La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 15
XV | |||
Li Emperere en tint sun chef enbrunc, | L’Empereur tient la tête baissée ; | ||
215 | Si duist sa barbe, afaitat sun gernun, | Il tourmente sa barbe et tire sa moustache ; | |
Ne ben ne mal ne respunt sun nevuld. | À son neveu ne répond rien, ni bien, ni mal. | ||
Franceis se taisent, ne mais que Guenelun : | Tous les Français se taisent, tous, excepté Ganelon. | ||
En piez se drecet, si vint devant Carlun, | Ganelon se lève, s’avance jusque devant Charles, | ||
Mult fièrement cumencet sa raisun, | Et très-fièrement commence son discours : | ||
220 | E dist al Rei : « Ja mar crerez bricun, | « N’en croyez pas les fous, dit-il au Roi ; | |
« Ne mei ne altre, se de vostre prod nun. | « N’en croyez ni les autres ni moi ; n’écoutez que votre avantage.
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« Quant ço vus mandet li reis Marsiliun | « Quand Marsile vous fait savoir | ||
« Qu’il devendrat jointes ses mains vostre hum, | « Qu’il est prêt à devenir, mains jointes, votre vassal ; | ||
« E tute Espaigne tendrat par vostre dun, | « Quand il consent à tenir toute l’Espagne de votre main | ||
225 | « Puis receverat la lei que nus tenum. | « Et à recevoir notre foi, | |
« Ki ço vus lodet que cest plait degetum, | « Celui qui vous conseille de rejeter de telles offres, | ||
« Ne li chalt, Sire, de quel mort nus murrum. | « Celui-là ne se soucie guère de quelle mort nous mourrons. | ||
« Cunseill d’orguill n’est dreiz que à plus munt. | « C’est là le conseil de l’orgueil, et ce conseil ne doit pas l’emporter plus longtemps.
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« Laissum les fols, as sages nus tenum. » | Aoi. | « Laissons les fous, et tenons-nous aux sages ! » |
Vers 222. — Vos. O.
Vers 223. — Lisez juintes, qui est plus conforme à l’étymologie comme au dialecte, et se trouve aux vers 2015, 2240... ═ Tis hom. O. Nous avons suppléé vostre. Dans notre vieux texte, en effet, on ne voit pas les héros, comme dans la plupart de nos Romans, s’adresser à leurs interlocuteurs tantôt au singulier et tantôt au pluriel. Or Ganelon dit partout vous à l’Empereur. On ne saurait d’ailleurs alléguer que l’h, dans hom, soit aspirée ; car on lit au vers 1758 : Ço dit li Reis : « Bataille funt nostre hume ; » au vers 3714 : Soer chere amie, de hume mort me demandes ; et, au vers 2949 : En un carnel cumandez que hum les port, etc. ═ Nous avons écrit hum au lieu de hom, pour la plus stricte régularité de l’assonance. (V. le vers 2559 et la note du v. 20.)
Vers 225. — Receverat. O. L’abréviation est ici plus claire que partout ailleurs. V. la note du vers 48.
Vers 226. — Degetuns. O. Pour les premières personnes du pluriel, v. la note du vers 42.
Vers 227. — Lire calt, plus étymologique, et qui se trouve aux vers 1405, 1806. ═ Muriuns. O. V. la note du vers 420. De plus, le futur est ici fort nettement indiqué par le sens de la phrase.
Vers 229. — Tenuns. O. V. la note du v. 42.