La Cithare (Gille)/Les Jardins d’Akadémos

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La Cithare, Texte établi par Georges Barral Voir et modifier les données sur WikidataLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 151-155).

LES JARDINS D’AKADÉMOS


 
La rose s’ouvre et le platane est dans sa fleur.
L’azur, dans les massifs, étincelle et l’odeur
Balsamique des pins circule dans la brise.
C’est le jardin d’Akadémos. Sous le cytise
Mêlant des franges d’or à son feuillage clair,
Le matin resplendit ; le ciel rayonne, et l’air
Est transparent, subtil et doux. Dans les allées
Les vignes de clartés vertes sont étoilées,
Et des fleurs de soleil, d’un feu vif et changeant,
Dansent confusément sur le sable d’argent.

Les rossignols amis gazouillent. Sous les arbres
On voit, dans la lumière, étinceler les marbres ;
Les tranquilles bassins reflètent les autels ;
Et parfois on entend rire les Immortels
Dans les bosquets touffus où la source bouillonne.

Contre un pâle olivier ou contre une colonne
Avec grâce appuyés, de nobles jeunes gens,
Sous le calme regard de leurs dieux indulgents,
Échangent les propos de leur esprit paisible.
La naissante beauté pare leur corps flexible.
Ils cueillent des rameaux, chantent, et tour à tour
S’entretiennent des dieux, de science et d’amour.
Comme des fleurs d’avril s’éveillent leurs pensées.
Les branches des cyprès, mollement balancées,
Bruissent à la brise harmonieuse et font
Glisser parfois une ombre errante sur leur front.
D’autres passent, heureux, sous le feuillage humide :
C’est Xanthippe, Lysis, Ménexène et Charmide,
Et le divin Platon les conduit à pas lent.
Le Maître bienveillant les instruit, et mêlant
Le doux miel du plaisir à l’eau de la sagesse,
Il distribue à tous sa sublime richesse.
Il marche au milieu d’eux comme un calme semeur.
Sa parole est suave, et son esprit charmeur,
Subtil en fictions, est plein d’allégories.
Les disciples pensifs songent : dans les prairies

Des Muses, et pareille à l’abeille au matin
Qui butine en jouant la mélisse et le thym,
Leur âme vagabonde et joyeuse voltige.
Ils cherchent leur butin parfumé sur la tige
Des roses et des lis, comme des papillons.
Platon parle : ses yeux sont remplis de rayons ;
À son noble discours préside l’Harmonie.
Il chante, en ce moment, la Vénus Uranie,
L’amour qui, dépassant la terrestre beauté,
S’enflamme pour le bien et pour la vérité,
Celui qui, dédaignant l’apparence, pénètre,
Assoiffé d’éternel, l’essence de chaque être,
Et, comme but, aspire au Principe divin.

Platon s’arrête. Alors, abreuvé de ce vin,
Dans l’ombre des bosquets lumineux, chaque élève
S’entretient avec lui. Mais voici qu’il s’élève
Aux pures régions du ciel : à son accent
Plus grave, plus profond et plus sublime, on sent
Que les dieux sont présents et parlent par sa bouche :

« Un voile est sur vos yeux, ô mortels ; ce que touche,
Ici-bas, votre main, est un mirage épais.
Qui veut se délivrer et connaître la paix,

Doit vaincre les erreurs qui l’assaillent en foule.
Tout naît, tout disparaît, tout change, tout s’écoule.
Vous poursuivez une ombre, et vous ne voyez pas
Qu’elle s’enfuit sans cesse à chacun de vos pas.
L’âme, privée, hélas ! de sa splendeur première,
Ne participe plus à la pure lumière.
La terre est un cachot, où nous n’entrevoyons
Que des reflets obscurs sans vie et sans rayons ;
De cette illusion rapide qui nous presse,
Nous sommes éblouis et comme pris d’ivresse.
Heureux l’homme au cœur pur, victorieux et fort,
Qui, dominant les sens et l’œuvre de la mort,
Dédaigne pour toujours un monde d’apparence.
Lui seul, fortifié d’une chère espérance,
Des douleurs et des pleurs par son rêve abrité,
Dans nos sombres chemins marche vers la clarté.
Bientôt brille à ses yeux l’éblouissante aurore
Où l’âme, extasiée et sans désir, adore
Les types éternels du Vrai, du Beau, du Bien.
C’est la source de Vie. Il n’espère plus rien
De ses fleurs de mensonge autrefois possédées ;
Il contemple en esprit les divines Idées,
Et, plus haut, gravissant une échelle de feu,
Consomme, pour jamais, l’union avec Dieu. »

Il dit ; et sa parole est comme une rosée.
Les disciples ravis se taisent : leur pensée

 
Semble être une lumière au fond de leurs esprits.
Apollon les possède ; ils s’arrêtent, surpris,
Sous les platanes clairs à l’ombre délicate,
Croyant entendre encor la voix d’or de Socrate.