La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VIII/Chapitre XVI

La bibliothèque libre.
La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 168).
CHAPITRE XVI.
SENTIMENT DU PLATONICIEN APULÉE TOUCHANT LES MŒURS ET LES ACTIONS DES DÉMONS.

Le même platonicien, parlant des mœurs des démons, dit qu’ils sont agités des mêmes passions que les hommes, que les injures les irritent, que les hommages et les offrandes les apaisent, qu’ils aiment les honneurs, qu’ils prennent plaisir à la variété des rites sacrés, et que la moindre négligence à cet égard leur cause un sensible déplaisir. C’est d’eux que relèvent, à ce qu’il nous assure, les prédictions des augures, aruspices, devins, les présages des songes, à quoi il ajoute les miracles de la magie. Puis il les définit brièvement en ces termes : Les démons, quant au genre, sont des animaux ; ils sont, quant à l’âme, sujets aux passions ; quant à l’intelligence, raisonnables ; quant au corps, aériens ; quant au temps, éternels ; et il fait observer que les trois premières qualités se rencontrent également chez les hommes, que la quatrième est propre aux démons et que la cinquième leur est commune avec les dieux. Mais je remarque à mon tour qu’entre les trois premières qualités qu’ils partagent avec les hommes, il en est deux qui leur sont aussi communes avec les dieux. Les dieux, en effet, sont des animaux dans les idées d’Apulée qui, assignant à chaque espèce son élément, appelle les hommes animaux terrestres, les poissons et tout ce qui nage, animaux aquatiques, les démons, animaux aériens, et les dieux, animaux célestes. Par conséquent, si les démons sont des animaux, cela leur est commun, non-seulement avec les hommes, mais aussi avec les dieux et avec les brutes ; raisonnables, cela leur est commun avec les dieux et avec les hommes ; éternels, avec les dieux seuls ; sujets aux passions, avec les seuls hommes ; aériens, voilà ce qui est propre aux seuls démons. Ce n’est donc pas un grand avantage pour eux d’appartenir au genre animal, puisque les brutes y sont avec eux ; avoir une âme raisonnable, ce n’est pas être au-dessus de nous, puisque nous sommes aussi doués de raison ; à quoi bon posséder une vie éternelle, si ce n’est point une vie heureuse ? car mieux vaut une félicité temporelle qu’une éternité misérable ; être sujets aux passions, c’est un triste privilège que nous possédons comme eux et qui est un effet de notre misère. Enfin, comment un corps aérien serait-il une qualité d’un grand prix, quand il est certain que toute âme, quelle que soit sa nature, est de soi supérieure à tout corps ; et dès lors, comment le culte divin, hommage de l’âme, serait-il dû à ce qui est au-dessous d’elle ? Que si, parmi les qualités qu’Apulée attribue aux démons, il comptait la vertu, la sagesse et la félicité, s’il disait que ces avantages leur sont communs avec les dieux et qu’ils les possèdent éternellement, je verrais là quelque chose de grand et de désirable ; et cependant on ne devrait pas encore les adorer comme on adore Dieu, mais plutôt adorer en Dieu la source de ces merveilleux dons. Tant il s’en faut qu’ils méritent les honneurs divins, ces animaux aériens qui n’ont la raison que pour pouvoir être misérables, les passions que pour l’être en effet, l’éternité que pour l’être éternellement !