussées par le major von Stümer. Kisiba, localité anglaise, fut occupée.

La côte Est africaine est surveillée par les croiseurs Chatham, Darthmouth, Weymouth, Fox et quelques croiseurs auxiliaires.

Depuis, la lutte entre les colonies anglaise et allemande de l’Afrique orientale a gardé ce même caractère de guérilla. L’avantage fut plus d’une fois au profit de l’ennemi, qui avait pour lui plus de liberté dans l’offensive.

Cependant, les 22 et 23 juin 1915, puis encore le 11 juillet, nos alliés ont remporté deux succès. L’un fut la destruction de Bukoba et de son poste de télégraphie sans fil, l’autre celle du Kœnigsberg, terré depuis le mois de novembre dernier dans une bouche de la Rufiji.

Suivant les derniers renseignemens qui doivent être exagérés, on estime les forces ennemies, on Afrique orientale, à 40 000 indigènes, sous les ordres de 4 000 Européens. En tout cas, l’ennemi possède des canons, mitrailleuses et munitions en abondance. Les villes de Tabora et de Mouanza, — cette dernière se trouve sur le lac Victoria, — sont défendues par de très sérieuses fortifications. Depuis le début de la guerre, terrassiers tenaces, les Allemands ont construit une route pour automobiles. Elle relie Tabora à Mouanza et permet un ravitaillement rapide de la colonie, surtout en riz, provenant des bords du lac Victoria. De plus, et le fait est connu de façon certaine, des approvisionnemens passent en quantité par le Mozambique.

En résumé, cette colonie reste seule à conquérir pour que soient réduites à néant toutes les acquisitions allemandes en pays d’outre-mer. Ce serait déjà fait, n’était l’immensité de son territoire et des difficultés d’accès qui lui sont propres.


A propos de la campagne dans l’Est africain, il faut dire un mot du Koenigsberg, qui vécut ses derniers jours dans la rivière Rufiji, en novembre 1914.

Ce navire s’était-échappé de Dar-es-Salam dès le commencement de la guerre. Il nous fit beaucoup de mal. Notamment, il coula le Pegasus devant Zanzibar. Pourchassé par les vaisseaux britanniques, il se réfugia dans la rivière Rufiji, remonta le cours de la rivière jusqu’à ce qu’il se trouvât hors de poursuite, la profondeur de l’eau étant devenue insuffisante pour permettre de le suivre. Dès lors, on le bloqua. Le Newbridge, portant 1 500 tonnes de charbon, fut chargé d’obstruer la passe du canal. Son équipage fut remplacé par des effectifs de la marine de guerre. Quoique les préparatifs fussent tenus secrets, les Allemands en eurent vent et se préparèrent a la résistance. Pour atteindre l’endroit où il devait être coulé, le Newbridge avait à dépasser, en la frôlant, une petite île située sur le trajet. Que firent les Allemands ? Une partie de l’équipage du Kœnigsberg se retrancha dans cette île avec des canons Maxim et des mitrailleuses. A peine le Newbridge fut-il aperçu que le feu fut ouvert contre lui. Mais les marins anglais, manœuvrant leur navire avec sang-froid, le firent sautera l’endroit voulu, non sans éprouver des pertes en repassant devant l’Ile.

Afin d’échapper aux recherches des avions, le Kœnigsberg se couvrit d’une véritable carapace de feuilles de palmier. Cependant, un aéroplane le découvrit et signala sa position en lançant des bombes à fumée. Dès lors, les Anglais bombardèrent l’endroit indiqué par les colonnes de fumée et détruisirent le Kœnigsberg. Ainsi périt ce croiseur jaugeant 3 500 tonneaux, filant 24 nœuds et armé de 12 canons de 105 millimètres. Il avait eu affaire à 3 croiseurs légers renforcés de 3 monitors, qui, précédemment, avaient fait merveille dans la campagne des Flandres en bombardant les tranchées, qu’ils prenaient en enfilade. Ces trois petites unités navales rendirent ici encore de signalés services. Grâce à leur faible tirant d’eau et au peu d’élévation de leur coque, ils échappèrent aux mines automatiques semées par le Kœnigsberg en aval de son mouillage et au feu de son artillerie. La flotte du Kaiser devait ajouter une perte nouvelle à la liste de toutes celles que la guerre lui avait infligées.


III. — LA NOUVELLE-GUINÉE. — LES ILES MARSHALL ET SAMOA

Au Nord-Ouest de l’Australie, l’Allemagne possédait encore plusieurs colonies. La terre de l’Empereur-Guillaume, la Nouvelle-Guinée, les iles de l’Archipel Bismarck, Samoa, les îles Carolines, formaient un ensemble important.

La terre de l’Empereur-Guillaume occupait la partie Nord-Est de la Nouvelle-Guinée anglaise et couvrait une surface de 179 000 kilomètres carrés, égale à la moitié de la Prusse. « C’est, disaient les Allemands dans leurs ouvrages de géographie, une partie de la grande île appartenant encore ( ! ) à l’Angleterre (Australie) et à la Hollande. » La population de cette contrée se montait à 340 000 Mélanésiens ou Papous, dont 20 000 dans le port de Friedrich-Wilhelmschafen. Il y avait, en outre, quelques centaines d’autres gens de couleur, Chinois et Malais. L’élément européen n’était guère représenté que par 239 blancs, dont 216 Allemands.

La côte présente un pittoresque développement de 800 kilomètres semés de nombreux récifs de corail. De petites îles s’y rencontrent ça et là. Les golfes ne sont pas rares, et il faut citer surtout le golfe Huon et la baie de l’Astrolabe. Dans la partie septentrionale, la rivière Kaiserin-Augusta, dont le cours tourmenté se déroule de l’Ouest au Nord-Est, est accessible aux gros bateaux. Mais l’élément hydrographique principal du pays est la grande rivière Ramu, qui, dans sa partie inférieure navigable sur un parcours de 200 kilomètres environ, est appelée la Rivière Ottilie. La frontière orientale coïncide avec le fleuve Hercule.

Une haute montagne domine la côte, le mont Finistère, dont l’altitude n’est pas inférieure à 3 500 mètres. L’intérieur des terres présente encore un relief appréciable là où se trouve la chaîne encore inconnue de Kraetke. Entre les montagnes du Finistère et la chaîne Bismarck, située plus au Sud, se trouve une plaine fertile et populeuse.

Quant à la Nouvelle-Guinée allemande, elle comprenait l’archipel Bismarck, couvrant 61 000 kilomètres carrés, c’est-à-dire près des deux tiers de la Bavière. Les îles principales sont la Nouvelle-Poméranie, le Nouveau-Mecklembourg, le Nouveau-Hanovre. L’Allemagne en prit possession le 3 novembre 1884. Leur population comptait 200 000 Mélanésiens ou Papous. En 1910, il y avait 510 Européens. Une de ces îles, celle du, Nouveau-Mecklembourg, présente un relief de 1 200 mètres. Dans l’île Bougainville, les monts de l’Empereur, avec le pic Balbi, atteignent 3 067 mètres.

Il y a de la houille et aussi des rivières transportant de l’or en paillettes.

Pour les îles Bismarck et la terre de l’Empereur-Guillaume, les importations se montaient à 3 890 000 marks et les exportations à 3 623 000 marks. Le mouvement maritime était de 245 vapeurs et 104 voiliers avec un fret de 243 000 tonneaux.

Les îles Carolines : Palau, Mariannes, Marshall, anciennes possessions espagnoles et achetées par l’Allemagne en 1899, couvraient une surface de 1 600 kilomètres carrés.

Les Carolines de l’Est étaient habitées par 73 blancs, dont 43 Allemands vivant au milieu de 25 000 indigènes. Quant aux Carolines de l’Ouest, elles comptaient 87 Européens dont 75 Allemands parmi 13 264 autochtones. Les îles Marschall habitées par 11 500 indigènes et 172 Européens dont 76 Allemands et 78 Anglais.

Le mouvement maritime était de 25 vapeurs avec 14 500 tonnes de transport effectif et pour les Carolines de l’Est de 109 bateaux avec 97 000 tonnes. Quant aux îles Marshall, il était de 11 vapeurs transportant 11 300 tonneaux.

La Nouvelle-Guinée, autrefois colonie isolée du reste du monde, devait être reliée au réseau mondial par plusieurs postes de télégraphie sans fil. Au début des hostilités, il y avait en Nouvelle-Poméranie, à Bitapaka, une station télégraphique en construction, mais elle n’était pas encore en état de fonctionner. Toutefois, elle pouvait déjà recevoir des radiotélégrammes. Grâce à un travail acharné, elle put lancer une dépêche le 8 août. La nouvelle officielle de la guerre en Europe avait été reçue à Bitapaka le 5. Le siège du gouvernement fut transféré dans l’intérieur de la Nouvelle-Poméranie, à Toma. Les Allemands pensaient que les Anglais essayeraient, d’abord, de s’emparer de Rabaul et des principales factoreries qui s’y trouvaient ainsi qu’à Herberstshöhe. En effet, ces deux stations sont proches de la mer et à portée de canon. On laissa à Rabaul les fonctionnaires strictement nécessaires au maintien de l’ordre et au fonctionnement de l’hôpital. Les indigènes restèrent tranquilles. La mission catholique d’Herbertshöhe prêta tout son soutien au gouvernement. La défense fut organisée de manière à épargner un bombardement aux places importantes de Rabaul et de Herbertshöhe. Mais les Allemands s’arrangèrent pour défendre le plus longtemps possible le nouveau siège du gouvernement à Toma et la station de télégraphie sans fil de Bitapaka. Le nombre total des mobilisés allemands se montait à 50 environ. Les hommes armés furent cantonnés principalement à Herbertshöhe et à Bitapaka. De faibles postes furent laissés à Toma, Neu-Varzin, Wunaditir, au port Weber, Tobera, Kalogna et Kabakane.

Le 18 août, apparut, devant Herbertshöhe et Rabaul, une escadre composée de 4 croiseurs et de 3 torpilleurs de la flotte australienne. Elle réclama la présence du gouverneur pour traiter, exigeant en outre que lui fût indiqué l’emplacement du poste de télégraphie sans fil. Les Allemands refusèrent. Les australiens se contentèrent de faire détruire le bureau de la poste à Herbertshöhe et à Rabaul par des troupes débarquées.

Le 10 septembre, la même flotte reparut devant Herbertshöhe. Les troupes de débarquement furent mises à terre le 11 septembre, et purent occuper la station sans trouver de résistance. Le drapeau anglais fut hissé à sept heures et demie. Les torpilleurs firent des recherches dans le port de Rabaul pour le cas où des mines y auraient été posées. Plus tard, une troupe d’occupation put également sans coup férir s’emparer de Rabaul.

Cependant, les troupes débarquées à Herbertshöhe se heurtèrent à une résistance violente pendant leur marche sur le poste de télégraphie sans fil Bitapaka situé derrière Herbertshöhe. Elles avancèrent dès l’aurore. Une terrible lutte de brousse se développa sur un champ de bataille d’environ T kilomètres d’étendue. Les chemins étaient en partie minés et la station couverte par des tranchées. Le commandant en chef de cette ligne de défense se replia jusqu’à quelques centaines de mètres de la station de télégraphie sans fil, après une résistance acharnée. Les indigènes allemands se battirent bien.

Pendant ces combats, les pertes de nos alliés se montèrent à 2 officiers, un médecin, 4 marins de la réserve tués et 1 officier et 3 marins blessés. Quant aux pertes de l’adversaire, elles furent de 20 à 30 tués, dont 2 officiers, y compris le commandant : 15 sous-officiers et 26 soldats indigènes étaient blessés.

On continua à défendre la station de télégraphie sans fil et elle fut rendue seulement quand les Anglais eurent amené des batteries pour la canonner. Ils détruisirent le poste, puis avancèrent contre Toma où les ennemis avaient transféré le siège du gouvernement et les obligèrent à se rendre.

Dans le territoire des Iles, la nouvelle du commencement des hostilités fut aussitôt connue à Jap, dans l’Ouest de la Caroline, et à Nauru, dans les îles Marshall, grâce aux postes de télégraphie sans fil qui s’y trouvaient. Ponape et Jaluit la reçurent par un vapeur envoyé là-bas de la station impériale de Nauru. Les deux îles Jap et Nauru seules furent menacées tout de suite. Face à l’île Jap, les deux croiseurs Hampshire et Minotaur coupèrent, le 12 août, le câble qui atterrit à cet endroit. En même temps, ils détruisirent le poste de télégraphie sans fil.

Dans la suite, les Anglais abattirent aussi le poste télégraphique de Nauru. La conséquence de ces opérations fut de supprimer toutes les communications des Iles avec le reste du monde.

Depuis, les Japonais ont occupé différentes parties du territoire. Le 3 octobre, une escadre japonaise parut devant Jaluit, siège de l’administration des îles Marshall. Des troupes furent débarquées et le chef de poste fait prisonnier. Les autres fonctionnaires ont été laissés provisoirement dans leur service.

Déjà, les Japonais ont envoyé des fonctionnaires pour administrer les îles du Pacifique, et surtout les Mariannes et les îles Palan. 80 fonctionnaires et près de 2 000 colons ont été transportés à Saipan. Le bateau japonais Kenkonmaru est parti pour Naluit avec de nombreux colons.

A cela se bornèrent les hostilités dans cette partie extrême des colonies allemandes.


Reste à dire un mot des îles Samoa. Leur prise de possession par le gouvernement de Berlin dura du 14 novembre 1899 au 1er mai 1900. Les îles Sawaii, couvrant 1691 kilomètres carrés ; Upolu, siège actuel du gouvernement, avec 868 kilomètres carrés ; Manono et Apolina, plus petites, le tout formant un territoire égal à celui du duché de Saxo-Meiningen, vinrent accroître la puissance du Kaiser.

Le groupe comporte encore d’autres îles, qui appartiennent aux États-Unis et parmi lesquelles il faut citer l’île Tutuila, avec son port merveilleux Pago-Pago. Au contraire, les îles allemandes de Samoa ne contiennent pas de port, car Apia n’est guère qu’une rade ouverte. La population indigène se montait à 33 478 individus, parmi lesquels on comptait, en 1911, 504 blancs, dont 284 Allemands.

L’hydrographie du pays est intéressante, car tous ses fleuves forment des cascades.

Le chiffre des exportations se montait à 3 534 000 marks et celui des importations à 3 462 600 marks. La rade d’Apia était visitée par 110 vapeurs, transportant 112 000 tonnes de marchandises.

A Samoa, le 2 août, le poste de télégraphie sans fil, qui venait à peine d’être achevé, reçut comme première nouvelle importante l’annonce de la mobilisation contre la Russie. Les déclarations de guerre anglaise et française y furent connues le 4 et le 5 août. Le gouverneur, docteur Schultz, veilla nuit et jour dans la station de Tafaigata, mais sans recevoir aucune nouvelle directe de Berlin. Il fit cependant armer tous les Européens mobilisables. Le poste de télégraphie sans fil de Tafaigata fut occupé militairement et le reste des troupes employé à maintenir l’ordre parmi les indigènes et les Chinois. Le 5 août, dans un conseil de guerre réuni par le gouverneur, il fut décidé de rendre la colonie sans résistance en cas d’attaque, parce qu’il ne paraissait pas possible de lutter avec la moindre efficacité. Ainsi les Allemands espéraient éviter la destruction de la ville d’Apia. Tout ce qui aurait pu être utilisé par l’ennemi fut enlevé.

Dès les premiers jours du mois d’août 1914, une expédition anglaise fut préparée, en Nouvelle-Zélande, pour s’emparer des îles Samoa. Cet objectif fut facilement atteint, sous le commandement du vice-amiral sir George Patey. L’escadre quitta Wellington le 15 août et fit halte à la Nouvelle-Zélande, parce qu’elle pouvait rencontrer deux vaisseaux ennemis que l’on savait dans le Pacifique : le Scharnhorst et le Gneisenau. L’expédition alliée, transport et navires convoyeurs, quitta la Nouvelle-Calédonie le 23 août, sous la protection de trois croiseurs : le Psyché, le Pyramus et le Philomel, chacun de 2 135 tonneaux, filant 20,7 nœuds et armés de 8 pièces de 102, de 8 canons de 47 et de 2 tubes lance-torpilles. Ils étaient renforcés par le croiseur français Montcalm, de 9 500 tonneaux et armé de 8 pièces de 164, de 4 de 100 et de 16 de 47. Plus tard, ces forces furent augmentées quand, ralliant l’expédition, deux navires australiens arrivèrent avec l’amiral sir George Patey. C’étaient deux beaux croiseurs cuirassés rapides : Australia, battant pavillon amiral, et Melbourn. Australia jaugeait 18 750 tonneaux et portait, entre autres, 8 canons de 305. Melbourn était de 5 400 tonneaux et armé de 8 pièces de 152, de 4 de 47.

L’escadre et les transports cinglèrent vers Apia, siège de l’administration de Samoa, dans l’île d’Upolu, où se trouvait le gouvernement. Celui-ci escomptait l’arrivée des navires allemands ! Aussi, ne les sachant pas encore annoncés, fut-il très abattu. Conséquence : le 29 août, l’archipel se rendit et fut occupé par les troupes britanniques. La plus grande île de l’archipel Bismarck est Neu-Pommern. L’existence d’une station de télégraphie sans fil y était connue. Aussi, dès le 11 septembre, une troupe de marins, sous les ordres du commandant Beresford, débarqua à l’improviste. Elle s’empara de la ville d’Herbertshöhe et de la station.

Le 17 et le 24 septembre, un avis fut reçu en Australie disant qu’un navire de guerre anglais était entré dans le port d’Apia. Les troupes débarquèrent et Apia fut occupé. Le 30, eut lieu la proclamation solennelle de l’occupation de Samoa par les Anglais et le colonel Logan en fut nommé gouverneur.


IV. — TSING-TAO

Si nous quittons cette partie du globe pour nous transporter à l’Est de la Chine, là où l’Allemagne avait posé un des plus solides jalons dont pût s’enorgueillir sa politique mondiale, nous devrions parler de la chute de Tsing-Tao ; mais, puisqu’il a déjà été parlé ici de cette installation germanique en bordure du vaste empire chinois, nous ne reviendrons pas sur ce sujet, nous contentant de rappeler brièvement l’origine de l’occupation germanique à Kiaou-Tchéou.

Le 14 novembre 1897, les compagnies de débarquement de l’escadre de croiseurs du vice-amiral von Diedrichs mirent pied à terre. Elles s’emparèrent de l’enclave de Kiaou-Tchéou. C’était une partie notable de la province du Chantoung. Le 6 mars 1898, le territoire fut loué à l’Allemagne pour quatre-vingt-dix-neuf années. La superficie totale de la concession était de 551 kilomètres carrés. En outre, tout autour de cette concession, il y avait une zone neutre mesurant 50 kilomètres de rayon, c’est-à-dire équivalente à la moitié de la Saxe. La population du cercle de Tsing-Tao était de 34 180 Chinois. L’élément européen comptait, en dehors des militaires, 1 621 individus. Il y avait aussi quelques Japonais. Le territoire environnant contenait environ 100 000 Chinois.

Tandis qu’en 1904, les exportations s’y montaient à 14 700 000 marks, dès 1911, elles atteignaient 32 500 000 marks. De même, les importations, si l’on excepte la valeur du matériel de chemin de fer, passaient de 24 000 000 en 1904 à 45 800 000 en 1909. Dès 1910, le mouvement maritime était de 590 vapeurs jaugeant 1 026 000 tonneaux.

La résidence du gouverneur était à Tsing-Tao au milieu de 630 officiers, 1816 sous-officiers et soldats, plus 62 policiers chinois.

La déclaration de guerre du Japon fut remise à l’Allemagne le 23 août 1914. Dès le 27, le blocus de Tsing-Tao était commencé. Ce début fut marqué par l’occupation de plusieurs îles qui devaient servir de base. Aussitôt fut faite la relève des mines. Le 2 septembre, les Japonais débarquèrent. Dès les premiers jours, deux avions japonais reconnurent la place et lancèrent plusieurs bombes qui eurent un grand effet. Différentes voies ferrées et les casernes furent atteintes. Bientôt, la flotte nipponne commença le bombardement. Des pluies torrentielles retardèrent l’avance des troupes par terre. Cependant, le 13 septembre, la station de Kiao-Tchéou était prise. Dès ce moment, les ennemis eurent le sentiment de leur fin prochaine. Ils désespéraient de recevoir le moindre secours du dehors.

Le 23 septembre, des renforts anglais arrivent. Ils sont confiés au général Barnardiston, placé lui-même sous les ordres du commandant en chef japonais Mitsuomi Kamio.

Trois jours après, les opérations reprennent avec activité. Les collines situées entre les rivières Paischa et Litsun, à 7 milles au Nord-Est de Tsing-Tao sont enlevées d’assaut. Le lendemain 27, la forteresse était totalement investie. Cependant, plusieurs navires canonnaient activement l’aile droite japonaise. Des avions alliés intervinrent alors. Les vaisseaux allemands durent se retirer. Alors, la flotte nipponne débarqua des troupes à Laoschal. Celles-ci enlèvent quantité de canons et de munitions.

Le lendemain, 30 septembre, les Japonais coulèrent plusieurs destroyers, mais perdirent deux dragueurs de mines.

Ce même jour, les ennemis firent un grand effort pour repousser l’assaillant. Ils mirent en mouvement toutes leurs disponibilités navales, leurs avions, et firent donner l’artillerie de campagne. Malgré tout ce branle-bas, les perles japonaises furent minimes. Sur ces entrefaites, les Japonais s’emparent du chemin de fer à Shantung, leurs destroyers détruisent les casernes de Tsing-Tao, et l’artillerie lourde met hors de combat la canonnière Iltis.

Le 8 octobre, le commencement de la fin semblait proche^ Le feu diminua. Le général Kamio avait calculé qu’il lui faudrait au moins trois journées pour s’emparer de son premier objectif, la colline du Prince-Henri d’où l’on pouvait bombarder Tsing-Tao. Dès le premier jour, cette position fut enlevée avec un chiffre de pertes infime en considération de l’importance du résultat obtenu. Les Allemands tiraient, sans but bien défini, 1 500 projectiles par jour. Aussitôt en possession de cette colline, les Nippons y installèrent leur artillerie lourde. Avant de la faire intervenir, ils autorisèrent les non-combattans à quitter la ville. Le 19 octobre, commença un bombardement général. La flotte japonaise visait les forts Kaiser et Iltis, qui subirent des dommages considérables. Le 19 octobre, les Japonais perdirent le vieux croiseur Takachio, et 234 hommes furent noyés.

Le 31 octobre, le bombardement devint plus intense encore. Il coïncidait avec l’anniversaire de l’empereur du Japon. Le lendemain, il ne restait plus que deux forts répondant encore au tir des alliés. Le cuirassé anglais Triumph régla en sept coups le fort Bismarck.

Le 3 novembre, les Japonais détruisirent 2G canons allemands et prirent 800 prisonniers, c’est-à-dire un sixième de la garnison, qui se montait au total de 5 000 hommes. Le même jour, les Alliés découvrirent que le croiseur autrichien Kaiserin-Elisabeth s’était fait sauter dans la rade.

Enfin, le 6 novembre, l’attaque générale fut ordonnée et, le 7, le drapeau blanc était hissé sur la- forteresse allemande. Ce jour-là même, à sept heures cinquante du soir, les termes de la capitulation furent signés. Elle était sans conditions. Le gouverneur de Kiaou-Tchéou, Meyer-Waldeck, rendit aux alliés 201 officiers et 3841 sous-officiers et soldats.

Cette victoire avait été remportée par 29 980 officiers et soldats japonais, aidés de 142 canons, et 1 360 Anglais, commandés par 9 officiers d’état-major. Les Alliés subirent des pertes peu élevées en considération du résultat obtenu. Les pertes britanniques furent de 12 tués et 61 blessés, celles des Japonais de 236 tués et 1 280 blessés.


En résumé, avec Kiaou-Tchéou, colonie d’attente au seuil asiatique, avec les archipels du Pacifique, bases importantes aux carrefours du monde, la plus riche partie de l’Afrique est tombée aux mains des Alliés : le Togo, le Cameroun, le Sud-Ouest et bientôt, sans doute, il en sera de même de l’Est africain. L’efflorescence coloniale développée dès 1900 à Berlin sous la poussée de M. Stübel, prédécesseur et inspirateur de M. Dernburg, est réduite à néant. Vaine est devenue cette dissolution bruyante du Reichstag, en 1906, pour avoir refusé les crédits du Sud-Ouest. Vain le résultat des élections générales de 1907, faites sur une plate-forme coloniale.

Le Togo, le Cameroun et le Sud-Ouest, sont déjà en voie de production. Le café, le tabac, le cacao, sont rémunérateurs. La laine, l’huile, le pétrole, payent largement. Le coton, — ce colon dont l’Allemagne va manquer, — se développe heureusement dans ces trois colonies. Le cuivre est en gisement considérable dans le Sud-Ouest. Voilà de grandes réalités passées des mains de l’Allemagne dans les nôtres.

Ces pages écrites sur la chute des colonies allemandes seraient incomplètes si, en terminant, nous n’indiquions pas brièvement quelques idées qui en ressortent. Et d’abord, que sera le sort de ces colonies arrachées à l’Allemagne par l’action concertée des Français, des Anglais et des Belges ?

Après la conquête du Togo, la première dans l’ordre chronologique, des arrangemens furent pris pour l’administration du pays. Momentanément tout au moins, le Togo fut divisé en deux zones administratives, l’une française, l’autre britannique. Nous en avons indiqué les limites. En les fixant, l’autorité locale tint compte des considérations géographiques. Elle rangea sous l’autorité française les parties de cette colonie voisines de la frontière du Dahomey et soumit aux Anglais les territoires proches du Gold Coast. Mais le chemin de fer, le wharf et les douanes, compris dans la partie remise à l’Angleterre, sont la source principale des revenus du pays. Aussi, en ce moment même, entre les départemens des Affaires étrangères respectifs est instituée une discussion, tout amicale d’ailleurs, pour déterminer la part de chacun dans ces trois exploitations ferrée, douanière et maritime.

Lorsqu’il s’est agi du Cameroun, la France a exprimé le désir qu’un autre modus vivendi fût appliqué ; ce qui fut fait. Tandis qu’au Togo le principe de la séparation était admis, au Cameroun, au contraire, on appliqua un condominium absolu. Seules font exception, vu l’immensité du territoire, les parties immédiatement voisines de la Nigerie anglaise, confiées à l’autorité britannique, et les régions limitrophes du Congo remises aux soins de l’administration française. Quant au reste du Cameroun, c’est-à-dire l’essentiel, des fonctionnaires coloniaux ont quitté Paris pour aller représenter la France dans l’administration commune établie dans ces régions au fur et à mesure de leur conquête. Bientôt, la saison des pluies étant passée, nos vaillans soldats auront terminé leur œuvre.

En ce qui concerne la destination future de l’Empire colonial allemand, rien de ce qui est admis momentanément pour son administration par les Alliés ne doit faire préjuger des décisions finales. Ici, point de beati possidentes. Il importe peu de savoir si au Togo, au Cameroun, ou ailleurs, le nombre des hommes engagés de part et d’autre par les Alliés aura été plus grand pour les Anglais que pour les Français, ou réciproquement ; seul comptera le rôle de chacun dans le conflit tout entier en Europe et hors d’Europe.

Voilà donc l’Allemagne repoussée loin du but qu’elle poursuivait dans son impérialisme colonial, à savoir son approvisionnement en matières brutes et la vente de ses produits sans subir de tarifs différentiels. Cependant, si elle eût modéré ses appétits, n’était-on pas à la veille d’arrangemens amiables qui eussent satisfait son désir d’expansion ? L’Angleterre, en effet, n’a rien fait pour empêcher l’établissement des Allemands en tiers dans le Nord-Est de la Nouvelle-Guinée et dans différens archipels du Pacifique. Elle leur a cédé sa colonie de la baie d’Ambas, fondée sur la côte du Cameroun, ne se réservant que la baie de Walfisch et les iles à guano sur la côte de l’Afrique Sud-occidentale. Vers 1890, elle leur a facilité l’acquisition d’un empire dépassant 1 600 000 kilomètres carrés pour la plupart situés en Afrique. C’est elle encore qui leur a cédé la petite île d’Héligoland, dont la valeur, pour la défense des côtes Nord-Ouest de l’Empire, a été démontrée. Mais cela ne leur suffisait pas, et les yeux du Kaiser se fixaient avec obstination sur l’Afrique du Nord. L’épisode du Panther à Agadir le prouve. Ce jour-là, d’ailleurs, les Allemands firent preuve d’un bon jugement. S’il est un point du rivage atlantique du Maroc digne d’attention plus qu’aucun autre, n’est-ce pas la baie d’Agadir ? C’est le seul endroit sur cette côte où, avec des frais relativement modérés, une bonne station navale peut être établie. Agadir, en outre, est la porte de sortie de la région du Sous et de certains produits des montagnes de l’Atlas. L’Allemagne visait ainsi les gisemens de riches minerais, de la qualité la meilleure peut-être pour certains usages. Elle voulait aussi les réserves d’or contenues dans les vallées du Sous et de la Drau. Guillaume II pensait que l’Angleterre et la France ne seraient pas assez audacieuses pour s’opposer à ses vues. Il voulait édifier un autre Tsing-Tao. Ce devait être le premier et solide jalon de son rêve de domination dans l’Afrique du Nord.

Comme on l’a dit, en 1911, Essen n’avait pas encore produit ses merveilles ; l’Allemagne abandonna son projet marocain, — et accepta un accroissement considérable de son domaine du Cameroun, qui la faisait pénétrer profondément dans le bassin du Congo. Je ne puis m’empêcher de citer cette réflexion de sir Harry Johnson, si connu dans le monde colonial anglais. « Dans ses projets ambitieux, comme dans sa stratégie militaire, l’Allemagne n’a point recours qu’à un seul moyen offensif ou défensif. Lorsqu’elle est rejetée de ses positions sur la Bzoura, on découvre qu’elle a établi une autre forte ligne de défense sur la Vistule. Si elle ne peut avoir A, elle prend B. Quand elle ne peut pas obtenir de nous (les Anglais) la Nouvelle-Guinée britannique ou les îles Salomon, au moment de notre effort dans la guerre avec les Boërs, elle se contente de Samoa. »

D’autre part, la paix signée, que deviendront ces milliers d’hommes qui, durant de si longs mois, auront pris l’habitude d’une vie mouvementée jusqu’au drame ? Ces jeunes gens formés à une si rude école conserveront-ils l’idéal bureaucratique et paisible que nourrissaient leurs aînés avant la guerre ? C’est là une préoccupation que j’ai vu exprimer maintes fois. Nous ne sommes pas les seuls à nous soucier de ce problème. Les Allemands y songent, eux aussi, et s’attribuant la victoire prochaine, ils concluent que la guerre peut rapporter immédiatement ce que la paix n’aurait probablement donné qu’au prix de longs et patiens efforts diplomatiques, — un grand Empire allemand en Afrique. Tel est leur rêve. Paul Rohrbach, une autorité berlinoise en matière coloniale, affirme, dans une brochure récemment imprimée à Stuttgart, que l’Allemagne s’annexera demain le Congo belge et l’Angola. Il ajoute que « ces pays offrant une pâture insuffisante aux millions de ses compatriotes qui seront naturellement amenés à exercer leur activité sur le continent noir, il faudra que les traités leur attribuent beaucoup d’autres lieux et, du Sénégal au Nil, des hauts plateaux propres à l’agriculture ; » — mais, écrit-il, « ces visées-là, nous préférons ne pas les divulguer encore. »

A notre tour, nous disons que vers les colonies doivent s’orienter nos projets d’avenir. Dans ces contrées immenses et si riches, nos activités galvanisées par la vie militaire, trouveront un développement bien rémunéré. Les épreuves que nous traversons auront fortifié chez nous l’esprit d’entreprise. En sortant des tranchées, il nous faudra un horizon plus étendu. Mais ce sera la tâche de demain, et nous pensons qu’il suffit aujourd’hui de la laisser entrevoir.


CHARLES STIENON.

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 novembre.