La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XLIII

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 166-169).

Chapitre quarante-troisième.
Comment on doit deffere le sanglier.


Comment on doit chassier le senglier diray-je quant je parleray du veneur ; mes quant il est pris il le doit deffere en telle manière : premièrement ansois que le senglier soit trop refroydie, il le doit ouvrir la guelle tant comme il pourra et mettre un baston entre les deux maisselles dessouz et dessus, qui li fassent tousjours tenir la guele ouverte. Après li doit couper la hure. Et devez savoir que einsi que on doit apeller du cerf et des doulces bestes la teste, einsi doit on apeler d’ours, de senglier, de lou et des autres bestes mordans la hure. Donc preinhe le sanglier par la hure et l’encise tout autour à trois dois de l’oreille par dessus le col et taille tout autour jusques à l’os du col, et li desneue ; et teurse la teste et elle s’en vendra ; puis li doit oster les trasses en telle manière. Preigne le destre pié devant, et coupe par dedenz la jointe ; et quant la jointe sera coupée, coupe le cuyr au long de la jambe vers le corps ; et en celle pel doit il faire un pertuis, pour la tenir ou pendre là où l’en voudra, et einsi meismes l’autre pié devant. Einsi meisme coupe les deux piés derrière, à la première jointe près des os ; et fasse comme dit est devant ; et mete un baston de pied de demi de long entre les deux jambes de devant et aussi ès derrière parmi deux pertuis qu’il fasse. Puis preinhe un baston fort et le mete tout au long desouz les bastons susdis, et soit pris par les deux boutz le dit baston, et sanglier levé et porté sus le feu et ilec soit bien fouaillé[1] et bruslé. Et devez savoir que fouaill doit l’en apeller de senglier einsi que on doit apeller cuyrée de cerf. Pour ce qu’il se fet sus le feu ; et cuyrée sus le cuyr du cerf ; et soit tourné puis d’une part puis d’autre, tant que nul poil ni demuere ; mès soit gardé quil ne s’arde trop ; et soit batu, tout autour, de bastons et bien froté, affin que tout le poil en chiée, et puis bien refroter d’un torchon. — Puis le doit tourner sur le dos, les piez et le ventre contre mont et doit fendre contre mont et doit fendre les coullons et bouter sus le ventre de son genoill et les trère hors. Aucuns les ostent tantost que le senglier est mort pour mengier ; mes le droit est de les geter sus le feu pour les chiens. Après doit prendre le jambon droit devant et en droit du coute il doit enciser le cuyr de son coutel tout autour ; et doit bouter son coutel entre le cuyr et la char et couper la chair aval ; puis doit tirier à soy le jambon en teurdant bon et ferir du cul d’une hache et l’os rompra ; puis doit couper et cuyr et char endroit la rompeure de l’os ; et doit metre le jambon apuyé sur les costez du sanglier et à terre, affin que le sanglier se tienhe qu’il ne chiée de celle part et fasse einsi de l’autre jambon. Et des derrière à la jointe qui est devant de genoill haut, que on appelle la truffe ; là le doit desjoindre et couper entre le cuyr et la char tout autour de la jointe jusques au derrière de la char du jambon plus haut que le jarret, et einsi meismes en l’autre ; et les doit apuyer sus chescune cuysse, affin que le senglier se tienhe droit : et doit fendre le cuyr sur le vit, et fendre tout autour, en escharrie[2] de deux dois de chascune part puis doit le tirer à soy et le descharner jusques là au bas et là le doit il couper. Puis doit couper dès la gorge, d’une part et d’autre entre les deux jambons, tout au long de la poytrine en eslargissant son taill einsi comme vendra plus aval jusques au font du ventre et des cuisses et puis doit cela renverser dessus la poytrine ; puis doit couper les os entre la poytrine et les costez de chescune part ; et couper tout oultre devers la gorge. Puis doit trere hors la bouelle et la panse et tout vuidié soit geté sur le feu pour les chiens.

Aucuns menjent le glanier du sanglier et la ratelle et le foye ; mes par rayson doit estre des chiens, si doit estre tout jeté sur le feu ; puis doit lever les nombes ainsi comme j’ay dit du cerf : et est le droit que celuy qui la tue de l’espée sans ayde de levrier ni d’alant, en Gascoinhe et en Lenguedoc, les doit avoir.

Tout le sang du sanglier soit gardé dedenz aucun vaissel pour fère le fouaill aux chiens. Puis doit tourner le sanglier à ventrillons et lever l’eschine. Et doit commencer à lever leschine au bout dessus, vers le col, de la largeur de trois dois et d’une part et d’autre de l’eschine, il doit enciser de son coutel jusques à la cueue et puis couper os et tout selon ce qu’il hara encisé et puis oster l’eschine des costez, que l’en doit apeler lès[3] et de cerf costez ; et aussi le bourbelier du sanglier, ce que on doit apeller la hampe du cerf. Et quant l’eschine est levée, donc demuerent les deux lès chascun à sa part. Et einsi se deffet senglier en Gascoinhe et en Lenguedoc de ceulx qui le scevent fere ; aussi se fet il en Bretainhe ; mes en France ay je veu que on levoit la queue du sanglier einsi que on fet du cerf et un colier tout entour le col tout au travers qui a trois dois de lé, ou environ, et celuy colier tient à l’eschine. Après doit fere le fouaill et le droit aux chiens en telle manière comme j’ay dit du foye et de la ratelle. Tout quant qui est dedans le sanglier doit estre mis au fouaill sur le feu pour fere le droit aux chiens, et les boyaus tourner, puis d’une part puis d’autre sus le feu et bastre de bons bastons et puis retourner sur le feu trois fois ou quatre, jusques tant qu’ilz soyent bien cuiz et vuydiez. Et on doit prendre du pain selon les chiens qui y sont ou pou ou trop et fère plateaus tout autour du pain, et puis ces plateaux mouillier dedenz le sang que on hara gardé dedenz le vaissel et geter sus les breses les dis plateaux ensantez, et d’une et d’autre tourner ; puis soit découpé, et boyaus et pain et tout quant que le senglier avoit dedens soy et meslé ensemble. Et quant il sera un peu froit, si forhue les chiens, et les fasse mengier.

L’en fait le fouaill aux chiens pour deux choses : l’une quar la chair ne le sang du sanglier n’est point si plesant ne si savoureuse à mangier aux chiens comme est du cerf ou d’autre beste rousse ; et pour ce, quant elle est cuyte, elle est plus savoureuse et plus voulentiers la menjent ; et aussi y leur fait plus grant bien quand elle est cuyte et chaude que se elle estoit crue et froyde ; quar ou le temps que l’on chasse les sangliers, il fet grans frois, et par aventure les chiens aront passé yaues, ou hara pieu sur eulz ; einsi que le feu, quant ilz sont revenuz à l’ostel, leur fait grant bien pour la froidour et pour ressuyer les, tout einsi les fait grant bien le fouaill quant il est cuyt, quar il leur eschaufe dedans tout le corps. Et doit estre fete la cuyrée du cerf, par droit, là où la prennent, comme j’ay dit, se on ha de quoy le fere, ou il n’est trop tard ; et du senglier doit estre fet le fouaill quant on est revenu à l’ostel. Ore se le vallet des chiens aprent bien ce que j’ay dit, et aime son mestier, et y a bonne diligence, et est subtil, et a bonne connaissance et bon sen naturel, je vous promet qu’il sera bon vallet de chiens et bon veneur. Devez entendre que je ne met point en mon livre quester ne leisser courre de limier, se n’est de cerf et de sanglier ; quar les autres bestes, tant de douces comme de mordans, diray je comment chescun se doit quester chassier et prendre et deffere, et fere le droit aux chiens, quant j’aray fet veneur de cet enfant que j’ay jà fet vallet de chienz.

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  1. Fouaillé. Flambé.
  2. Escharrie. Peut-être faut-il entendre en esquerre.
  3. Lès, côtés. Froissart, racontant le duel de Carouge et de Legris, s’exprime ainsi : « Et avoit sur l’un des lez des lices faits de grans echaffaux, pour mieux voir les seigneurs en bataille les deux champions. »