La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 151

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2010 Olivers sent que la morz mult l’anguisset : Olivier sent l’angoisse de la mort ;
Ambdui li oil en la teste li turnent, Ses deux yeux lui tournent dans la tête,
L’oïe pert e la véue tute ; Il perd l’ouïe, et tout à fait la vue,
Descent à pied, à la tere se culchet, Descend à pied, sur la terre se couche,
Durement en halt si recleimet sa culpe, À haute voix fait son « Mea culpa »,
2015 Cuntre le cel ambesdous ses mains juintes, Joint ses deux mains et les tend vers le ciel,
Si priet Deu que Paréis li dunget Prie Dieu de lui donner son Paradis,
E beneïsset Carlun e France dulce, De bénir Charlemagne, la douce France
Sun cumpaignun Rollant desur tuz humes. Et son compagnon Roland par-dessus tous les hommes.
Falt li le coer, li helmes li embrunchet, Le cœur lui manque, sa tête s’incline,
2020 Trestut le cors à la tere li justet ; Il tombe à terre étendu de tout son long.
Morz est li quens, que plus ne se demuret. C’en est fait, le comte est mort...
Rollanz li bers le pluret, si l’ duluset ; Et le baron Roland le pleure et se lamente :
Jamais en tere n’orrez plus dolent hume. Aoi. Jamais sur terre vous n’entendrez un homme plus dolent...


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Vers 2010.Oliver. O. V. la note du vers 1500. ═ Mort. O. Pour le cas sujet, morz. ═ Angoisset. O. Pour l’assonance, anguisset, qui, d’ailleurs, se trouve au vers 3634. (Cf. anguissables.)

Vers 2011.Ansdous les oilz. O. Pour le cas sujet, il faut ambdui li oil.

Vers 2012.A l’ tere. O. Erreur évidente. ═ Sor son escu se gist vers Orient. L.

Vers 2013.Ciel. O. V. les notes des vers 545 et 1500.

Vers 2017.Karlun. O.

Vers 2018.Sur tuz. O. Lyon nous donne la vraie leçon : De sor toz homes son compaignon Rolant.

Vers 2019.Le helme. O. Pour le cas sujet, il faut li helmes.

Vers 2022. — Lire ber. O.

Vers 2023.Plus a été ajouté en marge. ═ Les Remaniements de Paris et de Lyon nous offrent dans cette laisse un incident qui n’était évidemment pas dans le texte primitif. Il s’agit de la communion symbolique d’Olivier qui lui est administrée par Roland : IIII poiz a pris de l’erbe verdoiant. — Li ange Dieu i descendent à tant ; — L’arme de lui enportent en chantant. (Lyon.) Nous avons parlé ailleurs de ce singulier sacrement, que l’on peut rapprocher de ces confessions faites à un laïque, dont nous avons aussi plus d’un exemple dans nos Chansons de geste. C’est la communion eucharistique reçue par les chevaliers sous l’espèce de l’herbe ou de la verdure. À défaut de prêtres, à défaut d’hosties consacrées, les chevaliers se communient avec des feuilles d’arbre, avec des brins d’herbe. Élie de Saint-Gilles rencontre un chevalier mourant. Plein de charité, il s’élance vers lui : Entre ses bras le prist, — Prist une fuelle d’erbe, à la bouce li mist. — Dieu le fait aconoistre et ses peciés gehir. — L’anme part. (B. N. Lav. 80, f° 77.) Dans Raoul de Cambrai, Savari communie Bernier après l’avoir confessé : Trois fuelles d’arbre maintenant li rompi : — Il les receut per corpus Domini. (Éd. Leglay, p. 327.) Et, dans le même poëme, on voit avant la bataille tous les chevaliers de l’armée se donner la communion sous la même espèce : Chascuns frans hon de la pité plora ; — Mains gentishons s’i acumenia — De III. pous d’erbe, qu’autre prestre n’i a. (Ibid. p. 95.) Dans Renaus de Montauban, Richard s’écrie : Car descendons à terre e si nos confesson, — Et des peus de cete herbe nos acomenion. (Éd. Michelant, p. 181, vers 26, 27.) Dans Aliscans, la communion de Vivien est réellement sacramentelle : Guillaume, par un étonnant privilége, a emporté avec lui une hostie consacrée, et c’est avec cette hostie qu’il console et divinise les derniers instants de son neveu. Quant à la communion par le feuillage, il faut la considérer uniquement comme symbolique, et c’est ce que prouvent jusqu’à l’évidence les vers plus haut cités de Raoul de Cambrai : Treis fuelles d’arbre receut per corpus Domini. Bref, on ne se confesse à un laïque qu’à défaut de prêtre ; on ne communie avec des feuilles qu’à défaut d’hostie. De ces deux rites il n’existe aucune trace dans le Roland, dont l’auteur nous paraît théologiquement moins ignorant et plus exact que tous nos autres épiques.

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