La Captivité de Napoléon III à Wilhelmshöme (5 septembre 1870-mars 1871)/01

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LA
CAPTIVITÉ DE NAPOLÉON III
A WILHELMSHÖHE
(5 SEPTEMBRE 1870-MARS 1871)

I
LES PREMIERS MOIS. — OCCUPATIONS
ENTRETIENS. — VISITES

Le 4 septembre 1870, le général de Treskow, aide de camp du roi Guillaume, annonçait au premier président de Mœller, à Cassel, que l’armée française avait capitulé à Sedan et que l’Empereur s’était rendu prisonnier. Il l’informait en outre que le Roi avait désigné pour résidence à Napoléon III le château de Wilhelmshöhe. L’Empereur devait y arriver sous peu de jours. Le Roi prescrivait d’avoir pour lui tous les égards : « König befielht alle egards. » Il fallait le recevoir à la gare de Cassel en souverain, éloigner de la gare et des environs du château les importuns et engager la population à garder envers lui l’attitude la plus convenable.

Le 1er septembre, à 6 heures et demie du soir, le général Reille avait apporté au roi de Prusse la lettre de Napoléon III qui « n’ayant pu mourir, déclarait-il, au milieu de ses troupes, » remettait son épée entre les mains du Roi. Celui-ci avait accepté l’épée de l’Empereur et avait prié son bon frère de désigner un de ses officiers pour traiter de la capitulation de l’armée, « qui s’était, disait-il, si bravement battue. » On connaît la suite de cette lamentable histoire, les âpres et douloureux pourparlers entre Wimpffen, Moltke et Bismarck, le délai pour la signature des conditions prolongé jusqu’au lendemain 2 septembre à neuf heures du matin ; l’entretien, ce jour-là, de Napoléon III avec Bismarck dans la pauvre chaumière du tisserand Fournaise à Donchery, la signature de la capitulation à onze heures, puis l’entrevue finale du Roi et de l’Empereur à deux heures au petit château de Bellevue. C’est là que, sur la proposition du prince royal, le choix de Wilhelmshöhe comme séjour de l’impérial captif fut arrêté. Le lendemain, Napoléon partit pour l’Allemagne en passant par la Belgique, et les prisonniers français, en files interminables, allèrent s’entasser pêle-mêle dans la presqu’île d’Iges justement surnommée le Camp de la Misère, première étape de la plus triste des captivités.


Le château de Wilhelmshöhe est à une heure et demie de Cassel. On y accède par une belle et large allée de tilleuls en passant par les bourgs de Wahleiden et de Wallershausen. Les bâtimens voisins comprennent un corps de garde et des écuries transformées en caserne de hussards. Lors d’un voyage en Thuringe, le château m’apparut sous la forme d’une construction massive surmontée d’une lourde coupole et d’un portique à six colonnes doriques, flanquée de quatre lions de bronze et encadrée de grandes bâtisses disgracieuses. C’est l’antique couvent des Bénédictins de Weissenstein, devenu, depuis le XVIe siècle, la résidence d’été des électeurs de Hesse et arrangé en forme de palais par Dury et Jussow, de 1787 à 1794, pour le grand électeur Guillaume Ier ; il fut agrandi et complété en 1829. Actuellement, c’est le séjour d’été de la famille impériale. Ce palais n’offre rien d’artistique. J’accorde qu’il est somptueusement meublé et contient de nombreuses pièces auxquelles les Anglais décernent volontiers l’épithète banale de confortables. Quant aux constructions telles que le temple de Mercure, le Riesenchloss et l’obélisque surmonté d’une énorme copie de l’Hercule Farnèse, géant que le populaire a surnommé der Grouse Christophe et dans la cuisse duquel huit forts Allemands peuvent tenir à l’aise, on ne peut vraiment en faire l’éloge. C’est, parait-il, un produit de l’imagination inventive du landgrave Charles. Ce prince aimait l’extravagance ; cela se voit. Mais rien n’est plus beau que l’aspect des montagnes et des forêts de la Thuringe qui se découvre au sommet de la colline qui surplombe le château ; et les eaux moirées du lac d’Hercule et les arbres superbes qui se dressent de toutes parts font de ce lieu un paysage admirable.

Le landgrave de Hesse-Cassel, devenu électeur de Hesse en 1803, était un des alliés de Napoléon Ier. Il abandonna sa patrie pour se rallier à Frédéric-Guillaume IV et perdit ses États au lendemain de Tilsit. Ils furent réunis avec une partie du Hanovre et les villes de Halberstadt, Magdebourg, Verden, Paderborn, Minden et Osnabrück sous le sceptre de Jérôme Napoléon, créé roi de Westphalie le 8 juillet 1807. Jérôme administra intelligemment son nouveau royaume, supprimant la dîme, les corvées et autres charges féodales, imposant le Code Napoléon, comme loi du pays, établissant la liberté des cultes et la conscription militaire et réorganisant la magistrature. Il favorisa l’instruction et le développement du gouvernement représentatif par l’attribution accordée aux États de Wurtemberg de discuter les lois élaborées par le Conseil d’État, puis essayant de fusionner les divers peuples soumis à sa puissance, avec le concours habile et gracieux de sa femme Catherine de Wurtemberg, il fit accepter à tous ses sujets un règne qui, pendant six ans, leur parut doux et prospère. On sait qu’après la défaite de Waterloo, Jérôme refusa de signer une convention qui l’aurait lié à la Prusse et préféra la captivité à Coppingen et à Elwangen aux avantages que lui offrait son beau-père, le roi de Wurtemberg. C’est dans ce château, résidence de Jérôme, peuplé de souvenirs napoléoniens, c’est dans ce pays enlevé à l’Électeur en 1866 par la Prusse, et transformé en province de Hesse-Nassau, que l’Empereur allait séjourner près de sept mois.

Je ne crois pas qu’il ait jamais dirigé ses promenades vers la ville de Cassel et visité le parc de l’Aue. Après son départ, en souvenir de la coopération des Hessois à la guerre de 1870, on a placé à la porte orientale de ce parc deux bas-reliefs monumentaux. Dans le premier, l’artiste a représenté les soldats hessois partant pour la guerre, entourés de leurs familles inquiètes et levant les mains vers le ciel en disant : « Gott sei mit uns ! Que Dieu soit avec nous ! » Dans le second, les mêmes soldats reviennent fièrement avec les lauriers du triomphe et se jettent dans les bras de leurs parens enthousiasmés en criant. « Gott war mit uns ! Dieu était avec nous ! » L’œuvre artistique n’est pas de nature à fixer longtemps l’attention, mais le sujet et les inscriptions font réfléchir.

L’annonce de l’arrivée prochaine de Napoléon mit en émoi la population industrielle et commerçante de Cassel. On s’accordait généralement à penser que le château de Wilhelmshöhe, résidence royale, était beaucoup trop beau pour celui qui avait déchaîné une pareille guerre. Les officiers et les hauts fonctionnaires ne se gênaient pas pour dire que les casemates de Graudenz eussent mieux convenu, mais l’ordre du Roi n’était pas de ceux qu’on pouvait discuter. Il fallait obéir, et celui qui devait être le gardien de Napoléon III, le général comte Charles de Monts, quoiqu’il lui en coûtât beaucoup, — il avait eu son fils mortellement frappé à Saint-Privat, — donna l’exemple.

Le général[1] dont je recueille les souvenirs, en même temps que ceux de Mels-Cohn et de quelques autres témoins de cette histoire, était né le 24 décembre 1801. Originaire d’une vieille famille huguenote, qui sortit de France après la Révocation de l’édit de Nantes, il suivit les traditions de sa maison en entrant en 1818 comme enseigne au 1er  régiment de la Garde ; sous-lieutenant en 1819, lieutenant en 1833, capitaine et major en 1834, directeur de l’École de la 11e division militaire en 1844, lieutenant-colonel en 1851, commandant du 38e d’infanterie en 1852, major-général en 1853, commandant la 29e brigade en 1857, directeur de la 8e division en 1859 et de la 14e en 1860, lieutenant général et affecté au 14e corps en 1864, directeur de l’Académie de guerre en 1865, général d’infanterie en 1866, il était en 1870 gouverneur de Cassel, poste militaire important et qui, en cas d’invasion des Français, eût été le centre de grandes opérations. Tous ses grades avaient été conquis régulièrement par un labeur aussi intelligent qu’obstiné. Il mourut à Dresde en 1886. Ses notes, prises au cours de la captivité de Napoléon III, se distinguent par leur simplicité, leur précision et leur accent de véracité. Il y décrit en toute franchise la vie quotidienne de l’Empereur à Wilhelmshöhe. Confrontées avec celles du journaliste allemand A. Mels-Cohn[2], qui servit parfois de secrétaire à Napoléon III, elles corroborent l’attestation d’exactitude et de fidélité que leur donne l’éditeur, sa petite-nièce Tony von Held. Le général de Monts, qui ne ressemblait en rien à Hudson-Lowe dont un écrivain anglais, M. Seaton, essayait vainement, ces jours derniers, d’excuser la déplorable conduite à Sainte-Hélène, se montra, à l’égard de l’Empereur dont le sort lui confiait la garde, plein de déférence, de dignité et de courtoisie. « Ses récits, déclare Tony von Held, sont un fragment historique de cette époque grande et mouvementée de notre patrie, dont notre vieil empereur a dit :

« Gott hat grosses an uns getan ! — Dieu a fait de grandes choses pour nous ! »

Le 5 septembre 1870, Napoléon III entra dans la gare de Cassel à dix heures du soir. Le temps était affreux. Il pleuvait à torrens. L’affluence était nombreuse, mais calme. Le général de Monts, avec le général de Plewski, le premier président de Mœller, tous en grand uniforme, accueillirent respectueusement le souverain et sa suite. Le général de Castelnau, le général Reille, le général Pajol, le général de Waubert, le prince Achille Murat, le commandant Hepp, le comte Lauriston, le comte Davillier, l’écuyer Raimbeaux, enveloppés dans de longues capotes, ne laissaient voir de leurs uniformes que leurs képis brodés d’or. Ils étaient précédés du général allemand de Boyen et du prince de Lynar. Napoléon III passa lentement, la main au képi, devant la compagnie qui rendait les honneurs. Les voitures s’étaient avancées au pied de la gare : de là, on se rendit au château où un officier et quarante soldats montaient la garde. Aux officiers français s’étaient joints le docteur Conneau, le docteur Corvisart et le secrétaire particulier F. Pietri. Les domestiques étaient nombreux : cent et quelques laquais, valets d’écurie et ordonnances. Un poste d’honneur fut placé devant la porte centrale du château et une garde de sûreté établie pour écarter le public. Le service de la table et les moindres détails d’administration étaient parfaitement organisés. Cela coûtait environ de 10 à 12 000 thalers par mois.

Le 6 septembre, le général de Monts fut reçu par Napoléon dans une petite chambre dont il avait déjà fait son cabinet de travail. « Il a, dit Monts qui esquisse son portrait physique, les cheveux blond cendré et pas un cheveu blanc. Ses yeux n’ont point l’éclat et la pénétration des yeux corses. Ils sont bleus et sans vigueur. Le visage a la couleur d’un homme assez bien portant qui commence à vieillir. Le nez, d’une courbure accentuée, révèle la race napoléonienne, mais le menton n’est ni épais, ni rond comme l’avait si nettement Napoléon Ier. Les traits du souverain sont empreints de bonté et de charme. Sa voix est douce comme son visage. Il y a dans toute sa personne un certain affaissement qui disparaît seulement, lorsque la conversation semble devenir intéressante pour lui. Elle l’était particulièrement, quand on parlait de l’Impératrice et du Prince impérial. Alors, la figure de Napoléon prenait une forme affable et reconnaissante qui ne manquait pas d’attraits. »

Monts constate que l’Empereur savait parfaitement l’anglais et l’italien, mais préférait s’exprimer habituellement en français. Il lisait des journaux allemands, belges et anglais, plus spécialement le Times. Le gouverneur, présenté aux officiers français qui étaient en uniformes chamarrés et l’épée au côté, déclare que ces messieurs avaient une attitude excellente à tous égards. Quoique accablés par les coups du sort, il les supportaient avec un calme stoïque, ne se permettant aucune plainte, ni aucun reproche contre leurs compagnons d’armes. Sur les instructions du gouvernement allemand, on avait mis à leur disposition un bureau postal et télégraphique dont, après quelques défiances, ils usèrent largement.

La personne de l’Empereur, — et cela est bien naturel, — ne cessait d’occuper et de préoccuper le général de Monts. Il en trace un portrait moral qui offre un intérêt particulier. « Je m’efforçai, dit-il, de scruter son âme et de la pénétrer. Grave et réservé, ainsi qu’il l’avait été toute sa vie dans l’adversité comme dans les temps prospères, il ne pouvait, après la dernière catastrophe, se montrer ouvert et très accueillant devant un homme, qui, comme moi, lui était tout à fait inconnu. Pendant tout le temps de son internement à Wilhelmshöhe, il consentit cependant à s’exprimer plus d’une fois avec une spontanéité franche qui ne lui était pas habituelle. Dès le début, il fut et resta calme, mesuré, digne. Aucune parole irritée, aucune plainte, aucun désespoir au sujet des désastres qui avaient fondu sur lui. Jamais je ne l’entendis blâmer les fautes et les erreurs commises par ses maréchaux. Sa physionomie, surtout devant l’étranger, gardait un calme si extraordinaire qu’on aurait pu s’imaginer qu’elle n’éprouvait aucun sentiment, et cependant derrière ce masque froid se cachait beaucoup de vie et de sensibilité. Sa parole semblait inerte et indifférente ; mais cette inertie, celle indifférence s’évanouissaient quand l’entretien devenait palpitant. Alors, c’était une transformation, une animation vraiment étonnantes. Napoléon n’aimait pas à se répandre en paroles. Il méditait longuement ses idées avant de les émettre. Il s’appliquait à ne pas les accentuer par des mouvemens extérieurs. Dans les instans où il devait être le plus ému, il m’a paru supérieurement maître de sa personne. Je crois que l’empereur des Français était très sensible et très passionné ; mais je suis assuré qu’il possédait plus que personne l’art de vaincre les élans les plus ardens de son âme, ce qui le faisait paraître glacial et pour ainsi dire insensible. Mais les traits particuliers de son caractère étaient la bonté, l’humanité, la bienveillance pour tous. »

Monts cite à cet égard plusieurs exemples de générosité particulière de la part de l’Empereur à Wilhelmshöhe et rappelle que le souverain était venu souvent en aide par des sommes considérables à des personnes que le malheur ou des fautes personnelles avaient mises dans la gêne ou l’embarras. « Et, ajoute-t-il, il n’a pas toujours recueilli des remerciemens. »

Examinant ensuite la conduite de Napoléon à l’égard de sa femme, il reconnaît que l’Empereur avait pour elle et sa beauté une admiration justifiée. « Mais, dit-il, les Français ont des idées bizarres sur le foyer domestique et son caractère sacré. Je reconnais que les actes de l’Empereur à ce sujet ont causé plus d’un scandale. II. n’aurait pas été le neveu du grand Napoléon, ni le fils d’Hortense, s’il ne s’était jamais éloigné de la route de la vertu. » Quant à l’Impératrice, Monts croit pouvoir affirmer qu’elle exerçait une grande influence en matière politique. Elle était particulièrement dévouée à l’Eglise catholique et elle a fait avec elle cause commune. « On ne sait pas, au cas où elle aurait eu le bonheur conjugal, si elle se serait mêlée aussi activement de ses intérêts. Mais il est certain que c’est au moment où son mari lui donnait lieu de se plaindre de ses infidélités, qu’elle cherchait une sorte d’apaisement à sa douleur dans une participation active aux affaires publiques. Quant à Napoléon, il n’est pas douteux que son caractère faible a été pour la France la cause d’une perte considérable en hommes et en argent. Mon jugement peut paraître dur, mais l’Empereur m’a toujours paru le type de la faiblesse. » Monts motive ce jugement sévère sur les entretiens qu’il eut avec Napoléon, notamment au sujet de l’organisation défectueuse de l’armée française. L’Empereur en avait remarqué les défauts, mais n’avait pu y remédier utilement. Sans doute, il avait essayé d’imposer le service obligatoire comme en Prusse, mais le Parlement s’y était montré rebelle. Sans doute encore, il avait vu bien des choses à réformer, comme le recrutement, l’instruction incomplète des réserves, le train des équipages, le paquetage exagéré de l’infanterie, l’armement de l’artillerie, etc., mais il n’était plus maître chez lui. Il avait eu à lutter et il avait bientôt renoncé à la lutte. La guerre contre la Prusse, il aurait voulu l’éviter ; mais il affirmait à Monts que, s’il s’y était opposé, son pouvoir aurait été instantanément brisé et que ses amis eux-mêmes l’auraient traité de lâche. Il avait une crainte instinctive de la responsabilité et un réel effroi de l’opinion publique. C’est pourquoi, après les revers de Wœrth et de Spickeren, il s’était laissé démunir de son commandement en chef en faveur de Bazaine et avait suivi, en prince docile, les diverses évolutions de l’armée de Mac Mahon. « En Prusse, nous ne comprenons pas une faiblesse pareille, et nous n’admettrions pas un monarque qui se laisserait ainsi dépouiller de tout pouvoir et marcherait, sans commandement et sans influence, à la suite de ses propres troupes. » On osa lui reprocher la peur devant le danger. C’était faux. Monts a raison de rappeler qu’à Sedan l’Empereur s’exposa très bravement au feu de l’ennemi pendant plusieurs heures, et tandis que cinq des officiers de son entourage étaient tués ou blessés par les obus prussiens, il attendit vainement la mort. Au pont de la Meuse, à son retour en ville, un obus éclata à deux pas de son cheval et l’on crut un instant qu’il avait été foudroyé par l’explosion. Ici Monts se demande pourquoi, au milieu du désastre, il n’a pas mis fin lui-même à sa vie. Il se garde de l’en blâmer, mais il croit pouvoir affirmer qu’il était trop croyant pour commettre une telle faute. « J’ai la persuasion profonde, ajoute-t-il, que, dans le fond de son cœur, il avait aussi gardé l’espoir de rétablir l’Empire. Même au moment où tout semblait désespéré pour lui, il se disait que la restauration de son trône pourrait avoir lieu en faveur de son fils. Une telle opiniâtreté dans l’espérance, une telle illusion devant les faits les plus déconcertans étaient chez lui une particularité originale et persistante.

L’Empereur demeura d’abord au premier étage du château, dans l’aile Sud qui donne sur le parc. Quand l’hiver fut venu, il occupa l’aile Nord qui était mieux chauffée.

Le lendemain de son arrivée, il alla visiter les salons du château et les peintures qui le décoraient. Escorté du prince Achille Murat et de quelques généraux, il donnait libre cours à sa curiosité et faisait sur telle ou telle œuvre des remarques justifiées par des connaissances artistiques précises. Tout à coup, lui si calme, lui si réservé, étouffa un cri de surprise et fit signe qu’on le laissât seul quelques instans. Dans un grand tableau, il avait reconnu le portrait de sa mère, la reine Hortense, toute resplendissante de jeunesse et de grâce. Les officiers, qui avaient vu le portrait, comprirent l’émotion de l’Empereur et se retirèrent aussitôt ; ce ne fut qu’une heure après qu’ils le retrouvèrent ayant ressaisi son calme et comme heureux d’avoir pu en quelque sorte converser avec l’image d’une mère qu’il n’avait cessé d’adorer.

L’Empereur se levait ordinairement entre sept et huit heures. Sa toilette terminée, il ouvrait la fenêtre, quelque temps qu’il fit, et prenait une tasse de thé. Les moineaux du parc, habitués à recevoir de lui des bribes de pain, accouraient en foule, et c’était un spectacle assez piquant de voir l’Empereur se plaire pendant plusieurs minutes à donner la pâture à ceux qu’il appelait ses petits amis. Puis il allait s’asseoir à son bureau et écrivait jusqu’à dix heures. Il lisait ensuite son courrier ; il parcourait des journaux comme le Nord, l’Écho du Parlement, le Journal de Bruxelles, l’Indépendance belge, le Times, la Daily News, la Perseveranza, la Epoca, la Norddeutsche Zeitung, les gazettes d’Augsbourg, du Weser et de Silésie.

A onze heures, il déjeunait simplement et causait avec ses officiers. Il allait, une demi-heure après, fumer sa cigarette dans un salon voisin et entendre le commandant Hepp traduire les comptes rendus militaires des feuilles allemandes qu’il lui avait lui-même désignés d’un coup de crayon rouge. Parfois, il s’entretenait avec le docteur Corvisart ou avec quelque visiteur. A midi, il revenait dans son cabinet pour travailler à quelque ouvrage particulier, comme ses études sur l’Organisation de l’armée allemande, — les Relations de la France avec l’Allemagne sous son gouvernement et les Causes de la capitulation de Sedan. J’en dirai un mot bientôt. Il allait ensuite se promener dans le parc jusque vers cinq heures et rentrait pour le dîner. Il y assistait habituellement en habit avec l’étoile de la Légion d’honneur. Ses invités portaient l’habit ou l’uniforme. La cuisine excellente était faite par le chef de la reine Augusta, un nommé Bernard, qui s’appliquait à inventer des plats, dont l’Empereur ne paraissait apprécier ni l’ingéniosité ni la succulence. Après le dîner, il se rendait au fumoir et prenait le café. Il touchait quelquefois à un jeu de cartes, mettant chacun à son aise et donnant, par une grâce toute naturelle, un attrait particulier à la réunion. On lui lisait quelque livre nouveau, ou des vers de Racine, de Corneille, de Musset. Il les écoutait silencieusement, la tête appuyée sur la main, le regard fixe devant lui, ce regard étrange si bien rendu par Flandrin au Salon de 1863 avec cette expression rêveuse qui sembla si vraie aux uns et si critiquable aux autres. Il paraîtrait que l’Empereur avait demandé à l’illustre peintre pourquoi il lui avait donné ce regard : « Sire, répondit Flandrin, j’ai voulu vous représenter lisant dans l’avenir[3]. » L’avenir en 1863 semblait devoir encore être heureux, et l’artiste pouvait risquer ce compliment.

Mais, à Wilhelmshöhe, c’était à un triste et redoutable avenir que songeait le malheureux prince, et l’harmonie des vers et leur beauté n’étaient alors pour lui qu’une distraction vague et monotone. Les romans ne lui plaisaient guère ; il s’étonnait ou souriait parfois des inventions bizarres des auteurs. À neuf heures, il serrait la main de ses compagnons de captivité, rentrait dans son cabinet de travail dont il entr’ouvrait un instant la fenêtre, puis se remettait au travail, satisfait d’être seul et dans le silence, livré à ses réflexions. Plus d’une fois, il prolongea sa veillée fort avant dans la nuit, au grand déplaisir de ses médecins. Telle était en général la manière de vivre de l’Empereur. Il s’était naturellement réservé le droit de recevoir qui bon lui semblait et fixait lui-même ses heures de promenade. Le public s’écartait silencieusement sur son passage. Il n’y eut qu’une seule fois contre lui une manifestation regrettable, mais elle ne dura que quelques instans. Ses officiers avaient ordre de ne pas s’éloigner du château à une distance supérieure à celle qui séparait Wilhelmshöhe de Cassel, c’est-à-dire environ cinq ou six kilomètres. Ils ne donnèrent d’ailleurs jamais lieu à la moindre critique contre eux. Lui-même n’allait jamais à la ville où la population lui était peu sympathique. Il laissait les habitans circuler dans le parc, se contentant d’une garde fort simple qui avait établi huit petits postes d’observation. Quelques agens de la police berlinoise en civil le suivaient à une distance respectueuse, quand il sortait à pied, en voiture ou à cheval. La reine Augusta, qui s’intéressait fort aux prisonniers de Wilhelmshöhe, leur avait fait envoyer toutes sortes de jeux. Les officiers préféraient le billard où ils se montraient habiles et gracieux. Monts remarque qu’ils conversaient sur des sujets en apparence indifférens, mais que les tristes nouvelles de la guerre se reflétaient sur leurs fronts. La Reine voulait adoucir à l’Empereur ce que sa captivité lui offrait de pénible et elle allait si loin dans sa sollicitude pour lui et ses compagnons que Monts s’en étonnait. « J’avoue, dit-il, que les avantages accordés aux officiers français à l’intérieur du château produisaient une moins mauvaise impression sur le peuple que leur participation aux réjouissances publiques. » On leur avait permis le théâtre et même la chasse. Il faut dire que les officiers en profitèrent peu.

Le général de Monts vante la politesse de ces messieurs et leur excellente éducation. Ils avaient cependant, dit-il, une culture bien inférieure à celle de leur maître et n’étaient intéressans que lorsqu’ils parlaient de leurs souvenirs d’Afrique, de Crimée, d’Italie, du Mexique et de Chine. Ils le faisaient sans pose et sans forfanterie. Le général Castelnau, avec lequel Monts aimait à converser, lui semblait homme de tact et de jugement. Il aimait à raconter ses entretiens avec Maximilien au Mexique, ses missions à Monaco et à Stockholm. Edgar Ney, très amateur de chevaux et de vénerie, était un officier de petite taille, aux membres délicats, aux yeux vifs, ayant les habitudes et l’éducation du monde. Le général Reille, qui avait porté à Guillaume la lettre de Napoléon III, le jour de Sedan, avait une excellente tenue militaire, la démarche virile, la parole brève et précise. Il remplissait à Wilhelmshöhe les fonctions de maréchal du Palais. Le général Pajol à la taille haute, à la carrure ferme avait l’air farouche, le teint basané, la moustache épaisse ; il imposait par son allure et son jugement franc et net. Napoléon l’aimait beaucoup et prenait plaisir à l’entretenir et à l’écouter. Le général de Waubert, descendant de Mme de Genlis, se faisait remarquer par ses manières agréables, sa modestie rare et son affabilité. Le prince Achille Murat, de stature élégante, le visage souriant, jeune et mondain, faisait parler de lui par ses aventures romanesques. Le commandant Hepp, très intelligent, très instruit, servait de secrétaire à l’Empereur. Il l’avait fortement aidé dans sa brochure sur la capitulation de Sedan. Cet officier, par son caractère et ses dehors, paraissait se rapprocher de la race allemande. Monts, le sachant natif de Strasbourg, pensait qu’il avait peut-être du sang germain dans les veines, ce qui ne l’empêchait pas d’être un ardent Français. Le gouverneur de Cassai, continuant à juger la suite de Napoléon, trouvait le comte Davillier, le premier écuyer, vif et affairé ; l’écuyer Raimbeaux agréable, mais d’un tempérament maladif ; le docteur Conneau ironique et malicieux, toujours prêt à la riposte ; le docteur Corvisart plus réservé et plus savant, et enfin le secrétaire intime, Franceschini Pietri, un homme, discret et absolument dévoué à son souverain.

Les visites que reçut Napoléon pendant sa captivité furent très nombreuses. Parmi les visiteurs, Monts note le gouverneur du Prince impérial, comte Clary, puis le général de Béville, la duchesse d’Hamilton. Celle-ci, sœur de la princesse de Hohenzollern, était aimable, empressée et jolie.

Un personnage politique, juif baptisé, Helwitz, mérite quelques lignes particulières. Il avait été présenté par le président du gouvernement de Cologne, M. de Bernuth, et était venu de la part de M. de Bismarck lui-même. Il fut reçu plusieurs fois par l’Empereur. Sur lui, Monts avait obtenu les renseignemens suivans : « Helwitz est l’associé d’une grande maison de commerce et était considéré comme un négociant honorable avant ses manœuvres politiques. Sa femme est de bonne famille. La vanité blessée d’Helwitz l’a jeté dans l’opposition... » Il s’était mis à la tête du parti démocratique et dirigeait une feuille avancée. On lui prêtait des aventures bizarres. Avant la guerre, il aurait déjà eu une entrevue en France avec Napoléon III, qui lui aurait proposé d’agir ouvertement dans son journal contre la politique prussienne. Helwitz aurait alors refusé. Toujours est-il qu’il reparaissait envoyé par Bismarck et qu’il priait Napoléon de déclarer si, oui ou non, il voulait, avec l’aide de Bazaine et de son armée, reconquérir son trône, instaurer en France le régime du sabre et conclure la paix avec la Prusse, mais en cédant l’Alsace et la Lorraine. Il ne se gênait pas pour dire à tous qu’il était le délégué de M. de Bismarck et cela même à la table de l’hôtel Schombardt où fréquentait Mels, dont l’Empereur payait la pension. Quoique d’un naturel assez droit, il manquait visiblement de tact. Il racontait que ses pourparlers avaient ému l’Empereur, et que celui-ci ne pouvait se résoudre à céder les deux provinces, parce que c’eût été, à son avis, la perte immédiate de l’Empire.

Helwitz ajoutait qu’au quartier général allemand, on souhaitait ardemment la paix pour la fin de l’automne, car la dysenterie et le typhus ravageaient les troupes allemandes. Les nombreux prisonniers français encombraient l’Allemagne qui n’en savait que faire. La cour de Napoléon causait aussi de fortes dépenses. Les sièges de Metz et de Paris étaient la source de grandes difficultés et paraissaient d’une réalisation douteuse. Bref, le succès semblait alors incertain, et l’on parlait déjà de faire rentrer la landwehr. Ces détails sont confirmés en particulier par la Correspondance de Moltke. La diplomatie allemande s’évertuait à placer en présence les divers prétendans français et cherchait à amener ainsi la fin de la guerre. Helwitz disait être certain qu’on ne voulait pas être contraint à avancer davantage dans une France hostile, difficile à conquérir et plus difficile encore à conserver.

Helwitz avait cru d’abord au succès de ses négociations et il s’était jeté au cou de Mels, le journaliste allemand, en lui affirmant que Napoléon avait accepté les préliminaires proposés par lui. Quelque temps après, il fut moins enthousiaste. Dans sa troisième entrevue avec l’Empereur, il apporta au souverain un long mémoire de Bismarck sur l’état des esprits en France, où il était établi que, sans le secours de la Prusse, jamais Napoléon ne pourrait recouvrer son pouvoir. L’Empereur ne l’écouta pas et refusa nettement des conditions qui lui semblaient pires que les conditions de 1814 et de 1815 faites à Louis XVIII par les Alliés. Il n’entendait pas avoir les mains liées et il dit lui-même à ce propos à Mels : « Quand l’Allemagne conclut la paix avec moi, c’est à moi de l’exécuter et non pas à l’Allemagne. Comment je le ferai, cela ne regarde que moi seul, et non point M. de Bismarck. »

L’Empereur s’exprimait en toute liberté sur le compte du chancelier, et ses propos méritent d’être rapportés. « La grande force du chancelier, confia-t-il un jour à Mels, est de n’être que ministre. Quelle terrible différence de succomber comme ministre ou d’être vaincu comme souverain ! Le ministre dont les entreprises échouent se retire et souvent observe avec une joie maligne son successeur, tandis que le souverain doit réparer ses erreurs lui-même ou laisser cette tâche aride à son fils !... M. de Bismarck a le bonheur de n’être que ministre. Possédant la confiance du souverain à un degré vraiment extraordinaire, il peut tout risquer et n’a rien à craindre. Si la guerre de 1866 avait eu des résultats contraires aux intérêts de la Prusse, votre chancelier chasserait maintenant des lièvres en Poméranie. Il ne lui serait rien arrivé de plus. Une responsabilité couverte par la majesté royale, un grand talent diplomatique, un bonheur presque sans pareil dans l’histoire, avec cela on peut tout oser ! » Puis semblant jeter un regard sur l’avenir : « La guerre actuelle avancera de dix ans une question qui, tôt ou tard, ne peut manquer de prendre une importance extrême dans notre Europe si vieille et si peuplée. Je veux parler de la question sociale. M. de Bismarck ne s’en est jamais occupé. Il y sera forcé. Mais qui donc, sur les trônes et dans les conseils souverains, s’est occupé de l’ouvrir ? Moi seul. Et si je revenais au pouvoir, ce serait là encore la question qui m’intéresserait le plus, car l’avenir en dépend. Le chancelier y songera trop tard, — vous le verrez, — et alors seulement on pourra juger si M. de Bismarck est un homme de génie ou seulement un diplomate habile favorisé par la fortune. » Vingt ans après, le chancelier était forcé d’abandonner le pouvoir, n’ayant pu s’entendre avec le nouvel Empereur au sujet de cette terrible question sociale qu’il aurait voulu résoudre uniquement par la force.

Parmi les autres visites, le général de Monts signale celle du général Fleury, l’ancien ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, homme des plus distingués, tant par ses manières que par ses conversations. Le prince Napoléon avait demandé à venir à Wilhelmshöhe, mais l’Empereur lui fit répondre que « dans sa position actuelle, il ne désirait pas le recevoir. » On voyait fréquemment au château l’ancien trésorier de l’Empereur, Charles Thélin. Cet homme de confiance était chargé de la cassette privée. Il fit un jour à Mels ces curieuses révélations : « L’Empereur avait 27 millions par an. Il abandonnait 22 millions à l’administration de la liste civile. Il lui restait donc 5 millions pour son usage personnel, ce qui fait en dix-huit ans, 90 millions. Vous pourrez, si cela vous convient, publier la liste que je vous remets. Elle contient l’énumération détaillée de 72 millions qui ont été donnés par l’Empereur sur ces 90 millions, pour divers objets de bienfaisance : églises, maisons d’école, défrichemens, routes, sociétés de secours, etc. Vous y trouverez aussi le nom de tous ceux qui se font honneur d’être les obligés de leur souverain, mais seulement ceux-là. Il n’est donc resté à l’Empereur que 18 millions pour dix-huit ans, c’est-à-dire un million par an. Mais il y a encore d’autres listes qui ne verront pas la lumière, quoiqu’elles dussent être des plus intéressantes. Il y a en France quantité de gens qui tomberaient des nues, s’ils apprenaient que le secours reçu par eux dans une heure de désespoir et qui les sauvait de la misère, leur venait de cet Empereur qu’ils poursuivaient de leurs outrages ! » Thélin se hâtait de dire que Napoléon III ne permettrait jamais cette publication. C’est par les Papiers des Tuileries, saisis au 4 Septembre, qu’on a appris certaines libéralités faites à des adversaires de l’Empereur en France et à l’étranger et qui étonnèrent singulièrement l’opinion. Thélin était d’ailleurs d’une discrétion à toute épreuve, et jamais on n’aurait obtenu de lui la moindre révélation sur les dons particuliers faits de la main de son maître.

A chacune des apparitions du trésorier à Wilhelmshöhe, on se demandait quelle pouvait être la fortune de l’Empereur et nul ne pouvait la préciser exactement. Le général Castelnau l’estimait à environ deux cent mille francs de rentes. Les seuls revenus sur lesquels on pouvait alors compter étaient ceux de l’Impératrice en Espagne. Le comte Arese, ami intime de Napoléon, lui avait offert généreusement de lui venir en aide, et Napoléon III lui avait répondu le 14 novembre : « Sans avoir les millions que la presse veut bien me donner, nous avons, l’Impératrice et moi, tout ce qu’il faut pour vivre convenablement pendant un an. Après cette époque, si l’on confisque tout ce que j’ai laissé en France, nous aurons pour vivre les revenus de mes terres en Italie et le produit des bijoux de l’Impératrice. Avec cela, nous pourrons être à notre aise, comme de bons bourgeois de la rue Saint-Denis[4]. » Après la vente des ruines du palais des Césars et des terrains adjacens, Arese suppliait l’Empereur de mettre un terme à la noble passion de bienfaisance qui était une seconde nature chez lui. Il lui faisait entendre que 40 000 francs de rentes pouvaient encore être une ressource pour les mauvais jours, mais qu’il ne fallait pas les gaspiller. Arese fut chargé de la gestion des propriétés impériales dans les Romagnes et les Marches et s’acquitta de cette fonction avec la délicatesse et le tact qui lui étaient naturels. C’est à Arese que Napoléon écrivait dès son arrivée à Wilhelmshöhe : « Je ne vous parlerai pas de mes malheurs. Ce sont ceux de la France qui m’accablent le plus ! » Puis, peu de jours après : « Me revoilà, comme il y a vingt-deux ans, prisonnier et en butte à toutes les calomnies ! » puis, le 2 décembre : « Vous savez tout l’intérêt que je porte à l’Italie et au Roi. Je voudrais qu’il n’allât à Rome qu’a la mort du Pape, ce qui ne peut être long, vu son âge. Avant cette époque, sa position à Rome sera remplie de difficultés. C’est là un avis bien désintéressé que je vous donne. » L’Empereur se repentait de ses tergiversations et de sa conduite oblique envers le Saint-Siège comme envers l’Italie, et lui, qui pronostiquait la mort prochaine de Pie IX, il allait succomber plusieurs années avant le Saint-Père. Les entretiens sur les événemens politiques qui avaient amené et suivi la chute de l’Empire étaient fréquens à Wilhelmshöhe, et Napoléon confiait à cet égard ses impressions au général de Monts dont il avait apprécié la droiture et la discrétion.

Il lui racontait, entre autres choses, ce qu’il avait appris au sujet de la Révolution du 4 septembre ; comment son portrait avait servi de cible aux coups de fusil des émeu tiers jusqu’à ce qu’il fût devenu troué et méconnaissable ; comment le buste de l’Impératrice par Carpeaux avait été mis en poudre par la populace furieuse ; comment une porte ornée de son écusson avait été brisée et jetée au feu. Qu’on me permette ici un souvenir personnel : j’ai vu de mes yeux, le 3 septembre, casser le bras de la statue de la Loi sur la place du Palais-Bourbon par une foule exaspérée et rompre en mille morceaux la main de Justice où figurait l’aigle impérial. C’était là le signal du renversement de l’Empire. Quand le drapeau fut amené sur les Tuileries, le peuple cria : « L’Impératrice est partie ! » et se rua sur le palais abandonné par la troupe de service, un bataillon de voltigeurs de la Garde. Voici comment l’Empereur racontait lui-même à Monts la fuite de l’Impératrice. Par la porte du Musée assyrien, elle s’était échappée en compagnie de Mme Le Breton, sa dame d’honneur, et du prince de Metternich. Elle était alors montée dans un fiacre et s’était fait conduire chez le docteur Evans auquel elle fit révéler sa présence. Le docteur dit à ses domestiques que deux dames de ses amies, dont l’une était indisposée, étaient survenues inopinément et allaient rester quelque temps dans son hôtel. L’Empereur entrait alors dans de longs détails sur la façon dont l’Impératrice et sa compagne avaient pu se rendre à Deauville et de là sur le yacht la Gazelle, appartenant à sir John Burgoyne. Il paraît que ce gentleman hésita quelques instans à se mêler à cette grave affaire. Il craignait que des complications politiques ne suivissent son intervention, d’autant plus que le ministère anglais s’était refusé à faire quoi que ce fût en faveur de l’Impératrice. Enfin, il se laissa fléchir par une si grande détresse et consentit à embarquer la malheureuse femme. Elle fut secrètement conduite à bord, malgré la surveillance d’espions déjà avertis. « Les élémens, racontait Napoléon, semblaient opposés aux fugitifs. Une violente tempête s’était élevée tout à coup et ballottait le yacht, long seulement de trente-cinq pieds, comme une coquille de noix. À minuit, les vagues s’abattirent sur le pont et menacèrent d’engloutir le frêle bateau et son équipage. Il résista vaillamment à ces assauts furieux et put entrer le 8 septembre, à trois heures de l’après-midi, dans le port de Ryde. Le Prince impérial était de son côté heureusement arrivé en Angleterre, et sa mère le rejoignit bientôt à Hastings, puis à Chislehurst, où le généreux propriétaire de Camden House accorda libéralement aux fugitifs la jouissance de cette villa. » Napoléon rapportait ces dramatiques événemens avec une émotion qui ne lui était pas habituelle. Cependant, il paraissait délivré d’un poids énorme, maintenant qu’il savait les siens en sécurité hors de France. « En face du destin terrible qui l’accablait, remarque Monts, toute autre voix que celle de la pitié devait se taire, car son sort était atroce et il le supportait vraiment en homme. »

L’affaire Régnier fut une de celles qui occupèrent le plus l’attention à Wilhelmshöhe. Napoléon en entretint le général de Monts, lui donnant les détails qui suivent.

Régnier était venu à Chislehurst et avait photographié Cambden House et le Prince impérial. Il avait obtenu une signature du petit prince sur l’une des photographies et s’en était servi pour entrer en relations avec Bismarck, puis avec Bazaine, disant qu’il venait de la part de l’Impératrice. Bazaine était tombé dans le piège de cet imposteur, ou plutôt avait fait semblant d’y tomber, et avait envoyé Bourbaki en Angleterre. Quand Mme Le Breton, sœur du général, le vit arriver, elle resta muette de surprise. Elle se douta bien que l’Impératrice n’avait point provoqué un pareil voyage, ce qui était la vérité. Le général avait donc été envoyé sans aucune raison sérieuse. « Vous pouvez maintenant, dit Napoléon à Monts, vous figurer quel fut le désespoir de Bourbaki, d’autant plus que les avant-postes de l’ennemi ne lui permirent pas de rentrer à Metz. » Le général se considéra comme la victime d’une intrigue ourdie entre Régnier et le prince Frédéric-Charles. A Chislehurst, on croyait qu’on avait fait sortir Bourbaki de Metz pour rendre la défense de cette place moins vigoureuse, et l’Empereur paraissait être de cet avis. Il fit télégraphier par Monts d’abord au Roi en ces termes : « Le général Bourbaki, actuellement à Londres, est dupe de l’intrigue de M. Régnier. L’Empereur Napoléon prie le Roi de permettre au général de retourner à Metz. » Puis il adressa une autre dépêche au chancelier, pour savoir si Régnier avait sa confiance et était chargé d’une mission. Bismarck répondit : « Je ne connais M. Régnier que depuis sa visite à Ferrières. Il n’a pas reçu mission de moi. Il m’a laissé supposer qu’il en avait reçu une de l’Impératrice. Après qu’il fut constaté que ce n’était pas vrai, — Nachdem konstatiert ist, das aies nicht der Fall, — je l’ai prié de quitter le quartier général. »

Dans une autre conversation, Monts put remarquer que Napoléon tenait Régnier pour une créature de Bismarck. Cet homme eut l’audace de se présenter à Wilhelmshöhe au lendemain de la reddition de Metz. Il ne fut pas reçu. Il montra en vain ses fameuses photographies. Ordre lui fut intimé de quitter immédiatement Cassel. Il vit, avant de partir, le journaliste Mels auquel il dit : « Je retourne après-demain à Versailles. Il faut que je voie une dernière fois M. de Bismarck. — Il ne vous recevra pas ! — Il me recevra. — Au nom de qui ? — Au nom de la raison. Son esprit clair et catégorique en comprendra immédiatement les avantages pour tous. Un département sera déclaré neutre, comme le Pas-de-Calais. Sa Majesté l’Impératrice s’y rendra avec quelques bataillons de la Garde impériale auxquels on rendra la liberté. Elle y convoquera le Corps législatif. On sera forcé d’accepter la paix que la Prusse proposera. On l’acceptera, et du moins cette affreuse guerre sera terminée. — Croyez-vous que l’armée enfermée dans Paris, celle qui se forme derrière la Loire, que le pays enfin, acceptera les décisions d’une assemblée du Pas-de-Calais ? — Vous connaissez mal ce qui se passe en France. Il y règne un désir de paix muet, mais ardent. » C’était faux, car l’Europe surprise assista encore à trois mois de résistance passionnée. Quant à Régnier, il ne fut pas reçu à Versailles, et Bismarck, en lisant son projet, se borna à dire : « J’aurai mieux plus tard. »

Ainsi, — et ce point est de la plus haute importance, — le chancelier a déclaré lui-même avoir constaté que Régnier n’avait pas reçu de mission de l’impératrice Eugénie, contrairement à ce qu’affirment les souvenirs de Bernstorff. ancien ambassadeur à Londres, publiés par son fils le comte Andréas.

« Il était naturel, dit Monts, que l’Empereur se préoccupât de Bourbaki que l’affaire de Metz avait mis dans le cas le plus fâcheux. Éloigné, par une intrigue, de son poste d’honneur à la tête de l’armée, sans troupes sous ses ordres, il se trouvait dans une situation telle qu’il était réellement digne de pitié. A plusieurs reprises, Napoléon, parlant de lui, s’était écrié : « Comme je suis désolé ! »

Monts se demande à quel point le gouvernement prussien fut mêlé à cette affaire si mystérieuse. Il croit pouvoir affirmer, d’après le livre de Bazaine, L’Armée du Rhin, que le chancelier n’y fut pas compromis, car Bazaine affirmait que Régnier était venu au nom de la régente. Le maréchal ajoutait que le quartier général prussien avait stipulé que le messager envoyé à l’Impératrice ne pourrait plus rentrer à Metz. Ainsi, le quartier général était dans son droit d’empêcher la rentrée de Bourbaki. Cela est faux, de toute fausseté. Jamais Bourbaki ne serait sorti s’il eût connu cette condition, puisqu’il avait demandé et obtenu de Bazaine la promesse que la Garde ne serait mêlée à aucune sortie en son absence et qu’on lui conserverait son commandement. Ce qui prouve encore que les Prussiens ont manqué à leur parole et que Bazaine avait trompé Bourbaki, c’est que Napoléon III, ayant su que ce général avait reçu l’autorisation de retourner à Metz et était parti de Londres pour s’y rendre, avait prié Monts de ne pas insister à ce sujet auprès de Bismarck, puisqu’il avait reçu satisfaction.

Quand l’Empereur eut appris que le commandement avait été donné à Bourbaki dans un des corps de la Défense nationale, il considéra ce nouveau poste comme une compensation. La nouvelle de la prise d’Orléans par les Prussiens l’attrista profondément et lui fit craindre une issue funeste de la guerre. Renonçant alors aux suggestions qui lui avaient été faites : « Il est impossible, dit-il, de gouverner en France après avoir perdu l’Alsace-Lorraine, » Il ajoutait que si, lui. Empereur, acceptait de telles conditions, tout retomberait sur sa tête. Le Parlement, l’opinion, les divers partis l’accableraient et lui reprocheraient une guerre insensée, terminée par de tels sacrifices, A quoi Monts répliqua qu’il fallait bien les faire, puisque les victoires de la Prusse la mettaient en droit de l’exiger. Il rappelait qu’en France on avait longtemps demandé la frontière du Rhin et la rupture des traités de 1815. La France avait souvent elle-même envahi l’Allemagne et fait des conquêtes sur son propre sol et même aurait voulu en faire davantage. Les exigences de la Prusse étaient bien naturelles. Il fallait régler une bonne fois son compte avec le gouvernement français et reculer les frontières allemandes pour avoir une paix qui durât. Sans doute, cela amènerait entre la France et la Prusse un état permanent d’hostilités, « On ne pouvait prévoir, avouait le général, si la lutte entre les deux nations ne deviendrait pas une guerre de Cent ans comme celle de l’Angleterre et de la France. » Mais cette paix si douloureuse était devenue une nécessité inéluctable.

Les écrits publiés par certains généraux, pour justifier leur conduite, affectèrent beaucoup l’Empereur : celui de Wimpffen lui fut, entre autres, très désagréable. Après l’issue si malheureuse de la bataille de Sedan, Wimpffen avait cherché à Stuttgard, où il était interné, à justifier ses opérations stratégiques et avait malmené naturellement certains officiers généraux. Napoléon lui donnait tort. It lui envoya le commandant Hepp pour lui demander certains renseignemens, car il s’occupait alors lui-même d’un travail approfondi sur la capitulation de Sedan. « Wimpffen, dit Monts, s’était fait peu d’amis à Stuttgard. L’Introduction de son livre, où il essaie de justifier sa propre conduite, est pleine d’éloges sur sa personnalité et sur ses exploits en Algérie. En lisant cet ouvrage, on voit que l’auteur, vers les trois heures, à la bataille à Sedan, ne pensait qu’une chose ; recueillir dans cette immense défaite une sorte de gloire personnelle, mais non pas s’efforcer de tenter une trouée, comme il l’avait dit, pour faire passer l’armée française ; car, à cette heure-là, la chose était devenue impossible. L’état des Français était désespéré, et la bataille devait fatalement avoir une issue désastreuse. »

C’est ici qu’il convient d’analyser le travail que l’Empereur a consacré à cette terrible affaire, travail peu connu, car la brochure qui la relate est très rare. Cependant, en 1871, elle fut remarquée en Angleterre et en Allemagne.

L’Empereur commence son récit en rappelant que, dès la déclaration de guerre, il avait laissé entrevoir ses préoccupations et surtout sa tristesse, quand il entendit une foule exaltée crier : « A Berlin ! à Berlin ! » « comme s’il se fût agi d’une simple promenade militaire et qu’il eût suffi de marcher en avant pour vaincre la nation la plus rompue au métier des armes et la mieux préparée à la guerre. » Il savait, ou croyait savoir, que la Prusse pouvait en réalité opposer 550 000 combattans à 300 000 Français. Pour compenser cette infériorité, il aurait fallu devancer l’ennemi, passer rapidement le Rhin, séparer le Sud du Nord et attirer par un coup d’éclat dans notre alliance l’Autriche et l’Italie. L’Empereur reconnaît par là que ces alliances n’étaient encore qu’à l’état de projets. Son plan de campagne, confié à Le Bœuf et à Mac Mahon, consistait à rassembler 150 000 hommes à Metz, 100 000 à Strasbourg et 50 000 à Châlons. Une fois ces troupes concentrées sur ces trois points. Napoléon réunissait les armées de Metz et de Strasbourg, passait le Rhin à Maxau, en laissant à droite la forteresse de Rastadt et à gauche celle de Gemersheim. Il forçait le Sud à la neutralité et allait à la rencontre des Prussiens, pendant que les 50 000 hommes de Châlons se dirigeaient sur Metz avec Canrobert et que la flotte, croisant dans la Baltique, retenait dans le Nord de la Prusse une partie des forces allemandes. Ce qui importait donc, c’était de gagner l’ennemi de vitesse. Mais Napoléon avait compté sans les retards dus aux vices de notre organisation militaire, le mauvais recrutement, la formation défectueuse de nos réserves, la distribution tardive et irrégulière des effets de campement, le peu d’initiative laissé aux commandans et aux intendans, une détestable routine administrative, toutes fautes avouées maintenant par l’Empereur. Il s’en prenait dans sa brochure à des préjugés détestables et à des habitudes invétérées, aux Chambres qui refusèrent les crédits et les réformés nécessaires, à l’opposition qui préconisait la levée en masse. Il se blâmait lui-même ainsi : « L’Empereur, confiant dans des armées qui avaient remporté de si glorieux succès en Crimée et en Italie, n’était pas loin de penser qu’avec leur irrésistible élan elles pourraient suppléer à bien des insuffisances et assurer la victoire. Ses illusions ne furent pas de longue durée. Arrivé à Metz le 28 juillet, il commença à craindre que des obstacles insurmontables ne fissent échouer ses projets. L’armée de Metz, au lieu de 150 000 hommes, n’en comptait que 100 000 ; celle de Strasbourg que 40 000 au lieu de 100 000 et le corps du maréchal Canrobert avait encore une division à Paris et une autre à Soissons. Son artillerie et sa cavalerie n’étaient pas prêtes. De plus, aucun corps d’armée n’était encore complètement muni des accessoires exigés pour entrer en campagne. »

Il est à remarquer qu’au sujet de ces erreurs et de ces défectuosités si déplorables, nul critique de la guerre n’a été plus sévère que l’Empereur. Il retrace les revers de Wissembourg, de Freschwiller, de Spickeren, puis il déplore « l’ignorance absolue où nous restâmes toujours de l’emplacement et des forces ennemies... A Paris on n’était pas, dit-il, mieux renseigné que nous. Ces tristes débuts de la campagne, ajoute-t-il, devaient naturellement affecter l’opinion publique d’une manière pénible. L’Empereur sentit qu’on le rendait responsable de la mauvaise situation de l’armée, tandis que celle-ci accusait le maréchal Le Bœuf des lenteurs et de l’insuffisance de l’organisation. Il se décida alors à donner le commandement au maréchal Bazaine dont tout le monde appréciait la capacité, et à supprimer les fonctions de major général. » Il aurait pu dire un mot de l’erreur générale qui attribuait à ce piètre chef des mérites qu’il n’avait pas, mais il n’en dit rien.

Napoléon III rapporte que, revenu avec Mac Mahon à Châlons, le ministère Palikao avait cru pouvoir l’affranchir de l’action constitutionnelle que l’Empereur devait seul exercer, « puisqu’il n’avait donné à la Régente que des pouvoirs restreints. » « Ainsi, les ministres convoquèrent les Chambres sans même en référer à l’Empereur et, dès que celles-ci furent assemblées, ce fut l’opposition qui vit grandir son influence et qui paralysa le patriotisme de la majorité et la marche du gouvernement. » Elle ne paralysa rien du tout. Les événemens désastreux, qui se suivaient sans relâche, furent plus forts que les hommes. « Depuis cette époque, déclare Napoléon, les ministres semblèrent craindre de prononcer le nom de l’Empereur et celui-ci, qui avait quitté l’armée et ne s’était dessaisi du commandement que pour reprendre en mains les rênes de l’Etat, se vit bientôt dans l’impossibilité de remplir le rôle qui lui appartenait. »

Ceux qui ont vu l’Empereur à cette date, — et j’en connais encore, — n’oublieront jamais le lamentable spectacle de ce prince malade, accablé de tristesse, sans autorité, sans crédit aucun, s’informant, comme un subordonné, auprès des généraux de ce que devenait l’armée, de ce qu’on allait faire, à peine écouté, à peine renseigné, ombre mélancolique errant à la suite des soldats qui, les uns le plaignaient, les autres ne le respectaient déjà plus !

L’infortuné raconte encore dans sa brochure la conférence de Châlons, l’hésitation logique de Mac Mahon à aller sacrifier son armée pour secourir vainement Bazaine, l’opposition du ministère à la rentrée sous les murs de Paris, la soumission définitive du maréchal, homme du devoir, à un sacrifice inutile, voulu par des politiciens. Il décrit la composition de l’armée de Châlons, à laquelle on imposait le plan le plus difficile et le plus téméraire, les ordres et les contre-ordres, la défaite de Mouzon ; puis, la lutte héroïque de nos braves soldats à Sedan, placés dans la situation et les conditions les plus défavorables, sa présence personnelle au milieu des troupes pendant cinq heures sous une pluie de projectiles et enfin la nécessité d’une capitulation reconnue inévitable par les commandans des divers corps d’armée. Il rapporte ses propres angoisses, sa lettre au roi de Prusse, ses entrevues le 2 septembre à Donchéry avec Bismarck, puis au château de Bellevue avec le Roi, et il dit que « le souvenir néfaste de cette journée ne s’effacera jamais de son esprit. » Voici comment il conclut. Cette page est d’un intérêt saisissant. La voici tout entière :

« Une si épouvantable catastrophe, conclut l’Empereur, ne doit pas seulement nous arracher des larmes ; elle doit être aussi féconde en enseignemens et fournir des leçons qu’on ne saurait oublier. Les succès de la Prusse sont dus à la supériorité du nombre, à la rigoureuse discipline de son armée, à l’empire qu’exerce dans toute l’Allemagne le principe d’autorité. Que nos malheureux compatriotes, qui sont prisonniers, profitent au moins de leur séjour en Prusse pour apprécier ce que donnent de forces à un pays le pouvoir respecté, la loi obéie, l’esprit militaire et patriotique dominant tous les intérêts et toutes les opinions. Certes, la lutte était disproportionnée, mais elle aurait pu être plus disputée et moins désastreuse pour nos armes, si les opérations militaires n’avaient pas été sans cesse subordonnées à des considérations politiques. Nous aurions été aussi mieux préparés si les Chambres n’avaient pas sans cesse été préoccupées de réduire le budget de la Guerre et si elles ne s’étaient pas toujours opposées aux mesures qui devaient augmenter les forces nationales... A ces causes principales de nos revers nous devons ajouter les regrettables habitudes introduites dans l’armée par la guerre d’Afrique. Manque de discipline, manque d’ensemble, défaut d’ordre, exagération du poids que porte le soldat et du nombre de bagages des officiers, tels sont les abus qui se sont introduits dans nos armées... Le laisser aller de la tenue influe sur l’esprit militaire et cet abandon se reproduit dans tout le reste. On ne sert plus avec cette régularité, cet amour du devoir, cette abnégation de soi-même qui sont les premières qualités de ceux qui commandent comme de ceux qui obéissent.

« En résumé, l’Armée réfléchit toujours l’état de la société dans laquelle elle a été formée. Tant que le pouvoir en France a été fort et respecté, la constitution de l’Armée a présenté une solidité remarquable ; mais lorsque les violences de la tribune et de la presse sont venues affaiblir l’autorité et introduire partout l’esprit de critique et d’indiscipline, l’Armée s’en est ressentie. »

Ces réflexions de l’Empereur sont très justes. Sans chercher à excuser par elles la faiblesse des préparatifs de l’Empire, ni ses fautes, on ne peut nier qu’elles ne soient vraies de tout temps, et ce souhait qui termine la brochure impériale doit toujours être médité : « Dieu veuille que le drame terrible qui s’est déroulé serve de leçon pour l’avenir ! »


HENRI WELSCHINGER.

  1. Napoléon III ans Wilhelmshöhe (1870-1871), Berlin, in-8, 1909.
  2. Wilhelmshöhe, par A. Mels, 1880.
  3. Hippolyte Flandrin, par Louis Flandrin, Perrin, 1909
  4. Le comte Arese, par le comte Grabinski, 1894.