La Cité de Dieu (Augustin)/Livre V/Chapitre IV

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 95).
CHAPITRE IV.
DES DEUX JUMEAUX ÉSAÜ ET JACOB, FORT DIFFÉRENTS DE CARACTÈRE ET DE CONDUITE.

Du temps de nos premiers pères naquirent deux jumeaux (pour ne parler que des plus célèbres), qui se suivirent de si près en venant au monde, que le premier tenait l’autre par le pied[1]. Cependant leur vie et leurs mœurs furent si différentes, leurs actions si contraires, l’affection de leurs parents si dissemblable, que le petit intervalle qui sépara leur naissance suffit pour les rendre ennemis. Qu’est-ce à dire ? S’agit-il de savoir pourquoi l’un se promenait quand l’autre était assis, pourquoi celui-ci dormait ou gardait le silence quand celui-là veillait ou parlait ? nullement ; car de si petites différences tiennent à ces courts intervalles de temps que ne sauraient mesurer ceux qui signalent la position des astres au moment de la naissance, pour consulter ensuite les astrologues. Mais point du tout : l’un des jumeaux de la Bible a été longtemps serviteur à gages, l’autre n’a pas été serviteur ; l’un était aimé de sa mère, l’autre ne l’était pas ; l’un perdit son droit d’aînesse, si important chez les Juifs, et l’autre l’acquit. Parlerai-je de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs biens ? Quelle diversité à cet égard entre les deux frères ? Si tout cela est une suite du petit intervalle qui sépare la naissance des deux jumeaux et ne peut être attribué aux constellations, je demande encore comment on ose, sur la foi des constellations, prédire à d’autres leur destinée ? Aime-t-on mieux dire que les destinées ne dépendent pas de ces intervalles imperceptibles, mais bien d’espaces de temps plus grands qui peuvent être observés ? À quoi sert alors ici la roue du potier, sinon à faire tourner des cœurs d’argile et à cacher le néant de la science astrologique ?

  1. Gen. XXV, 25.