La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 74

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LXXIV

D’altre part est Turgis de Turteluse ; D’autre part est Turgis, de Tortosa ;
Cil est uns quens, si est la citez sue ; C’est un comte, et cette ville lui appartient.
De chrestiens voelt faire male vode.
Il ne rêve que de faire le plus de mal possible aux chrétiens,
Devant Marsilie as altres si s’ajustet, Et, devant Marsile, s’aligne avec les autres :
920 Ço dist al Rei : « Ne vos esmaiez unkes. « Pas tant d’émoi, dit-il au Roi.
« Plus valt Mahum que seint Pere de Rume ; « Mahomet vaut mieux que saint Pierre de Rome ;
« Se lui servez, l’honur del camp ert nostre. « Si vous le servez, l’honneur du champ est à vous.
« En Rencesvals à Rollant irai juindre, « À Roncevaux j’irai rejoindre Roland :
« De mort n’averat guarantisun pur hume. « Personne ne le pourra préserver de la mort.
925 « Veez m’espée ki est e bone e lunge, « Voyez cette épée, elle est bonne, elle est longue ;
« A Durendal jo la metrai encuntre, « Je la mettrai devant Durendal,
« Asez orrez la quele irat desure. « Et vous saurez quelle sera la victorieuse.
« Franceis murrunt, se à nus s’abandunent ; « Si les Français engagent la lutte, ils y mourront.
« Carles li velz averat e doel e hunte, « Le roi Charlemagne n’en tirera que douleur et honte,
930 « Jamais en tere ne porterat curune. » Aoi. « Et plus jamais sur la terre ne portera couronne ! »


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Vers 916.Turteluse. C’est Tortose, qui joue un rôle si considérable dans tout le cycle de Guillaume. Historiquement parlant, cette importance est justifiée. Louis, fils de Charlemagne, fit en 809-810 le siége de Tortose, et s’en empara en 811. (Eginhard, Annales, ann. 809. — L’Astronome Limousin, §§ 14-16. Pertz, Scriptores, ii, 613-615.)

Vers 917.Citet. O. Pour le cas sujet, il faut citez.

Vers 918.Male vode. Mot difficile : on a voulu le rapporter à vuide, venant de viduus. Mais c’est une hypothèse très-contestable. ═ Venise IV donne : male hore ; Venise VII et Versailles : tel devore.

Vers 919.S’ajust... O.

Vers 920. — Lire vus. ═ Unches. O. V. la note du vers 629.

Vers 921. — Lire seinz Peres, à cause du sujet. ═ Lire iert, au v. 922.

Vers 924.Avrat. Mu.

Vers 926.Durendal. ═ Nous essaierons de résumer ici, en quelques propositions claires, toute l’histoire de Durendal (Durindart, Venise VII ; Durandart, Versailles. ; Dirindarde dans le Charlemagne de Venise ; Durlindana dans les Reali, etc.)... a. Suivant Fierabras (vers 651), cette fameuse épée aurait été (comme Musaguine et Courtain) l’œuvre du forgeron Munificans : Et Munificans fist Durendal au puign cler. Mais beaucoup d’autres autorités l’attribuent à Galant ou Veland, ce forgeron sur lequel les Sagas islandaises racontent tant de merveilles et dont l’histoire a été calquée sur celle de Dédale, qui, surpris et fait prisonnier par le roi Niduth, assassina les deux fils et déshonora la fille de ce roi, puis se fabriqua des ailes et s’envola... (V. Vœlemdarquida et Vilkina Saga, analysées dans l’opuscule de MM. Depping et F. Michel : Veland le Forgeron, Dissertation sur une tradition du moyen âge.) — b. Huon de Bordeaux : (xiie s. Sorb. 450, f° 230, r°), le Doolin de Mayence en prose (xve s., éd. de 1501, f° 28), Garin de Montglane (xiiie s. Lav., 178, f° 36), s’accordent à faire sortir Durendal de la forge de Galant. — c. D’après l’auteur de Doolin de Mayence, qui reproduit un Roman antérieur : « Quant elle fut faicte, elle fut essayée et couppa quatre pièces d’acier moult grosses à ung coup. » — d. La Karlamagnus Saga (xiiie s.) ne manque pas d’attribuer notre épée au même ouvrier : « Durendal fut forgée, dit-elle, par le célèbre Galant d’Angleterre, et donnée à l’Empereur par Malakin d’Ivin, comme rançon de son frère Abraham. » (Bibl. de l’Éc. des Chartes, xxv, 101.) — e. D’après la Chanson de Roland, c’est dans la vallée de Maurienne que Dieu manda à Charlemagne par un Ange de donner cette épée au meilleur de ses capitaines. La Karlamagnus Saga complète ce récit : « Charles était alors sur le point de mettre la paix entre les Romains et les Lombards, » et l’Ange qui lui apparut ainsi est saint Gabriel. — f. Mais cette légende est loin d’être uniformément adoptée. D’après les Enfances Charlemagne de Venise (comm. du xiiie s.) Charles aurait enlevé à l’émir Braibant, vaincu par lui, sa célèbre épée Durendart (Direndarde). Même version dans la Cronica general de España (xiiie s.) : mais l’adversaire du jeune Charles, qui veut lui ravir Galienne, s’appelle ici Braimant. C’est aussi le nom qu’il porte dans les Reali di Francia. (V. 1350.) Seulement Durendal (Durlindana) est l’épée d’un autre chef sarrazin, de Polinaro, qui est tué par Mainet. (27-32.) Et Doolin de Mayence répète encore au xve siècle : « Durandal fut conquise par Charlemaigne sur Braymont l’amiral, » et Garin de Montglane avait dit, au xiiie s. : Durendal qu’il [Karles] conquist à Brubant. — g. À côté de ce groupe imposant, Aspremont nous offre une autre version. La conquête de Durendart est l’objet même de ce poëme : Or vous dirai... si cum li rois i adouba Rolant — Et il li ceint à son côté le brant ; — Ce dist la geste, Durendart la trenchant. — C’est la premiere dunt il onques fist sanc, — Dont il ocist le fil roi Agoulant... (Éd. Guessard, p. 1, vers 12-18.) Roland, qui n’est pas encore chevalier, lutte avec le jeune Eaumont, fils d’Agolant, s’empare de Durendal et tue le prince sarrazin d’un coup de cette épée qui deviendra si célèbre entre ses mains. Aussi, lorsqu’il s’agit d’adouber le neveu de Charles, choisit-on Durendal entre trois cents épées pour la ceindre au jeune héros. — h. Nous n’avons pas à raconter ici tous les exploits que Roland accomplit avec cette arme glorieuse. Mais nous devons dire comment, d’après la légende, il manqua trois fois de la perdre : 1° Maugis la lui vola (Renaus de Montauban, éd. Michelant, p. 306) ; 2° Alori s’en empara une autre fois par ruse : Il saisist Durendart au costiaus d’acer bis. — Le branc geta del fuer, moult fu maltalentis (Jean de Lanson, B. N., 2495, f° 2, v°) ; 3° dans le Karl Meinet, du comm. du xive s., il existe un épisode que l’on peut intituler Ospinel. On y voit Roland disputer à Olivier l’honneur de combattre Ospinel ; Olivier lutte contre le roi païen avec l’épée Durendal, que son ami lui prête. Ospinel est vaincu, se convertit et meurt, et Roland se prend d’amour pour sa fiancée Magdalie. Mais en l’enlevant, il perd, ou plutôt il oublie sa bonne épée. Il s’agit de la retrouver. On livre bataille au roi sarrazin Sibelin, qui avait enlevé Magdalie. La jeune fille est reconquise, et Durendal retrouvée. (Hist. poét. de Charlemagne, p. 490.) — i. Les qualités de Durendal sont merveilleuses... Charles l’avait fait essayer sur le fameux perron qui se trouvait au seuil de son palais : elle avait résisté, ainsi qu’Almace, l’épée de Turpin. Courtain, l’épée d’Ogier, moins heureuse, fut écourtée d’un demi-pied. (V. Renaus de Montauban, éd. Michelant, p. 210, et la Karlamagnus Saga, i, 20, citée par G. Paris, l. I., 370.) D’après Ospinel (l. I.), Durendal assurait à son possesseur le royaume d’Espagne... Son acier, d’ailleurs, est célébré par tous nos poëtes... — j. Au portail de la cathédrale de Venise, Roland est représenté tenant une forte épée, sur laquelle il est écrit : Durindarda. (V. la reproduction de cette statue, p. 67.)

Vers 927. — Lire la quel. ═ Vers 928. Si. O. V. la note du vers 605.

Vers 929. — Lire plutôt vielz. ═ Avrat. Mu. V. la note du vers 38. ═ Deol. O. Erreur évidente ; transposition de voyelles.

Vers 930.Curone. O. Cf. les vers 388 et 2585, où le mot curune est conforme à la phonétique de notre texte. L’assonance demande également curune. ═ Au vers 932, lire Sarrazins.

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