La Cité de Dieu (Augustin)/Livre II/Chapitre I

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 26).
LIVRE DEUXIÈME.
Argument. — Saint Augustin traite des maux que les Romains ont eu à subir avant Jésus-Christ, pendant que florissait le culte des faux dieux ; il démontre que loin d’avoir été préservée par ses dieux, Rome en a reçu les seuls maux véritables ou du moins les plus grands de tous, à savoir les vices de l’âme et la corruption des mœurs.


CHAPITRE PREMIER.
IL EST NÉCESSAIRE DE NE POINT PROLONGER LES DISCUSSIONS AU-DELÀ D’UNE CERTAINE MESURE.

Si le faible esprit de l’homme, au lieu de résister à l’évidence de la vérité, voulait se soumettre aux enseignements de la saine doctrine, comme un malade aux soins du médecin, jusqu’à ce qu’il obtînt de Dieu par sa foi et sa piété la grâce nécessaire pour se guérir, ceux qui ont des idées justes et qui savent les exprimer convenablement n’auraient pas besoin d’un long discours pour réfuter l’erreur. Mais comme l’infirmité dont nous parlons est aujourd’hui plus grande que jamais, à ce point que l’on voit des insensés s’attacher aux mouvements déréglés de leur esprit comme à la raison et à la vérité même, tantôt par l’effet d’un aveuglement qui leur dérobe la lumière, tantôt par suite d’une opiniâtreté qui la leur fait repousser, on est souvent obligé, après leur avoir déduit ses raisons autant qu’un homme le doit attendre de son semblable, de s’étendre beaucoup sur des choses très-claires, non pour les montrer à ceux qui les regardent, mais pour les faire toucher à ceux qui ferment les yeux de peur de les voir. Et cependant, si on se croyait tenu de répondre toujours aux réponses qu’on reçoit, quand finiraient les discussions ?

Ceux qui ne peuvent comprendre ce qu’on dit, ou qui, le comprenant, ont l’esprit trop dur et trop rebelle pour y souscrire, répondent toujours ; mais, comme dit l’Ecriture : « Ils ne parlent que le langage de l’iniquité[1] » ; et leur opiniâtreté infatigable est vaine. Si donc nous consentions à les réfuter autant de fois qu’ils prennent avec un front d’airain la résolution de ne pas se mettre en peine de ce qu’ils disent, pourvu qu’ils nous contredisent n’importe comment, vous voyez combien notre labeur serait pénible, infini et stérile. C’est pourquoi je ne souhaiterais pas avoir pour juges de cet ouvrage, ni vous-même, Marcellinus, mon cher fils, ni aucun de ceux à qui je l’adresse dans un esprit de discussion utile et loyale et de charité chrétienne, s’il vous fallait toujours des réponses, dès que vous verriez paraître un argument nouveau ; j’aurais trop peur alors que vous ne devinssiez semblables à ces malheureuses femmes dont parle l’Apôtre, « qui incessamment apprennent sans jamais savoir la vérité[2] ».

  1. Psal. xciii, 4.
  2. II Tim. iii, 7.