La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 128

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CXXVIII

Li quens Rollanz en apelet Oliver : Cependant le comte Roland appelle Olivier :
« Sire cumpainz, se l’ vulez otrier, « Sire compagnon, ne serez-vous pas de mon avis ?
« Li Arcevesques est mult bons chevalers, « L’Archevêque est un excellent chevalier,
« N’en ad meillur en tere desuz cel, « Et sous le ciel il n’en est pas de meilleur :
1675 « Ben set ferir e de lance e d’espiet. » « Comme il sait frapper de la lance et de l’épieu !
Respunt li quens : « Kar li alum aider ! » « — Eh bien ! répond Olivier, courons l’aider. »
A icest mot l’unt Franc recumencet ; À ce mot, les Français recommencent la bataille.
Dur sunt li colp e li caples est grefs. Durs y sont les coups, et rude y est la mêlée ;
Mult grant dulur i ad de chrestiens. Les Chrétiens y souffrent grand’douleur.
1680 Ki puis veïst Rollant e Oliver Ah ! quel spectacle de voir Roland et Olivier
De lur espées e ferir e capler ! Y combattre, y frapper du fer de leurs épées !
Li Arcevesques i fiert de sun espiet. L’Archevêque, lui, y frappe de sa lance.
Cels qu’il unt morz, ben les poet hom preiser : On peut savoir le nombre de ceux qu’ils tuèrent :
Il est escrit es cartres e es brefs, Il est écrit dans les chartes, dans les brefs,
1685 Ço dit la Geste, plus de .iiii. millers. Et la Geste dit qu’il y en eut quatre mille...
As quatre esturs lur est avenut ben, Aux quatre premiers chocs tout va bien pour les Français,
Li quinz après lur est pesanz e grefs. Mais le cinquième leur fut fatal et terrible ;
Tuit sunt ocis cist Franceis chevaler, Tous les chevaliers de France y sont tués.
Ne mès seisante que Deus i ad esparniez. Dieu n’en a épargné que soixante ;
1690 Einz que il moergent, se vendrunt mult cher. Aoi. Mais ceux-là, avant de mourir, ils se vendront cher !


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Vers 1671. — Lire, en assonances, à la fin des vers de ce couplet : Olivier, chevalier, ciel, aidier, recumenciet, griefs, Olivier, preisier, briefs, milliers, O. bien, grief, chevalier, chier.

Vers 1672.Cumpaign. O. V. la note du vers 1051. ═ Volez. O. Vulez est plus conforme à notre phonétique, et vu se retrouve au commencement de presque tous les temps et modes du même verbe.

Vers 1673.Arcevesque... bon chevaler. O. Pour le cas sujet, il faut un s à la fin de ces trois mots. ═ Lire chevaliers.

Vers 1674.Meillor. O. V. la note du vers 51. ═ En tere ne suz cel. O.

Vers 1675. — Lire bien. V. la note du vers 2500.

Vers 1676.Car. Mu. Le manuscrit porte très-nettement Kar. ═ Aluns. O. V. notre note sur les 1res personnes du pluriel.

Vers 1677. — « Lorsque Roland vit ses hommes tomber ainsi, il courut tout au milieu de l’armée, et frappa des deux mains. Olivier en fit autant. » (Keiser Karl Magnus’s Kronike.)

Vers 1678.Colps. O. Pour le sujet pluriel, il faut colp.

Vers 1679.Dulor. O. V. la note du vers 489.

Vers 1680. — « Dans le manuscrit d’Oxford, ce passage de l’ancien texte a été violemment abrégé. Il existe, dans toutes les autres versions, quatre strophes entières entre les vers 1679 et 1680. » (Note de M. Th. Müller.) Ce sont ces quatre laisses que nous allons essayer de restituer, conformément à notre dialecte et aux habitudes de notre scribe. Le lecteur trouvera dans Mu. (pp. 108, 109) le texte de Venise IV, sur lequel nous nous sommes scrupuleusement guidé. Mais nous avons aussi emprunté quelques traits au texte de Paris. (Éd. Müller, pp. 110-112 ; éd. F. Michel, pp. 207-209.)


Li Franc de France unt lur armes perdues.
Uncore i unt quatre cenz espées nues ;
Fièrent e caplent sur les helmes ki luisent.
Deus ! tante teste i out par mi fendue,
Tanz osbercs fraiz, tantes brunies rumpues !
Trenchent les piez, les puignz e la faiture.
Dient païen : « Franceis nus desfigurent. (?)
« Ki ne s’ deffent de sa vie n’ad cure. »
Dreit vers Marsilie unt leur veie tenue,
A voiz escrient : « Bon reis, kar nus aïue »
E dist Marsilies — s’out sa gent entendue :
« Tere majur, Mahumet te destruet !
« La tue genz la meie ad cunfundue :
« Tantes citez m’ ad fraites e tolues
« Que Carles tient, ki la barbe ad canue !
« Rome cunquist e Puillanie trestute,
« Costentinnoble et Saisonie la lunge.
« Mielz voeill murir que pur Franceis m’en fuie.
« Ferez, païen : que nuls ne s’asoüret.
« Se Rollanz vit, la vie avum perdue ;
« E se il moert, Carles perdrat la sue. » Aoi.


Felun païen i fièrent de lur lances

Sur cez escuz e cez helmes ki flambent.
Fers et aciers en rent grant consunance ;
Sanc e cervele ki dunc veïst espandre !
Li quens Rollanz en ad doel e pesance
Quant veïst mort tant bon vassal catanie.
Or, li remembret de la tere de France
Et de sun uncle le bon rei Carlemagne.
Ne poet muer que sun talent n’en canget. Aoi.


Li quens Rollanz est entrez en la presse,

Ki de ferir ne finet ne ne cesset.
Tient Durendal, son espée qu’ad traite,
Rumpt cez osbercs e desmailet cez helmes ;
Trenchet ces cors e ces puigns e cez testes ;
Tels cenz païens ad jetez morz à tere.
N’en i ad un ki vassals ne quidet estre. Aoi.


Oliviers est turnez de l’altre part ;

De bien ferir li ber mult se hastat.
Trait Halteclere, s’espée que portat ;
Fors Durendal suz ciel meillur nen ad.
Li quens la tient e forment se cumbat ;
Li sancs vermeils en volet jusqu’as braz :

« Deus, dist Rollanz, cum cist est bons vassals !
« E ! gentilz quens, tant proz e tant leials,
« Nostre amistiez en cest jur finerat,
« Par grant dulur hoi se departirat.
« E l’Emperere, quant morz nus truverat,
« En dulce France jamais tel doel n’averat.
« N’i ad Franceis pur nus ne prierat,
« Enz es mustiers oraisun en ferat.
« En Pareïs la nostre anme jerrat. »
Oliviers l’ot e sun cheval brochat ;
En la grant presse à Rollant s’aproismat.
Dist l’uns à l’altre : « Cumpainz, traiez vus ça.
« Jà l’uns seinz l’altre, se Deu plaist, n’i murrat. »Aoi.


Ki puis veïst Rollant e Olivier, etc.

Vers 1682.Arcevesque. O. Pour le cas sujet, il faut arcevesques.

Vers 1683.Mort. O. Pour le régime pluriel, morz. ═ Lire bien. V. la note du vers 1500.

Vers 1684. — Dans la Keiser Karl Magnus’s Kronike, c’est Turpin qui dit : « Il a été trouvé dans les vieux livres que nous devons mourir pour la cause de la sainte foi. »

Vers 1685. — Lire Milliers. O. La forme millers se trouve (vers 1417, 1439, 1440, 2072, 2416, 2544, 2774) beaucoup plus souvent que milliers. (Vers 109 et 2685.) — Mais on ne trouve ce mot en assonanee que dans les laisses en ier.

Vers 1686.As quatre turs. O. Erreur évidente, que Mu. a rectifiée d’après Venise IV : A questo storm, et Versailles : A quatre estors. Venise VII porte : As quatre stors. ═ Lor. O.

Vers 1687.Quint. O. Pour le cas sujet, il faut quinz. ═ Lor. O. V. la note du vers 17. ═ Pesant et gref. O. Pour le sujet singulier, pesanz e griefs.

Vers 1688.Tuz. O. Pour le s. p., il faut tuit. ═ Chevalers. O. Il faut chevalier, à cause du cas sujet.

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