La Cité de Dieu (Augustin)/Livre X/Chapitre X

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 202-203).
CHAPITRE X.
DE LA THÉURGIE, QUI PERMET D’OPÉRER DANS LES AMES UNE PURIFICATION TROMPEUSE PAR L’INVOCATION DES DÉMONS.

Voici donc qu’un philosophe platonicien, Porphyre, réputé plus savant encore qu’Apulée, nous dit que les dieux peuvent être assujétis aux passions et aux agitations des hommes par je ne sais quelle science théurgique ; nous voyons en effet que des conjurations ont suffi pour les effrayer et pour les faire renoncer à la purification d’une âme, de sorte que celui qui commandait le mal a eu plus d’empire sur eux que celui qui leur commandait le bien et qui se servait pourtant du même art. Qui ne reconnaît là les démons et leur imposture, à moins d’être du nombre de leurs esclaves et entièrement destitué de la grâce du véritable libérateur ? Car si l’on avait affaire à des dieux bons, la purification bienveillante d’une âme triompherait sans doute de la jalousie d’un magicien malfaisant ; ou si les dieux jugeaient que la purification ne fût pas méritée, au moins ne devaient-ils pas s’épouvanter des conjurations d’un envieux, ni être arrêtés, comme le rapporte formellement Porphyre, par la crainte d’un dieu plus puissant, mais plutôt refuser ce qu’on leur demande par une libre décision. N’est-il pas étrange que ce bon Chaldéen, qui désirait purifier une âme par des consécrations théurgiques, n’ait pu trouver un dieu supérieur, qui, en imprimant aux dieux subalternes une terreur plus forte, les obligeât à faire le bien qu’on réclamait d’eux, ou, en les délivrant de toute crainte, leur permît de faire ce bien librement ? Et toutefois l’honnête théurge manqua de recettes magiques pour purifier d’abord de cette crainte fatale les dieux qu’il invoquait comme purificateurs. Je voudrais bien savoir comment il se fait qu’il y ait un dieu plus puissant pour imprimer la terreur aux dieux subalternes, et qu’il n’y en ait pas pour les en délivrer. Est-ce donc à dire qu’il est aisé de trouver un dieu quand il s’agit non d’exaucer la bienveillance, mais l’envie, non de rassurer les dieux inférieurs, pour qu’ils fassent du bien, mais de les effrayer, pour qu’ils n’en fassent pas ? Ô merveilleuse purification des âmes ! sublime théurgie, qui donne à l’immonde envie plus de force qu’à la pure bienfaisance ! ou plutôt détestable et dangereuse perfidie des malins esprits, dont il faut se détourner avec horreur, pour prêter l’oreille à une doctrine salutaire ! Car ces belles images des anges et des dieux, qui, suivant Porphyre, apparaissent à l’âme purifiée, que sont-elles autre chose, en supposant que ces rites impurs et sacriléges aient en effet la vertu de les faire voir, que sont-elles, sinon ce que dit l’Apôtre[1], c’est à savoir : « Satan transformé en ange de lumière ? » C’est lui qui, pour engager les âmes dans les mystères trompeurs des faux dieux et pour les détourner du vrai culte et du vrai Dieu, seul purificateur et médecin des âmes, leur envoie ces fantômes décevants, véritable protée, habile à revêtir toutes les formes[2], tour à tour persécuteur acharné et persécuteur perfide, toujours malfaisant.

  1. II Cor. xi, 14.
  2. Virgile, Géorg., livre iv, v. 411.