La Cité de Dieu (Augustin)/Livre II/Chapitre VII

La bibliothèque libre.
La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 29-30).
CHAPITRE VII.
LES MAXIMES INVENTÉES PAR LES PHILOSOPHES NE POUVAIENT SERVIR À RIEN, ÉTANT DÉPOURVUES D’AUTORITÉ DIVINE ET S’ADRESSANT À UN PEUPLE PLUS PORTÉ À SUIVRE LES EXEMPLES DES DIEUX QUE LES MAXIMES DES RAISONNEURS.

On nous alléguera peut-être les systèmes et les controverses des philosophes. Je répondrai d’abord que ce n’est point Rome, mais la Grèce qui leur a donné naissance ; et si l’on persiste à vouloir en faire honneur à Rome, sous prétexte que la Grèce a été réduite en province romaine, je dirai alors que les systèmes philosophiques ne sont point l’ouvrage des dieux, mais de quelques hommes doués d’un esprit rare et pénétrant, qui ont entrepris de découvrir par la raison la nature des choses, la règle des mœurs, enfin les conditions de l’usage régulier de la raison elle-même, tantôt fidèle et tantôt infidèle à ses propres lois. Aussi bien, parmi ces philosophes, quelques-uns ont découvert de grandes choses, soutenus qu’ils étaient par l’appui divin ; mais, arrêtés dans leur essor par la faiblesse humaine, ils sont tombés dans l’erreur ; juste répression de la divine Providence, qui a voulu surtout punir leur orgueil, et montrer, par l’exemple de ces esprits puissants, que la véritable voie pour monter aux régions supérieures, c’est l’humilité. Mais le moment viendra plus tard, s’il plaît au vrai Dieu notre Seigneur, de traiter cette matière et de la discuter à fond[1]. Quoi qu’il en soit, s’il est vrai que les philosophes aient découvert des vérités capables de donner à l’homme la vertu et le bonheur, n’est-ce point à eux qu’il eût fallu, pour être plus juste, décerner les honneurs divins ? Combien serait-il plus convenable et plus honnête de lire les livres de Platon, dans un temple consacré à ce philosophe, que de voir des prêtres de Cybèle[2] se mutiler dans le temple des démons, des efféminés s’y faire consacrer, des insensés s’y inciser le corps, cérémonies cruelles, honteuses, cruellement honteuses, honteusement cruelles, qui sont chaque jour célébrées en l’honneur des dieux ? Combien aussi serait-il plus utile, pour former la jeunesse à la vertu, de lire publiquement de bonnes lois, au nom des dieux, que de louer vainement celles des ancêtres ! En effet, tous les adorateurs de dieux pareils, lorsque le poison brûlant de la passion, comme dit Perse[3], s’est insinué dans leur âme, peu leur importe ce qu’enseignait Platon ou ce que Platon censurait, ils regardent ce que faisait Jupiter. De là ce jeune débauché de Térence qui, jetant les yeux sur le mur de la salle, et y voyant une peinture où Jupiter fait couler une pluie d’or dans le sein de Danaé, se sert d’un si grand exemple pour autoriser ses désordres, et se vante d’imiter Dieu :

« Et quel Dieu ? Celui qui ébranle de son tonnerre les temples du ciel. Certes, je n’en ferais pas autant, moi, chétif mortel, mais, pour le reste, je l’ai fait, et de grand cœur[4] ».

  1. Voyez plus bas les livres viii, ix et x, particulièrement destinés à combattre les philosophes.
  2. Sur ces prêtres nommé Galles, voyez plus loin, liv. VI, ch. 7, et liv. vii, ch. 25 et 26.
  3. Perse, Satires, iii, v. 37.
  4. Térence, Eunuque, act. iii, sc. 5, v. 36 et 37, 42 et 43.