La Cité antique, 1864/Livre IV

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Durand (p. 289-291).

LIVRE IV.

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Les révolutions.


Assurément on ne pouvait rien imaginer de plus solidement constitué que cette famille des anciens âges qui contenait en elle ses dieux, son culte, son prêtre, son magistrat. Rien de plus fort que cette cité qui avait aussi en elle-même sa religion, ses dieux protecteurs, son sacerdoce indépendant, qui commandait à l’âme autant qu’au corps de l’homme, et qui, infiniment plus puissante que l’État d’aujourd’hui, réunissait en elle la double autorité que nous voyons partagée de nos jours entre l’État et l’Église. Si une société a été constituée pour durer, c’était bien celle-là. Elle a eu pourtant, comme tout ce qui est humain, sa série de révolutions.

On ne peut pas dire d’une manière générale à quelle époque ces révolutions ont commencé. On conçoit en effet que cette époque n’ait pas été la même pour les différentes cités de la Grèce et de l’Italie. Ce qui est certain, c’est que dès le septième siècle avant notre ère, cette organisation sociale était discutée et attaquée presque partout. À partir de ce temps-là, elle ne se soutint plus qu’avec peine et par un mélange plus ou moins habile de résistance et de concessions. Elle se débattit ainsi plusieurs siècles, au milieu de luttes perpétuelles, et enfin elle disparut.

Les causes qui l’ont fait périr peuvent se réduire à deux. L’une est le changement qui s’est opéré à la longue dans les idées par suite du développement naturel de l’esprit humain, et qui, en effaçant les antiques croyances, a fait crouler en même temps l’édifice social que ces croyances avaient élevé et pouvaient seules soutenir. L’autre est l’existence d’une classe d’hommes qui se trouvait placée en dehors de cette organisation de la cité, qui en souffrait, qui avait intérêt à la détruire et qui lui fit la guerre sans relâche.

Lors donc que les croyances sur lesquelles ce régime social était fondé se sont affaiblies, et que les intérêts de la majorité des hommes ont été en désaccord avec ce régime, il a dû tomber. Aucune cité n’a échappé à cette loi de transformation, pas plus Sparte qu’Athènes, pas plus Rome que la Grèce. De même que nous avons vu que les hommes de la Grèce et ceux de l’Italie avaient eu à l’origine les mêmes croyances, et que la même série d’institutions s’était déployée chez eux, nous allons voir maintenant que toutes ces cités ont passé par les mêmes révolutions.

Il faut étudier pourquoi et comment les hommes se sont éloignés par degrés de cette antique organisation, non pas pour déchoir, mais pour s’avancer au contraire vers une forme sociale plus large et meilleure. Car sous une apparence de désordre et quelquefois de décadence, chacun de leurs changements les approchait d’un but qu’ils ne connaissaient pas.