La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 5

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V

Li reis Marsilies out sun cunseill finet : Le conseil de Marsile est terminé :
Si’n apelat Clarin de Balaguet, Le Roi fait alors venir Clarin de Balaguer,
Estamarin e Eudropin sun per, Avec Estamaris et son pair Eudropin,
65 E Priamun e Guarlan le barbet, Priamon avec Garlan le barbu,
E Machiner e sun uncle Maheu, Machiner avec son oncle Matthieu,
E Joïmer e Malbien d’ultre-mer, Joïmer avec Maubien d’outre-mer,
E Blancandrin, pur la raisun cunter : Et Blancandrin enfin pour leur exposer son dessein.
Des plus feluns dis en ad apelez. Il s’entoure ainsi des dix païens qui sont les plus félons :
70 « Seignurs baruns, à Carlemagne irez ; « Seigneurs barons, vous irez vers Charlemagne,
« Il est al siège à Cordres la citet. « Qui est en ce moment au siége de la cité de Cordres.
« Branches d’olive en voz mains porterez : « Vous prendrez dans vos mains des branches d’olivier,
« Ço senefiet pais e humilitet. « Symbole de soumission et de paix.
« Par voz saveirs se m’ puez acorder, « Si vous avez l’art de me réconcilier avec Charles,
75 « Jo vus durrai or e argent asez, « Je vous donnerai or et argent,
« Teres et fieus tant cum vus en vuldrez. » « Terres et fiefs autant que vous en voudrez.
Dient païen : « De ço avum nus asez. » Aoi. « — Eh ! répondent les païens, nous en avons assez. »


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Vers 62.Marsilie. O. Pour le cas sujet il faut Marsilies.

Vers 63.Clarin. Mu. imprime Clarun ; O. porte très-nettement Clarin. — C’est aussi la leçon de V2., qui reproduit ainsi qu’il suit tout ce passage : Il en apelle Clarin de Balaguer — E Priamus, Galan e Babuer, — Estormarin e Orebe son per — E Loenes e Marprimant de mer — E Blanzardin por sa raison monstrer. Ici, comme ailleurs, V2. se rapproche beaucoup de Vs. et n’en diffère guère que par des variantes orthographiques.

Balaguet. — C’est Balaguer en Catalogne, « le point le plus lointain qu’aient atteint les armes de Roland. » (G. Paris, Revue critique, 1869, n° 37, p. 173.) Roland se vante, en effet, de l’avoir conquis à Charlemagne (v. 200). — Balaguer (Ballegarium, Valaguaria, Bergusia ?) est une place forte à trois lieues de Lerida.

Vers 67.Joüner. Mu. On lit aussi bien, dans le ms., Joïmer.

Vers 68.Blancandrins. O. Pour le cas régime il faut Blancandrin.

Vers 70.Carlemagnes. O.

Vers 71.Cordres. Génin (p. 8), d’Avril (p. 147) et A. de Saint-Albin (p. 20) traduisent par « Cordoue ». Or, Marsile, qui est à Saragosse, envoie des messagers à Charlemagne qui est à Cordres. Les messagers font la route en un jour. S’il s’agissait de Cordoue, il leur aurait fallu traverser toute l’Espagne, et c’était un voyage de plusieurs semaines. Donc, en nous plaçant au point de vue strictement topographique, il n’est pas ici question de la véritable Cordoue. « Il est clair, en effet, que la ville désignée par le nom de Cordres est près des Pyrénées » (G. Paris, Revue critique, 1869, p. 174.) ═ Cette ville joue un très-grand rôle dans toute notre légende épique. L’auteur de ces Notes a découvert, dans le cycle de Guillaume, un poëme inconnu jusqu’à ce jour et auquel il a dû donner pour titre : « La Prise de Cordres. » (B. I. 1448, f° 164, xiiie siècle.) On y raconte la lutte d’Aïmer, frère de Guillaume, contre le roi Butor. Toutefois, ce n’est pas Aïmer, mais Guibert, un autre fils d’Aimeri de Narbonne, qui parvient à vaincre et à tuer le Roi païen. Tous les frères de Guillaume s’emparent ensuite de Cordres, de Séville et de presque toute l’Espagne... Il semble bien ici qu’il s’agisse vraiment de Cordoue. ═ En somme, nos épiques avaient dans la mémoire un certain nombre de noms célèbres, et les décernaient un peu au hasard. L’auteur de la Chanson de Roland est, à beaucoup près, le plus sérieux ; et néanmoins je le crois très-capable d’avoir complètement ignoré la situation de Cordoue, dont il ne savait que le nom et qu’il pouvait fort bien s’imaginer être au nord de l’Espagne.

═ Suivant la Keiser Karl Magnus’s Kronike, « l’Empereur assiégeait un château nommé Flacordes. »

Vers 72.Olives. O. Cf. le vers 80.

Vers 76.Fiez. O. Aucun mot ne se présente peut-être dans notre Chanson sous des formes plus variables. Nous trouvons feu, feus (v. 2680, 885, 3399) ; fiet et fiez (v. 472, 76) ; fieus (v. 315) ; fiu et fius (v. 432, 820). De l’étude de ces différentes formes il résulte que l’i parasite triomphe dans la plupart d’entre elles, ainsi que la diphtongaison eu et ou (fiu et fius devaient se prononcer fiou). ═ Lire feus, pour nous conformer à nos observations précédentes.

Vers 76.Vos. O. ═ Vulderez. O. — V. la note du v. 38.

Vers 77.De ço avum nus assez. Le sens est obscur, ou, pour mieux dire, il se présente deux sens. Les païens, en effet, peuvent s’écrier : « C’est assez ; nous avons bien compris ; » ou : « Des terres ! nous en avons assez. » C’est ce dernier sens qui a été jusqu’ici adopté par tous les traducteurs. V2. et Vs. se contentent de dire : Ben s’en deit hom pener. Une banalité qui n’explique rien.

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