La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IV/Chapitre XXV

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 86).
CHAPITRE XXV.
ON NE DOIT ADORER QU’UN DIEU, QUI EST L’UNIQUE DISPENSATEUR DE LA FÉLICITÉ, COMME LE SENTENT CEUX-LA MÊMES QUI IGNORENT SON NOM.

Acceptons cette explication ; ce sera peut-être un moyen de persuader plus aisément ceux d’entre les païens qui n’ont pas le cœur tout à fait endurci. Si l’humaine faiblesse n’a pas laissé de reconnaître qu’un dieu seul peut lui donner la félicité ; si le sentiment de cette vérité animait en effet les adorateurs de cette multitude de divinités, à la tête desquelles ils plaçaient Jupiter ; si enfin, dans l’ignorance où ils étaient du principe qui dispense la félicité, ils se sont accordés à lui donner le nom de l’objet même de leurs désirs, je dis qu’ils ont assez montré par là que Jupiter était incapable, à leurs propres yeux, de procurer la félicité véritable, mais qu’il fallait l’attendre de cet autre principe qu’ils croyaient devoir honorer sous le nom même de félicité. Je conclus qu’en somme ils croyaient que la félicité est un don de quelque dieu qu’ils ne connaissaient pas. Qu’on le cherche donc ce dieu, qu’on l’adore, et cela suffit. Qu’on bannisse la troupe tumultueuse des démons, et que le vrai Dieu suffise à qui suffit la félicité. S’il se rencontre un homme, en effet, qui ne se contente pas d’obtenir la félicité en partage, je veux bien que celui-là ne se contente pas d’adorer le dispensateur de la félicité ; mais quiconque ne demande autre chose que d’être heureux (et en vérité peut-on porter plus loin ses désirs ?) doit servir le Dieu à qui seul il appartient de donner le bonheur. Ce Dieu n’est pas celui qu’ils nomment Jupiter ; car s’ils reconnaissaient Jupiter pour le principe de la félicité, ils ne chercheraient pas, sous le nom de Félicité, un autre dieu ou une autre déesse qui pût le leur assurer. Ils ne mêleraient pas d’ailleurs au culte du roi des dieux les plus sanglants outrages, et n’adoreraient pas en lui l’époux adultère, le ravisseur et l’amant impudique d’un bel enfant.