La Cité de Dieu (Augustin)/Livre III/Chapitre V

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 50).
CHAPITRE V.
IL N’EST POINT CROYABLE QUE LES DIEUX AIENT VOULU PUNIR L’ADULTÈRE DANS PÂRIS, L’AYANT LAISSÉ IMPUNI DANS LA MÈRE DE ROMULUS.

Quant à savoir si Vénus a pu avoir Énée de son commerce avec Anchise, et Mars avoir Romulus de son commerce avec la fille de Numitor, c’est ce que je ne veux point présentement discuter ; car une difficulté analogue se rencontre dans nos saintes Écritures, quand il s’agit d’examiner si en effet les anges prévaricateurs se sont unis avec les filles des hommes et en ont eu ces géants, c’est-à-dire ces hommes prodigieusement grands et forts dont la terre fut alors remplie[1]. Je me bornerai donc à ce dilemme : Si ce qu’on dit de la mère d’Énée et du père de Romulus est vrai, comment l’adultère chez les hommes peut-il déplaire aux dieux, puisqu’ils le souffrent chez eux avec tant de facilité ? Si cela est faux, il est également impossible que les dieux soient irrités des adultères véritables, puisqu’ils se plaisent au récit de leurs propres adultères supposés. Ajoutez que si l’on supprime l’adultère de Mars, afin de retrancher du même coup celui de Vénus, voilà l’honneur de la mère de Romulus bien compromis ; car elle était vestale, et les dieux ont dû venger plus sévèrement sur les Romains le crime de sacrilége que celui de parjure sur les Troyens. Les anciens Romains allaient même jusqu’à enterrer vives les vestales convaincues d’avoir manqué à la chasteté, au lieu que les femmes adultères subissaient une peine toujours plus douce que la mort[2] ; tant il est vrai qu’ils étaient plus sévères pour la profanation des lieux sacrés que pour celle du lit conjugal.

  1. Saint Augustin traitera cette question au livre xv, ch. 23. — Comp. Quœst. in Gen., n. 3.
  2. Voyez Tite-Live, liv. x, ch. 31.