La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XI/Chapitre XXXII

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 244-245).
CHAPITRE XXXII.
DE CEUX QUI CROIENT QUE LA CRÉATION DES ANGES A PRÉCÉDÉ CELLE DU MONDE.

Quelqu’un prétendra-t-il que ces paroles de la Genèse : « Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite », ne doivent point s’entendre de la création des anges, mais d’une lumière corporelle, quelle qu’elle soit ; et que les anges ont été créés, non-seulement avant le firmament, mais aussi avant toute autre créature ? alléguera-t-il, à l’appui de cette opinion, que le premier verset de la Genèse ne signifie pas que le ciel et la terre furent les premières choses que Dieu créa, puisqu’il avait déjà créé les anges, mais que toutes choses furent créées dans sa sagesse, c’est-à-dire dans son Verbe, que l’Ecriture nomme ici Principe[1], nom qu’il prend lui-même dans l’Evangile[2], lorsqu’il répond aux Juifs qui lui demandaient qui il était[3]. Je ne combattrai point cette interprétation, à cause de la vive satisfaction que j’éprouve à voir la Trinité marquée dès le commencement du saint livre de la Genèse. On y lit, en effet : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre », ce qui peut signifier que le Père a créé le monde dans son Fils, suivant ce témoignage du psaume : « Que vos œuvres, Seigneur, sont magnifiques ! Vous avez fait toutes choses dans votre sagesse[4] ». Aussi bien l’Ecriture ne tarde pas à faire mention du Saint-Esprit. Après avoir décrit la terre, telle que Dieu l’a créée primitivement, c’est-à-dire cette masse ou matière que Dieu avait préparée sous le nom du ciel et de la terre pour la structure de l’univers, après avoir dit : « Or, la terre était invisible et informe, et les ténèbres étaient répandues sur l’abîme » ; elle ajoute aussitôt, comme pour compléter le nombre des personnes de la Trinité : « Et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux ». Chacun, au reste, est libre d’entendre comme il le voudra ces paroles si obscures et si profondes qu’on en peut faire sortir beaucoup d’opinions différentes toutes conformes à la foi, pourvu cependant qu’il soit bien entendu que les saints anges, sans être coéternels à Dieu, sont certains de leur véritable et éternelle félicité. C’est à la société bienheureuse de ces anges qu’appartiennent les petits enfants dont parle le Seigneur, quand il dit : « Ils seront les égaux des anges du ciel[5] ». Il nous apprend encore de quelle félicité les anges jouissent au ciel, par ces paroles : « Prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits ; car je vous déclare que leurs anges voient sans cesse la face de mon Père, qui est dans les cieux[6] ».

  1. Dans le principe, dit la Genèse, Dieu créa le ciel et la terre.
  2. Jean, viii, 25.
  3. Voici le passage de saint Jean : « Ils lui dirent : Qui êtes-vous donc ? Jésus leur répondit : Je suis le principe ».
  4. Ps. ciii, 25.
  5. Matt. XIX, 14.
  6. Ibid. XVIII, 10 .