La Cité antique, 1864/Livre V/Chapitre I

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Durand (p. 461-473).

CHAPITRE PREMIER.

NOUVELLES CROYANCES ; LA PHILOSOPHIE CHANGE LES RÈGLES DE LA POLITIQUE.

On a vu dans ce qui précède comment le régime municipal s’était constitué chez les anciens. Une religion très-antique avait fondé, d’abord la famille, puis la cité ; elle avait établi d’abord le droit domestique et le gouvernement de la gens, ensuite les lois civiles et le gouvernement municipal. L’État était étroitement lié à la religion ; il venait d’elle et se confondait avec elle. C’est pour cela que dans la cité primitive, toutes les institutions politiques avaient été des institutions religieuses, les fêtes des cérémonies du culte, les lois des formules sacrées, les rois et les magistrats des prêtres. C’est pour cela encore que la liberté individuelle avait été inconnue, et que l’homme n’avait pas pu soustraire sa conscience elle-même à l’omnipotence de la cité. C’est pour cela enfin que l’État était resté borné aux limites d’une ville, et n’avait jamais pu franchir l’enceinte que ses dieux nationaux lui avaient tracée à l’origine. Chaque cité avait non-seulement son indépendance politique, mais aussi son culte et son code. La religion, le droit, le gouvernement, tout était municipal. La cité était la seule force vive ; rien au-dessus, rien au-dessous ; ni unité nationale ni liberté individuelle.

Il nous reste à dire comment ce régime a disparu, c’est-à-dire comment, le principe de l’association humaine étant changé, le gouvernement, la religion, le droit ont dépouillé ce caractère municipal qu’ils avaient eu dans l’antiquité.

La ruine du régime politique que la Grèce et l’Italie avaient créé, peut se rapporter à deux causes principales. L’une appartient à l’ordre des faits moraux et intellectuels, l’autre à l’ordre des faits matériels ; la première est la transformation des croyances, la seconde est la conquête romaine. Ces deux grands faits sont du même temps ; ils se sont développés et accomplis ensemble pendant la série de six siècles qui précède notre ère.

La religion primitive, dont les symboles étaient la pierre immobile du foyer et le tombeau des ancêtres, religion qui avait constitué la famille antique et organisé ensuite la cité, s’altéra avec le temps et vieillit. L’esprit humain grandit en force et se fit de nouvelles croyances. On commença à avoir l’idée de la nature immatérielle ; la notion de l’âme humaine se précisa, et presque en même temps celle d’une intelligence divine surgit dans les esprits.

Que dut-on penser alors des divinités du premier âge, de ces morts qui vivaient dans le tombeau, de ces dieux Lares qui avaient été des hommes, de ces ancêtres sacrés qu’il fallait continuer à nourrir d’aliments ? Une telle foi devint impossible. De pareilles croyances n’étaient plus au niveau de l’esprit humain. Il est bien vrai que ces préjugés, si grossiers qu’ils fussent, ne furent pas aisément arrachés de l’esprit du vulgaire ; ils y régnèrent longtemps encore ; mais dès le cinquième siècle avant notre ère, les hommes qui réfléchissaient s’étaient affranchis de ces erreurs. Ils comprenaient autrement la mort. Les uns croyaient à l’anéantissement, les autres à une seconde existence toute spirituelle dans un monde des âmes ; dans tous les cas ils n’admettaient plus que le mort vécût dans la tombe, se nourrissant d’offrandes. On commençait aussi à se faire une idée trop haute du divin pour qu’on pût persister à croire que les morts fussent des dieux. On se figurait au contraire l’âme humaine allant chercher dans les Champs-Élysées sa récompense ou allant payer la peine de ses fautes ; et par un notable progrès, on ne divinisait plus parmi les hommes que ceux que la reconnaissance ou la flatterie faisait mettre au-dessus de l’humanité.

L’idée de la divinité se transformait peu à peu, par l’effet naturel de la puissance plus grande de l’esprit. Cette idée, que l’homme avait d’abord appliquée à la force invisible qu’il sentait en lui-même, il la transporta aux puissances incomparablement plus grandes qu’il voyait dans la nature, en attendant qu’il s’élevât jusqu’à la conception d’un être qui fût en dehors et au-dessus de la nature. Alors les dieux Lares et les Héros perdirent l’adoration de tout ce qui pensait.

Quant au foyer, qui ne paraît avoir eu de sens qu’autant qu’il se rattachait au culte des morts, il perdit aussi son prestige. On continua à avoir dans la maison un foyer domestique, à le saluer, à l’adorer, à lui offrir la libation ; mais ce n’était plus qu’un culte d’habitude, qu’aucune foi ne vivifiait plus.

Le foyer des villes ou prytanée fut entraîné insensiblement dans le discrédit où tombait le foyer domestique. On ne savait plus ce qu’il signifiait ; on avait oublié que le feu toujours vivant du prytanée représentait la vie invisible des ancêtres, des fondateurs, des Héros nationaux. On continuait à entretenir ce feu, à faire les repas publics, à chanter les vieux hymnes : vaines cérémonies, dont on n’osait pas se débarrasser, mais dont nul ne comprenait plus le sens.

Même les divinités de la nature, qu’on avait associées aux foyers, changèrent de caractère. Après avoir commencé par être des divinités domestiques, après être devenues des divinités de cité, elles se transformèrent encore. Les hommes finirent par s’apercevoir que les êtres différents qu’ils appelaient du nom de Jupiter, pouvaient bien n’être qu’un seul et même être ; et ainsi des autres dieux. L’esprit fut embarrassé de la multitude des divinités, et il sentit le besoin d’en réduire le nombre. On comprit que les dieux n’appartenaient plus chacun à une famille ou à une ville, mais qu’ils appartenaient tous au genre humain et veillaient sur l’univers. Les poëtes allaient de ville en ville et enseignaient aux hommes, au lieu des vieux hymnes de la cité, des chants nouveaux où il n’était parlé ni des dieux Lares ni des divinités poliades, et où se disaient les légendes des grands dieux de la terre et du ciel ; et le peuple grec oubliait ses vieux hymnes domestiques ou nationaux pour cette poésie nouvelle, qui n’était pas fille de la religion, mais de l’art et de l’imagination libre. En même temps, quelques grands sanctuaires, comme ceux de Delphes et de Délos, attiraient les hommes et leur faisaient oublier les cultes locaux. Les Mystères et la doctrine qu’ils contenaient, les habituaient à dédaigner la religion vide et insignifiante de la cité.

Ainsi une révolution intellectuelle s’opéra lentement et obscurément. Les prêtres mêmes ne lui opposaient pas de résistance ; car dès que les sacrifices continuaient à être accomplis aux jours marqués, il leur semblait que l’ancienne religion était sauve ; les idées pouvaient changer et la foi périr, pourvu que les rites ne reçussent aucune atteinte. Il arriva donc que, sans que les pratiques fussent modifiées, les croyances se transformèrent, et que la religion domestique et municipale perdit tout empire sur les âmes.

Puis la philosophie parut, et elle renversa toutes les règles de la vieille politique. Il était impossible de toucher aux opinions des hommes sans toucher aussi aux principes fondamentaux de leur gouvernement. Pythagore, ayant la conception vague de l’Être suprême, dédaigna les cultes locaux, et c’en fut assez pour qu’il rejetât les vieux modes de gouvernement et essayât de fonder une société nouvelle.

Anaxagore comprit le Dieu-Intelligence qui règne sur tous les hommes et sur tous les êtres. En s’écartant des croyances anciennes, il s’éloigna aussi de l’ancienne politique. Comme il ne croyait pas aux dieux du prytanée, il ne remplissait pas non plus tous ses devoirs de citoyen ; il fuyait les assemblées et ne voulait pas être magistrat. Sa doctrine portait atteinte à la cité ; les Athéniens le frappèrent d’une sentence de mort.

Les Sophistes vinrent ensuite et ils exercèrent plus d’action que ces deux grands esprits. C’étaient des hommes ardents à combattre les vieilles erreurs. Dans la lutte qu’ils engagèrent contre tout ce qui tenait au passé, ils ne ménagèrent pas plus les institutions de la cité que les préjugés de la religion. Ils examinèrent et discutèrent hardiment les lois qui régissaient encore l’État et la famille. Ils allaient de ville en ville, prêchant des principes nouveaux, enseignant non pas précisément l’indifférence au juste et à l’injuste, mais une nouvelle justice, moins étroite et moins exclusive que l’ancienne, plus humaine, plus rationnelle, et dégagée des formules des âges antérieurs. Ce fut une entreprise hardie, qui souleva une tempête de haines et de rancunes. On les accusa de n’avoir ni religion, ni morale, ni patriotisme. La vérité est que sur toutes ces choses ils n’avaient pas une doctrine bien arrêtée, et qu’ils croyaient avoir assez fait quand ils avaient combattu des préjugés. Ils remuaient, comme dit Platon, ce qui jusqu’alors avait été immobile. Ils plaçaient la règle du sentiment religieux et celle de la politique dans la conscience humaine, et non pas dans les coutumes des ancêtres, dans l’immuable tradition. Ils enseignaient aux Grecs que, pour gouverner un État, il ne suffisait plus d’invoquer les vieux usages et les lois sacrées, mais qu’il fallait persuader les hommes et agir sur des volontés libres. À la connaissance des antiques coutumes ils substituaient l’art de raisonner et de parler, la dialectique et la rhétorique. Leurs adversaires avaient pour eux la tradition ; eux, ils eurent l’éloquence et l’esprit.

Une fois que la réflexion eut été ainsi éveillée, l’homme ne voulut plus croire sans se rendre compte de ses croyances, ni se laisser gouverner sans discuter ses institutions. Il douta de la justice de ses vieilles lois sociales, et d’autres principes lui apparurent. Platon met dans la bouche d’un sophiste ces belles paroles : « Vous tous qui êtes ici, je vous regarde comme parents entre vous. La nature, à défaut de la loi, vous a faits concitoyens. Mais la loi, ce tyran de l’homme, fait violence à la nature en bien des occasions. » Opposer ainsi la nature à la loi et à la coutume, c’était s’attaquer au fondement même de la politique ancienne. En vain les Athéniens chassèrent Protagoras et brûlèrent ses écrits ; le coup était porté ; le résultat de l’enseignement des Sophistes avait été immense. L’autorité des institutions disparaissait avec l’autorité des dieux nationaux, et l’habitude du libre examen s’établissait dans les maisons et sur la place publique.

Socrate, tout en réprouvant l’abus que les Sophistes faisaient du droit de douter, était pourtant de leur école. Comme eux, il repoussait l’empire de la tradition, et croyait que les règles de la conduite étaient gravées dans la conscience humaine. Il ne différait d’eux qu’en ce qu’il étudiait cette conscience religieusement et avec le ferme désir d’y trouver l’obligation d’être juste et de faire le bien. Il mettait la vérité au-dessus de la coutume, la justice au-dessus de la loi. Il dégageait la morale de la religion ; avant lui, on ne concevait le devoir que comme un arrêt des anciens dieux ; il montra que le principe du devoir est dans l’âme de l’homme. En tout cela, qu’il le voulût ou non, il faisait la guerre aux cultes de la cité. En vain prenait-il soin d’assister à toutes les fêtes et de prendre part aux sacrifices ; ses croyances et ses paroles démentaient sa conduite. Il fondait une religion nouvelle, qui était le contraire de la religion de la cité. On l’accusa avec vérité « de ne pas adorer les dieux que l’État adorait. » On le fit périr pour avoir attaqué les coutumes et les croyances des ancêtres, ou comme on disait, pour avoir corrompu la génération présente. L’impopularité de Socrate et les violentes colères de ses concitoyens s’expliquent, si l’on songe aux habitudes religieuses de cette société athénienne, où il y avait tant de prêtres, et où ils étaient si puissants. Mais la révolution que les Sophistes avaient commencée, et que Socrate avait reprise avec plus de mesure, ne fut pas arrêtée par la mort d’un vieillard. La société grecque s’affranchit de jour en jour davantage de l’empire des vieilles croyances et des vieilles institutions.

Après lui, les philosophes discutèrent en toute liberté les principes et les règles de l’association humaine. Platon, Criton, Antisthènes, Speusippe, Aristote, Théophraste et beaucoup d’autres écrivirent des traités sur la politique. On chercha, on examina ; les grands problèmes de l’organisation de l’État, de l’autorité et de l’obéissance, des obligations et des droits, se posèrent à tous les esprits.

Sans doute la pensée ne peut pas se dégager aisément des liens que lui a faits l’habitude. Platon subit encore, en certains points, l’empire des vieilles idées. L’État qu’il imagine, c’est encore la cité antique ; il est étroit ; il ne doit contenir que 5 000 membres. Le gouvernement y est encore réglé par les anciens principes ; la liberté y est inconnue ; le but que le législateur se propose est moins le perfectionnement de l’homme que la sûreté et la grandeur de l’association. La famille même est presque étouffée, pour qu’elle ne fasse pas concurrence à la cité ; l’État seul est propriétaire ; seul il est libre ; seul il a une volonté ; seul il a une religion et des croyances, et quiconque ne pense pas comme lui doit périr. Pourtant au milieu de tout cela, les idées nouvelles se font jour. Platon proclame, comme Socrate et comme les Sophistes, que la règle de la morale et de la politique est en nous-mêmes, que la tradition n’est rien, que c’est la raison qu’il faut consulter, et que les lois ne sont justes qu’autant qu’elles sont conformes à la nature humaine.

Ces idées sont encore plus précises chez Aristote. « La loi, dit-il, c’est la raison. » Il enseigne qu’il faut chercher, non pas ce qui est conforme à la coutume des pères, mais ce qui est bon en soi. Il ajoute qu’à mesure que le temps marche, il faut modifier les institutions. Il met de côté le respect des ancêtres : « Nos premiers pères, dit-il, qu’ils soient nés du sein de la terre ou qu’ils aient survécu à quelque déluge, ressemblaient suivant toute apparence à ce qu’il y a aujourd’hui de plus vulgaire et de plus ignorant parmi les hommes. Il y aurait une évidente absurdité à s’en tenir à l’opinion de ces gens-là. » Aristote, comme tous les philosophes, méconnaissait absolument l’origine religieuse de la société humaine ; il ne parle pas des prytanées ; il ignore que ces cultes locaux aient été le fondement de l’État. « L’État, dit-il, n’est pas autre chose qu’une association d’êtres égaux recherchant en commun une existence heureuse et facile. » Ainsi la philosophie rejette les vieux principes des sociétés, et cherche un fondement nouveau sur lequel elle puisse appuyer les lois sociales et l’idée de patrie[1].

L’école cynique va plus loin. Elle nie la patrie elle-même. Diogène se vantait de n’avoir droit de cité nulle part, et Cratès disait que sa patrie à lui c’était le mépris de l’opinion des autres. Les cyniques ajoutaient cette vérité alors bien nouvelle, que l’homme est citoyen de l’univers et que la patrie n’est pas l’étroite enceinte d’une ville. Ils considéraient le patriotisme municipal comme un préjugé, et supprimaient du nombre des sentiments l’amour de la cité.

Par dégoût ou par dédain, les philosophes s’éloignaient de plus en plus des affaires publiques. Socrate avait encore rempli les devoirs du citoyen ; Platon avait essayé de travailler pour l’État en le réformant. Aristote, déjà plus indifférent, se borna au rôle d’observateur et fit de l’État un objet d’étude scientifique. Les épicuriens laissèrent de côté les affaires publiques ; « n’y mettez pas la main, disait Épicure, à moins que quelque puissance supérieure ne vous y contraigne. » Les cyniques ne voulaient même pas être citoyens.

Les stoïciens revinrent à la politique. Zénon, Cléanthe, Chrysippe écrivirent de nombreux traités sur le gouvernement des États. Mais leurs principes étaient fort éloignés de la vieille politique municipale. Voici en quels termes un ancien nous renseigne sur les doctrines que contenaient leurs écrits. « Zénon, dans son traité sur le gouvernement, s’est proposé de nous montrer que nous ne sommes pas les habitants de tel dème ou de telle ville, séparés les uns des autres par un droit particulier et des lois exclusives, mais que nous devons voir dans tous les hommes des concitoyens, comme si nous appartenions tous au même dème et à la même cité[2]. » On voit par là quel chemin les idées avaient parcouru de Socrate à Zénon. Socrate se croyait encore tenu d’adorer, autant qu’il pouvait, les dieux de l’État. Platon ne concevait pas encore d’autre gouvernement que celui d’une cité. Zénon passe par-dessus ces étroites limites de l’association humaine. Il dédaigne les divisions que la religion des vieux âges a établies. Comme il conçoit le Dieu de l’univers, il a aussi l’idée d’un État où entrerait le genre humain tout entier[3].

Mais voici un principe encore plus nouveau. Le stoïcisme, en élargissant l’association humaine, émancipe l’individu. Comme il repousse la religion de la cité, il repousse aussi la servitude du citoyen. Il ne veut plus que la personne humaine soit sacrifiée à l’État. Il distingue et sépare nettement ce qui doit rester libre dans l’homme, et il affranchit au moins la conscience. Il dit à l’homme qu’il doit se renfermer en lui-même, trouver en lui le devoir, la vertu, la récompense. Il ne lui défend pas de s’occuper des affaires publiques ; il l’y invite même, mais en l’avertissant que son principal travail doit avoir pour objet son amélioration individuelle, et que, quel que soit le gouvernement, sa conscience doit rester indépendante. Grand principe, que la cité antique avait toujours méconnu, mais qui devait un jour devenir l’une des règles les plus saintes de la politique.

On commence alors à comprendre qu’il y a d’autres devoirs que les devoirs envers l’État, d’autres vertus que les vertus civiques. L’âme s’attache à d’autres objets qu’à la patrie. La cité ancienne avait été si puissante et si tyrannique que l’homme en avait fait le but de tout son travail et de toutes ses vertus ; elle avait été la règle du beau et du bien, et il n’y avait eu d’héroïsme que pour elle. Mais voici que Zénon enseigne à l’homme qu’il a une dignité, non de citoyen, mais d’homme ; qu’outre ses devoirs envers la loi, il en a envers lui-même, et que le suprême mérite n’est pas de vivre ou de mourir pour l’État, mais d’être vertueux et de plaire à la divinité. Vertus un peu égoïstes et qui laissèrent tomber l’indépendance nationale et la liberté, mais par lesquelles l’individu grandit. Les vertus publiques allèrent dépérissant, mais les vertus personnelles se dégagèrent et apparurent dans le monde. Elles eurent d’abord à lutter, soit contre la corruption générale, soit contre le despotisme. Mais elles s’enracinèrent peu à peu dans l’humanité ; à la longue elles devinrent une puissance avec laquelle tout gouvernement dut compter, et il fallut bien que les règles de la politique fussent modifiées pour qu’une place libre leur fût faite.

Ainsi se transformèrent peu à peu les croyances ; la religion municipale, fondement de la cité, s’éteignit ; le régime municipal, tel que les anciens l’avaient conçu, dut tomber avec elle. On se détachait insensiblement de ces règles rigoureuses et de ces formes étroites du gouvernement. Des idées plus hautes sollicitaient les hommes à former des sociétés plus grandes. On était entraîné vers l’unité ; ce fut l’aspiration générale des deux siècles qui précédèrent notre ère. Il est vrai que les fruits que portent ces révolutions de l’intelligence, sont très-lents à mûrir. Mais nous allons voir, en étudiant la conquête romaine, que les événements marchaient dans le même sens que les idées, qu’ils tendaient comme elles à la du vieux régime municipal, et qu’ils préparaient de nouveaux modes de gouvernement.

  1. Aristote, Politique, II, 5, 12 ; IV, 5 ; IV, 7, 2 ; VII, 4 (VI, 4).
  2. Pseudo-Plutarque, fortune d’Alexandre, 1.
  3. L’idée de la cité universelle est exprimée par Sénèque, ad Marc., 4 ; De tranquill., 14 ; par Plutarque, De l’exil ; par Marc-Aurèle : « Comme Antonin, j’ai Rome pour patrie : comme homme, le monde. »