La Cité de Dieu (Augustin)/Livre V/Chapitre VI

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 97).
CHAPITRE VI.
DES JUMEAUX DE SEXE DIFFÉRENT.

Il arrive même souvent dans la conception des jumeaux, laquelle a certainement lieu au même moment et sous la même constellation, que l’un est mâle et l’autre femelle. Je connais deux jumeaux de sexe différent qui sont encore vivants et dans la fleur de l’âge. Bien qu’ils se ressemblent extérieurement autant que le comporte la différence des sexes, ils mènent toutefois un genre de vie très-opposé, et cela, bien entendu, abstraction faite des occupations qui sont propres au sexe de chacun : l’un est comte, militaire, et voyage presque toujours à l’étranger ; l’autre ne quitte jamais son pays, pas même sa maison de campagne. Mais voici ce qui paraîtra incroyable si l’on croit à l’influence des astres ; et ce qui n’a rien de surprenant si l’on considère le libre arbitre de l’homme et la grâce divine : le frère est marié, tandis que la sœur est vierge consacrée à Dieu ; l’un a beaucoup d’enfants, et l’autre n’en veut point avoir. On dira, je le sais, que la force de l’horoscope est grande. Pour moi, je pense en avoir assez prouvé la vanité ; et, après tout, les astrologues tombent d’accord qu’il n’a de pouvoir que pour la naissance. Donc il est inutile pour la conception, laquelle s’opère indubitablement par une seule action, puisque tel est l’ordre inviolable de la nature qu’une femme qui vient de concevoir cesse d’être propre à la conception ; d’où il résulte que deux jumeaux sont de toute nécessité conçus au même instant précis[1]. Dira-t-on qu’étant nés sous un horoscope différent, ils ont été changés au moment de leur naissance, l’un en mâle et l’autre en femelle ? Peut-être ne serait-il pas tout à fait absurde de soutenir que les influences des astres soient pour quelque chose dans la forme des corps : ainsi, l’approche ou l’éloignement du soleil produit la variété des saisons, et suivant que la lune est à son croissant ou à son décours, on voit certaines choses augmenter ou diminuer, comme les hérissons de mer, les huîtres et les marées ; mais vouloir soumettre aux mêmes influences les volontés des hommes, c’est nous donner lieu de chercher des raisons pour en affranchir jusqu’aux objets corporels. Qu’y a-t-il de plus réellement corporel que le sexe ? et cependant des jumeaux de sexe différent peuvent être conçus sous la même constellation. Aussi, n’est-ce pas avoir perdu le sens que de dire ou de croire que la position des astres, qui a été la même pour ces deux jumeaux au moment de leur conception, n’a pu leur donner un même sexe, et que celle qui a présidé au moment de leur naissance a pu les engager dans des états aussi peu semblables que le mariage et la virginité ?

  1. Saint Augustin parait ici trop absolu. Il a contre lui l’autorité des grands naturalistes de l’antiquité : Hippocrate (De superfet.), Aristote (Hist. anim., lib, vii, cap. 4) et Pline (Béat. nat., lib.  vii, cap. 11).