La Comédie de la Mort (1838)/Le Sphinx

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Le Sphinx. (1838)
La Comédie de la MortDesessart éditeur (p. 201-202).


LE SPHINX.


Dans le Jardin Royal où l’on voit les statues,
Une chimère antique entre toutes me plaît ;
Elle pousse en avant deux mamelles pointues,
Dont le marbre veiné semble gonflé de lait.


Son visage de femme est le plus beau du monde,
Son col est si charnu que vous l’embrasseriez ;
Mais quand on fait le tour, on voit sa croupe ronde,
On s’aperçoit qu’elle a des griffes à ses pieds.

Les jeunes nourrissons qui passent devant elle,
Tendent leurs petits bras et veulent avec cris,
Coller leur bouche ronde à sa dure mamelle ;
Mais quand ils l’ont touchée, ils reculent surpris.

C’est ainsi qu’il en est de toutes nos chimères,
La face en est charmante et le revers bien laid.
Nous leur prenons le sein ; mais ces mauvaises mères
N’ont pas pour notre lèvre une goutte de lait.