La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XI/Chapitre XXV

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 239-240).
CHAPITRE XXV.
DE LA DIVISION DE LA PHILOSOPHIE EN TROIS PARTIES.

Tel est aussi, autant qu’on en peut juger, le principe de cette division de la philosophie en trois parties, établie ou, pour mieux dire, reconnue par les sages ; car si la philosophie se partage en physique, logique et éthique, ou, pour employer des mots également usités, en science naturelle, science rationnelle et science morale[1], ce ne sont pas les philosophes qui ont fait ces distinctions, ils n’ont eu qu’à les découvrir. Par où je n’entends pas dire qu’ils aient pensé à Dieu et à la Trinité, quoique Platon, à qui on rapporte l’honneur de la découverte[2], ait reconnu Dieu comme l’unique auteur de toute la nature, le dispensateur de l’intelligence et l’inspirateur de cet amour qui est la source d’une bonne et heureuse vie ; je remarque seulement que les philosophes, tout en ayant des opinions différentes sur la nature des choses, sur la voie qui mène à la vérité et sur le bien final auquel nous devons rapporter toutes nos actions, s’accordent tous à reconnaître cette division générale, et nul d’entre eux, de quelque secte qu’il soit, ne révoque en doute que la nature n’ait une cause, la science une méthode et la vie une loi. De même chez tout artisan, trois choses concourent à la production de ses ouvrages, la nature, l’art et l’usage. La nature se fait reconnaître par le génie, l’art par l’instruction et l’usage par le fruit. Je sais bien qu’à proprement parler, le fruit concerne la jouissance et l’usage l’utilité, et qu’il y a cette différence entre jouir d’une chose et s’en servir, qu’en jouir, c’est l’aimer pour elle-même, et s’en servir, c’est l’aimer pour une autre fin[3], d’où vient que nous ne devons qu’user des choses passagères, afin de mériter de jouir des éternelles, et ne pas faire comme ces misérables qui veulent jouir de l’argent et se servir de Dieu, n’employant pas l’argent pour Dieu, mais adorant Dieu pour l’argent. Toutefois, à prendre ces mots dans l’acception la plus ordinaire, nous usons des fruits de la terre, quoique nous ne fassions que nous en servir. C’est donc en ce sens que j’emploie le nom d’usage en parlant des trois choses propres à l’artisan, savoir la nature, l’art ou la science, et l’usage. Les philosophes ont tiré de là leur division de la science qui sert à acquérir la vie bienheureuse, en naturelle, à cause de la nature, rationnelle à cause de la science, et morale à cause de l’usage. Si nous étions les auteurs de notre nature, nous serions aussi les auteurs de notre science et nous n’aurions que faire des leçons d’autrui ; il suffirait pareillement, pour être heureux, de rapporter notre amour à nous-mêmes et de jouir de nous ; mais puisque Dieu est l’auteur de notre nature, il faut, si nous voulons connaître le vrai et posséder le bien, qu’il soit notre maître de vérité et notre source de béatitude.

  1. Saint Augustin s’exprime en cet endroit avec plus de réserve qu’au livre VIII, et il a raison ; car si la tradition rapporte en effet à Platon la première division de la philosophie, il n’en est pas moins vrai que cette division ne se rencontre pas dans les Dialogues.
  2. Saint Augustin renvoie ici à son huitième livre, ou il s’est déjà expliqué sur cette division de la philosophie, au chap. 4 et suiv.
  3. Comp. saint Augutin, De doctr. chris., lib. i, n. 3-5, et De Trinit., lib. X, n. 13.