La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XLIV

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 170-173).

Chapitre quarante-quatrième.
Ci devise comment on sera bon aide.


Et puis qu’il est vallet de chiens, je le vueill monter et fère ayde et enseinher comment il sera bon ayde einsi comme il est bon vallet de chiens. Toutes voyes loe-je que quant il sera monté, il ait l’aage de vingt ans ; si que toute sa vie il ait hanté, comme j’ay dit, avec les chiens, fors que les sept ans qu’il avait quant je le fiz premièrement page. Donc convient premièrement que l’ayde soit monté de deux bons chevaulx au moins ; et doit aller en queste einsi comme font les veneurs et vallez que j’ay dit, à tout un vallet[1] qui li maine son limier. Et quant son limier encontrera à matin, il doit mettre pié à terre, à regarder en terre et ès autres signes que j’ay suz dis ; et brief quester et destourner le cerf par la manière que j’ay devisée du vallet de chiens ; et doit estre revenu à l’asemblée le plus tost qu’il pourra ; mes qu’il ait bien fete sa besoinhe. Et s’il ne puet fere sa voulenté, il puet demourer jusques à haulte prime, et puis s’en doit revenir à l’asemblée ou fet ou non fet. Et s’il ha destourné le cerf et qu’il doive leissier courre, et son vallet ne set encore bien parfaitement leissier courre, il doit mettre pié à terre et faire la suyte comme j’ay dit. Et quant il hara leissié courre ou luy, ou bien un autre, il doit aydier à descoupler les chiens. Et se ses chiens en aloyent acouplés, venir au devant et les descoupler. Puis doit demourer un petit là où il hara leissié courre, pour escouter se les chiens se partiront[2], ou iront touz à un cri. Et se les chiens se partent, il doit prendre le vent et venir au devant des chiens ; et s’il voit qu’ilz chassent le change, il les doit brisier et menassier, comme j’ay dit devant, et les apeller et tirer au grant cri des autres qui chassent le droit. Et sil voit que ce soit son droit, il doit forhuer et corner chasse et leissier passer touz les chiens qui le chasseront. Et puis se mete après et chevauchier menée : c’est à dire par où les chiens et le cerf vont ; et fere, et chassier tout einsi comme un veneur doit fere, laquelle chose je diray plus à plain, quant je parleray du veneur. Et s’il y a des veneurs qui chassent leur droit, tant de fois comme il orra[3] les chiens chassier en deux ou trois parties, il les doit brisier et retourner au grant cri et à leur droit ; mes s’il ne savoit que les autres chassassent leur droit, il ne les doit pas brisier, jusques tant qu’il sache bien que[4] ils chassent ; quar moult de fois avient que deux chiens ou quatre enmainent leur droit et toute la muete et les veneurs aquieudront[5] le change. Et pour ce doit il regarder, ansois qu’il brise les chiens, s’ilz chassent la folie ou le droit ; et einsi doit il fere tout le jour. Et se ces deux ou quatre chiens, qui chassent leur droit, venoient en lieu près où les releis fussent, il doit faire releisser[6] ; et chasser, tout le jour, après menée, s’il y a pays par où il le puisse tenir ; et se non, le plus près qu’il porra de ses chiens, prenant touzjours le vent ; et fere bien souvent brisées pendantes, ou en terre ; et par tout, où par passées de voyes, ou par autre mol terrain, où il pourra veoir en terre, il doit touzjours regarder, affin qu’il ne change son droit, jusques tant que le cerf soit pris. Et s’il l’a leissié courre, il le doit deffere en la manière que j’ay dit dessus. Et le cheval qu’il ha mené à matin en queste doit il envoyer au releiz et chevauchier l’autre. Et s’il vient au releis, il doit remonter sur l’autre, affin que l’un des chevaux ait moins de poyne.

Les valetz de chiens, et les aydes et les veneurs doivent tenir chescun son limier en sa chambre, pour trop de raysons ; quar ils en sont plus netz, et devienent plus tard roinheuz. Et aussi plus seront ensemble son meistre et le limier, et l’un saura mieulz les coustumes de l’autre ; et mieulz se connoistront ; et li pourra enseinher trop de choses à l’ostel qu’il ne feroit au bois : couchier et lever, et faire mengier et leissier, et faire crier et tere, et aller devant et demourer derrière, et trop d’autres choses pour metre le en bonne créance et doubtance et amour. Et s’il est au chenil, ce sera tout au contraire ; quar il deviendra roinheus pour le chenill et chalour des autres chiens, ou perdra les piés. Et aussi il ne sera de si très bonne créance, ne fera si bien la volenté de son meistre ; quar il ne le hantera ne continuera fors tant comme il le trera hors du chenill et le menera au bois et le retournera arrière au chenill. Et qui veult bien afetier[7] son limier il le doit prendre et tenir avecques luy dès qu’il ara un an et fere les autres choses que j’ay dessus dit : et s’il y avoit nul cerf en parc ou privé, il le doit fère suyr de hautes erres et de bonnes ; espicialement li enseinher de suyr de hautes erres au commencement ; quar touzjours assent chiens voulentiers de bonnes erres ; et de haultes erres ne le font pas. Et s’il puet avoir des testes des cerfs que on prendra à l’ostel, il le doit fere trainer, et celuy qui le traynera doit aller une fois arrière et autre avant en reusan. Et quant il ara tant suivy, qu’il ara trouvé ou l’en ara mussé la teste, lors le doit-il fere grant feste et li fere tirier la teste ou li donner de la char cuyte, sil en ha. Aussi li puet il fere trayn de char. Devez savoir que un lymier ou plus fet de suytes, et meilleur en devient. Mes pour ce que touzjours un limier ne fet pas les suytes, quar aucunefois l’un des compainhons destourne le cerf et fet la suyte et l’autre fois l’autre. Qui[8] que lesse courre, celui qui vuelt afetier son chiau doit suyr après le limier qui fet la suyte, non pas de près : mais un petit loinh ; quar l’un lymier se balansseroit pour l’autre espicialment le chiau qui aroit le cuer et la voulenté à celuy qui l’iroit devant, et n’aroit point le courage à l’assentir en terre ; et le doit tenir court ; et quant hon ara leissié courre, encore le doit fère suyr un pièsse menée et chassier routes. Et s’il vient aux passées où le cerf sera passé, il le doit fere chassier routes une piesse toutes les fois qu’il vendra aus passées. Et ainsi fera il son limier bon, s’il est de bonne nature et le scet bien fere. Et quant l’ayde sera retourné à l’ostel, s’il y a aucune chose, comme sont moulez de gelines, ou un pasté, ou semblans choses petites, il doit mengier un petit et boyre une fois ou deux. Puis doit aller veoir ses chevauls et les fere veoutrer et les froter et aysier de tout quant qu’il pourra luy et son varlet, comme est de bonne litière et de foin et d’avoine. Et s’ilz ont heu male journée, espicialment en yver, il les doit donner à boire de l’eaue tiède meslée de bonne farine de fourment ; puis s’en doit aler ou chenil pour veoir quantz chiens faillent, ne quieulz, et pour veoir se ils ont l’eaue fresche et bonne litiere et du feu, et s’ilz sont moulliez ou fet froit, et autres choses semblables à leur aise. Après s’en doit revenir à son seinheur fère relation des choses surdites. Et puis s’en doit aler souper et bien boyre et puis dormir ; et le seinheur le doit donner de sa viande pour ce qu’il a bien fet son devoir.

Séparateur

  1. À tout un vallet. Avec un valet.
  2. Partiront, sépareront. Partent, séparent. Voyez la note 1re de la page 54.
  3. Orra, ouira.
  4. Que ils chassent. Ce qu’ils chassent.
  5. Aquieudront, prendront, du verbe accueillir, prendre.
  6. Releisser, donner les relais.
  7. Afetier. Voyez la note de la page 143.
  8. Qui que lesse courre. Quel que soit celui qui laisse courre.