La Chimie physique et ses applications/Texte entier

La bibliothèque libre.
Traduction par A. Corvisy.
Librairie scientifique A. Hermann (p. 3-TdM).
LA
CHIMIE PHYSIQUE
ET SES APPLICATIONS
Huit leçons faites sur l’invitation
DE L’UNIVERSITÉ DE CHICAGO
DU 20 AU 24 JUIN 1901
PAR
J. H. VAN’T HOFF

Ouvrage traduit de l’allemand
PAR
A. CORVISY
Professeur agrégé au Lycée de Limoges

LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA CHIMIE
LA CHIMIE PHYSIQUE ET L’INDUSTRIE. — LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA PHYSIOLOGIE. — LES ENZYMES
LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA GÉOLOGIE

PARIS
LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE A. HERMANN
ÉDITEUR, LIBRAIRE DE S. M. LE ROI DE SUÈDE ET DE NORWÈGE
6 et 12, rue de la Sorbonne, 6 et 12
1903

PRÉFACE


Les leçons suivantes ont été faites sur l’invitation de l’Université de Chicago à l’occasion du dixième anniversaire de la fondation de cette Institution. Comme le temps m’avait manqué pour la préparation complète de chacune de ces Leçons, le texte en a été remanié en vue de la publication d’après la reproduction sténographique ; toutefois il n’en diffère pas essentiellement, et l’on a fait en sorte de conserver à ce petit ouvrage le caractère d’un souvenir de beaux jours de fête. L’introduction forme la matière d’une de ces causeries appelées en Amérique « Educational conference », pour laquelle les invités de l’Université avaient été convoqués dans la salle de « Kent Theatre ».

Je dois remercier ici Monsieur le Docteur Barschall pour le soin qu’il a apporté à la correction des épreuves.

Charlottenbourg, juillet 1902.
J. H. van’t Hoff.

INTRODUCTION


Me proposant de faire pendant ces quelques jours une série de leçons sur divers chapitres de la chimie physique, j’utiliserai comme introduction à ces leçons la séance actuelle que vous nommez l’Educational Conference.

Je vous dirai d’abord qu’un de nos meilleurs historiens de la chimie moderne, Ladenburg, dans son Développement de la chimie pendant les vingt dernières années, fait ressortir que ce qui caractérise l’évolution de la science chimique pendant ces quinze ou vingt années, c’est la poussée de plus en plus vigoureuse de la chimie physique, ou, comme d’autres l’appellent, de la chimie générale.

Laissez-moi vous exposer brièvement la marche ascendante de cette chimie physique et son état actuel ; permettez que pour cela je m’appuie, en partie au moins, sur mon expérience et mes souvenirs personnels.

Lorsque, il y a de cela environ trente ans, j’entrevoyais la chimie pour la première fois, que jeune étudiant de l’Université de Bonn, je m’essayais à cette science sous la direction immédiate d’un de ses plus célèbres représentants, de Kekulé, la chimie était, selon l’arrêt de notre maître, parvenue à un point mort et n’avait la perspective d’aucun progrès.

L’existence des atomes, bien que simple déduction indirecte des phénomènes chimiques, paraissait solidement établie, appuyée qu’elle était par la conception de la molécule, qui résulte principalement de considérations d’ordre physique. Les détails des relations réciproques des atomes dans la molécule étaient connus, ou tout au moins leur connaissance pour les corps nouveaux ou plus compliqués n’était qu’une question de temps. Ainsi la formule de l’alcool méthylique

H
H C O H
H

exprimait que, dans la molécule de ce corps, quatre atomes d’hydrogène, représentés par H, sont unis à un atome de carbone et à un atome d’oxygène représentés respectivement par C et O, et que les atomes sont liés les uns aux autres de la façon indiquée par les traits du schéma.

Quelque précise et profonde que pût paraître cette notion, on se rendait bien compte que de tels symboles ne sont que des images dans l’esprit ou des diagrammes sur le papier, et la chimie attendait avec impatience le Newton qui devait découvrir les lois en vertu desquelles les atomes sont unis dans leur constellation, dans la molécule, et forment un ensemble fermé et complet.

Nous savons que ce Newton n’est pas encore venu. Et cependant, peu d’années après le prononcé de la mélancolique sentence de Kékulé (sentence que, soit dit en passant, le maître ne devrait jamais proférer devant ses élèves) surgissait la Stéréochimie, branche nouvelle, aujourd’hui bien développée et pleine de sève, de la science qui nous occupe.

La stéréochimie nous conduit au moins à ce résultat que, l’existence des atomes étant admise, on peut connaître, non seulement leurs liaisons réciproques, mais encore leurs positions relatives dans la molécule. Le symbole précédent de l’alcool méthylique devient maintenant une figure dans l’espace, avec le carbone au centre d’un tétraèdre dont les sommets sont occupés par les trois atomes d’hydrogène et par le groupe oxhydryle (OH).

Nous en étions là il y a vingt-cinq ans, et aujourd’hui nous en sommes encore au même point, ignorant les lois qui régissent la position relative des atomes, bien que, grâce à l’introduction récente de la notion de l’électron, la question paraisse commencer à s’éclaircir, au moins pour les corps à la température du zéro absolu.

Néanmoins pendant ces vingt-années, les recherches ont été poussées plus loin, mais dans une voie différente, où l’on ne s’occupe plus guère de cette architecture symbolique dont les atomes sont les matériaux de construction. En effet, quinze ans après cet arrêt décourageant de Kékulé, naissait un second enfant donnant les plus belles espérances ; c’est la chimie physique, aujourd’hui si florissante. Elle ne grandit pas tout d’un coup : ce n’est presque jamais le cas pour aucune branche de la science ; mais elle se développe à l’ombre comme une jeune plante qui reste d’abord inaperçue, mais qui, sous l’influence du soleil, s’élève et devient un arbre gigantesque.

Quelques savants, comme Duhem[1], vont jusqu’à réclamer pour la chimie physique le rang d’une troisième science, dont la place serait à côté de la physique et de la chimie, ou plutôt entre ces deux sœurs aînées.

D’autres, comme Winkler[2] et Ladenburg, estiment qu’il convient de faire provisoirement à la chimie physique une place honorable dans le domaine de la chimie, et que cette science, outre les deux divisions anciennes, chimie minérale et chimie organique, doit en comprendre une troisième, la chimie physique. À ce sujet, je vous dirai que l’université de Gœttingue va réorganiser sur cette base son enseignement chimique.

Mais laissons de côté ces idées de division et de classification, qui ont au fond quelque chose d’arbitraire, car la science, de même que la nature, dont elle est l’expression, doit former un ensemble, immense il est vrai, mais pourtant indivisible en principe, et cherchons à répondre à cette question : Qu’est-ce que la chimie physique a réalisé ?

On peut le faire d’une façon générale ou d’une façon spéciale. D’une part, je pourrais vous exposer les conclusions générales de cette science, et en ce sens j’aurais à vous parler des transformations chimiques, de la vitesse des réactions, des phénomènes électrochimiques, ce que je ne pourrais faire sans me servir de formules, toujours assez compliquées, que le caractère de cette introduction m’interdit d’employer. D’autre part, on peut faire connaître le caractère propre de la chimie physique par l’examen d’un problème particulier qu’elle est capable de résoudre. C’est de cette façon que je procéderai, et je vous prie de m’accorder toute votre attention au sujet d’une des conquêtes les mieux connues et les plus fécondes de la chimie physique. Je veux parler de l’établissement et de l’application de la pression osmotique.

Il s’agira tout d’abord de la grandeur de l’attraction que manifestent pour l’eau certains corps bien connus, tels que la chaux vive. Si l’on emplit de cette substance un flacon qui restera imparfaitement bouché, la chaux va attirer l’eau de l’air humide, se gonfler et finalement faire éclater le flacon, quelque résistantes qu’en soient les parois. Une force énorme est développée par cette attraction, trop grande pour avoir pu jusqu’ici être mesurée avec quelque précision.

Mais nous pouvons effectuer des déterminations quantitatives sur un phénomène analogue, quoique de moindre intensité, présenté par d’autres corps, le sucre, par exemple, en nous bornant toutefois à une solution étendue, qui manifeste encore à un certain degré une attraction pour l’eau.

Prenons, comme l’a fait Pfeffer[3], une solution de sucre à 1 % et emplissons-en un flacon qui a une paroi poreuse capable d’être traversée par l’eau seulement ; un vase de pile convenablement préparé peut servir. Ce vase plein et fermé étant plongé dans l’eau, celle-ci, attirée par la solution sucrée, traverse la paroi poreuse jusqu’à ce que, en supposant la température de 7°, l’excès de pression dans le flacon, pourvu que celui-ci résiste, soit de 2/3 d’atmosphère. Cette pression est appelée pression osmotique.

Nous pouvons, en généralisant, aller plus loin et dire que toute substance soluble attire le dissolvant, ce qui n’est qu’une autre manière d’exprimer l’acte de la dissolution. Inversement, cette substance est attirée par le dissolvant et s’y diffusera si on la place dans des conditions convenables. Maintenant la pression osmotique va nous apparaître sous un nouveau jour : c’est la pression qui empêche les molécules non dissoutes de se mouvoir librement dans le dissolvant qui les entoure ; elle ressemble à la pression que les molécules d’un gaz contenu dans un espace clos exercent sur les parois du vase qui empêche leur expansion.

Cette pression osmotique, qui a déjà été étudiée il y a plus d’un siècle, principalement dans ses rapports avec les phénomènes physiologiques, a une valeur bien déterminée, qui a paru tout d’abord dépendante de la membrane et qui varie avec la nature de la substance dissoute et avec celle du dissolvant ; elle dépend évidemment de la concentration et se montre très sensible aux variations de température. C’est à peu près tout ce qu’on savait de la pression osmotique lorsque la chimie physique, poursuivant l’étude de ses problèmes, aborda cette question.

Le résultat fut d’une simplicité inattendue et si limpide qu’on peut maintenant calculer de mémoire (dans le cas d’une solution étendue d’un non-électrolyte) la pression osmotique pour une concentration et une température données. Le tout est contenu dans l’expression :

P = 0,08 CT,

où P désigne la pression osmotique évaluée en atmosphères, T la température absolue, c’est-à-dire la température donnée par le thermomètre centigrade augmentée de 273, C représente la concentration, c’est-à-dire le nombre de molécules-grammes de la substance dissoute contenues dans un litre. Le résultat observé par Pfeffer pour une solution de sucre à 1 % s’obtient immédiatement en faisant

T = 273 + 7 = 280, C = 10/342.

Je dois vous faire remarquer combien sont différentes les manières de procéder de la chimie physique et de la stéréochimie. La première ne cherche pas la solution de ses problèmes en essayant de pénétrer la nature de la matière ; la formule précédente ne contient sous ce rapport que le poids moléculaire relatif, lequel, dans le cas où le corps peut prendre l’état gazeux, correspond simplement à la densité de vapeur ; la chimie physique cherche ainsi à se limiter aux relations numériques entre les grandeurs directement mesurables.

Malgré cette limitation que s’impose la chimie physique, une preuve de la solidité de sa base et de sa puissance de développement, c’est qu’elle se montre de plus en plus utile pour la solution de quelques-uns des problèmes qui paraissent les plus compliqués parce qu’ils semblent directement liés aux phénomènes de la vie. Si l’on considère le travail énorme qui a été consacré à l’atomistique, on est bien forcé d’avouer qu’on en a retiré relativement peu. On peut dire le contraire des méthodes suivies par la chimie physique, et il y a dix ans déjà, à Utrecht[4], j’ai utilisé une occasion comme celle-ci pour mettre en relief le rôle important que joue la pression osmotique, dont la chimie physique a élucidé les lois, dans divers phénomènes qui se passent dans les êtres vivants.

À cette époque, je pouvais déjà citer les résultats de nombreuses recherches physiologiques qui tendent à prouver que la pression osmotique est un facteur fondamental dans les diverses fonctions vitales des animaux et des végétaux.

D’après de Vries[5], c’est elle-même qui règle la croissance des plantes ; selon Donders et Hamburger[6], elle régit les fonctions des globules rouges du sang et par conséquent celles du sang lui-même ; selon Massart[7], elle gouverne quelques fonctions de l’œil humain et aussi la vie des germes pathogènes, des organismes meurtriers, comme les bacilles de la fièvre typhoïde, etc.

Il s’est formé depuis sur ce sujet une littérature qui remplirait un gros et substantiel volume[8], et dans lequel le fait le plus significatif est peut-être celui qui a été trouvé par Lœb ici même, dans cette université de Chicago. Il consiste en ce que chez certains animaux inférieurs, comme les oursins, la fécondation peut être jusqu’à un certain point remplacée par une augmentation convenable de la pression osmotique dans le liquide où se trouve l’œuf non fécondé. Le développement commence et peut se continuer jusqu’à ce que l’embryon soit déjà capable de se mouvoir[9]. Je ne puis mieux terminer cette conférence qu’en vous citant les paroles par lesquelles le savant chercheur que je viens de nommer terminait une de ses communications[10]

« At no time since the period immediately following the discovery of the law of conservation of energy the outlook for the progress of physiology appeared brigther than at present, this largely being due to the application of physical chemistry to the problems of life[11]. »


PREMIÈRE LEÇON


LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA CHIMIE

Je commencerai par vous exposer le plan que je vais suivre dans ces leçons. J’ai divisé le sujet en quatre parties, dont chacune se rapporte à la chimie physique, mais où cette science est considérée à des points de vue différents. Le but est de vous en montrer les rapports avec diverses branches de nos connaissances, ainsi que son influence sur les diverses sciences pures ou appliquées.

Je considérerai d’abord la chimie physique dans ses applications à la chimie, et, en second lieu, ses relations avec la chimie appliquée ou technologique ; ensuite je consacrerai deux leçons aux relations de la chimie physique et de la physiologie, car ce qui caractérise le développement de la physiologie pendant ces dernières années, c’est l’emploi qu’elle fait des méthodes physicochimiques ; enfin je montrerai par quelques exemples comment la chimie physique peut essayer d’attaquer certains problèmes de la géologie. Deux leçons seront consacrées à chacune de ces quatre sections.

Commençant par les relations de la chimie physique et de la chimie, je vais d’abord vous délimiter brièvement le sens que nous donnons aujourd’hui à l’expression chimie physique. Si nous prenons cette expression dans son sens le plus général, il s’agit évidemment de l’application aux problèmes chimiques des moyens, des méthodes et des instruments de la physique.

Ainsi comprise, on peut dire que Lavoisier, qui a fait de la chimie une science, a également fondé la chimie physique, puisque, pour établir et vérifier les lois fondamentales de la chimie, il a employé la balance, qui est évidemment un appareil de physique. Plus tard, lorsque Bunsen, dans ses recherches universellement connues, détermina à l’aide du spectroscope la composition du soleil et des étoiles, on aurait pu dire qu’il faisait de la chimie physique, puisque le spectroscope est un appareil de physique. Il est de règle que les plus grands progrès dans notre domaine sont liés à l’introduction des méthodes physiques d’observation et de mesure. Cependant on parle beaucoup, et avec raison, d’un nouveau développement de cette chimie physique pendant les quinze dernières années, et je dois vous expliquer pourquoi cette dernière phase de son évolution doit être considérée comme étant d’une importance capitale.

Ce qui a été fait, par exemple, par Bunsen avec le spectroscope, ce qui l’a été plus tard par Berthelot et Thomsen par l’introduction du calorimètre dans le laboratoire de chimie, a été certainement de la plus haute importance, mais tout cela se bornait à l’étude d’un phénomène particulier, l’émission de lumière ou l’échange de chaleur. Ce que la chimie physique de cette dernière période fait, ou a la prétention de faire, ne consiste pas dans l’emploi d’un nouvel appareil ou d’une nouvelle méthode ; son développement récent est plutôt caractérisé par l’établissement de principes généraux qui fécondent le domaine entier de la science et seront en grande partie le point de départ des développements futurs de la chimie. J’aimerais à vous exposer un de ses principes dans son application, comme on montre une expérience de cours ; mais ce procédé en quelque sorte matériel serait en opposition avec le caractère de l’évolution récente, car celle-ci n’a pas apporté des appareils nouveaux ni des méthodes nouvelles, mais des principes qui ne sont malheureusement pas de l’espèce la plus simple.

Je me rappelle que, lorsque j’étais étudiant, je n’ai jamais saisi bien exactement le sens de la loi d’Avogadro et que je n’ai pu en apercevoir nettement la portée que lorsque dans mon enseignement, j’ai eu à l’expliquer et à l’appliquer. Et cependant les principes dont j’ai à vous parler sont, par leur caractère abstrait, bien plus éloignés de l’ordre d’idées usuel que la loi d’Avogadro. Si je vous les présentais ici dans leur base et leur origine, il est probable que celui pour lequel ils sont nouveaux perdrait son temps, parce que l’occasion lui manquerait d’en faire lui-même l’application pour s’en former une notion exacte ; quant à ceux qui les connaissent, ils seraient encore plus à plaindre, car ils n’apprendraient rien de neuf.

C’est pourquoi j’ai jugé utile de ne pas essayer de pénétrer au fond de ces principes et de vous les présenter comme choses données et admises. Ce que je pourrai faire ensuite, c’est de les appliquer pour trouver la réponse à certaines questions et vous donner de cette façon quelque chose de nouveau.

Il s’agit essentiellement de deux principes fondamentaux, sur lesquels repose la chimie physique actuelle : l’extension de la loi d’Avogadro et les lois de la Thermodynamique.

L’extension de la loi d’Avogadro découle facilement de la loi primitive par les considérations suivantes :

Prenons un volume donné (fig. 1a) d’un gaz quelconque, par exemple d’oxygène (O²) ; on sait que ce gaz, probablement par le choc de ses molécules contre les parois, exerce une pression qui peut être mesurée par un manomètre ; cette pression dépend de la température ; mais, pour fixer Figure 1
Fig. 1 aFig. 1 b
les idées, supposons celle-ci, qui est donnée par le thermomètre, constante et égale à 20°. La loi d’Avogadro exprime que si dans un volume égal (fig. 1b) on introduit une quantité d’un autre gaz, par exemple d’anhydride carbonique (CO²), telle qu’à la température de 20° elle exerce la même pression, les deux volumes contiendront le même nombre de molécules, 1 000 par exemple, bien que le nombre absolu nous soit inconnu ; c’est simplement l’égalité dans les deux cas que nous avons à admettre.

L’extension de la loi d’Avogadro est relative aux solutions. Celles-ci peuvent exercer une pression comparable à celle des gaz ; la tension d’un gaz résulte de ce qu’un tel corps tend à se répandre dans l’espace vide et exerce ainsi une pression sur la paroi imperméable qui empêche cette expansion. De même, dans une solution, la substance dissoute tend à se diffuser dans le dissolvant pur lorsque ce dernier est en contact avec la solution, par exemple lorsqu’on l’a versé avec précaution de manière qu’il forme une couche au-dessus, s’il est le plus léger, ou au-dessous, s’il est le plus dense. Une paroi qui empêcherait cette diffusion, qui serait imperméable à la substance dissoute, mais permettrait le contact de la solution et du dissolvant, qui, par conséquent, laisserait passer ce dernier, devra éprouver une certaine pression, laquelle n’est, évidemment, que la pression osmotique dont nous avons parlé dans l’introduction. Maintenant l’extension de la loi d’Avogadro consiste en ceci que, pour un corps donné, la pression osmotique est la même que la tension de ce corps à l’état gazeux, la température et la concentration restant les mêmes ; la concentration désignant dans les deux cas la quantité de la substance contenue dans l’unité de volume.

De là résulte immédiatement cette conséquence, que, si à la même température deux solutions de corps différents contiennent sous le même volume le même nombre de molécules, elles devront exercer la même pression osmotique, qui est égale à la tension gazeuse du même corps sous le même volume. En outre, si l’on connaît le poids moléculaire, il est facile de calculer cette pression osmotique.

Pour notre but, il est inutile de poursuivre l’étude de cette loi au moyen de grandeurs numériques. Ajoutons toutefois, que la loi d’Avogadro et son extension, extension très vaste puisqu’elle embrasse tous les corps solubles avec leurs dissolvants, sont limitées dans l’application, en ce sens que ce sont des lois limites. La loi primitive et la loi généralisée ne sont d’une rigueur absolue que pour une raréfaction ou une dilution infiniment grandes et par suite dans des conditions pratiquement irréalisables. Cependant pour les dilutions correspondant à la pression atmosphérique, pour les gaz à cette pression ou pour les solutions de concentration analogue (concentrations voisines de 1/10 de la normalité) les écarts de la loi et de l’expérience sont négligeables dans la majorité des applications.

On voit, par cet exemple, la portée du premier principe qui a contribué au développement récent de la chimie physique, et qui est souvent désigné sous le nom de Théorie des solutions. Le second principe consiste dans l’application de la thermodynamique aux questions chimiques, principalement de la loi de la conservation du travail ou de l’énergie et de la loi de Carnot-Clausius. Ce que j’ai dit au commencement au sujet de la loi d’Avogadro, que la plupart n’arrivent à s’en faire une idée exacte et précise qu’après l’avoir eux-mêmes appliquée à des problèmes rencontrés dans leurs recherches personnelles, est peut-être encore plus vrai pour le principe dont j’ai maintenant à vous parler.

Pour ce qui concerne la conservation de l’énergie, la question est assez claire : aucune énergie ne se crée ni ne se détruit ; l’énergie peut éprouver des changements dans ses formes, mais non dans sa quantité ; les formes de l’énergie auxquelles nous avons affaire dans l’étude des problèmes de la chimie sont au nombre de trois principales : le travail mécanique, la chaleur et l’énergie électrique.

Il nous suffit de savoir que, lorsque du travail mécanique se transforme en chaleur, 425 kilogrammètres fournissent une grande calorie, et quand l’énergie électrique se transforme en chaleur, l’énergie d’un équivalent-gramme, pour une tension d’un volt, produit 23 grandes calories[12].

Le principe de Carnot-Clausius est moins facile à saisir ; j’avoue que je ne l’ai moi-même bien compris que lorsque, dans le cours de mes recherches, j’ai eu à l’appliquer et à le soumettre à des vérifications numériques. On ne peut l’énoncer en quelques mots comme on fait pour la loi d’Avogadro ; on l’a d’ailleurs exprimé sous tant de formes diverses que, même après avoir acquis une certaine expérience, il n’est pas toujours commode de s’y retrouver. Comme il y a sans doute parmi vous de jeunes disciples de la science qui en sont encore au premier pas dans le domaine de l’application aux problèmes chimiques, je leur donnerai un conseil au sujet de la forme qu’il leur convient de donner à ce principe. On peut l’appliquer par la réalisation de ce qu’on appelle un cycle réversible, ou bien par l’introduction de conceptions physiques abstraites et de fonctions mathématiques, telles que l’entropie, etc., comme le font la plupart des physiciens, Gibbs, Planck, Duhem. Pour le chimiste, je suis convaincu que l’emploi d’un cycle réversible est préférable ; la difficulté réside maintenant dans la notion du « cycle réversible ».

Faisons remarquer brièvement que le mot « cycle » désigne une série de modifications à la fin desquelles le système qui les subit est ramené à son état primitif, comme, par exemple, lorsqu’on vaporise de la glace, qu’on liquéfie la vapeur et qu’ensuite on congèle le liquide. Ces modifications sont dites réversibles lorsqu’elles ont lieu dans des conditions telles qu’elles puissent se faire dans deux sens opposés ; par exemple, dans un milieu où la température est 0°, on peut réaliser la congélation de l’eau aussi bien que le phénomène inverse, la fusion de la glace, tandis qu’au-dessus et au-dessous de 0°, c’est seulement l’une ou l’autre de ces deux transformations qui est possible.

Voici maintenant l’expression du principe de Carnot-Clausius : Dans un cycle réversible, prenons pour chacune des transformations partielles le quotient de la chaleur (Q) fournie au système par la température absolue (T) correspondante, la somme algébrique de ces quotients est nulle :

Q/T = 0.

Une application très simple et qui souvent nous permet d’obtenir d’importants résultats dans l’étude des problèmes chimiques, c’est la considération de cycles réversibles parcourus à température constante ; alors l’équation se simplifie et devient

Q = 0 ;

ce qui exprime que la somme algébrique des chaleurs fournies au système est nulle ; alors aucune chaleur n’est transformée en une autre forme de l’énergie, en travail mécanique ; la somme des travaux (A) effectués dans le parcours du cycle est également nulle, et

A = 0.

Appliquant cette équation au cycle précédemment considéré, glace-eau-vapeur, nous en tirons immédiatement cette importante conclusion qu’à 0° les tensions maxima de l’eau et de la glace sont égales. Nous obtenons des résultats semblables dans la considération de phénomènes de nature plutôt chimique, dans la transformation réversible du soufre orthorhombique en soufre clinorhombique à 96°, dans celle de la cyamélide en acide cyanurique à 150° ; dans ces conditions, la tension maxima de la vapeur des deux formes de soufre est la même, et les tensions de dissociation de la cyamélide et de l’acide cyanurique, dans leur transformation en acide cyanique gazeux, sont égales. Un point important à remarquer c’est que, dans l’application du principe de Carnot-Clausius, la nature complexe du phénomène ne crée aucune difficulté ; la composition chimique des corps entre si peu en considération que la structure atomique et moléculaire n’intervient en aucune façon ; ainsi, dans l’exemple cité, la seule chose nécessaire, c’est que l’acide cyanurique, la cyamélide et l’acide cyanique aient la même composition centésimale, sans quoi le cycle serait irréalisable.

Au sujet des deux principes fondamentaux, lois d’Avogadro et de Carnot-Clausius, je me bornerai au peu que je viens de vous dire, et j’ai maintenant à vous montrer ce qu’en fourni l’application. Mais auparavant je dois rendre hommage à ces savants, d’ailleurs assez peu nombreux qui, malgré les conditions de travail souvent peu favorables où ils se trouvaient ont, pendant ces quinze dernières années, fait faire de si grands progrès à la chimie physique. En première ligne je citerai Ostwald qui, par son immense activité didactique, ses étonnants travaux de littérature scientifique et son rare talent d’organisation, a peut-être plus fait que beaucoup d’autres pour répandre la chimie physique, tandis qu’Arrhenius, par l’introduction de la théorie de la dissociation électrolytique et surtout Nernst par l’application de cette théorie, ont ouvert à la chimie physique le champ vaste et inespéré des phénomènes électriques.

C’est dans l’application de la chimie physique à la chimie générale que l’on pouvait espérer les plus grands succès, et l’espoir n’a pas été déçu. Cette partie embrasse l’étude de tous les éléments, à l’exclusion du carbone réservé à la chimie organique ; mais ce qui facilite l’application des nouveaux principes à la chimie minérale, principes évidemment applicables aussi à la chimie organique, c’est surtout le caractère moins complexe des composés inorganiques. Souvent les éléments minéraux, par exemple, le chlore et le potassium, ne forment qu’une combinaison, ici le chlorure de potassium ; mais quand on a affaire au carbone il n’en est plus de même ; l’union de cet élément avec l’hydrogène fournit une série de combinaisons dont on ne connaît pas la limite : CH4, C2H4, C2H2, etc.

Si nous examinons ce qui a été réalisé dans le domaine de la chimie minérale, nous trouvons des progrès de trois sortes principales. En premier lieu, la chimie physique a introduit dans l’étude des questions chimiques une méthode de travail nouvelle et féconde ; elle nous a donné un principe qui permet de prévoir dans quel sens et jusqu’où peut aller une réaction ; enfin la chimie physique nous donne une notion plus approfondie des solutions des électrolytes, c’est-à-dire des bases, des acides et des sels.

J’espère avoir l’occasion de vous faire toucher l’importance de chacune de ces conquêtes par un exemple déterminé ; aujourd’hui, pour exposer la nouvelle méthode utilisée dans les questions de chimie inorganique, je vous en décrirai l’application à l’étude de la carnallite, minéral d’une grande importance technique ; c’est un sel double formé de chlorure de magnésium, de chlorure de potassium et d’eau. Cette étude, je l’ai faite en collaboration avec Meyerhoffer, mais c’est surtout Bakhuis-Roozeboom qui a fait connaître cette méthode que j’ai à vous expliquer. Consultez les ouvrages qui datent de quelques années : au sujet de la carnallite, vous verrez la formule MgCl2.KCl.6 H2O ; vous y apprendrez que ce composé est incolore et cristallin, qu’il se dissout facilement dans l’eau avec séparation de chlorure de potassium ; outre quelques autres données incohérentes que vous y trouverez, c’est tout ce que vous en saurez.

La nouvelle méthode nous donne des notions autrement complètes. Elle repose essentiellement sur une connaissance meilleure des relations d’équilibre dans les phénomènes chimiques complexes, sur l’influence qu’exercent la température, la pression et les proportions relatives des corps en présence. Par exemple, dans les réactions chimiques complexes, nous avons appris à connaître ce que l’on nomme la température de transformation, qui présente la plus grande analogie avec la simple température de fusion de la physique, de sorte qu’au dessus ou au dessous d’une telle température, la transformation, qui peut-être d’une nature chimique très compliquée sera totale dans un sens ou dans l’autre. Nous avons appris la règle des phases qui nous servira de guide, dans les conditions d’équilibre les plus diverses. Enfin, par un emploi plus large des méthodes graphiques nous avons facilité et parfois rendu possible l’examen des changements chimiques produits sous l’influence de la température et de la pression. La carnallite va nous servir d’exemple pour montrer comment, parmi un nombre minimum d’observations, on peut obtenir une vue complète de la manière d’être et de se comporter d’un corps. Nous poserons ainsi la question : la carnallite est une combinaison de chlorure de magnésium, de chlorure de potassium et d’eau ; qu’arrive-t-il lorsqu’on met ces corps en présence en proportions variables et à diverses températures, si l’on empêche l’évaporation de l’eau, ce qui correspond aux conditions expérimentales habituelles ?

Nous allons partir d’un phénomène remarquable de transformation que présente la carnallite lorsqu’on lui ajoute de l’eau et qu’on refroidit. Si cette addition d’eau n’est pas trop considérable, une partie de la carnallite est dissoute, du chlorure de potassium se sépare et un excès correspondant de chlorure de magnésium reste dans la dissolution. Par refroidissement les proportions des corps en solution changent, à cause de la variation de solubilité. À −21° survient un phénomène de solidification, tout à fait comparable à la congélation d’un liquide : un thermomètre plongé dans le mélange continue à marquer −21°, malgré le refroidissement extérieur ; si l’on chauffe, la température ne s’élève pas non plus, mais on observe une fusion notable de la masse plus ou moins solide. Si l’on examine le phénomène de plus près, on trouve qu’à cette température, la carnallite se scinde avec absorption d’eau et par refroidissement selon l’équation :

MgCl2.KCl.6 H2O + 6 H2O = MgCl2.12 H2O + KCl ;

à −21° il y a équilibre entre ces deux états comme à 0° entre l’eau et la glace ; au-dessus et au-dessous de −21°, il n’y a qu’un seul des deux états qui soit stable, ce que nous exprimons par le symbole :

MgCl2.KCl.6 H2O + 6 H2O MgCl2.12 H2O + KCl.
−21°

Toutefois notre notion du phénomène est incomplète, car l’eau en contact avec la carnallite et les deux autres corps a dissous de ces substances, et si l’on exprime en molécules la composition de cette solution, on obtient :

H2O.0,066 MgCl2.0,005 KCl,

de sorte que l’équation exacte a la forme :

0,208 (MgCl2.KCl.6 H2O) + 6 [H2O.0,066 MgCl2.0,005 KCl] = 0,064 (MgCl2.12 H2O) + 0,238 KCl.

Lorsqu’on opère sur ces proportions, au-dessous de −21°, la solidification est totale ; au-dessus, il n’y a que du chlorure de potassium et la solution.

Puisque nous avons pris ce phénomène de transformation comme point de départ, je vais vous montrer que la solution dont je viens de vous indiquer la composition peut être l’origine de trois séries de solutions saturées, que l’on obtient en modifiant les rapports quantitatifs. Prenons d’abord un peu plus d’eau ; après le refroidissement, on a une solution qui est saturée en MgCl2.12 H2O et en KCl, et qui a pour chaque température une composition déterminée. Je n’indiquerai cette composition que pour le point où un nouveau phénomène de transformation vient rendre la température constante à −34°, il y a formation de glace et tout devient solide pour une composition

H2O.0,043 MgCl2.0,003 KCl,

Examinons maintenant ce qui se passe aux températures plus élevées : il y a deux cas limites possibles, selon qu’à côté de la carnallite existe un excès de MgCl2.12 H2O ou de KCl. Dans le premier cas, nous trouvons à −17° le point de fusion de MgCl2.12 H2O, et dans le second, à 168°, celui de la carnallite.

Le temps ne me permet pas d’entrer dans plus de détails, mais on voit par ce qui précède que les conditions de la formation et de l’existence de la carnallite sont limitées de part et d’autre aux températures de −21° et 168° ; dans cet intervalle, les solutions peuvent avoir une teneur maximum en chlorure de magnésium ou en chlorure de potassium, jusqu’à la saturation ; il y a ainsi un domaine de possibilité d’existence de la carnallite dont nous allons donner une représentation graphique.

Pour cela, il nous faut prendre trois axes : l’un (OX) pour la température ; les deux autres pour les quantités de MgCl2 (OY) et de KCl (OZ) contenues dans la solution saturée ; de la composition de cette solution dépend la nature du corps solide qui peut s’en séparer. Notre température de transformation et la composition correspondante de la solution sont données par le point E ; les trois courbes de solubilité qui partent de ce point sont ED avec un point de congélation de la solution en D, EF avec un point de fusion de MgCl2.KCl.12 H2O en F, et KM avec un point de fusion de la carnallite en M. Le champ entier de la carnallite est limité par EFGHTKM ; l’intérieur représente toutes les conditions dans lesquelles l’obtention de ce corps est possible au moyen de ses composants ; à l’extérieur correspondent toutes les possibilités de décomposition partielle ou totale.

La fig. 2 est encore complétée par l’addition de quelques données simples qui ont la signification suivante :

Dans le plan XOZ se trouve la courbe de solubilité du chlorure de potassium Figure 2
Fig. 2
dans l’eau pure (CP) ; la solubilité de ce corps dans l’eau saturée de chlorure de magnésium étant figurée par DEM, le champ du chlorure de potassium est limité vers la gauche par PCDEM. De la même façon, le champ du chlorure de magnésium, compliqué par la possibilité de plusieurs hydrates, est limité vers la gauche par BF1FED. Le champ correspondant à la glace limite l’ensemble à gauche et réunit trois points cryohydratiques B, C, D ainsi que le point A de congélation de l’eau pure.


DEUXIÈME LEÇON


LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA CHIMIE (suite)

Un second service que la Chimie physique a rendu à la Chimie pure, c’est de lui avoir établi un principe qui permet de prévoir, au moyen de certaines données, si une réaction peut ou ne peut pas se faire, et, dans le cas fréquent où elle ne se fait que jusqu’à une certaine limite, de calculer cette limite.

Vous savez, qu’un principe analogue a déjà été formulé, par Thomsen d’abord, puis par Berthelot, qui lui a donné le nom de « Principe du Travail maximum ». Ce principe est très simple, car il exprime que la chaleur qu’une réaction peut mettre en jeu indique le sens dans lequel celle-ci peut se faire ; si une réaction est capable de dégager de la chaleur, elle se produira. Prenons, par exemple, de l’hydrogène et de l’oxygène ; 2 grammes du premier s’unissant à 10 grammes du second dans la formation de l’eau dégagent 69 grandes calories. Le principe en question voit dans la possibilité de ce dégagement de chaleur la cause de la formation d’eau qui a lieu lorsqu’on enflamme le mélange gazeux. Prenons maintenant de l’azote et du chlore ; leur combinaison, au lieu de dégager de la chaleur, en absorberait ; aussi ces deux corps ne s’unissent-ils pas, et leur composé, qui ne se forme que par voie indirecte, se décompose en ses éléments par un simple choc. Cette idée a régné longtemps sur la Thermochimie, et une multitude de faits sont d’accord avec elle.

Cependant il ne serait pas difficile de citer des exemples de réactions chimiques qui se font avec absorption de chaleur : les mélanges réfrigérants qui sont basés sur une réaction chimique contredisent le principe du travail maximum, par exemple le mélange d’acide chlorhydrique et du sulfate de sodium :

SO4Na2.10 H2O + 2 HCl = 2 NaCl + SO4H2 + 10 H2O.

Un grand nombre de réactions ne sont jamais totales, telles que la décomposition du carbonate de calcium par la chaleur, qui ne se continue que jusqu’à ce que l’anhydride carbonique a atteint une certaine tension dépendant de la température ; toutes ces réactions partielles sont autant de réfutations du principe du travail maximum.

Néanmoins l’expression « travail maximum » était heureusement choisie, car la possibilité d’une réaction est liée à la possibilité de produire du travail. La nouvelle conception n’est pas moins simple que la précédente et elle a quelque chose d’évident.

Si un phénomène est capable de produire du travail, c’est-à-dire de vaincre une résistance, il se produira à plus forte raison s’il n’y a pas de résistance ; telle une réaction chimique. Mais il faut bien remarquer que production de travail et dégagement de chaleur dans les réactions ne sont pas synonymes. Souvent ces deux sortes de faits vont ensemble, comme dans les substances explosives, la poudre à canon, la dynamite, qui lors de l’explosion produisent une grande somme de travail chimique et en même temps un grand dégagement de chaleur. Prenons maintenant le chlorure de phosphonium (PH4Cl), un corps solide qui, dès la température ordinaire, tend à se décomposer en deux gaz, l’hydrogène phosphore (PH3) et l’acide chlorhydrique (HCl) ; tout en absorbant une grande quantité de chaleur, ce corps exerce en se décomposant une pression d’environ vingt atmosphères. Nous avons là un cas où le dégagement de chaleur n’accompagne pas la production de travail, et où c’est évidemment la possibilité de produire du travail qui régit le sens de la réaction.

Ce qui fait la difficulté dans l’application du nouveau principe, c’est qu’il faut d’abord posséder certaines données pour savoir si une réaction peut produire du travail et pour calculer la grandeur de ce travail. Vous savez que Berthelot a consacré presque la moitié de sa vie à la détermination systématique des chaleurs de réaction. Confiant en son principe, il voulait fournir aux chimistes les données, suffisantes à son point de vue, pour calculer le sens des réactions chimiques. Aujourd’hui, qu’il a fallu changer la base de ce calcul, ce serait une tâche belle et utile que de reprendre dans le but de la mesure du travail l’œuvre que Berthelot a accomplie à l’aide du calorimètre. Mais le problème est incomparablement plus difficile, car le travail produit dans une réaction est, beaucoup plus que la chaleur dégagée, sous la dépendance des conditions de l’expérience, de la température, de la concentration des dissolutions, etc., facteurs qui influent considérablement sur le phénomène chimique.

Commençons par un exemple très simple dont nous avons déjà parlé et examinons la formation de la carnallite à −21°, selon l’équation simplifiée :

MgCl2.12 H2O + KCl = MgCl2.KCl.6 H2O + 6 H2O ;

il est évident qu’à −21° le travail (E) qui peut être produit dans la formation de la carnallite est égal à zéro ; nous avons donc :

E = 0.

Au-dessus de −21°, la réaction se fait ; elle peut même vaincre une résistance, et, puisqu’elle est accompagnée d’une augmentation de volume cette résistance peut être une pression. Le travail produit est évidemment maximum lorsque la résistance est telle que la carnallite puisse encore se former, mais qu’un accroissement de pression suffise pour changer le sens de la réaction ; dans ces conditions, la transformation est réversible et l’on peut appliquer le théorème relatif aux cycles réversibles, ce qui nous donne l’équation :

dE = − W dT/T,

ou, pour des valeurs finies,

E = − W Δt/T,

c’est-à-dire qu’à une température supérieure de dT° (ou de Δt°), à la température de transformation T (absolue ; ici T = 252°), un travail dE (ou E) peut être produit ; W désigne la chaleur de formation de la carnallite selon l’équation chimique donnée ci-dessus ; dE et W seront exprimés avec les mêmes unités, par exemple en calories.

La signification de l’expression précédente se comprend facilement. À la température de transformation (Δt = 0), E est nul ; au-dessus ou au-dessous de cette température, la valeur de E n’a pas le même signe ; la sensibilité de la variation du travail par rapport à la variation de la température est de première importance, puisqu’elle indique le changement de sens de la réaction.

Maintenant le principe de Berthelot va nous apparaître sous un nouveau jour. En effet, pour Δt = − T, c’est-à-dire au zéro absolu on a :

E = W ;

alors le dégagement de chaleur mesure le travail de la réaction. Que le principe de Berthelot soit le plus souvent d’accord avec les faits, cela tient principalement à ce que la température qui règne dans beaucoup de nos expériences est relativement basse, ne s’écartant du zéro absolu que d’environ 273°. Mais à la température de 1000°, par exemple, il n’en est plus ainsi, et les réactions qui se produisent sont le plus souvent en contradiction avec le principe de Berthelot ; à cette température, l’acétylène prend naissance malgré l’absorption de chaleur ; l’eau se décompose, bien qu’elle ait été formée avec dégagement de chaleur.

Nous allons maintenant indiquer pour la mesure du travail de réaction un second principe, qui est beaucoup plus fécond. Nous avons déjà signalé la relation de ce travail et du travail mécanique, de celui-ci et de la chaleur dégagée ; il nous reste à examiner la relation avec l’électricité produite. Si une réaction se fait en développant de l’électricité, comme la substitution du zinc au cuivre selon l’équation :

Zn + CuSO4 = ZnSO4 + Cu,

dans l’élément de Daniell, on peut l’arrêter par une action opposée, comme on peut le faire par la pression pour une réaction accompagnée d’une augmentation de volume. Ici la force antagoniste doit être de nature électrique, et lorsqu’on fait agir un courant de sens inverse sur un élément de Daniell, la réaction dans celui-ci diminue aussitôt ; elle cesse complètement lorsque la force électromotrice du courant contraire devient égale à celle de l’élément et, si elle devient plus grande, la réaction change de sens. Cette force électromotrice correspond ainsi, dans une réaction qui dégage de l’électricité, à la pression dans une réaction qui donne lieu à un accroissement de volume. Grâce à cette considération, on peut avoir dans la force électromotrice développée par une réaction une mesure du travail produit.

Nous avons là un vaste champ d’étude pour le problème de la prévision des réactions, et dans ce domaine peuvent rentrer des réactions beaucoup moins simples que celle de la formation de la carnallite, qui est caractérisée par une température de transformation et pour laquelle nous n’avons besoin que d’une seule donnée, la température. Mais il y a des cas plus compliqués, où l’état d’équilibre chimique éprouve des déplacements par degrés insensibles sous l’influence de la température et de la concentration, ainsi que cela a été confirmé récemment d’une façon brillante[13].

La réaction dont je veux parler est l’action du chlorure de thallium sur le sulfocyanate de potassium en solution : c’est la double décomposition exprimée par l’équation :

TlCl + KSCAz = TlSCAz + KCl,

Cette réaction est une de celles qui s’arrêtent avant qu’elles soient totales et qui donnent lieu à un équilibre chimique, exprimé ici par le symbole :

TlCl + KSCAz TlSCAz + KCl ;

cet équilibre n’existe pas seulement à une température déterminée, comme dans le cas où il existe des points de transformation, mais il se déplace peu à peu dans un sens ou dans l’autre en même temps que la température, par la variation de la concentration du chlorure et du sulfocyanate de potassium dissous.

La réaction indiquée a été utilisée pour la construction d’un élément de pile dont la force électromotrice varie avec la température et la concentration et l’on a étudié la marche de cette variation. On a ainsi déterminé les conditions pour que la force électromotrice soit nulle, ce qui, vu la faible solubilité des sels thalleux, dépend principalement des concentrations du chlorure et du sulfocyanate de potassium. L’étude des proportions correspondant à l’équilibre chimique, effectuée parallèlement, a donné des résultats en parfaite concordance avec les précédents et a montré que ces proportions sont exactement celles pour lesquelles la force électromotrice s’annule, ce qui est une confirmation nette du principe.

Arrivons maintenant à une troisième conquête de la chimie physique dans le domaine de la chimie pure. Il s’agit de la nature des solutions d’acides, de bases et de sels, appelées électrolytes parce qu’elles conduisent le courant électrique, en même temps que la substance dissoute se décompose en ce que l’on nomme les ions. D’un côté il y a avec les acides, séparation d’hydrogène, avec les bases et les sels, séparation de métal, tandis que le reste de la molécule, l’autre ion, apparaît au pôle opposé (positif) et, dans le cas des oxyacides ou de leurs sels, se décompose ordinairement avec dégagement d’oxygène ; ainsi :

HCl = H + Cl
CuSO4 = Cu + SO4 et SO4 = SO3 + O.

La loi d’Avogadro étendue aux solutions avait conduit dans son application aux électrolytes, surtout pour les cas de grande dilution, à des résultats qui paraissent singuliers : elle avait indiqué que le nombre des molécules dissoutes est plus grand que celui qui correspond à la formule moléculaire la plus petite possible, qui est HCl et SO4Cu dans les exemples cités. Un nombre de molécules plus grand nous impose la nécessité d’admettre une division plus profonde. Pour les sels, on pourrait supposer de prime abord que dans la solution l’acide et la base se sont séparés et qu’ils s’y trouvent à l’état de mélange. Mais, sans parler de ce que, lorsqu’on mélange des solutions diluées d’acide et de base, aucun phénomène thermique ne devrait, contrairement à ce que montre l’expérience, accuser la formation d’un sel, la supposition ne pourrait s’appliquer aux solutions d’acides ou de bases.

L’hypothèse dite de la dissociation électrolytique, due à Arrhénius, donne une heureuse issue de cette situation embarrassante. Elle consiste à admettre que les ions, qui lors de l’électrolyse quittent la solution, y préexistent, mais qu’ils n’y manifestent pas leur présence à cause des charges électriques qu’ils possèdent et qui ne leur sont enlevées que par le passage du courant. Ainsi on admet que dans une solution étendue d’acide chlorhydrique, au lieu de HCl, on a en présence l’un de l’autre (H)+ et (Cl), c’est-à-dire de l’hydrogène chargé positivement et du chlore chargé négativement. Que ces charges électriques soient cause que les ions de HCl possèdent des propriétés si différentes de celles que nous connaissons à l’hydrogène et au chlore, c’est ce qui, à première vue, paraît devoir soulever des objections sérieuses ; néanmoins un examen plus approfondi n’y fait voir aucune impossibilité, mais bien une possibilité qui n’est pas encore complètement expliquée. À côté de cela, les faits sont nombreux, qui n’ont pu être expliqués, prévus et calculés en partie qu’à l’aide de la dissociation électrolytique. J’ajouterai que Raoult, qui a consacré plus de vingt années à l’étude des solutions diluées, après avoir d’abord repoussé l’idée d’Arrhénius, s’y est par la suite complètement rallié.

S’il ne s’agit que de faits de nature qualitative, le choix est des plus abondants. Le chlore, par exemple, dans les électrolytes où il est à l’état d’ion, c’est-à-dire dans les solutions d’acide chlorhydrique ou de chlorures, est foncièrement différent de ce qu’il est dans d’autres composés comme le chloroforme, le chloral ; les électrolytes donnent immédiatement avec le nitrate d’argent un précipité de chlorure d’argent, ce que ne font pas le chloroforme et le chloral. La même couleur que présentent les divers sels d’aniline, azotate, chlorhydrate, ou autres, s’explique par la présence d’un même ion coloré. Par contre, la moindre modification éprouvée par cet ion coloré, telle que celle qui résulte de l’introduction de groupes méthyle, phényle, etc., produit des changements de couleur profonds et appréciés. Le même pouvoir rotatoire de l’acide tartrique dans ses diverses solutions salines résulte de la présence d’un même ion actif, tandis que la modification de cet ion par l’introduction d’un radical, comme l’acétyle, change considérablement le pouvoir rotatoire.

Les résultats susceptibles d’évaluation numérique ne sont pas moins probants ; malheureusement il y a une restriction, parce que la base du calcul, la loi d’Avogadro étendue, n’est rigoureuse que pour une dilution extrême.

Je ne puis entrer dans le détail des faits ; je vous citerai seulement le calcul de la vitesse de diffusion par Nernst, le calcul de la variation de la conductibilité de l’eau distillée avec la température par Kohlrausch, le calcul de l’influence de la concentration sur la façon de se comporter des acides et des bases organiques par Ostwald. Arrhénius a donné l’énumération des conquêtes dues à la dissociation électrolytique dans le rapport qu’il a présenté au Congrès international de physique réuni à Paris en 1900, à l’occasion de l’Exposition universelle[14].

Rappelons enfin que le liquide au sein duquel s’exercent les fonctions vitales chez les animaux comme chez les végétaux est toujours un électrolyte très dilué, et l’on comprendra pourquoi la physiologie et la médecine se sont emparées de la conception nouvelle et en ont tiré jusqu’ici le plus grand profit.


TROISIÈME LEÇON[15]


LA CHIMIE PHYSIQUE ET L’INDUSTRIE

Je consacrerai cette leçon et la suivante à vous exposer l’application de la chimie physique aux problèmes techniques. D’une façon générale, on peut dire que, puisque la chimie physique a donné le moyen de traiter par une méthode nouvelle et avec succès certains problèmes de chimie pure, elle est évidemment capable de rendre des services à la partie de l’industrie qui est basée sur la chimie. Les relations de la science pure et de l’industrie ne sont peut-être pas les mêmes en Amérique qu’en Allemagne ; je ne sais qu’imparfaitement ce qu’on en pense ici ; mais, pendant mon séjour actuel, j’ai appris de personnes autorisées que l’opinion régnante dans les cercles industriels, c’est que les expériences de laboratoire sont le plus souvent irréalisables sur une grande échelle et industriellement. Il est évident qu’il y a une grande différence entre un essai de laboratoire et une recherche industrielle ; pour le premier, il importe peu que la chose soit économique ou non, tandis que la question capitale pour l’industrie c’est que l’opération puisse donner des bénéfices. Toutefois on peut affirmer que ce qui se fait dans le tube à essai, on peut le réaliser aussi bien en opérant sur des quintaux de matière, pourvu que l’on conserve exactement les conditions expérimentales trouvées favorables, température, etc. ; aujourd’hui l’industrie dispose de moyens plus parfaits que la plupart des laboratoires, de sorte que le maintien de ces conditions n’est qu’une question de soin. Peut-être les renseignements qui m’ont été donnés n’expriment-ils pas bien exactement l’opinion qui règne en Amérique sur ce sujet ?

En Allemagne, la coopération du laboratoire et de l’usine est des plus avantageuses ; les deux modes d’action marchent de pair autant que possible et se rendent des services mutuels. Ostwald avait si bien compris l’utilité de cet accord, qu’après avoir eu à enregistrer quelques progrès notables de la chimie physique et avoir montré ce que pouvait en retirer la chimie pure, il s’est efforcé d’en faire profiter la technique industrielle, et c’est dans ce but qu’il a fondé, il y a environ huit ans, la Société électrochimique allemande, dont j’ai l’honneur d’être le président actuel. Je dois ajouter que cette société, dont le but est de réunir les hommes de science et les techniciens, compte plus de six cents membres, parmi lesquels les représentants des plus importantes industries de l’Allemagne et de l’étranger. La société dispose d’un organe spécial, la Zeitschrifft für Elektrochemie, et, dans la dernière assemblée générale qui s’est tenue à Fribourg en Brisgau, on a de divers côtés émis l’idée qu’une extension était devenue nécessaire, en ce sens que la collaboration de la science et de ta technique, en grande partie limitée jusqu’ici au domaine de l’électrochimie, devait maintenant tenir compte de la chimie physique d’une façon plus générale et s’étendre aux parties de cette science qui comportent déjà des applications ou qui en sont susceptibles. Que cette motion n’émane pas seulement du côté exclusivement scientifique, c’est ce qui ressort bien de ce fait qu’il y a un an, le Professeur Goldschmidt, alors le représentant de la chimie physique à Heidelberg, fut invité par la direction de la Badische Anilin und Sodafabrik à faire pour les chimistes de l’usine une série de leçons sur la chimie physique, leçons qui eurent le plus grand succès. Il est clair que l’on songe moins ici à obtenir des résultats pratiques immédiats que des vues nouvelles qui aideront à résoudre les problèmes pratiques (ce qui ne peut manquer d’aboutir un jour à un succès direct) que, presque toujours, la grande industrie traite encore d’une façon purement empirique. Quand je parle des exploitations pour lesquelles les méthodes physico-chimiques peuvent être le plus utiles, j’ai en vue avant tout les industries des matières inorganiques puisque, ainsi que je vous l’ai déjà fait remarquer, c’est dans cette partie que la chimie physique trouve ses applications les plus faciles. Je mentionnerai en première ligne l’industrie des sels de Stassfurt, qui a à traiter des sels que l’on doit considérer comme résultant de l’évaporation de l’eau de mer et qui sont des chlorures et des sulfates de potassium, de sodium, de magnésium et de calcium. L’étude, récemment entreprise au point de vue physico-chimique, de ces sels et de leurs relations de solubilité, pourrait être très utile pour le traitement technique. Je dois citer en second lieu le domaine de la métallurgie, particulièrement les alliages et l’acier, dont le traitement par les voies modernes ouvre une telle perspective que, de l’avis des personnes compétentes, la sidérologie entre dans une ère nouvelle. Les industries électrochimiques, telles que celles qui se développent au Niagara, et en particulier celles qui emploient ce qu’on nomme les catalyseurs, c’est-à-dire les agents qui accélèrent les réactions, comme le platine dans le nouveau procédé de fabrication de l’acide sulfurique, se recommandent aussi de l’application féconde de la chimie physique. Quelques exemples vont le montrer.

Commençons par l’industrie des sels et revenons à la carnallite, qui est, comme on sait, un des minéraux potassiques les plus importants au point de vue industriel, et qui a la composition KCl, MgCl2, 6  H2O.

Le traitement de ce sel double est basé sur ce fait que, lorsqu’on le soumet à l’action de l’eau, c’est principalement le chlorure de magnésium qui entre en solution, tandis que le chlorure de potassium se sépare, jusqu’à ce que la solution soit saturée, ce qui a lieu à 25° pour la composition représentée par 1 000 H2O, 11 KCl, 73 MgCl2. L’action de l’eau dans la dissolution s’exprime donc par l’équation :

73 (KCl.MgCl2.6 H2O) + 562 H2O = 1 000 H2O, 11 KCl, 73 MgCl2 + 62 KCl.

Si l’on concentre cette solution, de la carnallite cristallise jusqu’à ce que le chlorure de magnésium vienne lui-même se déposer, ce qui arrive lorsque la composition devient, à 25° :

1 000 H2O, 2 KCl, 105 MgCl2.

L’effet de la concentration peut s’exprimer par l’équation :

1 000 H2O, 11 KCl, 73 MgCl2 = 339 H2O + 9,8 (KCl.MgCl2.6 H2O) + 0,6 (1 000 H2O, 2 KCl, 105 MgCl2).

Le liquide obtenu de cette façon est bien la solution finale contenant principalement le chlorure de magnésium, tandis que la carnallite qui a cristallisé peut être de nouveau traitée par l’eau. Mais se débarrasser de cette solution sans introduire dans les eaux de rivière des impuretés nuisibles, c’est ce qui présente de sérieuses difficultés.

La nouvelle étude de la carnallite au point de vue physico-chimique a maintenant l’avantage de nous faire embrasser d’un seul coup d’œil tous les modes de décomposition possibles de la carnallite. La méthode que je viens d’indiquer n’est qu’un cas particulier emprunté au tableau d’ensemble. Il y a deux autres procédés qui se présentent comme de nouvelles possibilités que la technique ne doit pas rejeter a priori. L’un est fondé sur la transformation qu’éprouve la carnallite par action de l’eau au-dessous de −21° ; il se forme du chlorure de potassium et du chlorure de magnésium à 12 molécules d’eau. En opérant dans ces conditions, on évite la cristallisation d’environ 14 % de la carnallite primitive et, après saturation en carnallite et séparation de KCl, il reste une solution de composition

1 000 H2O, 10 KCl, 66 MgCl2.

d’où par concentration ou refroidissement on sépare du chlorure de magnésium à 12 molécules d’eau et du chlorure de potassium. Le second moyen de séparation de KCl consiste dans la division qu’éprouve la carnallite à 108° : les trois quarts du chlorure de potassium se séparent, tandis que l’autre quart reste en solution avec la totalité du chlorure de magnésium. Mais l’opération doit se faire en vase clos, car à 168° la tension de vapeur de l’eau de cristallisation de la carnallite est supérieure à une atmosphère. Si, au moyen d’une presse convenable, on sépare la solution formée et qu’on la refroidisse à 115°, le chlorure de potassium qu’elle contient se dépose sous forme de carnallite, et le liquide à séparer par la presse est du chlorure de magnésium hydraté à l’état de fusion et à peu près pur (exempt de chlorure de potassium).

Au point de vue technique, cette méthode n’est pas dépourvue d’intérêt, car elle ne donne pas lieu à une formation d’eau-mère et elle fournit immédiatement les trois quarts du chlorure de potassium, puis, après solidification de la liqueur, la quantité correspondante de chlorure de magnésium ; un quart de la carnallite reste inaltéré et peut rentrer dans une opération suivante. Ce que dans le procédé habituel on obtient au moyen d’un dissolvant et grâce aux rapports de solubilité, on l’obtient ici par la variation de température et les transformations correspondantes, c’est-à-dire par la fusion et la solidification. L’avenir nous dira jusqu’à quel point ce second procédé peut être économique, mais ce qui est certain, c’est que les opérations qu’on a exécutées dans le laboratoire sur quelques grammes de matière sont aussi bien réalisables industriellement sur plusieurs kilogrammes. La possibilité du traitement sur une grande échelle n’est pas douteuse ; par contre, la question des frais n’est pas encore résolue.

Je voudrais maintenant vous montrer comment la chimie physique poursuit son chemin dans le domaine de l’industrie métallurgique. Le trait essentiel à vous signaler se rapporte à la fabrication de l’acier ; les spécialistes en la matière s’accordent à reconnaître que la chimie physique jette un jour satisfaisant dans les phénomènes si complexes qu’on rencontre dans le travail de l’acier et qui dépendent principalement de l’action réciproque du fer et du carbone. Cette action réciproque est complexe, car il faut tenir compte aussi bien des transformations du fer lui-même que de celles des composés du fer et du carbone. Il convient d’examiner tout d’abord les transformations que peut éprouver un métal seul ; pour cela je choisirai l’étain, qui est l’un des métaux les mieux étudiés à ce point de vue.

La façon toute particulière dont se comporte l’étain et sur laquelle j’appelle votre attention, est connue depuis longtemps ; des recherches historiques d’une haute érudition nous ont même appris qu’Aristote avait déjà connaissance du fait qui nous occupe et qui n’a pu être étudié d’une façon précise que dans ces derniers temps. L’étain ordinaire est capable d’éprouver une modification profonde qui le rend absolument méconnaissable. Pour des raisons que vous allez comprendre, je ne puis en ce moment vous présenter le produit de cette transformation, et je devrai me borner à vous montrer la photographie d’un morceau d’étain en voie de transformation[16]. L’impression que fait ce fragment, c’est qu’il paraît en quelque sorte atteint d’une maladie et, en effet, ce phénomène a avec certaines maladies le caractère commun d’être contagieux ; aussi, lorsqu’il apparaît quelque part, comme on l’a vu parfois sur les tuyaux d’orgues dans les églises, fait-on bien d’enlever l’objet : l’altération s’avance peu à peu et, après quelque temps, la masse totale de l’objet en étain est transformée en une poudre grise ; la marche est surtout rapide dans les parois minces, comme celles des tuyaux d’orgues. Je me hâte de vous dire qu’il ne s’agit pas ici d’une action chimique de l’air ou de l’humidité, comme semblerait l’indiquer un examen superficiel ; au contraire, l’étain se transforme de lui-même, et il suffit de le chauffer pour que, sans changement de poids, il reprenne son aspect métallique primitif. C’est précisément à cause de cette influence de la température que je ne puis, dans les conditions où nous nous trouvons, vous montrer ce qu’on nomme l’étain gris.

Ce sont principalement les recherches de Cohen et de Schaum qui nous ont fait connaître les conditions qui régissent ces transformations ; le phénomène est lié à une température bien déterminée, +20°C, de telle façon qu’au-dessous de 20° l’étain gris peut se former, tandis qu’au-dessus de 20° il repasse à l’état d’étain ordinaire. Cette limite de +20° est appelée température de transformation ; elle divise le domaine des températures en deux régions, dans l’une desquelles c’est l’étain gris et dans l’autre c’est l’étain blanc qui est stable. Elle présente une grande analogie avec la température de fusion, avec cette simple différence que dans ce dernier cas les deux modifications sont sous des états d’agrégation différents, l’une étant solide et l’autre liquide ; ainsi la température de 0° est la température de transformation de la glace et de l’eau. À côté de cette analogie entre ces deux phénomènes qu’Aristote avait déjà comparés entre eux, il existe une différence importante, qui est cause que c’est seulement dans ces derniers temps et grâce aux nouveaux moyens de la chimie physique qu’on a pu déterminer cette température de 20° comme limite de stabilité de l’étain gris et de l’étain blanc. C’est la lenteur de la transformation de l’étain, qui peut ne se produire qu’après un temps très long, tandis que la glace ne peut être portée au-dessus de 0° sans se fondre, et si l’eau peut avec quelques précautions être refroidie au-dessous de 0°, il suffit alors du contact de la plus petite parcelle de glace pour amener la solidification ; pour l’étain, au contraire, il faut mettre tout en œuvre si l’on veut provoquer la transformation à des températures qui ne sont pas trop éloignées de la limite de 20°. Sans cette différence, on pourrait déterminer la température de transformation tout simplement à l’aide du thermomètre, comme on le fait pour le point de fusion ; l’analogie avec le phénomène de fusion se complète encore en ce que la transformation de l’étain gris en étain blanc absorbe de la chaleur. Mais la lenteur avec laquelle se produit le changement exige l’emploi d’autres moyens d’observation ; j’en indiquerai deux. À cette occasion je ferai remarquer que ce retard d’un phénomène distingue en général les transformations chimiques des changements physiques, qui leur sont analogues à d’autres points de vue.

L’une de ces deux méthodes s’adresse au changement de volume considérable qui accompagne la transformation de l’étain tandis que la densité de l’étain blanc est 7,3, celle de l’étain gris n’est plus que 5,8 ; le volume a augmenté de plus du quart de sa valeur. Un tel changement de volume se mesure très facilement au moyen de l’appareil appelé dilatomètre ; c’est une sorte de thermomètre de dimensions un peu grandes, dans le réservoir duquel, par une ouverture qu’on fermera ensuite, on introduit la substance à étudier, l’étain dans le cas actuel ; cela fait, on enlève l’air de l’appareil et on y laisse rentrer un liquide convenable, dont la variation du niveau dans la tige du thermomètre fera connaître les changements de volume éprouvés par la matière contenue dans le réservoir. Cependant ce simple dispositif ne suffit pas pour atteindre le but qu’on se propose, car la transformation ne se fait pas si elle n’est pas provoquée, et la condition essentielle, c’est de mettre en contact intime dans le dilatomètre les deux modifications de l’étain ; ce contact provoque aussi bien l’une que l’autre des deux transformations inverses, de sorte que la sensibilité est maximum lorsque l’on a en présence des quantités à peu près égales d’étain gris. Un second artifice, indispensable dans le cas actuel, c’est d’employer un liquide capable de dissoudre un peu le corps en voie de transformation ; ce qui convient le mieux ici, c’est une solution de sel pinck ou chlorostannate d’ammonium, SnCl6(AzH4)2, dans laquelle l’étain peut se dissoudre en formant du chlorure stanneux. La transformation s’effectue au sein du liquide dans le sens imposé par la température, l’une des deux formes se dissout, tandis que l’autre se dépose. Si l’on opère ainsi, le dilatomètre maintenu à température constante montre très nettement le changement dans un sens ou dans l’autre, malgré la lenteur du phénomène. Par exemple à la température de 19°, on observe une augmentation de volume qui se continue pendant des journées entières ; à 21°, au contraire, on obtient une contraction, tandis qu’à 20° le volume reste stationnaire.

La méthode que je viens de décrire pour la détermination de la température de transformation a l’inconvénient d’exiger des jours et même des semaines ; je vais en indiquer une autre qui a l’avantage d’être plus rapide et aussi plus précise. Elle est fondée sur ce que le courant électrique, dans des conditions convenables, peut produire la transformation de l’une des modifications de l’étain en l’autre et inversement. L’appareil est encore très simple ; il est formé de deux courtes éprouvettes en verre épais, réunies par un siphon, ou mieux par un tube soudé directement à ses deux extrémités. Dans l’une des éprouvettes on met de l’étain gris, dans l’autre de l’étain blanc ; les deux sont en communication métallique par des fils de platine soudés dans le verre et reliés aux bornes d’un galvanomètre très sensible ; ces fils constituent les pôles d’un élément de pile, dont le liquide est une solution de sel pinck qui remplit les deux éprouvettes et le siphon ou le tube de communication. Quand la température est voisine de 20°, la transformation directe d’une modification de l’étain en l’autre est insensible, mais la tendance au changement a cette conséquence que, d’un côté, la modification instable à la température actuelle entre en dissolution, tandis que dans l’autre éprouvette la modification stable augmente en quantité. Mais cette augmentation ne peut se faire qu’aux dépens des ions Sn contenus dans la solution ; la forme stable reçoit ainsi une charge positive, tandis que l’autre, qui se dissout et fournit des ions positifs, perd une égale quantité d’électricité positive. Le courant ainsi produit, dont l’existence et la direction sont prévues, s’observe facilement, et comme la sensibilité des mesures électriques est très grande, il nous fournit le moyen le plus précis pour déterminer le sens de la transformation qu’éprouve l’étain. La formation de l’étain gris engendre un courant dans une certaine direction ; celle de l’étain blanc, un courant de sens contraire, et à la température de transformation, on observe une inversion des pôles.


QUATRIÈME LEÇON


LA CHIMIE PHYSIQUE ET L’INDUSTRIE (suite)

La seconde leçon que je dois consacrer à l’application de la chimie physique à l’industrie va vous donner un aperçu de ce qu’a fait cette science dans le domaine du fer : fer doux, fonte, acier et diverses formes de fer plus ou moins riches en carbone. Je vous dirai d’abord que Jüptner, un des savants les plus versés dans la connaissance des aciers, considère les vues actuellement acquises comme d’une grande importance, dans l’industrie du haut-fourneau, et son « Handbuch der Siderologie, » récemment paru, a une introduction de 61 pages sur les lois des dissolutions.

La façon dont se comportent le fer et surtout l’acier est un peu compliquée, c’est pourquoi j’ai abordé mon sujet par l’étude des relations analogues, mais plus simples, que présente l’étain. Avec l’étain, nous n’avons affaire qu’à une seule substance qui peut se présenter sous plusieurs modifications, tandis que dans les diverses formes du fer si importantes pour l’industrie, la présence d’une certaine quantité de carbone joue un rôle capital. Malgré cela, les nouvelles méthodes physico-chimiques employées aujourd’hui pour traiter de semblables problèmes ont réussi à éclaircir les relations passablement complexes du fer contenant du carbone, et nous pouvons maintenant figurer par un diagramme les phénomènes essentiels.

Une autre discussion préliminaire est encore nécessaire. Pour l’étain, nous avons montré l’existence d’un métal qui affecte différentes formes et fait ressortir la loi de la transformation réciproque. Avec le fer, dans ses diverses modifications, nous retrouvons la même chose et en plus un phénomène nouveau à considérer, c’est la formation de ce que l’on nomme des solutions solides.

L’aperçu que nous avons obtenu de la nature des solutions liquides ordinaires est si fécond et d’une si vaste portée qu’on a tenté de faire un nouveau pas et d’appliquer à l’état solide quelques-uns des résultats trouvés pour l’état liquide. C’est avec raison que nous pouvons dans certains cas nous servir de l’expression solutions solides, car la caractéristique d’une solution, c’est l’homogénéité parfaite, malgré la variation possible de la composition. Ainsi le microscope ne peut dans une solution de sucre nous faire distinguer les deux substances, le sucre et l’eau ; de même il ne peut le faire dans un composé tel que le verre coloré ou dans ce qu’on nomme un mélange isomorphe, tel que le mélange de deux aluns. On sait, en effet, que l’alun ordinaire, incolore, forme, lorsqu’il cristallise au sein d’une solution contenant de l’alun de chrome coloré, des octaèdres qui possèdent la coloration de l’alun de chrome plus ou moins affaiblie, et dans lesquels les instruments d’optique les plus délicats ne nous révèlent ni une disposition par couches de composition différente ni une inhomogénéité quelconque. Nous avons bien ici une solution solide. Si elle est amorphe, comme dans le cas du verre coloré, l’analogie avec une solution liquide est si grande que les deux termes extrêmes peuvent être reliés par une série de solutions plus ou moins solides, pâteuses et liquides, de telle sorte qu’il est impossible d’assigner une démarcation entre le liquide, et le solide. Si la solution solide est cristalline, elle ne diffère en principe du liquide que par une orientation intérieure et une disposition régulière des molécules.

Ce qui est essentiel, c’est que les lois des solutions liquides ont été appliquées avec succès aux solutions solides[17] et que cette application nous a fourni un aperçu des propriétés des formes de fer contenant du carbone.

Après cette discussion préliminaire sur l’étain et sur les solutions solides, nous pouvons aborder notre sujet. Tandis que l’étain ne nous offrait que deux formes différentes, il y en a ici un plus grand nombre. Au point de vue technique, nous avons d’abord les trois formes bien connues, fer doux, acier, fonte, qui se distinguent l’une de l’autre par des proportions croissantes de carbone ; mais il est évident que ce n’est pas seulement la proportion de carbone qui influe sur les propriétés, comme on le voit dans la trempe de l’acier : lorsque ce composé a été porté à une haute température, ses qualités varient selon qu’il a été refroidi plus ou moins rapidement et sans que sa composition soit changée. Aussi, dans l’étude du fer sous ses différentes formes, est-il nécessaire de compléter les indications de l’analyse chimique par celles que fournit l’examen microscopique. L’objet est d’abord poli, puis corrodé avec un acide, par exemple avec une solution d’acide chlorhydrique dans l’alcool ; on peut aussi continuer le polissage avec de l’émeri et une lame de caoutchouc, ce qui fait que les parties plus dures restent en saillie par rapport aux portions voisines moins dures enlevées par le polissage. Dans les deux cas, l’examen microscopique au moyen d’un éclairement oblique révèle des particularités dans la structure qui permettent une nouvelle différentiation. C’est ainsi qu’on distingue aujourd’hui : la ferrite, fer essentiellement pur ; la martensite, fer contenant des proportions variables de carbone, mais dont la structure est homogène et qui répond à la notion de solution solide ; la cémentite, combinaison de fer et de carbone représentée par la formule Fe3C. Le carbone pur peut en outre se trouver disséminé dans le fer à l’état de graphite, parfois même à l’état de diamant ; c’est pourquoi il faut encore citer la perlite, fer carboné de structure non homogène et cependant de composition assez constante. Peut-être y aurait-il encore d’autres formes à considérer ; mais leur existence individuelle ne paraît pas être établie d’une façon absolument certaine[18].

Commençant par le fer pur, la ferrite, je dois vous dire tout d’abord que Le Chatelier a démontré que le fer, comme l’étain, existe sous deux modifications, dont la transformation réciproque est liée à une température déterminée, ici 850°. Nous distinguerons ces deux modifications par les noms de ferrite α et ferrite β ; la première est celle qui est stable au-dessous de 850° ; celle-ci répond au fer doux ordinaire, aussi exempt de carbone que possible, tel que le fil d’archal. Ces relations sont représentées par la figure 3 dans laquelle les températures sont portées en abscisses et les proportions % de carbone sont portées en ordonnées.

Le second fait, que nous avons maintenant à considérer, c’est que le fer β peut prendre du carbone et former une solution solide, propriété que ne possède pas le fer α. Étant donnée l’analogie entre la température de transformation et le point de fusion, ainsi que l’analogie des solutions solide et liquide, on prévoit que l’addition de carbone au fer β abaissera la température de transformation, de même que la présence d’une substance dissoute abaisse la température de solidification d’un corps fondu ; on peut même, en appliquant les lois des solutions liquides, calculer, comme l’a fait Jüptner, l’abaissement du point de transformation ; c’est ce qui est représenté par une ligne partant du point de l’axe horizontal correspondant à 850° et remontant vers la gauche, indiquant ainsi la diminution de la température de transformation corrélative à l’augmentation de la teneur en carbone. Le point de solidification d’un corps fondu ne peut être abaissé indéfiniment par addition de quantités croissantes de
Fig. 3 Kohlenstoff : Carbone. — Graphit u. Diamant : Graphite et Diamant. — Schmelzpunkt : Point de fusion. — Cementit : Cementite — Gusseisen : Fonte. — Schmiedeisen : fer doux. — Eisen : Fer. — Martensit : Martensite. — Perlit : Perlite. — Stahl : Acier. — Proz. C : Carbone %. — Flüssig : Liquide.
la substance dissoute ; il en est de même du point de transformation d’une telle solution solide. Par congélation ou solidification progressive d’une solution liquide, la substance dissoute s’accumule de plus en plus dans la partie liquide, jusqu’à ce qu’elle s’en sépare sous une forme quelconque, par exemple à l’état solide. C’est alors qu’on atteint une limite inférieure de température où tout se solidifie et se transforme en une masse non homogène dont la composition est celle qu’avait la solution liquide au moment de cette solidification. Il en va de même de la solution solide du carbone dans le fer ; la proportion de carbone dans la ferrite augmente jusqu’à 0,8 %, et la forme sous laquelle se sépare ensuite le carbone, à 670° est la cémentite Fe3C. Dans les solutions qui se solidifient, les composés ou conglomérats ainsi formés ont été longtemps considérés comme des corps unitaires, à cause de leur composition définie ; on a appelé cryohydrates ceux qui sont produits par les solutions aqueuses ; de même pour les solutions du carbone dans le fer, on a cru que la perlite était un corps unitaire. La vraie nature de ce corps est bien connue ; c’est un mélange de ferrite et de cémentite, et la constance de sa composition est maintenant expliquée. La perlite, qui résulte du refroidissement lent d’un acier contenant 0,8 % de carbone, est tout à fait comparable au cryohydrate d’un sel tel que le sulfate de cuivre, qui existe aussi à l’état d’hydrate véritable dans le mélange appelé cryohydrate ; la glace correspond au fer et l’hydrate de sulfate de cuivre au fer carburé. L’analogie peut se représenter par le symbole suivant, où nous supposons un cryohydrate qui se solidifie à −5°.

Cryohydrate −5° Dissolution
Eau Hydrate
Perlite 670° Solution solide
Ferrite Cémentite

Les phénomènes que nous venons de décrire sont mis en évidence de la même façon dans les deux cas, au moyen du thermomètre, mais tandis qu’on peut apercevoir ce qui se passe au sein d’une solution, pour le fer c’est seulement l’étude de la structure qui nous indique que pour 0,8 % de carbone on a de la perlite, et pour une proportion moindre un mélange de ferrite et de perlite.

C’est encore la comparaison avec les solutions qui nous apprendra comment se comportent les formes de fer riches en carbone : une solution plus riche en sulfate de cuivre que celle qui correspond au cryohydrate dépose d’abord par refroidissement du sulfate de cuivre et ensuite le cryohydrate ; de même un fer contenant beaucoup de carbone donnera d’abord de la cémentite et ensuite de la perlite.

Cette analogie, qui concorde si bien avec les faits observés, doit être attribuée à une propriété inattendue des solutions solides du carbone dans le fer : c’est que celles-ci, malgré l’état solide, permettent une séparation du mélange, séparation qui est forcément liée à un déplacement, à un mouvement interne. Toutefois cette mobilité interne décroît en même temps que la température ; de là résulte pour l’acier la faculté de pouvoir être dur ou mou, selon le cas : par refroidissement rapide de l’acier, on empêche la séparation du mélange qui se conserve alors indéfiniment ; la solution solide est restée dans le même état et correspond à l’acier trempé ou martensite. Je ferai encore remarquer que la théorie des solutions n’est pas absolument étrangère à l’accroissement de la dureté du fer par suite de l’absorption du carbone en solution solide : un corps dissous diminue en effet la tension maximum, c’est-à-dire s’oppose à la désagrégation à la surface[19]. Les solutions solides dont nous parlons forment aussi une série continue, depuis le fer doux jusqu’à la cémentite très dure.

Nous avons encore un troisième phénomène à expliquer, c’est la séparation sous forme de graphite du carbone contenu dans le fer. Prenons la cémentite Fe3C, qui correspond assez bien à la fonte blanche industrielle ; dans ce composé, une séparation se produit au-dessus de 1 000°, avec formation de graphite et d’une solution contenant 1,8 % de carbone ; cette température et cette proportion de carbone établissent ainsi la limite des espèces de fer qui forment de la cémentite par refroidissement lent, et nous pouvons dans la figure 3 joindre le point correspondant au point qui figure la proportion de 0,8 % de carbone et la température de 670°. De cette façon nous avons à peu près épuisé la première partie des phénomènes relatifs à la transformation d’une solution solide.

Passons maintenant au métal en fusion, aux solutions liquides, par conséquent, en commençant par le fer pur, dont nous marquons le point de fusion, 1 600°, sur l’axe horizontal ; de ce point part la courbe qui représente les températures de fusion plus basses dues à l’addition de carbone ; cette courbe se termine au point correspondant à 4,3% de carbone et à la température de 1 130°, c’est-à-dire au point de fusion le plus bas que puisse présenter le fer carburé. Les espèces de fer plus riches en carbone, soumises à un refroidissement brut, séparent déjà au-dessus de 1 130° la quantité de carbone qu’elles contiennent au delà de 4,3 %. Mais, comme l’a indiqué Roozeboom à la suite de l’étude de plusieurs solutions solides et de leurs produits de fusion, ce métal fondu contenant 4,3 % de carbone ne donne pas une solution solide de même composition ; celle-ci ne retient que 2 % de carbone, tandis que 2,3 % se séparent à l’état de graphite (ou à l’état de diamant sous de fortes pressions) ; là s’arrête la série des solutions solides, commençant à 1 000° avec 1,8 % de carbone, qui forment du graphite par refroidissement ; dans la figure la ligne correspondante est tracée.

J’ajouterai que, si le refroidissement est rapide, la séparation, même dans la matière fondue, peut ne pas se faire ; c’est ainsi que du composé Fe3C en fusion on obtient des cristaux lamelleux de cémentite, de la fonte blanche, tandis que par un refroidissement lent du graphite se sépare, il se forme de la cémentite, puis de la perlite, et l’on a ainsi de la fonte grise. Le diagramme, dans la figure 3, ne se rapporte qu’à des états stables résultant d’un refroidissement assez lent.

L’examen de ce diagramme pourra nous fournir la réponse à certaines questions. Prenons d’abord le point figuratif de l’état initial défini par la température et par la proportion de carbone. Les phénomènes produits par refroidissement seront indiqués par un déplacement du point figuratif dans la direction horizontale vers la gauche, jusqu’à la rencontre d’une courbe limite ; cette rencontre exprime une séparation, pendant laquelle on n’a qu’à suivre la courbe. À un refroidissement rapide correspond, au contraire, un déplacement horizontal ininterrompu. Une des questions les plus intéressantes serait d’examiner ce qui se passe dans les deux cas, pour un mélange de 6 2/3 % de carbone et 93 1/3 % de fer (correspondant à Fe3C) ; prenons ce mélange au delà du point de fusion, à 2 000°, par exemple. Si l’on refroidit brusquement, on obtient de la cémentite. Par un refroidissement lent, on aura d’abord du carbone à l’état de graphite, dans une proportion facile à calculer, puisque vers 1 130° il reste dans le fer 2 % de carbone, quantité qui se réduit à 1,8 % à 1 000°, avec séparation de graphite. De 100 parties du fer carburé employé on obtiendra donc :

6 2/393 1/3/98,2 × 1,8 = 4,96

parties de graphite. Les 95,04 parties de fer à 1,8 % de carbone séparent ensuite x parties de cémentite à 93 1/3 % de fer pur, jusqu’à ce que la proportion de carbone demeurée dans le fer tombe à 0,8 % à 670° ; le reste (95,04 − x) forme de la perlite à 99,2 % de fer. Ainsi les 99 1/3 parties de fer se repartissent comme l’indique l’équation :

93 1/3 = 93 1/3/100 x + (95,04 − x) 99,2/100,

d’où

x = 16.

En résumé, de 100 parties de fer carburé contenant 6 2/3 % de carbone, on obtient par refroidissement lent, en nombres ronds, 5 parties de graphite, 10 parties de cémentite (à 6 2/3 % de carbone) et 79 parties de perlite (à 0,8 % de carbone).


CINQUIÈME LEÇON


LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA PHYSIOLOGIE

Vous vous souvenez que j’avais l’intention de consacrer deux leçons à la Chimie physique dans ses rapports avec la physiologie.

Je commencerai par vous rappeler que les nouveaux développements de la Chimie physique reposent en quelque sorte sur deux bases fondamentales, dont l’une, désignée d’ordinaire sous le nom de « Théorie des solutions », a comme point essentiel l’extension de la loi d’Avogadro aux solutions. L’autre est l’application aux problèmes chimiques de la thermodynamique et tout particulièrement du principe de Carnot-Clausius.

Puisqu’il s’agit maintenant de la physiologie, nous aurons surtout à tenir compte de la théorie des solutions et nous laisserons la thermodynamique de côté. Si cette théorie prend de l’importance en physiologie, elle le doit principalement à deux facteurs que je vais vous indiquer.

Comme il a été dit au début, la nouvelle extension de la loi d’Avogadro, aussi bien que la loi primitive, est ce qu’on appelle une loi limite ; l’une et l’autre ne sont rigoureuses que pour une raréfaction ou une dilution infinies : cependant on peut dans la pratique les appliquer sans crainte aux gaz à la pression ordinaire et aux solutions dont la concentration ne dépasse guère le dixième de la concentration dite normale. Et maintenant c’est une circonstance heureuse que les phénomènes physiologiques que nous examinons se passent au sein de solutions semblablement diluées.

Un second facteur vient s’ajouter. La nouvelle théorie des solutions trouve son expression la plus simple dans ses rapports avec la pression osmotique. Pour les solutions diluées, la pression osmotique, à égalité de température, est égale à la pression gazeuse qu’on aurait si le corps dissous était réduit en vapeur dans l’espace occupé par la dissolution ; elle obéit par conséquent aux lois simples des gaz. Un heureux hasard, c’est que c’est précisément cette pression osmotique, dont on peut ainsi facilement poursuivre la détermination quantitative et obtenir l’expression numérique, qui joue le rôle principal dans les phénomènes physiologiques, aussi bien chez les animaux que chez les végétaux ; son importance s’est affirmée de plus en plus pendant ces dernières années et elle est l’objet d’une littérature très étendue.

Ceci me remet en mémoire les paroles que Lœb prononçait il y a deux ans dans une leçon faite à Ithaca sur « les questions actuelles de la physiologie » et dans laquelle cet auteur affirmait que, depuis l’époque qui a suivi immédiatement la découverte de la conservation de l’énergie, jamais ne s’est ouverte devant la physiologie une aussi brillante perspective que de nos jours. Et cette perspective de progrès, c’est en première ligne la théorie des solutions qui a contribué à l’ouvrir. D’autres auteurs se sont depuis exprimés dans le même sens[20]. J’ajouterai que, de même que les relations de la chimie physique et de l’industrie ont donné lieu à une série de leçons de Goldschmidt pour le personnel de la Badische Anilin- und Soda-Fabrik, de même les relations avec la physiologie et la médecine ont fourni matière à Cohen pour une série de leçons aux cercles médicaux d’Amsterdam. Il existe maintenant une traduction allemande de ces leçons[21].

Je pourrais encore citer le tableau abrégé que j’ai donné en 1891, à Utrecht, dans une occasion analogue à celle-ci. À cette époque, on en était encore au commencement mais déjà les recherches de de Vries[22] sur la croissance des plantes avaient fourni des bases nouvelles. Ce savant avait étudié le mécanisme sur lequel repose la tension spéciale que présente la plante fraîche en voie d’accroissement et qui manque à la plante en train de se flétrir. Dans le premier cas, il s’agit surtout d’une absorption d’eau et dans le second d’une perte d’eau. Ces phénomènes sont produits par un organisme cellulaire déterminé dont le mode d’action peut être le plus facilement étudié sur les plantes dont le contenu des cellules est coloré, telles que le Tradescantia discolor. Lorsqu’on provoque artificiellement la dessiccation en plongeant la partie étudiée dans une solution saline suffisamment concentrée, qui exerce sur l’eau une action osmotique attractive, l’examen microscopique montre que dans chaque cellule une membrane élastique s’est détachée de la paroi, resserrant ainsi le contenu coloré ; la sphère ainsi formée reste libre à l’intérieur de la cellule. Mais lorsqu’on remplace la solution saline par de l’eau, le protoplaste cellulaire l’absorbe, se gonfle, remplit la cellule, y exerce une tension ; c’est alors seulement que la division cellulaire et la croissance deviennent possibles. Le protoplaste contient en dissolution des substances qui exercent sur l’eau une action osmotique attractive, sucre, sels, acides végétaux, etc. ; mais il est indispensable, pour que les phénomènes décrits aient lieu, que la membrane élastique soit perméable à l’eau mais non aux substances dissoutes, sans quoi celles-ci se diffuseraient à l’extérieur et le protoplaste serait hors d’état de fournir à la cellule la tension, la turgescence nécessaire pour l’accroissement. Nous avons donc ici la membrane de choix, la membrane semi-perméable qu’il nous faut pour produire les phénomènes d’osmose, et de Vries l’a utilisée pour la mesure des forces osmotiques. Deux solutions différentes qui exercent la même action sur le protoplaste ont, en effet, la même pression osmotique ; on prend comme indice de cette égalité d’action le simple détachement de la membrane et de la paroi cellulaire polyédrique, de façon que la séparation soit visible au microscope dans quelques-unes des cellules, mais non dans toutes. En somme, deux faits sont acquis : l’un, c’est que l’accroissement de la cellule ne peut avoir lieu que par suite de la pression osmotique du contenu cellulaire, ou, pour mieux dire, du contenu tonoplastique ; l’autre, c’est que la plante nous fournit un moyen d’observer l’égalité de pression osmotique, l’isotonie des solutions.

À cette série d’expériences de physiologie végétale s’en ajoute une autre exécutée sur l’organisme animal par le célèbre physiologiste Donders, en collaboration avec Hamburger[23]. Ces savants ont trouvé que la fonction du sang, ou plus exactement des globules rouges, est en relation étroite avec la pression osmotique du liquide qui les baigne. Les phénomènes observés sont les suivants : On prend du sang défibriné, qui est du sang contenant encore tous ses globules rouges, mais dont on a enlevé la fibrine pour supprimer la coagulation ; on l’ajoute à des solutions de chlorure de sodium diversement concentrées ; suivant la concentration, les globules se comportent de deux façons différentes. Dans les solutions étendues, ils perdent leur matière colorante, c’est à-dire une partie essentiellement nécessaire pour l’accomplissement de leur fonction ; dans les solutions concentrées, ils la conservent, mais ils tombent au fond de la solution saline incolore. Si l’on cherche pour diverses substances dissoutes les concentrations limites qui n’altèrent pas le globule, il semble naturel d’attribuer a priori à une action spécifique du corps dissous l’influence exercée sur le globule, mais ce qui est frappant, c’est que les rapports de concentration que l’on trouve sont précisément ceux que fournissent les expériences de de Vries sur les cellules végétales ; c’est simplement la pression osmotique qui régit le sens du phénomène.

Permettez-moi de vous citer encore une série d’expériences d’une toute autre nature ou ayant au moins un objet bien différent, celles que le docteur Massart, de Liège, a effectuées avec l’œil humain[24]. Ce savant introduisit dans son œil des solutions de substances inoffensives portées à la température du corps humain et put faire les observations suivantes : Si la solution est diluée au-dessous d’une certaine limite, l’œil tend à en augmenter la concentration en favorisant l’évaporation, et l’on éprouve une inclination insurmontable à tenir l’œil ouvert, à écarter les paupières ; si, au contraire, la solution est concentrée au delà d’une certaine limite, l’œil se ferme spontanément, la concentration est empêchée et la sécrétion des larmes produits une dilution. La concentration limite a été déterminée pour diverses substances et l’on a trouvé les mêmes rapports qu’avec les globules rouges du sang ou les cellules végétales.

Nous allons terminer cette série d’observations, dont quelques-unes ont porté sur l’organisme le plus élevé, par d’autres analogues ayant pour objet les formes les plus simples. Le même auteur[25] a reconnu que les bacilles sont extrêmement sensibles à une pression osmotique limite ; on peut le voir de la façon suivante. À des bacilles placés sur le porte-objet d’un microscope, on présente du bouillon de viande dans un tube capillaire, dans lequel ils se dirigent dès qu’ils l’ont perçu ; au bouillon on a ajouté un corps dissous, dont on change la concentration dans les divers essais. Les bacilles les plus agiles, comme le Polytoma Uvello, se rendent immédiatement dans le tube capillaire, mais ils tombent au fond du liquide instantanément ou au bout de peu de temps, si la concentration s’écarte plus ou moins d’une certaine valeur limite. Les bacilles plus flegmatiques, comme le Bacillus Megatherium, ne pénètrent dans le tube capillaire que s’il n’y a pour eux aucun danger de mort ; autrement ils s’arrêtent à l’entrée. Opérant avec diverses substances, on trouve que les concentrations isotoniques sont dans les mêmes rapports que ceux trouvés par les méthodes précédentes.

Je ne voudrais pas accaparer davantage votre temps pour continuer à vous exposer des études analogues ; toutefois je vous ferai remarquer que les faits déjà très frappants que nous venons de voir étaient collectionnés il y a plus de dix ans, et que depuis lors nos connaissances se sont multipliées d’une façon de plus en plus rapide. Un catalogue détaillé de la littérature a été donné par Koeppe[26] il y a un an. Depuis, l’intérêt s’est encore augmenté par cette découverte de Lœb[27], que la pression osmotique peut jusqu’à un certain point remplacer pour les œufs d’oursin l’acte de la fécondation. Ces œufs qui, déposés dans l’eau de mer, périssent s’ils ne sont pas fécondés, commencent à se développer si l’on augmente auparavant la pression osmotique de l’eau de mer en y ajoutant les substances les plus diverses, chlorure de magnésium, chlorure de potassium, sucre, urée. Le développement, c’est-à-dire la partition de la cellule se poursuit assez loin pour que l’ensemble acquière un commencement de motilité. Je dois vous dire qu’au début, l’auteur de cette découverte croyait à une action spécifique de la substance ajoutée, n’ayant encore essayé que le chlorure de magnésium ; ce n’est que par la suite, après avoir reconnu que les matières les plus diverses produisent le même effet, qu’il a songé à la pression osmotique. J’ajouterai que cette découverte, dépouillée de toutes les considérations osmotiques, a fait sur le public américain une telle impression que les journaux racontaient que Lœb avait trouvé l’élexir de vie. Lœb était bien le plus ardent à protester contre de telles assertions, mais comme il y a en général dans les récits des journaux un commencement de vérité, la nouvelle répandue n’était que l’expression un peu exagérée d’une pénétration inattendue dans la connaissance des phénomènes de la vie, que nous devons à l’étude des actions physiques et surtout osmotiques.

Maintenant que je vous ai montré de façons diverses l’importance du rôle que joue la pression osmotique dans les fonctions physiologiques, la question qui vient au premier plan est celle de la détermination de cette pression. Elle est malheureusement peu accessible à la mesure directe. On a réussi, il est vrai, dans des cas isolés, grâce aux efforts habiles de Pfeffer, à mesurer directement la pression osmotique, et sans doute on pourra arriver à le faire en général, mais jusqu’ici on n’a trouvé aucun moyen commode. Toutefois cette lacune est presque comblée grâce à la relation que fournit la thermodynamique entre la pression osmotique et l’abaissement du point de congélation, relation qui a toujours les caractères d’une loi limite et n’est rigoureuse que pour les solutions très diluées. On sait que les solutions se congèlent à une température plus basse que le dissolvant pur, l’eau de mer, par exemple, ne solidifie que bien au-dessous de 0°. Le calcul permet d’établir qu’une solution qui exerce à 0° une pression osmotique d’une atmosphère se solidifie seulement à −0°,084 ; pour les solutions étendues, telles que celles qu’on rencontre dans les organismes vivants, les deux grandeurs citées sont pratiquement proportionnelles. On a rarement vu autant que dans ce domaine les diverses branches de la science se prêter un appui mutuel, mathématiques, physique, chimie, anatomie et physiologie ; ainsi la physiologie a besoin de connaître la pression osmotique, dont la détermination, fondée sur des considérations théoriques, a été réalisée par les méthodes expérimentales de Raoult, Eyckmann, Beckmann, etc. Il se trouve que dans la plupart des cas ce n’est pas la grandeur absolue de la pression osmotique qu’il importe d’obtenir, mais plutôt les valeurs relatives, qui sont fournies directement par l’abaissement du point de congélation ou dépression ; l’égalité osmotique, importante en physiologie, se montre immédiatement par l’égalité des températures de congélation. Un résultat remarquable de ces recherches, c’est que les liquides les plus divers contenus dans l’organisme sont en équilibre osmotique vis-à-vis les uns des autres et présentent le même point de congélation ; ceci est vrai, en particulier, pour les liquides contenus dans le corps de la mère et de l’enfant avant la naissance. Seules les excrétions du rein forment exception, car elles possèdent une pression osmotique beaucoup plus forte. Les écarts qui se produisent dans la valeur de cette pression peuvent indiquer des maladies du rein ou du cœur, les fonctions de ces deux organes ayant une liaison intime ; par exemple, dans le cas de l’ablation de l’un des reins, on pourra par une détermination du point de congélation, reconnaître si l’autre fonctionne normalement[28]. Mais il ne convient pas que je m’avance plus loin dans le domaine de la médecine, qui m’est totalement étranger, et je vais vous indiquer une voie nouvelle que la physiologie s’est ouverte avec l’aide de la chimie physique. Il s’agira encore une fois des électrolytes.

Comme nous l’avons déjà dit, la nouvelle conception des solutions, surtout des solutions étendues, nous force à admettre que dans les électrolytes, par conséquent dans les solutions aqueuses des sels, des acides forts et des bases fortes, il s’est produit une division effective de la molécule du corps dissous ; celle-ci est décomposée en ses ions, qui n’apparaissent que lors de l’électrolyse, de sorte que le chlorure de sodium, par exemple, en solution aqueuse se trouverait décomposé en sodium chargé d’électricité positive et en chlore chargé d’électricité négative. Les propriétés physiques sont d’accord avec cette conception, elles en font même une conclusion nécessaire, puisque les solutions d’électrolytes ont une pression osmotique double de la valeur normale ; les diverses propriétés chimiques ne peuvent guère aussi s’expliquer que par cette hypothèse, qu’on applique de toutes parts aujourd’hui à la physiologie. Le temps me presse ; je ne puis vous donner que de simples indications et vous faire observer que l’action d’un sel sur l’organisme résulte nécessairement de trois facteurs, les deux ions et le sel lui-même, car la dilution étant limitée, le sel n’est pas dissocié en totalité. Tous trois produisent des effets osmotiques semblables, un ion agit comme une molécule, et c’est ainsi qu’il faut considérer l’action osmotique de la solution. Mais il s’ajoute des actions spécifiques, et la façon d’agir commune à certains sels doit être attribuée à la présence d’un certain ion commun ; c’est ainsi que l’action toxique des sels de mercure est due à l’ion Hg. Déjà en cette question, des résultats importants seraient à signaler[29] : tous les composés du mercure ne renferment pas l’ion présumé Hg ; si cet ion est absent, il n’y a pas d’action toxique ; celle-ci d’ailleurs paraît dépendre du degré d’ionisation.


SIXIÈME LEÇON


LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA PHYSIOLOGIE (suite)

Cette seconde leçon sur la chimie physique considérée dans ses rapports avec la physiologie sera consacrée à l’étude de l’action des enzymes. Ce nom a été donné à des composés très complexes qu’on trouve dans les organismes animaux et végétaux et qui ont la propriété de provoquer certaines réactions sans qu’elles-mêmes éprouvent une altération sensible ; il suffit souvent d’une quantité infinitésimale pour produire la transformation d’une quantité considérable de matière. Un des exemples les plus anciennement connus nous est fourni par l’émulsine, qui a la propriété de décomposer rapidement l’amygdaline, contenue avec elle dans les amandes, en glucose, essence d’amandes amères et acide cyanhydrique. Examinons un exemple plus récent. On sait que la levure de bière transforme les sucres, et en particulier l’espèce de sucre appelée glucose, en alcool et acide carbonique ; c’est le phénomène appelé fermentation alcoolique et qui est appliqué dans la préparation des liqueurs spiritueuses. Jusqu’à ces derniers temps, on a vu là dedans l’action vitale de la levure, organisme inférieur qui se développe dans la fermentation en absorbant, comme il semble, du sucre et rejetant de l’acide carbonique et de l’alcool. Mais Buchner a démontré il y a quelques années que l’action de la levure peut se faire sans l’intervention de la force vitale. On peut, en effet, après avoir tué la levure en la chauffant à une température déterminée, en extraire une substance dépourvue de vie comme de forme organisée et qui cependant produit la fermentation. Cette substance a été appelée zymase ; sa solution mélangée à du glucose amène bientôt un bouillonnement dû au dégagement d’acide carbonique accompagné de la formation d’alcool. Les enzymes actuellement connues sont déjà nombreuses, et il est remarquable que les fermentations analogues à celle dont nous venons de parler, qui sont si importantes en physiologie et ont été pour le plus grand nombre attribuées à l’action directe d’un organisme vivant, nous paraissent aujourd’hui causées par des enzymes, c’est-à-dire par des substances non organisées qui toutefois prennent naissance dans le corps de l’animal ou du végétal. Du moment que ces actions enzymiques se font sans l’intervention directe de la vie, elles rentrent dans la catégorie des actions catalytiques. Sans doute, lorsqu’on envisage la nature des enzymes et les phénomènes produits, elles paraissent très compliquées et s’éloignent ainsi de la mousse de platine, par exemple, qui forme de l’eau aux dépens du gaz tonnant. Cependant la chimie physique peut ici encore nous fournir des indications utiles, car certaines de ses déductions sont, pour leurs applications, indépendantes du phénomène considéré et leur portée n’est pas affaiblie par la complication de ce phénomène. Il est donc superflu d’expliquer à ce point de vue la composition et le caractère chimique de ces enzymes ; elles paraissent être très voisines des albuminoïdes, et l’étude de leur structure intime nous permettra sans doute un jour de comprendre leur remarquable action spécifique, c’est-à-dire pourquoi telle enzyme agit sur le glucose, telle autre sur l’amygdaline. Mais nous nous placerons pour le moment à un autre point de vue, et nous considérerons les enzymes comme des substances qui provoquent ou accélèrent une réaction chimique sans qu’elles éprouvent finalement une modification permanente. Il est possible, il est vrai, et c’est peut-être le cas le plus fréquent, que l’enzyme s’unisse à la substance pour former un composé qui se détruit en régénérant l’enzyme, mais ces particularités sont pour nous de peu d’importance, et du moment que l’enzyme reste en totalité, nous pouvons appliquer certains principes que nous allons d’abord exposer.

Ces principes se rapportent à l’équilibre chimique, et il en a déjà été question. Certaines réactions chimiques, ce sont surtout les plus connues, telles que la formation de l’eau par la combustion du gaz tonnant, sont complètes, c’est-à-dire se continuent jusqu’à ce que la transformation soit totale, dans l’exemple cité, que le gaz tonnant ait totalement disparu. Mais il s’en faut que ce soit le cas général, bien au contraire : considérons l’action d’un acide sur un alcool, de l’acide acétique sur l’alcool éthylique ; cette action, lente à la température ordinaire, est plus rapide lorsqu’on chauffe le mélange et fournit de l’acétate d’éthyle et de l’eau ; mais ce qui est essentiel c’est que, comme l’ont établi Berthelot et Péan de Saint-Gilles, la transformation exprimée par l’équation

C2H4O2 + C2H6O = C2H3O2(C2H5) + H2O

ne va pas jusqu’au bout mais s’arrête lorsque les deux tiers environ du mélange d’acide et d’alcool sont transformés. Prenant 60 grammes d’acide acétique et 40 grammes d’alcool on n’obtient pas la quantité théorique, 88 grammes d’acétate d’éthyle, mais seulement 59 grammes. La cause en est que l’eau agit sur l’acétate d’éthyle dans le sens opposé et l’on arrive encore à la limite indiquée un partant du mélange de 88 grammes d’acétate d’éthyle avec 88 grammes d’eau. Le repos final apparent résulte ainsi de deux réactions inverses qui se font avec la même vitesse, ce qu’exprime le symbole

C2H4O2 + C2H6O ⇄ C2H3O2(C2H5) + H2O

Il sera peut-être bon d’employer encore une image. Représentons (fig. 4) la variation de composition par une longueur portée de gauche à droite, de façon que le point A indique le mélange d’acide et d’alcool, et le point B le Figure 4.
Fig. 4
mélange d’éther et d’eau ; le point C situé aux deux tiers de la distance AB exprime la composition du mélange à l’état d’équilibre. La transformation chimique peut être figurée par une bille qui roule sur une courbe DEF et s’arrête au point le plus bas ; le déplacement de D en E correspond à la formation de l’éther et le déplacement de F en E au phénomène inverse, à la saponification. Mais, pour que l’image serre le phénomène de plus près, nous devrons supposer que la bille est dépourvue d’inertie, qu’elle n’arrive pas en E avec sa vitesse maximum pour dépasser ensuite cette position, mais qu’elle se meut de plus en plus lentement et arrive avec une vitesse nulle à sa position d’équilibre.

Ce diagramme convient encore pour représenter les réactions qui paraissent totales, car on a reconnu peu-à-peu que, même dans ce cas, il y a réellement une limite ; seulement, comme l’indique la courbe GH, elle est rejetée assez loin d’un côté pour que les moyens les plus délicats soient nécessaires pour mettre en évidence la petite quantité restante de l’un des deux systèmes. Les idées à ce sujet se sont complètement modifiées : autrefois les réactions d’équilibre paraissaient être l’exception ; aujourd’hui on a bien des raisons de croire, au moins dans le cas de mélanges homogènes de systèmes pouvant se transformer l’un en l’autre, comme les solutions, que l’équilibre est le fait réel et que la transformation n’est totale qu’en apparence.

Maintenant nous pouvons faire un pas de plus. Il est possible de prévoir quelles sont les réactions qui se continueront assez loin pour que l’existence d’une limite, à la température ordinaire, échappe à l’observateur et ne puisse se manifester qu’à une température plus élevée, en raison de son déplacement vers le milieu ; ce sont les réactions qui sont accompagnées d’un grand dégagement de chaleur et nous retrouvons ici, sous une forme un peu modifiée, le « Principe du travail maximum » dont nous avons parlé précédemment. À cette catégorie appartiennent les réactions bien connues qui se produisent avec incandescence ou explosion.

Il en est autrement quand le dégagement de chaleur est faible, et sous ce rapport on connaît un grand nombre de cas très concluants dans lesquels le dégagement de chaleur est rigoureusement nul, quelle que soit la température. Ces réactions sont moins frappantes que les précédentes et un peu à part ; telles sont celles dans lesquelles un corps optiquement actif, c’est-à-dire qui dévie le plan de polarisation de la lumière, à droite, par exemple, comme l’acide tartrique ordinaire, se transforme en un autre de même composition, dont la molécule serait en quelque sorte l’image dans un miroir de la molécule du premier et qui produit sur la lumière polarisée une déviation égale et contraire à la première ; tel est l’acide tartrique gauche par rapport à l’acide tartrique ordinaire. Pour des cas semblables le dégagement de chaleur dans la transformation est rigoureusement nul, comme peut le faire prévoir l’identité des dimensions dans les deux molécules. Alors l’état d’équilibre est donné par le point qui est au milieu de la ligne figurative de la transformation, c’est-à-dire qu’il correspond au mélange inactif des deux acides en quantités égales. C’est ce que représente la courbe symétrique IK avec la bille au point le plus bas L.

Revenons maintenant à l’action des enzymes et remarquons ce fait, que les réactions qu’elles produisent ne sont toujours et partout accompagnées que d’un faible dégagement de chaleur : par exemple, la saponification qu’éprouve le beurre dans son rancissement est une réaction dont l’effet thermique est presque nul. De là résulte nécessairement que des actions semblables conduisent à des états d’équilibre observables ; on pourrait seulement se demander si, précisément parce qu’il s’agit d’enzymes, les transformations ne seraient pas totales. Ici encore la figure 4 va nous venir en aide. Un tel déplacement de l’équilibre correspond à un mouvement de la bille à partir du point le plus bas et, par conséquent, à une production de travail, ce qui est impossible puisque l’enzyme agit à la façon d’un catalyseur et se retrouve inaltérée ; quand même elle éprouverait une modification, un affaiblissement, cela ne changerait que peu de chose, car cette modification ne correspondrait qu’à un travail insignifiant et, par suite, à un déplacement insensible de l’équilibre.

Ceci nous conduit forcément à une conclusion surprenante au sujet de l’action des enzymes. Si cette action ne peut déplacer la position d’équilibre et que cet équilibre diffère sensiblement de l’état final, il est nécessaire que, là où une réaction est provoquée ou accélérée, une réaction inverse soit influencée de la même manière. Nous avons déjà quelques faits d’accord avec cette conclusion. Par exemple, Lemoine a trouvé que la formation d’acide iodhydrique au moyen de l’iode et de l’hydrogène est accélérée par la présence de la mousse de platine, sans que celle-ci soit altérée ; de plus, la limite de transformation, qui apparaît bien avant que la combinaison soit complète, n’est pas influencée par le platine ; enfin l’accélération de la décomposition de l’acide iodhydrique que doit, d’après ce qui précède, produire la présence du platine, a été vérifiée par l’expérience. Tout récemment, Baker a observé que le chlorure d’ammonium parfaitement sec se volatilise sans décomposition et que l’acide chlorhydrique ne se combine pas à l’ammoniaque lorsque ces gaz sont absolument exempts d’humidité. Une trace d’humidité suffit pour provoquer immédiatement et à froid l’union de l’ammoniaque et de l’acide chlorhydrique et pour produire à une température plus élevée la décomposition du chlorure d’ammonium.

Sans doute les choses se passent moins simplement avec les enzymes, parce que dans les composés organiques complexes auxquels on a affaire, tant de réactions diverses sont possibles que, au lieu de la réaction inverse, c’est une autre qui peut se produire en même temps que la réaction directe. Sans cela on pourrait affirmer d’une façon générale que les enzymes sont capables de reformer un corps au moyen des corps plus simples en lesquels elles le décomposent, et l’on aurait ainsi un moyen simple de faire la synthèse de substances très importantes au point de vue physiologique ; par exemple, les albuminoïdes se scindent en corps plus simples sous l’action de certains ferments, tels que la trypsine ; on pourrait donc espérer de les reconstituer au moyen de leurs produits de décomposition et à l’aide de la trypsine.

Revenons maintenant aux faits constatés. C’est Hill qui paraît avoir obtenu, dans ses recherches sur la zymohydrolyse réversible[30], le premier exemple qui vérifie notre théorie : le maltose, qui contient dans sa molécule douze atomes de carbone, est décomposé en deux molécules de glucose par une enzyme contenue dans la levure, selon l’équation :

C12H22O11 + H2O = 2 C6H12O6 ;

réciproquement, il se forme par l’action de la même enzyme sur le glucose. Il est vrai qu’on a reconnu, depuis, que le sucre ainsi formé n’est pas le maltose, mais un isomère[31], l’isomaltose ; mais ceci importe peu car l’action synthétique de l’enzyme n’en est pas moins réelle. Plus récemment, Emmerling[32] a observé un phénomène analogue : on sait que l’amygdaline est décomposée par l’émulsine en glucose, essence d’amandes amères et acide cyanhydrique, selon l’équation :

C20H27AzO11 + 2 H2O = 2 C6H12O6 + C7H6O + CAzH ;

or elle peut être formée synthétiquement par action de la maltase, de la levure, déjà employée par Hill, sur un mélange de glucose et du glucoside, du nitrite amygdalique :

C14H17AzO6 + C6H12O6 = C20H27AzO11 + H2O.

Bien qu’on en soit encore aux premiers pas dans cette voie, il est manifeste qu’on a là un riche domaine à exploiter, dans lequel la chimie organique synthétique pourra un jour récolter une abondante moisson. Ce qui, en cela, est important, ce n’est pas seulement la possibilité de créer de ces substances qui jouent un si grand rôle dans l’organisme vivant, mais encore de se rapprocher beaucoup plus que les synthèses ordinaires de la voie suivie par la nature et peut-être même de suivre une voie identique.


SEPTIÈME LEÇON


LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA GÉOLOGIE

Je consacrerai les deux dernières leçons que j’ai à vous faire aux rapports de la chimie physique et de la géologie, et je vous résumerai les études qui m’ont particulièrement occupé pendant ces dernières années et pour lesquelles j’ai profité de la collaboration de M. Meyorhoffer.

On peut dire que, dans la formation de la croûte terrestre, deux phénomènes qui sont du ressort de la chimie physique ont joué un rôle capital :

1o Le refroidissement lent de la masse fluide et la solidification progressive de celle-ci ;

2o La concentration des solutions liquides avec formation de dépôts solides.

Dans les deux cas on a des déplacements de l’état d’équilibre, les uns sont plutôt de nature physique, comme la solidification et la cristallisation ; mais il y a aussi des déplacements de l’équilibre chimique qui sont dus à la variation de la température et de la concentration.

Pour entrer dans notre sujet, je remarquerai tout d’abord que les grands phénomènes de concentration qui ont de l’importance en géologie se sont produits dans l’eau de mer ou dans une solution de composition analogue. C’est là que se sont formés les puissants dépôts salins qui sont aujourd’hui la matière première de la production industrielle des sels. S’il ne s’agissait que du sel gemme ou chlorure de sodium, c’est-à-dire si l’eau de mer ne contenait pas d’autres corps accessoires ou secondaires, la question de la concentration aurait à peine besoin d’éclaircissement : l’eau s’évapore et le sel cristallise. Mais il est de la plus haute importance, aussi bien au point de vue technique qu’au point de vue minéralogique et géologique, de considérer que les substances accessoires de l’eau de mer, le magnésium, le potassium et le calcium à l’état de chlorures et de sulfates, l’acide borique, l’acide carbonique, le brome, le fer, etc., ont joué un rôle qui n’est pas nul, se sont d’abord accumulés dans l’eau, puis ont formé, comme on le voit à Stassfurt, une couche minérale au-dessus du sel gemme déposé antérieurement. Autrefois ces matières étaient rejetées comme étant sans valeur ; on les désignait sous le nom de « sels de déblais » (Abraumsalze) ; elles ont acquis depuis une importance industrielle qui dépasse de beaucoup celle du chlorure de sodium situé au-dessous, et la présence d’une trentaine de minéraux qu’on y rencontre plus ou moins mélangés ou superposés présente un problème dont on n’a pu aborder la solution que dans ces derniers temps, car ce n’est que depuis peu qu’on possède des données suffisantes pour embrasser l’ensemble de la cristallisation des solutions complexes.

Pour vous donner une vue approximative de l’état des choses, je vous dirai que les dépôts disposés par couches superposées peuvent se diviser en quatre régions, dont les deux premières, en partant du bas, sont appelées, du nom de sels de calcium qu’on y rencontre, régions de l’anhydrite (CaSO4) et de la polyhalite (2 CaSO4. MgSO4. K2SO4. 2 H2O). Dans les deux, le sel gemme alterne régulièrement avec de minces bandes formées d’anhydrite dans les couches inférieures et de polyhalite dans les couches plus élevées, dites bandes annuelles, car leur formation résulte de l’alternance des saisons. Les deux régions supérieures sont celles de la kiesérite (SO4Mg. H2O) et de la carnallite (MgCl2. KCl. 6 H2O). Le sel gemme accompagne toujours ces minéraux, mais en proportion décroissante à mesure qu’on s’élève. Cette disposition assez régulière est considérée comme le résultat de la concentration d’une solution analogue à l’eau de mer ; elle est dite primaire ; sont dits secondaires les produits qui en proviennent par une transformation ultérieure, comme la sylvine (KCl) provenant de la carnallite, la cainite (SO4Mg. KCl. 3 H2O) formée de la carnallite et de la kiesérite.

Cette manière de voir a été pour la première fois soumise au contrôle de l’expérience par le chimiste italien Usiglio[33], qui a effectué la concentration de l’eau de mer sur une grande échelle et obtenu comme produits de séparation le carbonate de calcium, le chlorure de sodium, le gypse (SO4Ca. 2 H2O), le sulfate de magnésium avec 6 et 7 molécules d’eau, le chlorure de potassium, la schoenite (SO4Mg. SO4K2. 6 H2O), la carnallite et le chlorure de magnésium mais il lui manqua certains minéraux importants, dont l’anhydrite, la polyhalite et la kiesérite, qui ont donné leur nom à trois des quatre régions des dépôts de Stassfurt ; on va comprendre pourquoi les résultats d’expériences comme celles d’Usiglio ne présentent qu’une concordance imparfaite avec ce qu’on a trouvé dans la nature. Le problème a dû être envisagé d’une façon différente et plus générale ; la question est celle-ci : Quelle est l’influence, non seulement de la composition de la solution, mais encore de la température, de la pression et du temps, sur la nature des dépôts formés ? C’est seulement aujourd’hui que nous sommes à même de répondre.

En premier lieu, j’appellerai votre attention sur un principe qu’on a souvent invoqué et qui, à première vue, paraît évident : la série des produits qui se déposent dans une solution correspond à celle des solubilités, de telle sorte que les corps les plus solubles n’apparaissent que les derniers. Ce principe manque de rigueur. Sans doute il est vérifié d’une façon approximative par la série des régions naturelles de Stassfurt : un sel de calcium peu soluble s’est d’abord séparé à l’état d’anhydrite, puis une combinaison de ce sel avec des sulfates plus solubles a donné la polyhalite ; après cela, le sulfate de magnésium, facilement soluble, s’est déposé seul à l’état de kiésérite et enfin s’est formée la carnallite très soluble. Mais il est évident qu’on pourrait, par exemple, faire une solution assez riche en sulfate de magnésium et assez pauvre en sulfate de calcium pour que, par la concentration, ce soit d’abord le premier de ces sels, le plus soluble qui cristallise. Ainsi la composition de la solution joue un rôle important dans la succession des dépôts qui prennent naissance ; quant à la solubilité, dont le rôle est certainement prépondérant, il faut encore considérer qu’elle varie beaucoup sous l’influence des autres matières contenues dans la dissolution.

Examinons d’abord ces deux facteurs, la composition de la dissolution et la solubilité des substances dissoutes, mais limitons l’influence de la température, de la pression et du temps, en opérant à la température de 25°, à la pression atmosphérique et de la façon ordinaire des laboratoires. Nous suivrons la méthode d’Usiglio dans ses grandes lignes, mais nous généraliserons le problème de la concentration. La concentration de l’eau de mer deviendra un cas particulier, si dans notre recherche générale nous considérons en première ligne les matériaux qui entrent dans sa composition.

Parmi ces matériaux c’est, comme on sait, le chlorure de sodium qui par sa quantité joue le rôle capital ; ensuite viennent les chlorures et les sulfates de magnésium et de potassium, puis les sels de calcium ; nous nous en tiendrons à ces substances. Pour vous donner une idée nette de la composition de l’eau de mer, je vous indiquerai la proportion des composants, qui, ne tenant pas compte des sels de calcium, est remarquablement constante en tous les points du globe et correspond à l’expression suivante en molécules

100 NaCl + 2,2 KCl + 7,8 MgCl2 + 3,8 MgSO4.

Développons maintenant pas à pas les lois de la cristallisation en augmentant peu à peu le nombre des corps dissous :

S’il n’y a qu’un sel unique, la chose est assez simple ; par la concentration, la saturation arrive et le sel se dépose, jusqu’à ce que tout soit desséché. Mais lorsqu’il y en a deux, quel est celui qui se sépare le premier et quand apparaît le second ? Nous allons répondre à cette question pour le mélange de chlorure de sodium et de chlorure de potassium (à 25°C). Si la solution contient, par exemple, assez de chlorure de potassium pour que ce sel commence à se déposer, Figure 5
Fig. 5
par concentration la proportion de chlorure de sodium va augmenter jusqu’à ce que ce sel se dépose aussi ; à partir de ce moment, la solution conserve sa composition ; elle ne fait que diminuer en quantité et les deux sels cristallisent simultanément, jusqu’à ce que tout le liquide ait disparu. Il est évident qu’on arrive à la même solution finale en partant de l’extrémité opposée, c’est-à-dire d’une solution contenant un excès suffisant de chlorure de sodium. Ainsi l’état du système sera donné si l’on connaît la solution finale saturée des deux sels ; l’analyse indique pour une solution qui a été agitée assez longtemps à 25° avec un excès des deux sels, la composition :

1 000 H2O. 89 NaCl. 39 KCl(C, fig. 5),

de sorte que des solutions dans lesquelles la proportion du chlorure de sodium au chlorure de potassium est supérieure à 89. 58,5 : 39. 74,5 commencent par déposer du chlorure de sodium dans le cas contraire, c’est le chlorure de potassium qui se sépare le premier.

Ici les relations sont encore simples et, afin de conserver la même clarté lorsque nous passerons à des cas plus compliqués, nous allons les exprimer par un graphique (fig. 5). La solubilité du chlorure de sodium est donnée par l’expression

1 000 H2O. 111 NaCl(A, fig. 5),

et celle du chlorure de potassium par

1 000 H2O. 88 KCl(B, fig. 5).

Portons les quantités de chlorure de sodium en ordonnées, à partir de O de bas en haut, et les quantités de chlorure de potassium en abscisses, à partir du même point, de gauche à droite aux données indiquées correspondent les trois points C, A et B. Relions maintenant les points A et B au point C ; AC correspond à la saturation en chlorure de sodium pour des quantités croissantes de chlorure de potassium, et BC à la saturation en chlorure de potassium pour des quantités croissantes de chlorure de sodium. On comprend facilement ce qui va se passer lorsqu’on concentrera une solution : supposons que celle-ci ne soit pas saturée ; elle est représentée par un point c situé à l’intérieur de OACB dont la position indique la quantité des deux chlorures. Si l’on concentre la solution, ces quantités des deux sels (rapportées à 1 000 H2O) augmentent, mais leur rapport ne change pas ; ceci correspond à un déplacement en ligne droite du point figuratif qui s’éloigne de O, donc à un mouvement suivant cd dans le sens de la flèche. L’arrivée sur BC, en d, indique le commencent de la séparation du chlorure de potassium ; à partir de ce point, le déplacement du point figuratif change brusquement de direction, il se fait vers le point C en s’éloignant de B, dans le sens indiqué par la flèche. En C commence le dépôt simultané des deux sels, qui se continue jusqu’à dessiccation totale. La même chose se passera pour chaque dissolution des deux chlorures, et on arrivera toujours au même point C, que nous appellerons pour cette raison le point de cristallisation finale (Krystallisationsendpunkt).

Nous emprunterons à ce graphique le principe fondamental sur lequel nous nous appuierons pour les cas de cristallisation plus compliqués. Ce principe consiste en ceci que, lors de la cristallisation, la solution s’éloigne de plus en plus de la composition de celle qui ne contient que le corps qui cristallise et en est saturée. On comprend immédiatement ce qui arrivera si l’on fait l’inverse, c’est-à-dire si l’on ajoute de l’eau et le sel qui se déposerait pendant la concentration : la solution se rapproche de plus en plus de la solution saturée de ce sel unique, la proportion de l’autre sel à celui-ci diminuant indéfiniment.

Nous voyons dans la figure 5 quatre applications de ce principe. Si du chlorure de potassium se dépose, le point figuratif de la composition de la dissolution se déplace sur BC en s’éloignant du point B qui représente la saturation en chlorure de potassium ; si c’est le chlorure de sodium qui se dépose, le point figuratif se déplace sur AC et s’éloigne de A correspondant à la saturation en chlorure de sodium ; si les deux sels se déposent simultanément, le point figuratif est et demeure en C, car on comprend qu’il ne puisse se déplacer ni vers A ni vers B, ni dans aucune autre direction ; si rien ne se dépose, le point figuratif, qui occupait une position c, s’éloigne du point O qui correspond à l’eau pure. Tout ceci, qui nous paraît évident, nous donnera plus tard une indication utile. Nous allons passer maintenant à un cas plus compliqué.

Restons-en aux sels de l’eau de mer et considérons la proportion de ces sels rapportée à 100 molécules de chlorure de sodium :

100 NaCl. 2,2 KCl. 7,8 MgCl2. 3,8 MgSO4.

Au mélange des chlorures de potassium et de sodium nous pourrions ajouter un troisième sel, le chlorure de magnésium, par exemple, mais nous arriverons plus vite au but en considérant tout d’abord les trois sels, chlorure de potassium, chlorure de magnésium et sulfate de magnésium et ne tenant compte que plus tard du chlorure de sodium qui est toujours en excès.

Procédant d’une façon systématique, nous avons d’abord la combinaison chlorure de potassium et chlorure de magnésium, deux sels de même acide, puis la combinaison chlorure de magnésium et sulfate de magnésium, deux sels de même base. Il nous faut encore, pour traiter le problème d’une façon générale, tenir compte du sulfate de potassium, que nous n’avons pas indiqué, mais qui peut se former aux dépens du chlorure de potassium et du sulfate de magnésium. La troisième combinaison serait ainsi sulfate de magnésium et sulfate de potassium, avec l’acide commun, et la quatrième, sulfate de potassium et chlorure de potassium, avec la base commune.

Le tableau suivant contient les données de solubilité qu’il faut connaître si l’on veut représenter les phénomènes au moyen d’un graphique ; les quantités des divers sels sont indiquées en équivalents, le chlorure de potassium, par exemple, en doubles molécules K2Cl2.

Saturation en : Pour 1 000 H2O en molécules
K2Cl2 MgCl2 MgSO4 K2SO4
A. Chlorure de potassium 44,0
E. Chlorure de potassium et carnallite 05,5 072,5
F. Chlorure de magnésium et carnallite 01,0 105,0
B. Chlorure de magnésium 108,0
G. Chlorure de magnésium et MgSO4. 6 H2O 104,0 14,0
H. MgSO4. 7 H2O et MgSO4. 6 H2O 073,0 15,0
C. MgSO4. 7 H2O 55,0
J. MgSO4. 7 H2O et schœnite 58,5 05,5
K. Sulfate de potassium et schœnite 22,0 16,0
D. Sulfate de potassium 12,0
L. Sulfate de potassium et chlorure de calcium 42,0 01,5

La construction graphique facilite beaucoup la vue de l’ensemble. Nous pouvons conserver les deux axes rectangulaires du plan de la figure (fig. 6) et porter à partir de leur point d’intersection O, dans les quatre directions A, B, C et D les quantités respectives des quatre sels, chlorure de potassium, chlorure de magnésium, sulfate de magnésium et sulfate de potassium. Les quadrants compris entre ces axes correspondent aux quatre combinaisons énumérées des sels deux à deux ; nous utilisons ainsi quatre fois le mode de représentation adopté dans la figure 5. Dans trois des quadrants, la complication est un peu plus grande que dans la figure 5 à ceux de l’existence de certains composé définis : tandis qu’entre A, saturation en chlorure de potassium, et D, saturation en sulfate de potassium, il n’y a à considérer que la saturation pour les deux sels à la fois, en L, entre A et B, il y a, outre le chlorure de potassium et le chlorure de sodium, la carnallite MgCl2. KCl. 6 H2O, et il faut deux détermination, dont les résultats nous donnent les points E et F, correspondant à la saturation en carnallite et chlorure de potassium d’une part, en carnallite et chlorure de magnésium d’autre part. De même entre B et C, il y a, en GH, le sulfate de magnésium à 6 molécules d’eau, et entre C et D, en JK, la schœnite (SO4)2 MgK2. 6 H2O. La marche de la cristallisation se voit très facilement en appliquant le principe que nous avons exposé ; elle est indiquée par les flèches qui dans chacun des quadrants sont dirigées vers les points de cristallisation limite F, G, J et L.

Mais nous n’avons encore examiné qu’une partie des éventualités, car nous ne nous sommes pas occupés des solutions qui contiennent à la fois du chlore, de l’acide sulfurique, du magnésium et du potassium. Nous allons voir par un cas déterminé la façon de procéder dans l’étude expérimentale. Partons, par exemple, du point L (fig. 6) correspondant à la saturation Figure 6
Fig. 6
en chlorure de potassium et sulfate de potassium. Maintenant la température à 25° et ayant soin qu’un excès de ces deux sels soit toujours en contact avec la solution, ajoutons du magnésium sous forme de chlorure ou de sulfate. La solution s’enrichit en sels de magnésium tout en restant saturée de sulfate et de chlorure de potassium, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus prendre de magnésium et qu’il s’en dépose un sel solide de magnésium ; celui-ci, dans le cas actuel, est la schœnite (SO4)2 MgK2. 6 H2O. À partir de ce moment, la quantité de magnésium n’augmente plus dans la solution, et, si l’on continue à en ajouter, on ne fait qu’augmenter la schœnite déposée ; la solution conserve sa composition, puisqu’elle est et reste saturée en chlorure et sulfate de potassium ; cette composition correspond, comme l’a montré l’analyse, d’une solution qui a été agitée longtemps à 25° avec les trois sels, à la composition

1 000 H20. 25 K2Cl2. 11 MgSO4. 21 MgCl2.

Le problème se borne donc maintenant à l’étude et l’analyse de ces solutions de trois sels. A priori leur nombre peut être considérable si l’on considère les sept composés (K2Cl2MgCl2KSO4MgSO4, 6 H2OMgSO4, 7 H2O — carnallite — schœnite) dont il a été question ; il serait 7.6.5/1.2.3 = 35. En réalité il n’en subsiste qu’un nombre moindre, et par une concentration systématique de la solution à 25°, en ayant soin d’enlever chaque fois les sels déposés, toutes les éventualités réalisables se montrent et se réduisent à quatre.

Après que le chlorure de potassium et la schœnite se sont déposés, il se forme d’abord comme troisième sel du sulfate de magnésium à 7 molécules d’eau, et, après l’enlèvement de celui-ci, on obtient du sulfate de magnésium et du chlorure de potassium, auxquels s’ajoute ensuite comme troisième sel du sulfate de magnésium à 6 molécules d’eau ; à partir de ce moment, c’est ce dernier et le chlorure de potassium qui cristallisent jusqu’à ce que la carnallite apparaisse ; cette dernière continue à se déposer en même temps que le sulfate de magnésium à 6 molécules d’eau, et enfin vient s’ajouter du chlorure de magnésium et toute la solution se dessèche en laissant ces trois derniers sels.

Ces résultats sont consignés dans le tableau suivant :

Saturation en : Pour 1 000 H2O en molécules
K2Cl2 MgCl2 MgSO4
M. Chlorure de potassium, sulfate de calcium, schœnite 25,0 21 11,0
N. Chlorure de potassium, MgSO4. 7 H2O, schœnite 09,0 55 16,0
P. Chlorure de potassium, MgSO4. 7 H2O, MgSO4. 6 H2O 08,0 62 15,0
Q. Chlorure de potassium, carnallite, MgSO4. 6 H2O 04,5 70 13,5
R. Chlorure de magnésium, carnallite, MgSO4. 6 H2O 02,0 99 12,0

Il nous reste à porter ces nombres sur le graphique pour obtenir une vue d’ensemble du phénomène de la cristallisation.

Pour la représentation graphique, nous avons évidemment besoin d’un troisième axe correspondant à la troisième série de nombres : nous prendrons pour cela une verticale élevée en O, perpendiculaire aux deux axes primitifs. Il est commode de tracer les deux premiers axes sur une planche, aux divers point de laquelle on plante des aiguilles auxquelles on laisse des longueurs proportionnelles aux nombres de molécules du troisième corps contenues dans la dissolution. La figure 7 est la projection horizontale d’une modèle ainsi construit ; son contour coïncide évidemment avec celui de la figure 6. Les données ci-dessus ont fourni les points M, N, P, et R[34] et chaque couple de points correspondant à la saturation pour deux mêmes sels a été réuni par une ligne, par exemple, les deux points L et M correspondant tous deux à la saturation en sulfate et en chlorure de potassium.

Ces lignes divisent la figure en champs dont chacun correspond à la saturation par rapport à un sel déterminé :

EQPNMLA saturation  par  rapport  au chlorure de potassium.
EQRF à la carnallite.
FRGB au chlorure de magnésium.
MGHPQ au MgSO4. 6 H2O.
PHCJN au MgSO4. 7 H2O.
JKLMN à la schœnite.
KMLD au sulfate de sodium.

Le phénomène de la cristallisation est donné dans chaque champ par des lignes qui partent du point correspondant à la saturation par rapport au corps du champ seul ; ainsi dans le champ du chlorure de potassium, ces lignes partant du point A, etc.

Figure 7
Fig. 7

Appliquons ceci à un cas déterminé et prenons une solution contenant une molécule-gramme de chlorure de magnésium et une molécule-gramme de sulfate de potassium. La première concentration sans cristallisation correspond à un mouvement qui éloigne le point figuratif de l’origine O des axes dans le sens vertical, jusqu’à la rencontre du champ du sulfate de potassium ; alors ce dernier sel se sépare, comme le montre l’expérience, ce qui correspond à un mouvement qui éloigne le point figuratif du point D, jusqu’à la limite KM, où la schœnite va cristalliser. Si l’on enlève les sels qui ont cristallisé et que l’on continue la concentration, la schœnite se dépose, ce qui correspond à un déplacement dans le champ de la schœnite suivant les lignes qui y sont tracées jusqu’à la limite MN, où commence le dépôt de chlorure de potassium. On voit, par les ligues qui de part et d’autre de MN représentent la marche de la cristallisation, qu’à partir de ce moment le point figuratif reste sur MN[35], jusqu’à ce que le sulfate de magnésium vienne à cristalliser, en N, etc. Maintenant, il est possible de calculer la quantité de sels déposée pour amener la solution en un point qui représente une composition donnée ; les résultats du calcul se sont trouvés d’accord avec ceux qu’a fournis l’expérience exécutée de plusieurs façons, de sorte que la figure 7 peut être utilisée comme moyen de représenter l’ensemble des phénomènes de cristallisation du mélange considéré.


HUITIÈME LEÇON


LA CHIMIE PHYSIQUE ET LA GÉOLOGIE (suite)

Maintenant que nous avons appris à appliquer le principe de la cristallisation, il nous sera facile de faire rentrer dans notre étude les autres combinaisons qui prennent part à la formation des sels naturels ; ce sont le chlorure de sodium et les sels de calcium.

Je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails, je tiens seulement à vous faire observer qu’on peut établir et qu’on a, en effet, établi un schéma analogue à celui de la figure 7 pour le cas où, à la température de 25°, toutes les solutions sont saturées de chlorure de sodium, ce qui correspond toujours aux relations naturelles. Quant aux sels de calcium, leur faible solubilité fait qu’ils ne changent que peu la composition de ces solutions, et il nous faut seulement établir de quelles solutions le calcium se déposera à l’état de gypse CaSO4. 2 H2O, d’anhydrite CaSO4, de syngénite CaSO4. K2SO4. H2O, ou sous toute autre forme.

Ce que je voudrais mettre en évidence dans cette seconde leçon consacrée à la géologie, c’est le rôle du temps, de la température et de la pression, qui est de grande importance.

Le temps joue un rôle capital, et c’est précisément son influence qu’il est le plus difficile d’étudier par des expériences de laboratoire. Dans les expériences de cristallisation directe de l’eau de mer, telles que les a exécutées Usiglio, il est évident que c’est du temps qu’on a tenu le moindre compte et c’est pourquoi il est à peu près impossible de se rapprocher de cette façon des phénomènes géologiques. La manière d’opérer que nous avons introduite nous permet d’obtenir davantage. Au début elle nous a donné des résultats qui ne différaient pas essentiellement de ceux d’Usiglio ; toutefois, à la longue, apparaissent l’un après l’autre des composés dont la formation dans la méthode ordinaire de cristallisation peut être retardée d’une façon tout à fait inattendue. De tels retards vous sont bien connus dans les solutions dites sursaturées, comme celles du sulfate de sodium. La sursaturation est facile à écarter par l’addition du corps par rapport auquel la solution est sursaturée, ici le sulfate de sodium, c’est pourquoi nous avons toujours préparé nos solutions saturées par une agitation prolongée avec les sels qu’on voulait dissoudre, et en outre, pour bien déterminer le sens de la saturation, un essai filtré était mis en contact avec des cristaux bien formés des même sels. De cette façon, ce n’était qu’une question d’heures, au plus de jours, mais il s’est trouvé que certains composés, qui à 25° devaient se former dans les solutions étudiées n’apparaissaient pas du tout. Ce sont, abstraction faite des sels de calcium, la léonite (SO4)2MgK2. 4 H2O, la cainite SO4Mg. KCl. 3 H2O, et la kiesérite SO4Mg. H2O. Même après une cristallisation très lente après addition de ces composés comme tels ne fait pas cesser la sursaturation par rapport à ces corps.

Ici précisément se montre la supériorité de la nouvelle méthode, puisque les indications ne sont pas fournies par des expériences directes de cristallisation, et que par l’établissement d’un nombre relativement restreint de données relatives à la solubilité on peut étudier qualitativement et quantitativement l’ensemble des phénomènes de la cristallisation. Ces données s’obtiennent facilement malgré le retard dont je viens de parler, les expériences de saturation par agitation n’exigeant qu’un temps modéré. Voici d’abord les données ainsi obtenues :

Saturation en chlorure de sodium et : Sur 1 000 H2O en molécules
Na2Cl2 K2Cl2 MgCl2 MgSO4 Na2SO4
O. 55,5
A. MgCl2. 6 H2O 02,5 103,0
B. KCl 41,5 19,5
C. Na2SO4 51,0 12,5
D. MgCl2. 6 H2O, carnallite 01,0 00,5 103,5
E. KCl, carnallite 02,0 05,5 070,5
F. KCl, glasérite 44,0 20,0 04,5
G. Na2SO4, glasérite 44,5 10,5 14,5
H. Na2SO4, astrakanite 46,0 16,5 03
I. MgSO4. 7 H2O, astrakanite 26,0 07,0 34,0
J. MgSO4. 7 H2O, MgSO4. 6 H2O 04,0 067,5 12,0
K. MgSO4. 6 H2O, kiesérite 02,5 079,0 09,5
L. Kiesérite, MgCl2. 6 H2O 01,0 102,0 05,0
M. KCl, glasérite, schœnite 23,0 14,0 021,5 14,0
N. KCl, schœnite, léonite 14,0 11,0 037,0 14,5
P. KCl, cainite, léonite 09,0 09,5 047,0 14,5
Q. KCl, cainite, carnallite 02,5 06,0 068,0 05,0
R. Carnallite, cainite, kiesérite 00,5 01,0 085,5 08,0
S. Na2SO4, glasérite, astrakanite 42,0 08,0 16,0 06
T. Glasérite, astrakanite, schœnite 27,5 10,5 016,5 18,5
U. Léonite, astrakanite, schœnite 22,0 10,5 023,0 19,0
V. Léonite, astrakanite, MgSO4. 7 H2O 10,5 07,5 042,0 19,0
W. Léonite, cainite, MgSO4. 7 H2O 09,0 07,5 045,0 19,5
X. MgSO4. 6 H2O, cainite, MgSO4. 7 H2O 03,5 04,0 065,5 13,0
Y. MgSO4. 6 H2O, cainite, kiesérite 01,5 01,5 077,0 10,0
Z. Carnallite, MgSO4. 6 H2O, kiesérite 00,0 00,0 100,0 05,0

Ces données peuvent être représentées de la façon indiquée précédemment, au moyen d’un modèle solide, dont la figure 8 est la projection horizontale ; toutefois on n’indique pas dans le modèle la quantité de chlorure de sodium, et le sulfate de sodium d’après l’équation

Na2SO4 = Na2Cl2 + MgSO4 − MgCl2,

n’intéresse pas la somme des molécules et est porté sur un axe OC qui divise en deux parties égales l’angle DOB. Les champs se rapportant aux corps suivants :

Figure 8
Fig. 8
Champ Formule Dénomination
minéralogique
01. ALZD MgCl2.6H2O Bischoffite.
02. BFMNPQE KCl Sylvine.
03. CGSH Na2SO4 Thénardite.
04. DZRQE MgCl3K.6H2O Carnallite.
05. FMTSG K3Na(SO4)2 Glasérite.
06. SHIVUT Na2Mg(SO4)2.4H2O Astrakanite.
07. JXWVI MgSO4.7H2O Reichardite.
08. JXYK MgSO4.6H2O N’a pas été trouvé.
09. KYRZL MgSO4.H2O Kiesérite.
10. TUNM K2Mg(SO4)2.6H2O Schœnite.
11. NUVWP K2Mg(SO4)2.4H2O Léonite.
12. PWXYRQ SO4Mg.KCl.3H2O Cainite.

En seconde ligne vient l’effet de la température. La température, comme on sait, exerce en général une influence sur la solubilité, et le diagramme relatif à 25° doit être modifié si la température est différente. Il est essentiel pour notre but de chercher quels enseignements nous pouvons en tirer pour la géologie. Ce qui est surtout caractéristique, c’est l’apparition d’espèces minérales qui ne se forment pas encore à la température de 25°, puis la production de certains mélanges de minéraux et enfin la disparition de minéraux qui ne peuvent exister au delà d’une température déterminée.

De corps qui n’apparaissent qu’au-dessus de 25°, je citerai deux exemples. Parmi les chlorures et sulfates de potassium, de sodium et de magnésium, il n’est que deux minéraux connus qu’on n’obtient pas à 25°, la langbeinite et la lœwite. Ce n’est pas à cause d’un retard de la cristallisation, que ces composés n’apparaissent pas, car placés dans des solutions à 25° où ils devraient être les premiers à se former, ils se décomposent en absorbant de l’eau ; la langbeinite fournit un mélange de sulfate de magnésium et de léonite, selon l’équation :

(SO4)2Mg2K2 + 11 H2O = SO4Mg. 7 H2O + SO4MgK2. 4 H2O,

et la lœwite donne de l’astrakanite

(SO4)2MgNa2. 2 H2O + 2 H2O = (SO4)2MgNa2. 4 H2O.

Ceci va nous renseigner pour la détermination de la température à laquelle ces corps se forment il suffit de chauffer leurs produits d’hydratation avec la solution qui en est saturée et agit sur l’eau avec la plus grande force attractive. Pour la langbeinite, la solution W de la figure 8 présente la saturation voulue en sulfate de magnésium et en léonite, et en outre la caïnite, par rapport à laquelle il y a aussi saturation, ajoute son action attractive pour l’eau. Dans cette solution, au-dessus de 37°, la langbeinite se reforme de ses produits d’hydratation et se détruit de nouveau à une température plus basse. La présence de la langbeinite dans les dépôts salins indique donc pour ceux-ci une température de formation supérieure à 37°. Une limite analogue pour la lœwite a été trouvée égale à 43°.

Figure 9
Fig. 9

Considérons maintenant une seconde influence de la température, celle qu’elle exerce sur la formation des mélanges de minéraux. La figure 8 l’exprime pour 25° ; nous allons toutefois la simplifier (fig. 9) en conservant les lignes limites mais en changeant la forme des champs de façon à en faire des rectangles. Alors on voit, par exemple, que la glasérite peut apparaître avec l’astrakanite, mais non avec la bischoffite, et ainsi la figure 9 résume un certain nombre de conclusions géologiques.

Lorsque, dans une leçon faite à Stassfurt sur ce sujet, j’ai présenté cette figure 9, M. Schwab a appelé mon attention sur le sel dur (Hartsatz), mélange de kiesérite et de chlorure de potassium, qui ne peut se former à 25°, puisque le champ de la caïnite sépare les champs de ces deux minéraux ; ce problème a été étudié pur Meyerhoffer, qui a trouvé que le sel dur est le produit d’une température beaucoup plus élevée, environ 70°, la plus haute dont on ait obtenu une indication certaine dans ce domaine.

Un troisième fait, la disparition de certaines espèces minérales, pourrait également être utilisé pour la thermométrie géologique. Par exemple la reichardite MgSO4. 7 H2O est limitée dans son existence par la température de 47°, la schœnite, par celle de 47°,5.

Il nous reste enfin à parler de la pression, qui est souvent tout indiquée comme un agent de production de minéraux qui, par suite du retard à la cristallisation, ne se forment pas dans les expériences ordinaires de laboratoire, par exemple l’anhydrite. À un examen plus précis, il semble toutefois que le rôle de la pression dans la formation des dépôts salins naturels soit relativement peu important. À Stassfurt, par exemple, on peut compter sur une profondeur de mer maximum de 1 500 mètres, ce qui pour un poids spécifique 1,2 au commencement de la séparation du sel, correspond à une pression de

1 500 × 1,2/10180 atmosphères.

Par la pression, et c’est ce qu’il est essentiel de remarquer, la température de formation, comme celle de 37° indiquée plus haut pour la langbeinite, se trouve déplacée ; elle est relevée par une augmentation de pression lorsque, comme c’est le cas général, ces formations qui ont lieu avec perte d’eau s’accompagnent d’un accroissement du volume total.

Ces déplacements sont du même ordre de grandeur que les variations des points de fusion par la pression. Ceci peut s’établir théoriquement, et nous avons effectué des déterminations expérimentales sur la formation de la tachydrite Mg2CaCl6. 12 H2O qui nous ont donné ce résultat prévu que la température de formation, ici 22°, ne s’élève que de quelques millièmes de degré, exactement 0°,017, pour une atmosphère, ce qui pour 180 atmosphères correspond à environ 3°.

Comme il faut, dans la formation naturelle des dépôts salins, compter avec les variations de la température, qui, d’après les observations de Kaleczinsky sur les lacs salés de Transylvanie[36], peuvent atteindre jusqu’à 50°, on voit que dans la question qui nous occupe l’influence de la pression est bien moindre que celle de la température.


TABLE DES MATIÈRES


Pages.
Première leçon.
La chimie physique et la chimie 
 13
Deuxième leçon.
La chimie physique et la chimie (suite
 23
Troisième leçon.
La chimie physique et l’industrie 
 30
Quatrième leçon.
La chimie physique et l’industrie (suite
 38
Cinquième leçon.
La chimie physique et la physiologie 
 46
Sixième leçon.
La chimie physique et la physiologie (suite
 53
Septième leçon.
La chimie physique et la géologie 
 59
Huitième leçon.
La chimie physique et la géologie (suite
 71


  1. Une science nouvelle. La chimie physique. Revue philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, 1899.
  2. Berl. Ber., 34, 399.
  3. Osmotische Untersuchungen, Leipzig, 1877
  4. Over de physiologische beteekenis der jongste stroomingen op chemisch-physich gebied. Natuur en Geneeskundig Congres, Utrecht, 1891
  5. Eine Methode zur Analyse der Turgorkraft. Pringheims Jahrbücher, 14.
  6. Onderzœkingen gedaan in het physiologisch laboratorium der Utrechtsche Hoogeschool (3), IX, 26.
  7. Extrait des Archives de Biologie, Liège, 1889.
  8. Kœppe a donné la liste de ces travaux jusqu’en 1900, Physikalische Chemie in der Medizin, Wien, 1900.
  9. On trouvera dans la Revue générale des Sciences de L. Olivier le résumé des travaux de parthénogenèse expérimentale de Lœb et autres ; R. G. S., 30 avril 1900, 568 ; 30 Déc. 1900, 1295 ; 15 Févr. 1901, 114 ; 30 Nov. 1901, 992. (T).
  10. The physiological problems of today. American Society of Naturalists, Ithaca, 1897.
  11. Jamais depuis la période qui a suivi immédiatement la découverte du principe de la conservation de l’énergie, la perspective de progrès de la physiologie n’a paru plus brillante qu’à présent, ce qui est dû pour une large part à l’application de la chimie physique aux problèmes de la vie.
  12. On sait que dans l’électrolyse la charge de l’équivalent-gramme est 96 500 coulombs, ce qui, pour une tension d’un volt, fait une énergie de 96 500 joules ; comme pour obtenir une petite calorie, il faut 4,18 joules, on voit que la chaleur correspondant à 1 équivalent-gramme est 96 500/4,1823 000 petites calories ou 23 grandes calories (T).
  13. Bredig et Knüpffer, Zeitschr. f. physik. Chem. 26, 260.
  14. Rapp. du Congrès de Phys., t. II, p. 365.
  15. À l’époque où cette leçon fut faite, l’exposé si complet du procédé de contact dans l’industrie de l’acide sulfurique fait par Knietsch n’avait pas paru. Je renverrai le lecteur à cette intéressante communication, Berl. Ber. 34, 4069 ; voir aussi Sackur, Zeitschr. f. Elektrochemie, 8, 77.

    [Le travail de Knietsch a été traduit en français dans la Rev. gén. de Chimie pure et appliquée, t. V, p. 49. (T)]

  16. Voir J. H. Van’t Hoff, Zinn, Gips und Stahl. Oldenburg, 1901, p. 6.
  17. Bruni : Ueber feste Lösungen ; Auren’s Sammlung chemisch-technischer Vorträge, 1900.
  18. Bakhuis-Roozeboom. Zeitschr. f. physik. Chemie, 34, 437 ; Benedicks, Ibid. 40, 545 ; Stanfield, Journal of the Iron and Steel Institute, II, 1900.
  19. Barus, Wied. Ann. 7, 383 ; 18, 930.
  20. Hamburger, De physische Scheikunde in hare beteekenis voor de geneeskundige wetenschappen. Groningen. Voir aussi His, die Bedeutung der Ionentheorie für die klinische Medizin. Tubingen, 190.
  21. Cohen, Vorträge für Aerzte über physikalische Chemie. Engelmann, 1901.
  22. Eine Methode zur Analyse der Turgorkraft. Pringsheims Jahrb. 14.
  23. Onderzoekingen gedaan in het physiologisch Laboratorium der Utrechtsche Hoogeschool (3), 9, 26.
  24. Archives de Biologie belges, 9, 15 (1889).
  25. Voir aussi Vladimirof, Archiv. für Hygiène, 10, 81 (1891).
  26. Physikalische Chemie in der Medizin. Voir aussi Cohen, Vorträge für Aerzte über physikalische Chemie.
  27. American Journal of Physiology, 3, 434 ; 4, 178 et 423. J’ajoute que le mécanisme de la fécondation, tel qu’il a été exposé par Boveri à la réunion des naturalistes à Hambourg (1902), paraît sous divers rapports, correspondre à un phénomène osmotique causés par la coagulation de l’albumine, ainsi que je l’avais alors moi-même indiqué.
  28. Rosemann. — Die Gefrierpunktsbestimmung und ihre Bedeutung für die Biologie. Greifswald, 1901. — Galeotti. — Ueber die Arbeit, welche die Nieren leisten. Arch. f. Anat. und Physiol. 1902, p. 200.
  29. Paul. — Hamburger Naturforscherversammlung, 1901.
  30. Journ. of the Chem. Soc. Trans., 1898, p. 634.
  31. Emmerling, Berl. Ber. 34, 600, 2206.
  32. Emmerling, Ibid., p. 3810.
  33. Annales de Chimie et de Phys., 1849 (3) 27, 92 et 172.
  34. Il est à remarquer que ce mode de représentation est indépendant de la façon dont on considère les sels de la dissolution, que ce soit, par exemple K2Cl2 et MgSO4 ou bien K2SO4 et MgCl2.
  35. C’est pourquoi les lignes limites, telles que MN, sont appelées lignes de cristallisation (Krystallisations bahnen) : il y en a quatre ; elles partent des points de cristallisation finale L, J, G, F et aboutissent à un point final commun R.
  36. Ueber die ungarischen warmen und heissen Kochsalzseen. Budapest, 1901.