La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 31

La bibliothèque libre.
◄  Laisse 30 Laisse 31 Laisse 32  ►

XXXI

Tant chevalcherent Guenes e Blancandrins Ils ont tant chevauché, Ganelon et Blancandrin,
Que l’uns à l’altre la sue feit plevit Qu’ils ont fini par s’engager mutuellement leur foi.
Que il querreient que Rollanz fust ocis Ce qu’ils poursuivent tous deux, c’est la mort de Roland.
405 Tant chevalcherent e veies e chemins Ils ont tant chevauché par voies et par chemins,
Qu’en Sarraguce descendent suz un if. Qu’ils arrivent à Saragosse. Ils descendent sous un if...
Un faldestoed out suz l’umbre d’un pin, À l’ombre d’un pin, il y a un fauteuil
Envolupet fut d’un palie alexandrin : Enveloppé de soie d’Alexandrie.
Là fut li Reis ki tute Espaigne tint ; C’est là qu’est assis le Roi maître de toute l’Espagne.
410 Tut entur lui vint milie Sarrazin ; Vingt mille Sarrasins sont autour de lui ;
N’i ad celui ki mot sunt ne mot tint Mais on n’entend, parmi eux, sonner ni tinter un seul mot,
Pur les nuveles qu’il vuldreient oïr. Tant ils désirent apprendre des nouvelles.
Atant as vus Guenes e Blancandrins. Aoi. Voici, voici venir Ganelon et Blancandrin.


◄  Laisse 30 Laisse 31 : notes et variantes Laisse 32  ►


Vers 402. — Les remaniements de Venise VII et Versailles offrent ici une laisse de plus ; mais ce couplet ne nous semble pas avoir été dans l’original. On y voit Ganelon séduit en secret par les richesses des païens. Ce trait n’a rien de primitif : Li Sarazins esgarde Guenelon : — Cors ot bien fait et clere la façon ; — Le neis ot bel et chière de baron, — Proece ot grant et regart de felon. — Li cors li tremble aval jusqu’à l’talon. — Isnelement li a trait un sermon : — « Sire, dist-il, entendez ma raison. — Quidez vos prendre de Rollant vengeson ? — Par Mahomet, s’en faites traïson, — Mot est cortois li rois Marsilion, — Tote sa terre vos mettra à bandon ; — De son avoir aurez grant partison, — Or et argent, pailes et siglaton, — Muls et chevaux, chamels, ors et lion, » — Guenes l’entent, si baissa le menton. — D’une grant pièce ne dist ne o ne non. (Versailles, vers 568-574.)

Vers 403.L’un. O. Pour le cas sujet, il faut l’uns.

Vers 407.Faldestoet. O. Sur six fois, le d se trouve cinq fois à la fin de ce mot (faldestoed, 115, 452, 609, 2553, et faldestod, 2804).

Vers 408.Envolupet. O. Faldestoed vient du neutre faldistorium. Je laisse donc envolupet au neutre. ═ Palie alexandrin. V. la note du vers 2652.

Vers 410.Sarrazins. O. — Pour le cas sujet du pluriel, il faut Sarrazin. Notre scribe se trompe souvent sur cette règle essentielle, surtout quand le verbe est sous-entendu, ou lorsque le sujet est après le verbe. Nous n’en trouverons que trop d’exemples.

Vers 411.Celoi. O. Quelques vers plus bas (407) on trouve celui, et c’est la forme que nous avons adoptée : 1° par une raison de phonétique générale, la notation oi étant fort rare dans notre texte ; 2° comme étant plus en rapport avec la forme analogue lui et avec altrui. Il est vrai que l’on rencontre plus souvent celoi que celui. Mais ici, comme partout, nous faisons passer les règles générales avant les particularités.

Vers 413.As Guenes et Blancandrins. Après as ou ais (voici), on trouve tantôt le cas sujet (vers 889, 2009, 3818), tantôt le cas régime (vers 263, 1187, 3495). C’est ainsi qu’ecce gouvernait soit le nominatif, soit l’accusatif. Nous n’avons ici rien changé à notre texte, laissant au scribe la liberté de choisir entre deux systèmes également corrects.

◄  Laisse 30 Laisse 31 Laisse 32  ►