La Commune à l’Hôtel-de-Ville/01

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La Commune à l’Hôtel-de-Ville
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 33 (p. 312-345).
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LA
COMMUNE A L'HOTEL DE VILLE

I.
LES LÉGISLATEURS.


I. — LA PRISE DE POSSESSION.

La tentative que fit le gouvernement régulier pour réintégrer dans les arsenaux de l’état les canons enlevés aux parcs d’artillerie de l’armée et hissés jusque sur les hauteurs de Montmartre fut le prétexte et non pas le motif de la grande insurrection de 1871 ; car celle-ci était depuis longtemps décidée en principe. On l’avait consciencieusement préparée pendant la période d’investissement, on avait des armes et des munitions en abondance, qui paraissent cependant n’avoir pas suffi aux projets révolutionnaires que l’on nourrissait, car la fabrication des bombes à main ne chôma pas, ainsi que l’on peut s’en convaincre en lisant les récits des témoins déposant devant la commission d’enquête parlementaire sur la journée du 18 mars. Au lendemain de l’armistice, tandis que sous le poids de nos défaites chacun de nous luttait contre son accablement, haussait son cœur et reprenait courageusement son outil pour donner à notre malheureux pays tout ce qu’il gardait encore d’énergie, de bon vouloir et d’intelligence, les futurs membres de la commune et les fédérés de la révolte s’assemblaient en conciliabules, échangeaient des mots de passe, regardaient avec joie l’armée se dissoudre, et visaient droit au cœur de la civilisation. L’idée de se séparer de la France, de lui arracher sa capitale pour en faire le centre d’une jacquerie nouvelle, les domine et les obsède. Le 3 mars, au comité de la rue de la Corderie, on mit à l’étude un projet qui bientôt allait cesser d’être théorique : « Dans le cas où, comme certains bruits tendent à le faire croire, le siège du gouvernement viendrait à être transporté ailleurs qu’à Paris, la ville de Paris devrait immédiatement se constituer en république indépendante. » Ceci se passait au lendemain de l’entrée des Allemands dans Paris, et cette entrée, on s’en souvient, avait servi de prétexte à la fédération d’une partie de la garde nationale sous des chefs désignés par elle, au mépris des élections précédentes et de l’autorité des officiers réguliers, auxquels elle n’obéissait plus. Tous les bataillons réunis dans l’intention mensongère de s’opposer à l’entrée des Prussiens dans le quartier des Champs-Élysées ne s’opposèrent à rien, ainsi que je l’ai déjà raconté, mais restèrent debout et prêts, dans l’espoir qu’une éventualité favorable leur permettrait de s’emparer du pouvoir, qu’ils avaient vainement attaqué le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871. On prenait ses précautions afin de profiter de toute occurrence ; quelques conspirateurs plus hardis ou plus ambitieux que les autres se dévoilaient brutalement et jouissaient d’une impunité qui servait d’encouragement aux plus timides. Le 9 mars, le XIIIe arrondissement établit un secteur révolutionnaire en face du IXe secteur régulier et lui donna pour chef Émile Duval, dont le père avait été en juin 1848 l’un des assassins du général de Bréa : noblesse oblige.

M. Thiers, contre l’avis des officiers généraux, contre l’opinion du chef de la police municipale consulté, se décida à brusquer l’aventure en se jetant inopinément sur Montmartre et sur Belleville. Si c’était trop tôt ou trop tard, je l’ignore ; mais ce fut inopportun, car l’on échoua. Le mobile qui dirigea M. Thiers a une grande valeur et doit être expliqué. Aux observations très fortes et pressantes qui lui furent adressées, il répondit en substance : « Nos troupes sont insuffisantes, démoralisées, sans cohésion et sans discipline, je le sais ; c’est pourquoi il faut user de surprise. Si nous sommes repoussés, si les canons restent aux mains de l’émeute, si même nous sommes forcés d’évacuer Paris, ce sera un malheur transitoire, auquel il nous sera facile de remédier, car en somme nous aurons été vaincus parce que nous n’avons pas de troupes. Faut-il pour attaquer les repaires de la révolte attendre que nos soldats prisonniers en Allemagne soient revenus et que j’aie pu reconstituer une armée ? Cela est bien tentant, j’en conviens, mais cela offre un danger redoutable auquel je ne me soucie pas d’exposer le pays. En effet, si l’armée à peu près refaite est battue par les insurgés, tout est à craindre, et l’état de choses que nous allons essayer de créer s’écroule avant même d’avoir reçu un commencement d’existence. En un mot, si nous sommes vaincus avec nos troupes actuelles, c’est une partie à recommencer et à gagner; en admettant, au pis aller, que nous perdions Paris, nous en serons quittes pour le reprendre ; mais si nous ne réussissons pas à briser toute résistance avec une armée réorganisée, c’en est fait de nous : ce n’est pas Paris seulement qui serait aux mains de la révolution, c’est la France entière, et c’est là un coup de dés que je ne veux pas jouer. » Ces raisons fort graves et qui méritaient de n’être point dédaignées, M. Thiers les corroborait par une croyance qui n’était qu’une illusion. Il était persuadé que toute la partie saine et tranquille de la population se lèverait pour l’appuyer et l’aider à désarmer la révolte. L’expérience d’une longue carrière et de la pratique des hommes le servit mal en cette circonstance. Lui qui connaissait si bien l’histoire de la révolution française, qui avait eu à sa disposition les archives de tous les pays, il aurait pu se rappeler ce que le comte de Fersen écrivait au roi Gustave III, à la date du 13 juin 1792 : « Les bourgeois et la partie de la garde nationale qui voudraient s’opposer aux projets révolutionnaires n’ont plus de chefs ni de point de ralliement, et ils prendront le parti qu’ils ont pris jusqu’à présent, de gémir, de crier, de se désespérer et de laisser faire. » En 1871 comme en 1792, on laissa faire, et le résultat fut le même : nos pères ont eu la terreur, et nous avons eu la commune.

Au 18 mars, le comité central de la fédération de la garde nationale fut surpris de l’attaque, qui avait été rapidement menée et à laquelle il ne s’attendait pas. Si l’on avait tenu bon, la révolte était écrasée dans l’œuf; mais l’armée paraît avoir été mollement engagée, elle se désagrégea, comme l’on sait, et se perdit au milieu d’une population qui, sous prétexte de fraterniser, la désarma. La résistance locale de Montmartre fut dirigée par le comité de vigilance du XVIII e arrondissement, établi à la chaussée de Clignancourt et dont faisait partie Théophile Ferré, qui ne consentit jamais à ce qu’on relâchât les gendarmes prisonniers. Les hommes du comité central ont proclamé bien haut qu’ils se lavaient les mains du sang des généraux assassinés et que pendant tout ce jour ils n’avaient pas pris une seule disposition militaire. C’est là une protestation intéressée à laquelle il ne convient pas d’ajouter une foi absolue. D’abord on avait adopté depuis une semaine environ une mesure générale qui ne nuisit pas au succès de la journée ; le comité central donnait à ses bataillons fédérés un mot d’ordre et un mot de ralliement qui n’étaient point ceux que distribuait l’autorité compétente. Ainsi, le 18 mars, les mots de la place étaient : Bosquet, Bayonne; ceux du comité central étaient Masséna, Marseille. Aussitôt que le comité se fut réuni rue Basfroi, il expédia des ordres dont quelques-uns, retrouvés aujourd’hui, constituent des pièces historiques intéressantes à citer. — « 18 mars 1871. — Pouvoir est donné au citoyen Varlin, porteur du présent, de faire ce qu’il jugera convenable dans le XVIIe arrondissement de concert avec les autres quartiers de Paris. Les membres du comité : Grolard, Blanchet, Fabre, N. Rousseau[1]. — « 18 mars 1871, deux heures et demie: Ordre est donné aux bataillons disponibles du XVIIe arrondissement de descendre immédiatement sur Paris et de s’emparer de la place Vendôme de concert avec les bataillons disponibles du XVIIIe arrondissement. Par délégation du comité : Grolard, Fabre, N. Rousseau. » — Le comité central ne manquait pas de généraux improvisés par lui en prévision de la lutte qui devait forcément suivre le mouvement de révolte si énergiquement provoqué et entretenu depuis l’armistice, car le 15 mars il avait désigné en qualité de chef de légion Faltot dans le XVe arrondissement, Eudes dans le XXe, Duval dans le XIIIe, Lucien Henry dans le XIVe Ces futurs héros de la commune ne faillirent point à leur mission, et ils occupèrent valeureusement tous les points que les débris de l’armée française avaient abandonnés sans combattre. Le comité central, vainqueur sans le savoir, était déjà maître de Paris qu’il ne s’en doutait pas encore. Cela paraît ressortir de la lettre suivante que Varlin, — qui dans cette journée déploya une grande activité,. — écrivit à Arnold : « 18 mars 1871, onze heures du soir. Citoyen Arnold, j’arrive du comité central. Le mouvement général se continue à notre avantage, mais nous n’avons pas encore réussi partout. Faltot avec les hommes du XVIIIe occupe le Luxembourg. On dit, mais ce n’est pas sûr du tout, que nous occupons le Palais de Justice. L’Hôtel de Ville n’est pas encore pris, ni la caserne Napoléon ; ces deux monumens sont pleins de troupes, gardées elles-mêmes par des gendarmes et des sergens de ville. Il y a eu déjà quelques coups tirés aux premières approches ; nous avons eu quelques hommes tués. Mais actuellement des forces considérables sont dirigées sur ce point, sous le commandement de Lullier. Au moment où j’écris, on nous apprend que l’Hôtel de Ville serait occupé et que les gendarmes du Louvre seraient en train de déménager. Mais on nous signale en même temps de grands mouvemens de troupes au Champ de Mars et aux Invalides. Veillez ! veillez! Ça va bien, mais il faut se défier d’un retour offensif. » Les mouvemens de troupes dont parlait Varlin étaient réels; ils indiquaient que l’armée entière, obéissant aux ordres reçus, se mettait en retraite sur Versailles, où le chef du pouvoir exécutif l’avait précédée.

Le souci le plus pressé des nouveaux maîtres de Paris fut de s’installer à l’Hôtel de Ville, dans le vieux palais municipal qui, aux jours d’émeute, donne la victoire au premier occupant et dont, si souvent déjà, les ordres ont été servilement obéis par la France. Cette fois heureusement, entre la France et Paris, il y eut Versailles, où l’assemblée nationale venait de se réunir, et qui put protéger ce qui subsistait encore de notre civilisation. C’est là une des crises les plus périlleuses que notre pays ait traversées ; pour en retrouver l’analogue, il faut remonter très haut dans l’histoire, jusqu’en 1418, à ce moment où la lutte d’Armagnac et de Bourgogne atteint son plus violent degré d’acuité, où Capeluche, le bourreau de Paris, mène les truands à l’assaut des prisons, où les Anglais battent l’estrade aux portes de la ville, où la reine Isabeau se travestit en Messaline, où le pauvre roi de France est fou. Grâce à Versailles, où s’était réfugiée toute légalité, la crise fut courte, — quoiqu’elle nous ait paru bien longue, — elle fut violente, mais elle fut surtout honteuse pour ceux qui en profitèrent pendant deux mois et ne surent même pas en tirer parti. Tous les prétextes invoqués furent menteurs; sauf un nombre singulièrement restreint d’hommes égarés, les vainqueurs illettrés qui, dans Paris stupéfait, venaient de se substituer au pouvoir légal, ne se mirent en frais d’imagination que pour prendre le vin, pour prendre les filles, pour boire, pour manger, pour s’amuser tout leur soûl; un d’eux, plus franc que les autres, l’a dit : pour faire la noce.

Leur victoire n’était qu’un coup de main dû à un concours de circonstances, de désastres vraiment extraordinaires; ils le sentaient, et malgré qu’ils en eussent, ils en étaient troublés; mais, comme l’on dit en langage révolutionnaire, le peuple avait l’œil sur eux. Le massacre de deux généraux, l’incarcération de deux autres avaient pu le distraire momentanément, mais en réalité ne constituaient pas le bonheur qu’on lui avait promis, qu’on lui promettait, et dont les tyrans de la bourgeoisie, du cléricalisme et du capital l’avaient seuls jusqu’à présent empêché de jouir. Le peuple était en droit de dire à ces chefs ignorés de tous et peut-être de lui-même : « Nous vous avons suivis jusqu’où vous avez voulu, jusqu’à l’insurrection, jusqu’au crime, jusqu’à la trahison devant l’ennemi; vous nous avez dit que vous possédiez la poudre de projection qui transmue les métaux en or, que seuls vous pouviez résoudre la question sociale, dont on parle sans cesse et à laquelle nous ne comprenons rien; Paris est à nous, est à vous, faites-en la cité modèle ; demain au réveil il faut que nous soyons tous heureux. » Or quelque ignorans, quelque insensés qu’ils aient été, les hommes du comité central savaient fort bien que la question sociale restera insoluble tant que l’état ne sera pas en mesure de donner 25,000 livres de rente à ceux qui les désirent et ne veulent rien faire pour les gagner. C’est pourquoi, afin de faire patienter une population qui pouvait facilement devenir trop impatiente, on entama avec les maires d’illusoires négociations. De cette façon, on gagna du temps ; les hostilités commencèrent ; on envoya la fédération contre l’assemblée nationale, et elle reçut des paquets de mitraille au lieu de la félicité que ses maîtres lui avaient annoncée.

Les préparatifs d’attaque contre Versailles, que l’on devait enlever, l’action diplomatique avec les maires de Paris, laissaient quelques loisirs aux membres du comité central, et ils en profitaient pour faire des proclamations et des lois. Cela inspirait alors une douce gaîté aux Parisiens, qui dans l’intrusion de ce singulier gouvernement ne voyaient encore qu’une énorme explosion de ridicule. Cremer a très nettement reproduit l’impression générale lorsqu’il a dit : « Qui connaissait ces noms à Paris ? Cela n’avait point de consistance et ne pouvait en avoir ; il suffisait qu’ils se montrassent pour que tout le monde en rît. » Comment ne pas rire en effet, malgré le dégoût dont on était écœuré, lorsqu’on lisait sur une affiche placardée sur tous les murs : « La journée du 18 mars… sera appelée dans l’histoire : la journée de la justice du peuple ! » Dès la première heure, on ment avec impudence ; on sait que la population parisienne est crédule entre toutes, qu’elle a une faculté d’inventions prodigieuse, qu’elle ne se refuse à aucune fable et qu’elle adopte sans discussion possible les erreurs les plus extraordinaires et les moins justifiables. Un membre du comité central, Lucien Combatz, nommé directeur général des lignes télégraphiques, lance une proclamation dans laquelle il déclare que toutes les communications avec la province sont rompues : « On veut nous tromper. Les employés sont à Versailles avec le roi. Nous signalons au peuple de Paris ce procédé criminel. C’est une nouvelle pièce à charge dans ce grand procès entre peuples et rois. » Ce mensonge va se perpétuer pendant deux mois, se reproduire sous toutes les formes, se répéter jusqu’à faire illusion à ceux-là même qui l’ont inventé et qui savaient bien qu’il n’y avait ni roi ni peuples en présence, mais seulement la république et la commune.

Celle-ci pourtant n’avait point encore légalement pris naissance ; en attendant que des élections insuffisantes (481,970 électeurs inscrits, 224,197 votans) l’eussent mise au monde, le comité central gouvernait, et son premier soin fut de faire quelques largesses à la population ; ce césar à quarante têtes jetait des sesterces à son peuple : « Il sera distribué aux vingt arrondissemens la somme d’un million résultant de l’économie réalisée par notre présence au pouvoir. » Cette modestie honore le comité central, qui, avant de s’effacer officiellement devant la commune insurrectionnelle et de conserver secrètement presque tout le pouvoir, légiférait ou du moins y faisait effort. Du 19 au 29 mars, il tient à l’Hôtel de Ville onze séances dont les procès-verbaux n’ont point été perdus. C’est Assi qui préside. Promptement on lève l’état de siège et on abolit les conseils de guerre; c’est là en quelque sorte du platonisme, car l’état de siège va être remplacé par l’enrôlement forcé, les perquisitions à domicile, les arrestations arbitraires, les confiscations; aux conseils de guerre on va substituer la cour martiale. La question qui préoccupe le comité n’est point philosophique, elle est d’un ordre exclusivement matériel. C’est la question d’argent. Le item faut vivre s’impose avec brutalité; sauf quelques sommes peu importantes, oubliées dans les caisses ministérielles ou municipales, tous les fonds avaient reflué sur Versailles ; on se trouvait dénué en présence d’une population qui ne gagnait rien et de trois cent mille fédérés qu’il fallait nourrir. Le comité n’aurait eu qu’à étendre la main pour s’emparer d’une immense fortune : une des annexes de l’Hôtel de Ville, celle où résidait, où réside encore l’Assistance publique, contenait 3 millions en numéraire et 75 millions en titres nominatifs. C’était là un budget tout trouvé que l’on se fût volontiers approprié par voie d’emprunt, si l’on en eût connu l’existence. Lorsque l’on y pensa, il était trop tard ; un employé très intelligent avait, au péril de sa liberté, sauvé le patrimoine des indigens de Paris, et avait réussi à le transporter hors et loin de la ville insurgée. Dès la première séance, 19 mars, on décide d’avoir recours à la Banque de France et de lui demander les sommes indispensables aux exigences quotidiennes. Ce qui en résulta, nous l’avons déjà minutieusement raconté. Mais ce que l’on peut arracher à la Banque ne suffira pas; Rousseau propose (21 mars) de frapper un impôt proportionnel sur la caisse de tous les chemins de fer; Grolard et Blanchet demandent que l’on confisque et que l’on vende au profit de la commune[2] les biens de tous les députés et sénateurs qui ont voté la guerre. Dans cette même séance, Varlin, désirant épargner les maigres finances du comité, propose de mettre à la disposition des chefs de poste des bons de réquisition. De là va naître un abus tellement scandaleux que Varlin lui-même se verra forcé plus tard de le combattre énergiquement sans parvenir à le diminuer.

La question financière n’occupait pas tellement les membres du comité central qu’ils ne trouvassent le temps de prendre des déterminations vraiment burlesques. Le 21 mars, Chouteau, appuyé par Blanchet, fait nommer Menotti Garibaldi gouverneur des forces militaires de Paris. C’était peu connaître Garibaldi et son fils que d’imaginer qu’ils entreraient dans cette déplorable aventure. Lorsque Garibaldi fut prié de venir prendre le commandement des troupes fédérées, il donna, sous prétexte de conseil, une leçon qui ne fut pas comprise. A ceux qui lui offraient en quelque sorte la dictature, il désigna pour le remplacer Edgar Quinet, un doux rêveur absolument inoffensif; c’était recommander la paix et la soumission aux lois; la commune ne s’en aperçut même pas. Le comité, du reste, ne doutait pas de sa propre autorité; il était persuadé qu’il n’avait qu’à commander pour être obéi et il ne se figurait pas qu’un général pût refuser de le servir ; c’est ainsi que le 22 mars, apprenant qu’une manifestation pacifique se promène sur les boulevards, « ayant en tête le drapeau national » (cet aveu est bon à retenir au moment où l’on va adopter le drapeau rouge) il décrète : — Le chef d’état major général du Bisson est chargé, conjointement avec le général Cremer, de faire respecter les volontés du peuple. — Or à cette heure Cremer ne s’occupait qu’à faire élargir le général Chanzy, retenu prisonnier à la prison de la Santé, se mettait à la disposition de l’amiral Saisset et s’offrait à nettoyer l’Hôtel de Ville en jetant le comité central à la porte. Tout en expédiant des ordres à des généraux qui durent en sourire, on ne négligeait pas de pratiquer l’armée et de faire effort pour l’entraîner à la défection. Après avoir ratifié les condamnations à mort prononcées la veille sur la proposition des généraux Henry et du Bisson, le comité s’occupe de nos soldats. Viard demande que des émissaires secrets soient envoyés à Versailles afin d’instruire la troupe de ligne de ses véritables devoirs. Assi répond aussitôt que les émissaires sont partis depuis plusieurs jours, et le surlendemain, 24, il annonce au comité que les nouvelles reçues de Versailles sont excellentes. C’est le même jour, dans une séance secrète, que, sur la proposition d’Assi et de Bergeret, on résolut de rompre toute négociation avec les maires de Paris et de se préparer à la lutte à outrance. Un membre, le seul homme intelligent de la bande, fourvoyé on ne sait comment dans cette équipée impie, Edouard Moreau, parla de conciliation et ne fut pas écouté ; on se croyait si fort et si sûr de vaincre que l’on avait hâte d’en venir aux mains.

Dans la séance du 25, Jourde apparaît. A ses paroles on comprend que l’illégalité flagrante de tout ce qui se commet, de tout ce qui va se commettre, le trouble et l’inquiète. Avec une naïveté dont il faut lui savoir gré, il demande quelle devra être l’attitude de l’assemblée municipale si l’assemblée de Versailles ne la reconnaît pas. Les réponses à la fois emphatiques et diffuses qui lui sont adressées équivalent à ceci : on n’oserait pas, — mot essentiellement français et qui si souvent nous a perdus. C’est dans la soirée du 25 mars que le général Cremer, accompagné du bon Babick, conduisit devant le comité central les généraux Chanzy et de Langourian, enfin délivrés. Cremer rusa et fut habile, car on le soupçonnait déjà de s’être abouché avec Versailles, et il était question de le faire passer par les armes. Il put se dégager et emmener avec lui les deux généraux. Ceux-ci n’ont point oublié le spectacle inconcevable qu’ils eurent à supporter. Il était plus de minuit; au milieu de la fumée du tabac, sous la clarté des lampes, les hommes du comité, mal vêtus, mal peignés, ne ressemblaient guère à un tribunal suprême, jugeant nos plus illustres généraux. Épuisés par un travail qui les accablait d’autant plus qu’ils n’en avaient pas même une notion confuse, soutenant leur énergie défaillante par des verres de vin ou d’eau-de vie, sommeillans ou surexcités, ils ressemblaient à des spectres; écrasés de lassitude, ils avaient retiré leur cravate et plus d’un avait quitté ses chaussures. C’était hideux ; l’impression fut profonde, car elle subsiste encore chez ceux qui eurent à subir ce jugement dérisoire. A peine les généraux Chanzy, de Langourian et Cremer furent-ils partis que le comité central se repentit de ce qu’il appelait sa clémence intempestive. Là, pour la première fois peut-être, le mot otage fut officiellement prononcé. On se résolut à faire arrêter de nouveau le général Chanzy et le général de Langourian. Mais on ne savait où les prendre, et l’on ne put donner que des ordres sans précision qui exigeaient quelques recherches avant d’être exécutés. Babick, un peu fou, mais excellent homme, connaissait la retraite du général Chanzy; il y courut et donna un avis qui fut écouté. Le général Chanzy alla chercher le général de Langourian, et tous deux furent sauvés. C’est à Babick qu’ils doivent la liberté et peut-être la vie.

Le dimanche 26 mars, les votes étaient déposés dans les urnes d’où la commune allait sortir, comme le diable sortait jadis de la chaudière des sorciers. En attendant que les bulletins soient comptés, que la solennité imposante réclamée par Andignoux soit, selon le désir exprimé par Gouhier, prise sur le modèle de la fédération de l’immortelle révolution, le comité se prolonge et adopte des mesures militaires; il décrète la formation de vingt-cinq bataillons de marche, de vingt batteries de 7, de quinze batteries de mitrailleuses. Le général Duval organisera l’artillerie, le général Henry organisera l’infanterie, le général Bergeret organisera la cavalerie; le général Cluseret est chargé de l’administration générale; Gouhier, — le seul qui ne soit pas général, — est nommé au commandement des canonniers de la Seine. Ces officiers sont autorisés à recueillir contre des bons de réquisition tout ce dont ils auront besoin. Là apparaît pour la première fois un homme qui jouera son rôle pendant la commune, dont il ne sortira qu’avec la célébrité de la honte et du déshonneur : «République française; administration du département de la Seine. Le citoyen Rossel, colonel du génie, est nommé par le comité central commandant supérieur du XVIIe arrondissement (Batignolles). Pour le comité central : L. CHALAIN, secrétaire général du ministre des finances. En l’absence des membres du comité en séance; vu l’urgence, nomination provisoire à ratifier par le comité central : G. ARNOLD, DUPONT, CASTIONI[3]. »

Le comité central avait paré aux difficultés financières et aux nécessités du mouvement agressif que l’on allait entreprendre contre l’armée française ; ce n’était pas assez : il voulut, avant de se séparer, faire un acte réparateur qui serait à la fois son cadeau d’adieu et le don de joyeux avènement de la commune ; dans sa séance du 28 mars, sous la présidence du citoyen général Bergeret, il décrète la suppression des agens de police, du service de la sûreté et du service des mœurs. Pour mieux inaugurer le nouveau règne, on lâchait le vol et la prostitution, qui en furent le plus sérieux ornement. Ce fut Assi qui prononça le discours de clôture; il eut, comme l’on dit, le mot de la fin : « La république est à jamais fondée et la sécurité publique n’est plus exposée à aucun péril. D’ailleurs à tout être, quel qu’il soit, qui voudrait attaquer la république, on ne doit qu’un coup de fusil. » C’est probablement en vertu de cette maxime que l’on ne dut qu’un coup de fusil à Mgr Darboy, au président Bonjean, à Chaudey et à tant d’autres.


II. — LE HUIS CLOS DES SÉANCES.

« La solennité » de la proclamation des votes fut très bruyante. Je l’ai vue. On cria, on chanta, on agita des drapeaux rouges. Tout cela avait l’air forcé. On eût dit que les acteurs de cette bouffonnerie, qui si promptement allait devenir sinistre, ne croyaient pas à la réalité de leur rôle. Les fédérés, qui hurlaient leur Marseillaise avinée, titubaient comme le pouvoir qu’ils acclamaient. En résumé deux cohues se rencontrèrent; l’une composée de soldats débraillés qui défila; l’autre composée des membres du comité central et de la commune tout chamarrés d’écharpes rouges, qui regarda défiler. Paris ne s’aperçut guère de ce changement de gouvernement; aux inconnus du comité central succédaient les inconnus de la commune. Ces hommes ont été lestement crayonnés par un écrivain qu’il faut citer, car on ne pourrait dire plus vrai, ni frapper plus juste : « Nous ne nous laisserons point toucher par les bruyantes protestations de coquins si peu célèbres qu’ils ont pu garder l’anonyme tout en signant de leurs noms, dit M. Wilfrid de Fonvielle; nous savons bien que les inconnus qui ont envahi l’Hôtel de Ville sous prétexte de conserver les canons de Montmartre ne se préoccupent de notre commune pas plus que nous nous préoccupons nous-mêmes des communes de New-York, de Rouen et même de Berlin. Nous savons bien, hélas! que nous sommes tombés entre les mains d’une bande de canailles internationales, obéissant à un mot d’ordre qu’ils ne comprennent pas plus qu’ils ne connaissent pour la plupart ceux qui les font marcher. On peut dire (phénomène unique peut-être dans nos annales) que Paris, ville de publicité et de lumière, est gouvernée par des hommes masqués. Ah ! c’est bien le cas de dire avec notre pauvre Béranger :

<poem>Hommes noirs, d’où sortez-vous? </poem


car jamais bande plus noire ne s’est montrée sanglante sous le glorieux haillon[4]. »

M. W. de Fonvielle a raison, ils ne se souciaient guère de la commune de Paris, ni de ces fameuses franchises municipales qui servirent de prétexte à la journée du 18 mars et qui eurent l’honneur d’être louées par le prince de Bismarck à la tribune du parlement de Berlin. Aussitôt que l’on a gravi l’escalier d’honneur de l’Hôtel de Ville, dès que l’on s’est installé autour d’une table à tapis vert, dans un bon fauteuil convenablement capitonné, on oublie que l’on ne représente que la cité et l’on veut représenter le pays: on cesse d’être conseil municipal pour se transfigurer en conseil de gouvernement, on se préoccupe fort peu des besoins de la ville et l’on ne parle plus que de république universelle. Les papes de la démagogie socialiste élèvent la voix ; ils s’adressent urbi et orbi; ils s’imaginent volontiers que le spectacle de leurs inepties impuissantes et cruelles va leur donner le monde, que les peuples les contemplent avec admiration et que la ville qu’ils souillent de leur pouvoir va devenir « la Rome de l’humanité; » c’est le mot de Félix Pyat. A la première séance de la commune, sans plus attendre, on se découvre avec l’ingénuité des parvenus qui se hâtent de jouir et de saisir l’objet de leur convoitise. On vote des remercîmens au comité central : « Les membres du comité, dit Delescluze, ont bien mérité non-seulement de Paris, mais de la France et de la république universelle. » La commune se partage en dix commissions qui correspondent aux anciens ministères; les cultes, dont le budget est supprimé par acclamation, sont attribués à la sûreté générale, c’est-à-dire à la préfecture de police.

Les délégués s’établirent dans les ministères où ils représentaient la commune, mais les commissions s’installèrent dans l’Hôtel de Ville même : la commission exécutive dans la salle du Trône, devenue la salle du Peuple; la commission militaire au centre de la galerie des tableaux; la commission de la sûreté générale dans la galerie du conseil municipal, n° 2; la commission des services publics, à l’extrémité de la galerie des tableaux; la commission de l’enseignement (qui, pendant toute la durée de la commune, ne dépensa économiquement que la somme de 1,000 francs) dans la galerie du conseil municipal, n° 5; la commission des subsistances dans la galerie du conseil municipal, à gauche; la commission de la justice dans la galerie du conseil municipal, à droite; la commission du travail, de l’industrie et de l’échange, dans l’aile droite, au troisième étage; la commission des finances siégea au ministère, rue de Rivoli, et la commission des relations extérieures, qui était une véritable sinécure, se réunissait pour fumer au ministère des affaires étrangères. En prévision de l’avenir, on lui avait indiqué un programme à suivre : « Elle devra, dès que l’occasion se présentera, accréditer des représentans auprès des divers états de l’Europe, surtout auprès de la Prusse, quand on connaîtra l’attitude de cette puissance vis-à-vis de la commune. » Le délégué aux relations extérieures, Paschal Grousset, qui fut loin d’être malfaisant, n’eut pas à choisir un personnel diplomatique pour représenter le gouvernement de l’Hôtel de Ville auprès des différentes cours de l’Europe, mais il y suppléa en nommant son tailleur conservateur de la bibliothèque du ministère[5]. C’est là une gaminerie divertissante dont il est difficile de ne pas rire.

Le jour même où la commune siégeait officiellement pour la première fois et se distribuait le travail du gouvernement, elle ne paraît pas avoir été très rassurée sur l’état d’âme de la population parisienne. Près de la table même autour de laquelle elle délibéra, on ramassa, le 30 mars au matin, la pièce que voici et que je transcris textuellement : « D’après les circonstances, je crois qu’il serait bon de changer tout employé et que les factionnaires soient tenus à distance des séances, car les discussions sont entendues et rapportées, ce qui est très mauvais ; la question de la sortie des denrées est à étudier; nous devons nous attendre à toute sorte d’intrigues qui mènent à la trahison. Nous tenons la poire, ne la laissons pas pourrir, soyons prudens et toujours et quand même révolutionnaires jusqu’à ce que nous soyons sûrs de notre résultat. Paris n’est bon que d’un quart, et les trois quarts de la France est très mauvais. Patience, prudence et surtout énergie et virilité. Nous sommes dans une position critique. Il faut en profiter, vu que nous avons force actuellement. Paris, ce 29 mars 1871[6]. » Si tous ces législateurs improvisés par l’insurrection se sentaient moins que sympathiques à une population consternée, s’ils ne comptaient que sur la force pour maintenir leur pouvoir éphémère, il faut reconnaître qu’ils se faisaient d’étranges illusions sur eux-mêmes et se croyaient des novateurs lorsqu’ils n’étaient au contraire que des hommes ignorans atteints de la monomanie des imitations serviles. Ce fut sur la proposition d’Emile Eudes que le titre de commune fut adopté pour désigner officiellement le nouveau conseil municipal. La motion fut appuyée par Ranc, qui dit : « Le nom de commune de Paris peut seul indiquer que la grande ville veut ses franchises municipales pleines et entières, c’est-à-dire le self-government; il faut rompre avec le passé. » C’était se payer de mots, car le seul choix du mot commune indiquait un retour, un retour légendaire, vers ce passé avec lequel on prétendait rompre. La commune de 1871 faisait effort pour se rattacher à la commune de 1793 et renouer une tradition restée justement exécrable à l’histoire. La motion du reste fut votée par acclamation, et les deux parrains du nouveau comité révolutionnaire purent être fiers de leur succès[7].

Sous tous les régimes qu’ils avaient traversés et invariablement combattus, les hommes de la commune avaient incessamment réclamé la liberté et le contrôle de l’opinion publique. Aussi quelques Parisiens naïfs furent-ils très surpris de les voir s’inspirer immédiatement des plus mauvaises coutumes de la monarchie antérieure à la révolution; avec un empressement extraordinaire, ils votèrent le huis clos de leurs séances. Au lieu d’être une assemblée délibérante, ils devenaient une société secrète, obéissant peut-être ainsi à des habitudes invétérées. Cela fut jugé très sévèrement, et, dans sa correspondance diplomatique, M. Washburne n’hésite pas à déclarer que cette mesure est prise « au mépris du principe qui a toujours été proclamé par les peuples libéraux. » Il ne s’agissait pas de libéralisme, il s’agissait de commune, ce qui est tout le contraire. Est-ce dans une des séances secrètes de la commune que l’on discuta le programme ingénieux inventé par François-Julien Chatel, peintre sur porcelaine, capitaine d’une compagnie sédentaire du 209e bataillon qui, pour faire acte de conciliation et rallier toutes les opinions au nouveau gouvernement, proposait de fonder « la république-empire-monarchie, dont les magistrats de l’ordre judiciaire seraient désignés sous le nom de procureurs royaux de la république impériale, et ceux de l’ordre administratif sous celui de chefs de la commune[8]? » Celui-là était un naïf novateur, égaré sur les pas du célèbre Gagne ; mais c’était mal prendre son temps que de prêcher la concorde aux hommes de l’Hôtel de Ville.

Du 29 mars au 13 avril, les délibérations sont secrètes, pour ne pas dire mystérieuses : on ferme les portes ; on écarte les huissiers, on parle à voix basse. Ce qui s’est passé dans ces conciliabules, on l’ignore, et cependant les procès-verbaux de ces séances doivent exister quelque part, car à Versailles M. Thiers les recevait régulièrement chaque jour de plusieurs mains. En effet, quelques-uns des dictateurs de Paris, avisés ou peu incorruptibles, n’hésitaient point à envoyer au président de la république les documens et les renseignemens qui étaient de nature à l’intéresser. Cette douce confiance dans le chef de l’état fut récompensée, lorsqu’après l’effondrement de la commune il s’agit de quitter Paris et de trouver un refuge à l’étranger. A défaut du procès-verbal des délibérations, on a le Journal officiel de la commune que l’on peut compulser et qui parfois est instructif; s’il ne donne pas les résolutions particulières, les discussions spéciales, les opinions motivées, il enregistre au moins le produit des élucubrations, et montre l’esprit général, — pour ne pas dire la folie constante, — dont sont animés les élus de l’insurrection. C’est là plus que partout ailleurs que l’on reconnaît combien cette révolution était peu municipale et combien ses visées, hautement affichées, dépassaient le but qu’elle avait proposé à la crédulité parisienne. Ce n’est pas seulement entre compères que l’on parle de république universelle, c’est en public, par d’emphatiques proclamations. Lorsque le comité central remet les pouvoirs à la commune, il croit devoir annoncer ce grand fait à la population : « Citoyens, groupez-vous donc avec confiance autour de votre commune, facilitez les travaux en vous prêtant aux réformes indispensables ; frères entre vous, laissez-vous guider par des frères ; marchez dans la voie de l’avenir avec fermeté, avec vaillance; prêchez d’exemple en prouvant la valeur de la liberté, et vous arriverez sûrement au but prochain : la république universelle. » Ceci est du 28 mars; le lendemain, Parisel fit son rapport sur les élections du 26; il se demande : « Les étrangers peuvent-ils être admis à la commune?» et, «considérant que le drapeau de la commune est celui de la république universelle, » il propose de valider l’élection du citoyen Frankel, qui n’était point un Allemand, comme on l’a cru, mais un Hongrois, né à Buda-Pesth. Le dernier acte du comité central, le premier acte de la commune, démontrent que les prétentions de ces étranges apôtres dépassaient singulièrement les limites de Paris, et même les frontières de la France; loin d’aspirer au gouvernement administratif d’une ville, ils entrevoyaient la domination du monde. Rêver si haut pour tomber dans le sang de la rue Haxo, de la Grande-Roquette, dans le pétrole de Paris incendié, ce serait véritablement burlesque, si ce n’était horrible[9].

Cette domination, — qui passerait sur la terre comme un nouveau déluge, — ils comptaient bien l’exercer eux-mêmes au détriment de toute autre classe sociale, l’exercer au nom du prolétariat révolutionnaire qu’ils avaient la prétention de représenter exclusivement, quoique la plupart d’entre eux ne fussent que de petits bourgeois déclassés. Cela apparaît très clairement dans les variétés du Journal officiel de la commune. Jean-Baptiste Clément, élu par le XVIIIe arrondissement avec 14,188 voix, connu dans le monde des guinguettes par une chanson intitulée : Les petites bonnes de chez Duval, lâche dans le numéro du 3 avril un article d’une bouffonnerie passablement malsaine : Les rouges et les pâles. Les rouges représentent le peuple qui a toutes les vertus ; les pâles sont les bourgeois patibulaires auxquels nul vice ne fait défaut. «Les rouges sont des hommes de mœurs douces et paisibles qui se mettent au service de l’humanité quand les affaires de ce monde sont embrouillées et qui s’en reviennent sans orgueil et sans ambition reprendre le marteau, la plume ou la charrue. » Les pâles « ont quatorze siècles de tyrannie dans les veines, des crimes par-dessus la tête ; des oubliettes, des cadavres, des remords sur la conscience. Ils marchent sournoisement la dague au poing, la fourberie dans les yeux, le coup d’état sur les lèvres. » Le chansonnier conclut en disant : « Dieu, s’il existait, serait avec nous. » Quatre jours après, 7 avril, Albert Regnard renchérit sur ce pathos : chouans et girondins, il met tout dans le même sac: « Qu’importe aux Jules Favre! qu’importe aux Thiers et aux Picard ! à nous les zouaves de Mentana; à nous les assommeurs de Pietri, les chouans de Charetteet de Cathelineau et tout ce que la France a pu vomir d’égorgeurs et d’assassins, y compris les forçats de Brest et de Toulon. » Mais je m’arrête; la plume a peine à suivre le bouillonnement de la haine et de la colère qui débordent. C’est la même idée sous une autre forme. Les chouans et les girondins sont les pâles, et les montagnards sont les rouges. C’est l’humanité divisée entre deux castes de frères ennemis, dont l’une doit exterminer l’autre. Jean-Baptiste Millière envoie sa démission de député à l’assemblée nationale dans des termes qui ne sont pas beaucoup plus mesurés : il admire la population parisienne, il honnit les membres de la majorité et déclare que « Paris a été livré à l’ennemi par la plus infâme trahison dont l’histoire ait conservé le souvenir. » On ne sait quelle vieille rhétorique frelatée les obsède ; le 7 avril, la commission exécutive, composée de Cournet, Delescluze, Félix Pyat, Tridon, Vaillant, Vermorel, signe une proclamation dans laquelle on peut lire : « La violence de nos ennemis prouve leur faiblesse ; ils assassinent ; les républicains combattent. La république vaincra. » Cette dernière affirmation n’a étonné personne ; c’était prédire à coup sûr, et nous savions tous que la république vaincrait la commune ; mais il n’est point surprenant que le peuple de la fédération, surexcité outre mesure par ces objurgations, ces invectives et ces mensonges, ait cru faire acte de patriotisme en essayant d’égorger la patrie.

On ne s’employait pas seulement à troubler l’esprit de la population et à donner ainsi à cette guerre désespérante un caractère de cruauté exceptionnelle. On poussait la commune à prendre des mesures réellement inquisitoriales et à regarder de près au fond de toutes les consciences ; on demandait que les citoyens se dénonçassent eux-mêmes et s’exposassent à toutes les brutalités de l’arbitraire qui avait remplacé la loi. On eût voulu exiger en quelque sorte que chaque habitant de Paris fit une confession publique et prît la police de Raoul Rigault pour confidente de ses pensées les plus intimes. La pétition suivante, reproduite au Journal officiel de la commune, fut adressée à l’Hôtel de Ville : « Les soussignés, membres de la commission communale du 1er arrondissement, considérant que le vote à bulletin secret est immoral au premier chef ; qu’il ne peut y avoir de vraie démocratie et d’élections libres que là où les électeurs acceptent la responsabilité de leurs actes : émettent le vœu qu’aux prochaines élections, le vote nominal et à bulletin ouvert soit seul autorisé. Paris, le 13 avril 1871 ; signé : TOUSSAINT, WINAUT, TANGUY, SALLEE. » Je me hâte d’ajouter, à l’honneur des hommes de la commune, qu’ils ne prirent même pas cette proposition en considération, mais elle n’en est pas moins une preuve des excès auxquels certains esprits mal équilibrés, avides de notoriété et ambitieux, peuvent se laisser entraîner, lorsqu’ils ne sont pas contenus par la loi. Or c’est quand la loi est brisée ou reste sans effet que l’on s’aperçoit combien elle est utile pour maintenir et paralyser les mauvais instincts qui l’attaquent sans cesse ; elle disparue, ceux-ci ont toute licence pour se manifester et ne s’en font pas faute. Ce qu’un tel état de choses peut produire, nous l’avons vu pendant la commune, qui a simplement été la prédominance des instincts sur la loi. La commune fut encore une autre révélation : elle dénota chez presque tous les hommes qui s’en mêlèrent, l’horreur du métier et l’amour de la fonction ; le mépris de l’outil, de l’humble et honorable existence de l’ouvrier, éclate avec une évidence extraordinaire ; si l’on eût renvoyé Amouroux à ses chapeaux, Pindy à sa varlope, Trinquet à son tire-pied, Babick à sa pommade et Arnaud à ses filets, ils se seraient crus déshonorés et auraient crié à la tyrannie. Nul ne s’emploie à améliorer le sort de ses compagnons d’atelier, mais tous cherchent à dominer et chacun excelle à faire acte dans les choses qu’il ignore. Cela seul rend la commune burlesque et lui assure une place spéciale dans l’histoire des bouffonneries humaines. Capables de tout, quoiqu’ils ne fussent capables de rien, ces hommes se figuraient qu’il suffisait d’être pourvu d’une fonction pour pouvoir la remplir et que les aptitudes accompagnent nécessairement l’investiture. Leur vanité dépassait les bornes, et lorsqu’ils n’étaient pas absolument ignorans, ils croyaient sérieusement à leur savoir. Un jeune homme, Émile Lebeau, qui fut pendant quelques jours chargé de la rédaction du Journal officiel de la commune, écrit ceci, à la date du 29 mars : « Lors de la prise de l’Hôtel de Ville, mon ami Lullier me fit appeler et me demanda à quel poste je voulais être délégué. Je réfléchis un moment et ensuite je lui demandai l’Officiel, en lui déclarant qu’avec ce journal et mes profondes études sur les diverses révolutions, je pourrais soulever la province contre le gouvernement Thiers. » La plupart sont ainsi ; ils doutent de tout, excepté d’eux-mêmes, et sans broncher ils affirment leur supériorité. Un sous-lieutenant nommé Bourdon, écrivant à Delescluze pour demander un grade important, dit : « Une modestie exagérée me paraîtrait coupable[10]. » Du haut en bas de l’échelle communarde, à tous les degrés, on rencontre cette foi en soi-même qui, ne s’appuyant que sur d’injustifiables illusions, a produit toutes les cacophonies que nous avons vues, et les crimes absolument inutiles dont Paris a été le témoin indigné.


III. — LES ÉLECTIONS COMPLÉMENTAIRES.

Tout en continuant à délibérer derrière ses portes closes, la commune ne négligeait aucune occasion de se manifester au dehors et d’apparaître aux yeux de la population dans toute la pompe de ses écharpes rouges. Aussitôt que les premiers combats eurent fait comprendre que l’assemblée nationale était bien décidée à ne point abaisser la légalité devant les fantoches que le Paris insurrectionnel avait installés à l’Hôtel de Ville, on imagina les funérailles triomphales pour honorer les victimes des sbires de la réaction. Des corbillards, pavoisés de drapeaux rouges, suivis de quelques membres de la commune, escortés par des bataillons fédérés dont chaque homme portait un bouquet d’immortelles, passaient solennellement sur les boulevards, au bruit des tambours voilés et des marches funèbres. C’était donner une satisfaction considérable aux gens du peuple, dont le rêve a toujours été d’avoir «un bel enterrement.» On déploya des splendeurs inusitées pour un certain colonel Bourgoin, qui fut tué le 6 avril devant Neuilly. Le billet de part est à citer comme spécimen de ce style boursouflé qui semble inhérent à la prose révolutionnaire : « Ministère de l’intérieur. Direction générale des lignes télégraphiques. Cabinet du directeur général. République française. Liberté, égalité, fraternité, justice. Commune de Paris. Paris, le 8 avril 1871. Citoyens, citoyennes, vous êtes priés d’assister aux funérailles du citoyen colonel d’état-major de la garde nationale, Louis-Jules Bourgoin, chef de la télégraphie militaire, âgé de trente-six ans, mort héroïquement à la tête de ses compagnons d’armes, devant la barricade de Neuilly, le jeudi 6 avril 1871, à trois heures quinze du soir. Ses funérailles auront lieu le dimanche 9 avril, à une heure très précise. On se réunira à l’état-major de la garde nationale, place Vendôme. Le cortège se rendra de là par les boulevards jusqu’au cimetière du Père-Lachaise. Le sang des martyrs est une semence de héros! Vive la France! vive la commune! vive la république, une et indivisible, démocratique et sociale! » Je vis passer le corbillard; plus de vingt mille hommes armés l’accompagnaient. J’ignore qui était ce Louis-Jules Bourgoin pour la mort duquel tout le monde de la fédération fut en rumeur, et dont l’oraison funèbre fut prononcée dans plus d’un journal; un homme brave à coup sûr et s’enivrant aux fusillades; mais j’ai sous les yeux un billet écrit par lui et qui démontre que la vaillance et l’orthographe n’ont entre elles aucun rapport : « Citoyen général commandant la place de Paris. J’ai vous prie de m’oyez 3 ou 4 bataille du 4e arrondissement lequel j’apartien pour relever ceux qu’ils sont à ma disposition car ils sont très fatigués. J’ai vous envois 4 chevaux que nous avons regeulli. Veuillez remettre un reçu au porteur du présent ordre. Salu fraternelle. L’adjoin au chef de la 4e légion : Bourgoin. J’ai resterais à la tête des troupes de l’arrondissement jusqu’à l’afin. » Jusqu’à l’afin il en fut ainsi, et les corbillards ont défilé dans nos rues, tout empanachés de rouge et suivis par des volontaires de la révolte qui préféraient peut-être une promenade sentimentale vers le cimetière aux évolutions des champs de bataille. La foule, toujours curieuse, et oisive à Paris, se pressait volontiers sur le parcours de ces cortèges; peu à peu elle s’y accoutuma et ne s’arrêtait même plus pour les regarder. Mais parmi les vrais Parisiens restés dans leur ville, combien ne furent pas violemment attristés et même irrités en voyant que le 6 avril on se battait à Neuilly, à nos portes mêmes, et qu’il fallut attendre jusqu’au 21 mai, jusqu’à l’incident Ducatel, pour être délivrés et rendus à la civilisation?

La commune, qui gardait le silence depuis le jour de son installation, se décida tout à coup à parler en public, et le 13 avril elle inséra dans son Journal officiel le procès-verbal de ses séances. Elle a fourni de la sorte à l’histoire une preuve irrécusable de sa médiocrité et de l’inanité de ses conceptions. Ce sont des bavardages sans fin ; tous ces hommes, qui ont la prétention de renouveler le vieux monde, ressemblent aux avocats d’une mauvaise cause; ils parlent, ils parlent, et lorsqu’on veut résumer leurs discours, on s’aperçoit qu’ils n’ont rien dit. Le point d’appui leur fait absolument défaut ; les prémisses étant erronées, la conclusion est naturellement défectueuse Lorsqu’ils veulent s’appuyer sur un document, celui-ci est toujours et invariablement frelaté; ils n’ont rien étudié, rien vérifié; les fables ou les calomnies dont ils se repaissent sont toute leur science et l’on s’en aperçoit immédiatement. Ainsi, dans la séance du 13 avril, on veut faire de la philanthropie; Lefrançais demande que l’on mette les mairies en situation de pourvoir aux besoins de la classe indigente; Billioray profite de cela pour déclarer que l’on ne doit pas laisser « une parcelle d’autorité » aux sœurs de charité; Oudet attaque vivement l’ancienne administration de l’Assistance publique, « dans laquelle quinze mille nécessiteux touchent moins que quarante fonctionnaires. » Parmi tous ces apôtres du socialisme à outrance, pas un ne proteste, car pas un n’a eu l’idée de jeter les yeux sur les registres de l’Assistance publique, Oudet sans doute moins que tout autre; sans cela, on aurait reconnu qu’en moyenne cent vingt-cinq mille individus, indigens ou malades, participent chaque année à un budget de 25 millions. En toute chose, du reste, ils commettent des erreurs semblables; même lorsqu’ils sont animés d’un bon sentiment, ils le font dévier en vertu de théories préconçues qui parfois frisent la stupidité de bien près. Pierre Leroux venait de mourir, et Jules Vallès proposait d’accorder un terrain de concession à perpétuité pour y déposer les restes du vieux philosophe humanitaire. La motion était simple et aurait dû être d’autant plus facilement adoptée que l’on était décidé à envoyer une délégation de la commune aux obsèques ; mais elle fut repoussée sur les observations de Mortier, de Lefrançais, de Ledroit et de Billioray, parce que « la concession à perpétuité est contraire aux principes démocratiques révolutionnaires. »

La grosse question qui occupait alors les législateurs de l’Hôtel de Ville était celle des billets à ordre dont l’échéance avait été successivement prorogée. Les économistes, — la minorité, — de la commune ne laissent point échapper cette occasion de mettre en lumière le produit de leurs « profondes études, » comme aurait dit Émile Lebeau. Je ne sais si la discussion fut claire, mais le procès-verbal en est tellement confus, tellement obscur, il contient tant de paroles vagues et indécises, il enregistre un si grand nombre de lieux communs enfermés dans des phrases toutes faites, qu’il en arrive à ne plus rien signifier et que la conclusion prouve que l’on n’a pas conclu. Parmi eux cependant, il en était plus d’un qui avait péremptoirement déclaré qu’il suffisait d’une heure pour résoudre le problème social. Plusieurs séances laborieuses et souvent fastidieuses furent cependant employées à discuter ces fameuses échéances. Les reculera-t-on de six mois ou d’un an ? Les coupera-t-on par huitièmes ou par douzièmes ? Admettra-t-on les endos, les supprimera-t-on ? Créera-t-on un tribunal arbitral ? Nul n’en sait rien, et au quatrième jour la discussion est aussi avancée que le premier. Ce n’est que de la logomachie, et rien de plus. À l’heure où tous les économistes sont aux prises et cherchent une solution qu’ils n’aperçoivent pas, on apprend que les fédérés entrent de plain-pied dans la voie pratique et expliquent, par un commentaire vigoureux, comment ils comprennent l’établissement de la république universelle. Le 16 avril, l’hôtel de la légation de Belgique est envahi par des marins et des fédérés du 218e bataillon ; ils ont fait des requissions, ils ont bien bu, bien mangé, ont amené quelques dames de leur connaissance et se sont donné un bal. C’est la note gaie au milieu de tant de divagations tristes. La commission des relations extérieures fut chargée de faire une enquête, et Paschal Grousset, chef du ministère des affaires étrangères, parla avec compétence des immunités diplomatiques. Le fait paraît blâmable, parce qu’il s’est exercé sur la demeure du représentant d’une puissance étrangère ; s’il eût eu pour objectif l’hôtel d’un Parisien, on l’eût trouvé légitime. Dans ce cas sans doute, on eût affirmé que le peuple n’avait fait qu’exercer un des droits innombrables dont il est détenteur. Ces droits, on essayait de les lui faire connaître par toute sorte de moyens. Treillard, le directeur de l’Assistance publique, veut commencer l’éducation révolutionnaire par les malades : « Les hôpitaux et hospices auront à l’avenir une salle de lecture où les convalescens, les blessés, les vieillards trouveront les feuilles démocratiques qui défendent la république et propagent les institutions sociales de l’avenir. Cette mesure a pour but d’annihiler les influences malsaines des écrivains et des livres réunis dans les bibliothèques officielles et destinés à dégrader les âmes et à refouler toutes les aspirations démocratiques. » C’est ainsi que l’on parlait alors, et c’est ainsi que l’on parlera toutes les fois que les ignorans auront la parole.

La commune n’était pas au complet : par suite de refus, de décès ou de démissions, elle devait pourvoir à trente et une vacances. Les élections furent fixées au 16 avril, et de nouveaux inconnus vinrent s’asseoir auprès des anciens inconnus. Quelques entêtés du XIXe arrondissement, c’est-à-dire de Belleville, donnèrent encore 6,076 voix à Menotti Garibaldi, qui, plus que jamais, continua à faire la sourde oreille. Jamais élections ne furent plus étranges, plus illégales. Onze arrondissemens sont convoqués dans lesquels 258,852 électeurs sont inscrits, mais on ne trouve que 53,679 votans; trois arrondissemens : le IIIe (Temple), le VIIIe (Elysée), le XIIIe (Gobelins) se refusent à aller au scrutin et ne nomment personne. Deux des élus, Rogeard et Briosne, refusent d’accepter leur mandat, ils estiment que leur élection est entachée d’illégalité; Cluseret est nommé deux fois. Sur trente et un membres à élire, la population n’en désigne que vingt et un; le refus de Menotti Garibaldi, de Rogeard, de Briosne, l’option de Cluseret, réduisent ce nombre à dix-sept sur lesquels sept n’ont même pas obtenu le huitième des voix exigibles. La commune passe outre, elle valide quand même; elle tient compte, dit-elle hypocritement dans son rapport, « des électeurs qui se sont soustraits par la fuite à leurs devoirs de soldats et de citoyens, » elle repousse toute observation et n’écoute même pas l’honnête Arthur Arnould qui lui crie : « Valider ces élections, c’est le plus grand croc-en-jambe que jamais gouvernement ait donné au suffrage universel. Vous tombez dans le ridicule et dans l’odieux. » La majorité communarde se souciait bien de légalité, et c’était perdre son temps que de lui en parler; Paschal Grousset, Varlin, Billioray, Urbain, combattent l’opinion d’Arthur Arnould. « En supposant, dit Billioray, que tout un arrondissement s’abstienne, et qu’il n’y ait que cinq votans, ces votans sont les seuls partisans de la commune; » Urbain va plus loin encore, il dit : « Le citoyen Arnould craint que nous ne tombions dans le ridicule et l’odieux, or je dis que ce sont ceux qui n’ont point voté qui sont tombés dans l’odieux et le ridicule. Ceux qui n’ont point voulu défendre leur liberté par le vote ne sont à mes yeux ni Français, ni Allemands, ni Chinois. » Ranvier s’écrie : « Nous ne connaissons pas de loi électorale; » Régère ajoute : « Tant pis pour ceux qui ne se présentent pas. » On vote, vingt-six voix contre treize acceptèrent les résultats de ce suffrage trop restreint[11].

On se gourma dans les journaux. La minorité se défendit et protesta. Rogeard, qui était un des rédacteurs du Vengeur, attaqua vivement Courbet; celui-ci répondit par une lettre qu’on n’inséra pas et que voici : « Mon cher Rogeard, je vous ai répondu, vous n’avez pas inséré ma lettre contradictoirement aux vôtres, je n’ai pas le brouillon de ce que je vous ai écrit, veuillez me la renvoyer. Dans la situation actuelle, j’aurais été nommé avec trois voix que j’aurais accepté cette situation, parce qu’elle est dangereuse. Je l’aurais acceptée, si on m’avait autorisé à me nommer moi-même. Voyez combien nous différens. Je vous ai porté dans le sixième, croyant que vous étiez révolutionnaire, et j’ai fait faire les affiches et les bultins à mes frais, confiant dans cette idée. Je suis dans le droit et la révolution seulement, ce qui exclut la légalité qui ne peut exister pour le moment. Je ne vous en dis pas davantage. Je déplore votre idée d’autant plus que vous savez que l’élection ne pouvait se faire autrement, par la raison que les défections abondent, et que les départs de Paris justifient la situation. J’attends toujours de vous que vous reveniez sur votre décision. Renvoyez-moi ma lettre, je la ferai imprimer dans un autre journal que le Vengeur. Salut et fraternité : G. Courbet. — P. S. La fédération des artistes nouvellement nommée présente plusieurs résultats semblables. » — Interrogé le 14 août 1871 par le président du 3e conseil de guerre, Gustave Courbet répondit : « J’ai été forcé d’entrer le 16 avril à la commune pour tâcher d’arrêter les mesures de violence; c’était le seul moyen. » Cela ne ressemble guère à ce qu’il écrit à Rogeard: « J’aurais accepté, si on m’avait autorisé à me nommer moi-même.»

Aussitôt que la commune fut complétée par les moyens dont le lecteur a pu apprécier la rectitude, elle crut devoir parler, non pas aux habitans de Paris, mais au peuple français tout entier, et elle fit placarder un manifeste collectif qui est fort important, car il constitue en somme le seul document par lequel elle ait essayé d’expliquer sa raison d’être, sa mission et son but. À ce titre, il mérite qu’on s’y arrête. Comme toujours, c’est du pathos, ce sont des promesses menteuses, ce sont des impostures ; mais il s’en dégage du moins quelques aveux bons à retenir. Cela débute naturellement par des injures et des calomnies : « Il faut que la responsabilité des deuils, des souffrances et des malheurs dont nous sommes les victimes retombe sur ceux qui, après avoir trahi la France, et livré Paris à l’étranger, poursuivent avec une aveugle et cruelle obstination la ruine de la capitale, afin d’enterrer, dans les désastres de la république et de la liberté, le double témoignage de leur trahison et de leur crime. » Si l’on se rappelle que pendant la période d’investissement la plupart de ceux qui devaient être membres de la commune et leurs adhérens fabriquaient des bombes portatives, refusaient d’aller au combat, se réservaient contre les vrais soldats de la France qu’ils nommaient les Prussiens de l’intérieur; si l’on se rappelle qu’aux journées du 31 octobre et du 22 janvier ils furent les plus actifs auxiliaires de l’Allemagne, on estimera que les rédacteurs de cette proclamation devaient penser à eux-mêmes, lorsqu’ils prétendaient s’adresser à l’assemblée nationale. Paris se fait humble, il ne veut que l’autonomie de la commune, rien de plus, mais rien de moins. Si une telle rêverie avait été réalisée, c’en était fait de la France, qui dès lors eût été composée de trente-six mille petits états indépendans ayant des finances, une armée, une administration distinctes; ces états minuscules, incapables de vivre par eux-mêmes et sur eux-mêmes, n’auraient été rattachés les uns aux autres que par un lien fédératif toujours facile à briser; c’était la guerre civile en permanence, jusqu’au jour où toutes ces républiques lilliputiennes eussent été forcées de fléchir sous la pression de la plus forte d’entre elles, c’est-à-dire de Paris, du Paris révolutionnaire représenté par sa commune et qui y comptait bien. Les chefs de la révolte ont compris cela; il s’agissait de l’unité française, de l’indivisibilité de la patrie, l’objection était grave; ils y ont répondu par une platonique déclaration qui, en réalité, ne répond à rien : « L’unité politique, telle que la veut Paris, c’est l’association volontaire de toutes les initiatives locales, le concours spontané et libre de toutes les énergies individuelles en vue d’un but commun, le bien-être, la liberté et la sécurité de tous. » Cela ressemble un peu aux consultations du médecin malgré lui; en résumé on a l’air d’avoir voulu créer, pour assurer l’unité de la France, une société en commandite et par actions.

Il y a dans ce fatras rédigé par des hommes n’ayant aucune notion d’économie politique ou d’administration tel passage qui fait horreur, lorsque l’on se reporte par le souvenir aux actes que l’on a commis. Parmi « les droits inhérens à la commune, » on ose citer, « la garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience et de la liberté du travail : » l’incarcération et le massacre des otages, la fermeture des églises et l’expulsion des prêtres ont répondu à cette déclaration, et en ont prouvé la sincérité. Le besoin de despotisme qui les tourmente, la ferme résolution d’agir révolutionnairement, c’est-à-dire en dehors de l’action des lois consenties, apparaissent à leur insu et malgré les précautions dont ils s’entourent. L’intervention des citoyens dans les affaires communales doit être permanente; ils ont droit à la libre manifestation de leurs idées, à la libre défense de leurs intérêts; mais « la commune est seule chargée de surveiller et d’assurer le libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité, » ce qui équivaut à dire que la commune s’arroge le pouvoir de suspendre le droit de réunion et la liberté de la presse, quand elle le jugera opportun. Elle n’y faillit pas; la manifestation pacifique de la rue de la Paix fut dispersée à coups de fusil, et quand la commune s’écroula, elle avait supprimé tous les journaux. Ce sont là, du reste, les façons d’agir familières aux gens dont le métier consiste à fomenter et à exploiter les révolutions; n’est-ce pas au nom de la liberté que la loi du 21 prairial fut imposée à la convention?

Sans cette proclamation du 16 avril, nous aurions pensé que la journée du 18 mars n’avait été qu’un coup de main heureux mené par la bande de la révolte permanente. Nous nous trompions : « La révolution communale commencée par l’initiative populaire du 18 mars inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles, des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres. » Franchement, nous ne l’aurions jamais cru, car la commune fut précisément une époque où tout le monde était fonctionnaire, où chacun se galonnait et s’empanachait, où tous les membres de tous les comités et de toutes les délégations se considérant comme des êtres privilégiés substituaient leur volonté aux prescriptions des lois, où l’on remplaçait l’agiotage par l’effraction des caisses publiques et particulières, où le prolétariat fut littéralement réduit en esclavage, au plus rude, au plus implacable, à celui du service militaire forcé, sous peine de mort et pour la guerre civile. La guerre civile, la commune ne fut que cela; elle en produisit la plus cruelle explosion que l’on ait vue. Pour ceux qui en vivaient, pour ce troupeau de fédérés auxquels elle servait de prétexte à ne pas travailler, à jouer au soldat, se battre et se griser, elle n’était qu’un but. Mais pour les conspirateurs de la commune, elle était un moyen. Ils espéraient vaguement quelque victoire qui leur assurerait la toute-puissance qu’ils rêvaient, et il est bien probable que, fidèles en cela aux traditions du jacobinisme dont ils s’inspiraient, ils eussent été alors des maîtres sans pitié pour ce prolétariat au nom duquel ils ont prétendu parler. Leur proclamation confuse et flottante au début, tant qu’il n’est question que des réformes à opérer, devient subitement très nette et très ferme lorsqu’il s’agit d’intéresser la France à la révolte, et de lui demander son appui : « Avertie que Paris en armes possède autant de calme que de bravoure; qu’il soutient l’ordre avec autant d’énergie que d’enthousiasme ; qu’il se sacrifie avec autant de raison que d’héroïsme ; qu’il ne s’est armé que par dévoûment pour la liberté et la gloire de tous, que la France fasse cesser ce sanglant conflit ! C’est à la France à désarmer Versailles par la manifestation de son irrésistible volonté. Appelée à bénéficier de nos conquêtes, qu’elle se déclare solidaire de nos efforts ; qu’elle soit aussi notre alliée dans ce combat qui ne peut finir que par le triomphe de l’idée communale ou par la ruine de Paris ! » Malgré les émissaires que la commune envoya dans quelques grandes villes, la France resta sourde et regarda avec colère du côté de ces malfaiteurs qui violaient sa volonté librement exprimée aux élections du 8 février. Pour la punir de son dédain, ceux-ci essayèrent de brûler sa capitale ; ils y réussirent en partie et s’en enorgueillissent.

Le Père Duchêne approuva la proclamation; cependant il n’était pas satisfait : « On vend maintenant un tas de sales vins qu’on fait payer neuf sous la chopine ! si ce n’est pas honteux! ça rappelle les plus mauvais jours de notre histoire ! » Il estime en outre qu’il y a un point qui n’est pas net et qui mérite d’être éclairci ; c’est celui des arrestations ; il en faut, mais « plus nombreuses que ça ! » — Un peu plus tard, 6 floréal an 79, il déclare que : « Fouquier-Tinville lui chatouille les pieds le soir au moment où il va faire un somme. » Néanmoins le manifeste de la commune lui plaît et il essaie de le comparer à la déclaration des droits de l’homme. Le peuple de Paris fut moins indulgent que Vermesch; il lut cet exposé de principes, leva les épaules et passa. Comment s’arrêter à des billevesées pareilles, en présence des actes d’arbitraire et de violence qui étaient la flagrante contradiction des paroles : paix, liberté, travail; à quoi bon ces grands mots qui ne trompaient personne, lorsque les combats sous Paris ne cessaient pas, lorsque le bruit de l’artillerie tonnait jour et nuit autour de la ville désespérée, lorsque nul ne pouvait douter des projets sinistres que l’on se réservait d’exécuter à la dernière heure, lorsque Parisel, chef de la délégation scientifique, réclamait partout du pétrole?

La commune semblait du reste prendre soin de se déconsidérer elle-même, à force de niaise crédulité ou de mauvaise foi. Tout à coup on apprend par les journaux que dans les sous-sols de l’Hôtel de Ville on a découvert un caveau, sur les murs duquel on reconnaît les empreintes d’une main sanglante. Quelle victime a succombé là, dans le silence et l’obscurité? quel a été le meurtrier? M. Haussmann, M. Henri Chevreau, M. Jules Favre ou le général Trochu? Tous les quatre peut-être. On réclame une enquête, il faut que le jour se fasse sur cette ténébreuse histoire. Quelle femme a péri dans ce cachot, car ce ne peut être qu’une femme, bien plus, une jeune fille, une fille du peuple, innocente, vertueuse, un visage de vierge, un regard d’ange, blonde, frêle, appelant sa mère; là même, sous cette voûte sombre, elle a été immolée après avoir assouvi la brutale passion de ses bourreaux. L’enquête fut ouverte, c’est à ne pas le croire. On désigna des experts qui firent l’analyse chimique du sang dont la muraille était tachée. Le Journal officiel de la commune daigna rassurer la population : « L’expertise a démontré que ce sang était tout simplement du sang de porc et de veau ; mais ce qu’il y a de particulièrement curieux, c’est que, d’après les constatations légales, ces traces ne remonteraient pas au delà du mois de janvier dernier. D’où il résulte qu’à l’époque où la canaille de Belleville mourait de faim, on tuait le veau gras pour ces messieurs du 4 septembre. » C’était une déconvenue; beaucoup de braves fédérés s’imaginèrent qu’on avait voulu les tromper, et que le gouvernement de l’Hôtel de Ville trahissait. Ils eurent cependant lieu de croire encore à la pureté des opinions des membres de la commune en lisant dans le même numéro (20 avril) du Journal officiel l’entrefilet suivant qui est donné sous la rubrique du Reynold’s Weekly : « C’est avec une joie sincère que nous annonçons que l’enfant nouveau-né du prince et de la princesse de Galles est mort quelques heures après sa naissance, et qu’ainsi la classe ouvrière n’aura pas à entretenir un mendiant de plus. » Le Journal officiel était alors rédigé par Charles Longuet, qui, le 13 mai, se retira devant Vésinier. On ne gagna pas, on ne perdit pas au change. Cette feuille reste une officine de mensonges et de vilenies; elle était vraiment l’organe du gouvernement de la commune.


IV. — LES COMPÉTITEURS.

Ce gouvernement, tout en restant composé des mêmes hommes, avait jugé à propos de changer sa constitution intérieure après les élections complémentaires du 16 avril ; sous prétexte de faire place aux nouveaux venus, on modifia les moteurs de la machine sous la pression de laquelle Paris étouffait. Il faut reconnaître que le système des commissions était déplorable. S’agitant dans des attributions mal définies, elles empiétaient volontiers les unes sur les autres, les conflits étaient permanens, dégénéraient en querelles, et il était rare qu’une séance se passât sans échange de gros mots. En outre la responsabilité éparse sur les membres d’une même commission était diffuse, l’autorité était trop divisée, et comme tout le monde commandait, il était naturel que personne ne voulût obéir. Ce fut dans la séance du 20 avril, sous la présidence du citoyen Viard, qui, de son métier, était vernisseur, que la commune procéda à ce qu’elle nommait elle-même une réorganisation radicale. Aux commissions on substitua les délégations sur la proposition de Paschal Grousset; un délégué doit être nommé près de chacun des grands services publics; en d’autres termes, chaque ministère sera pourvu d’un ministre, mesure singulière pour des hommes qui voulaient si résolument rompre avec le passé et les erremens du vieux monde gouvernemental. « Le délégué a tous les pouvoirs nécessaires pour prendre seul et sous sa responsabilité les mesures exigées par la situation. » Adopté à l’unanimité moins quatre voix. Sur la motion d’Amouroux, il est décidé que : « Le délégué responsable pourra être révoqué par la commune sur la demande de la commission qui devra fournir les pièces à l’appui. » La commission exécutive doit disparaître : par qui sera-t-elle remplacée? Discussion grosse d’orage, car c’est là que gît le pouvoir, et chacun veut s’en emparer. Raoul Rigault, Vermorel, Jourde, Vallès, Viard, Arthur Arnould parlent et ne parviennent pas à s’entendre. Le pontife du jacobinisme, Delescluze, se lève; on l’écoute et on adopte son projet. Le pouvoir exécutif est confié à titre provisoire aux délégués des neuf commissions. — Les délégués se réuniront chaque soir et prendront leur décision en commun, à la majorité des voix. — Chaque jour ils rendront compte, en comité secret, à la commune, des mesures arrêtées, discutées ou projetées; la commune décidera. — Adopté par 47 voix contre 4. Donc ministres, conseil des ministres, rapport des ministres au souverain qui décide en dernier ressort. Pour en arriver à une telle innovation, ce n’était vraiment pas la peine de faire tuer tant de monde et de ruiner Paris. A la majorité des voix, sur cinquante-trois votans, on nomme à la guerre, Cluseret, — aux finances, Jourde, — aux subsistances, Viard, — aux relations extérieures, Paschal Grousset, — à l’enseignement, Vaillant, — à la justice, Protot, — à la sûreté générale, Raoul Rigault, — au travail et à l’échange, Frankel, — aux services publics, Andrieu.

C’était une organisation trop simple pour des hommes que leur ignorance rendait soupçonneux et auxquels leur vanité inspirait non pas l’amour, mais la frénésie du pouvoir. Dès le lendemain, dès le 21 avril, la nouvelle combinaison est si profondément remaniée qu’elle s’écroule. Rastoul et Billioray sont les porte-paroles; d’après le projet qu’ils font valoir, les commissions sont rétablies avec des droits d’investigation presque illimités. Il est inutile de répéter toutes les sornettes qui furent gravement débitées; le résultat fut que le pouvoir des délégués se trouva tout simplement annihilé. Les anciennes commissions deviennent commissions de surveillance et peuvent à toute heure vérifier les actes du délégué. Elles en font chaque jour un rapport à la commune. De plus une commission supérieure de contrôle doit examiner les actes de la commission des délégués et en rendre compte à la commune. Ainsi chaque commission surveille son délégué spécial; elle correspond avec une commission générale qui surveille la commission des délégués et communique avec l’assemblée communale. Ce système paraît si excellent que le chapelier Amouroux ne peut retenir une exclamation : « On ne décrète pas le droit, on l’applique ! » On croit ainsi établir une série de contrôles et l’on ne réussit à créer qu’une confusion d’autorités qui se contrecarrent et constituent une diversité de despotismes tracassiers, jaloux les uns des autres, dénonciateurs et méchans. C’est de ce moment que les haines éclatent au sein de la commune, que les partis se divisent et que l’on se menace mutuellement de se « coller au mur. » Il faut voir comment ils se traitent entre eux; jamais catéchisme poissard ne fournit de telles épithètes : Félix Pyat attaque Vermorel et lui reproche d’avoir été un agent secret de Napoléon III ; Vermorel riposte; il dit crûment à Pyat qu’il n’est qu’un lâche et que tout son mérite consiste à avoir fait à Londres du régicide en chambre. Vermesch juge les coups, gourmande les deux adversaires dans le Père Duchêne et leur dit proprement : « Vous tombez dans la mélasse. » Il vomit sur tout le monde, ce Vermesch. Lefrançais perd patience et l’invite à venir avec lui faire un tour aux avant-postes du côté de la porte Maillot; Vermesch n’a garde de répondre à cette proposition, qui ne convenait point à ses habitudes sédentaires; Lefrançais triomphe et accable d’injures Vermesch, qui ne s’en soucie guère. Vésinier et Rochefort se prennent aux cheveux et se crachent quelques vérités au visage. Vésinier perd la tête sous les coups de fouet de son interlocuteur et, ne sachant plus que dire, il ramasse l’insulte familière aux gens de son espèce. Il a la niaiserie d’accuser Rochefort d’avoir, sous l’empire, émargé à la préfecture de police. C’était ne pas mettre les rieurs de son côté. Rochefort s’en tira avec esprit, ce qui lui était facile : « Qui donc, dit-il, a pu révéler au gracieux Vésinier ce terrible secret que je croyais si bien gardé ? Moi qui n’ai fait paraître la Lanterne que pour détourner les soupçons. » Tous ces héros de barricades sont du reste coutumiers de telles polémiques. Qui ne se souvient de la façon dont Rochefort a houspillé Millière dans les derniers mois du second empire? A propos d’une souscription peu importante, mais que l’on ne retrouvait pas, Rochefort écrivait à Millière, dans la Marseillaise du 12 juillet 1870 : « J’apprends à l’instant votre refus de rendre l’argent déposé en votre nom. Ceci clôt toute discussion. Vous êtes un lâche et un voleur, et je ne puis que m’applaudir d’être à jamais séparé de l’individu qui a laissé disparaître 16,500 francs de la caisse. Vous voyez que la rédaction avait raison quand elle m’assurait que vous étiez une affreuse canaille. »

D’après les confidences que l’on ne craignait pas de faire au public, on peut se figurer ce que durent être certaines séances de la commune, certains conciliabules des commissions. Vermorel, vers qui il est impossible de ne pas regarder avec commisération, disait : « Le dégoût me prend au milieu de tant de sottise, de tant de prétention, de tant de lâcheté; nous n’avons que des imbéciles, des fripons ou des traîtres, instrumens vils et ridicules ; rien que des personnalités grotesques ou monstrueuses. » Oui, ce n’était que cela, et c’est pourquoi il n’en pouvait sortir que la commune. Elle avait été frappée d’incohérence le jour même où elle avait pris le pouvoir; elle ne faisait rien parce qu’elle ne savait rien faire; elle ne parvenait à résoudre aucune question parce qu’elle en était absolument incapable. Elle sentait son impuissance et, comme toujours, en accusait les menées réactionnaires; elle accusait les chouans et les cléricaux, comme jadis on avait invariablement accusé Pitt et Cobourg. Ce fut Pourille, dit Blanchet, qui le 22 avril, pendant que Varlin présidait, se chargea d’expliquer pourquoi la commune voyait s’éloigner d’elle la majeure partie de la population. « Nous n’employons pas les moyens révolutionnaires; parlons moins, agissons plus; moins de décrets, plus d’exécution. Où en est le décret sur le jury d’accusation? et la loi sur les réfractaires, non appliquée, et la colonne Vendôme, qui n’est pas encore abattue; la commune n’est pas révolutionnaire. » Le président Varlin eut de l’esprit; il interrompit l’orateur en disant : « Ceux qui crient le plus fort ne sont pas ceux qui font le plus. » Ce mot put frapper lourdement Blanchet-Pourille, qui sous l’empire avait été employé à la police de Lyon. Delescluze, dans les récriminations de Blanchet, vit une accusation portée contre l’ancienne commission exécutive dont il avait fait partie, il se leva pour la défendre ; sa parole est amère ; l’homme qui au 31 octobre disait avec désespoir : « C’est un 4 septembre manqué, » ne devait point pardonner à ceux qui l’avaient momentanément relégué à un rang inférieur, et il attribue cette demi-chute à « une rancune personnelle. » Il indique clairement du reste le mal dont la commune souffre et souffrira jusqu’à l’heure suprême : « S’il y a quelques discordes, n’est-ce point pour cette question de galons qui divise certains chefs? Il y a des tiraillemens à cause des jalousies et des compétitions. C’est l’élément militaire qui domine, et c’est l’élément civil qui devrait dominer toujours.» On sent là, dans ces derniers mots, la tradition jacobine qui s’affirme; c’est elle qui l’emportera à la fin, et la stratégie de la commune ne sera plus qu’une série de reculades et de cruautés. Ce fut dans cette même séance qu’emporté par son ressentiment, Delescluze a prononcé des paroles auxquelles sa mort a donné une sorte de consécration prophétique : « Croyez-vous donc, dit-il, que tout le monde approuve ce qui se fait ici? Eh bien, il y a des membres qui sont restés, et qui resteront jusqu’à la fin, malgré les insultes qu’on nous prodigue, et si nous ne triomphons pas, ils ne seront pas les derniers à se faire tuer soit aux remparts, soit ailleurs. » Ceci s’adressait à Félix Pyat, que l’on ne put retrouver parmi les morts.

La séance du 23 avril fut importante et provoqua une sorte de révolution de palais qui eut des conséquences graves, car elle entraîna Raoul Rigault à donner sa démission de délégué à la sûreté générale. Voulut-on éloigner Rigault de la préfecture de police qu’il gardait jalousement, et où il menait une existence scandaleuse? Voulut-on lui faire comprendre qu’il n’avait pas le droit d’interdire l’entrée des prisons et la visite des prisonniers aux membres de la commune? Je ne sais. Jules Vallès, qui, comme presque tous les écrivains, était bien plus violent dans ses paroles que dans ses actes, qui, appartenant à la minorité de la commune, penchait vers les idées socialistes, et ne subissait qu’avec peine la brutalité préconçue des jacobins et des hébertistes, Vallès proposa de reconnaître aux membres de la commune le droit de « visiter les prisons et tous les établissemens publics. » La motion fut adoptée à l’unanimité. Raoul Rigault était absent. Le lendemain 24 il accourut; il demanda avec hauteur à la commune de revenir sur le vote de la veille « au moins en ce qui concernait les individus au secret. » La commune se divise immédiatement en deux camps opposés. D’un côté, ceux qui veulent à tout prix maintenir ce qu’ils appellent les principes, — de l’autre ceux qui, n’ayant égard qu’aux circonstances, font abstraction desdits principes et ne tiennent compte que des nécessités du moment. La lutte fut ardente et comme toujours très confuse. Jourde, Amouroux, Billioray, Parisel, Vermorel, sont partisans de toutes les libertés, mais actuellement elles doivent être ajournées; il faut d’abord vaincre la réaction, ensuite on abolira le secret, mais en attendant il n’est que prudent de le maintenir. — Arthur Arnould, ordinairement si obscur et nuageux, est, cette fois, très précis. On a proclamé des principes, on a le devoir de les appliquer quand même : « Il y a quelque chose de bien fâcheux, dit-il ; c’est, quand on a tenu un drapeau toute sa vie, de changer la couleur de ce drapeau quand on arrive au pouvoir. Il en est toujours de même, dit-on, dans le public. Eh bien! nous, républicains démocrates-socialistes, nous ne devons pas nous servir de moyens dont se servaient les despotes. » Dans toute cette discussion, Arthur Arnould fait preuve d’un esprit peu politique, mais animé d’intentions excellentes. L’ordre du jour pur et simple, proposé par Vallès, est adopté par vingt-quatre voix contre dix-sept. Immédiatement Raoul Rigault donne sa démission de délégué à la sûreté générale. Il est imité par Théophile Ferré. Deux jours après, Raoul Rigault était nommé procureur général de la commune ; s’il n’était plus le gardien des prisons, il en devenait le pourvoyeur, et c’est là une fonction qu’il sut accomplir en conscience.

On avait eu beau substituer les-délégués aux commissions, la commission supérieure à la commission exécutive, remplacer Bergeret emprisonné par Cluseret qu’on allait emprisonner, les choses n’en allaient pas mieux. La commune craquait de toutes parts; le vaisseau symbolique qui porte Paris ressemblait au radeau de la Méduse. Les administrations municipales ou ministérielles étaient tombées plus qu’en décomposition; les opérations militaires, malgré les dépêches menteuses qui en rendaient compte, n’étaient qu’une suite non interrompue de défaites. La ville devenait déserte ; seules, les prisons étaient pleines. Ce n’est plus une révolution, c’est un chaos. Un homme de génie ne s’y pourrait reconnaître et, selon le mot de Vermorel, il n’y a que des imbéciles, des fripons et des traîtres. Les yeux les moins clairvoyans sont frappés de ce désarroi, et le comité central de la fédération de la garde nationale, qui n’a cessé de fonctionner malgré son apparente abdication, qui, bien souvent, a neutralisé l’action de la commune, qui, lui aussi et de son autorité privée, surveille les délégués, se glisse partout, écoute aux portes et rêve de rentrer en maître dans l’Hôtel de Ville, le comité central s’émeut. La dernière fois qu’il a parlé au public c’est le 6 avril, et ce qu’il lui a dit ne doit pas être oublié : « Le comité central a la confiance que l’héroïque population parisienne va s’immortaliser et régénérer le monde ! » L’héroïque population parisienne ne se battait pas mal, buvait outre mesure, s’immortalisait fort peu, et ne régénérait rien du tout. Le comité central s’en apercevait; avec un peu de jugement, il aurait pu le prévoir. Loin de croire comme Delescluze que l’élément militaire paralysait l’élément civil, il estime le contraire, car il représentait la garde nationale fédérée, c’est-à-dire l’armée de la révolution, armée formidable, admirablement, outillée, que des circonstances exceptionnelles avaient formée, qu’on ne retrouverait peut-être jamais en telle force, et qui cependant fondait avec une rapidité extraordinaire. Vers le 25 avril, au moment où la commune est sur le point de se disloquer encore pour essayer de se concréter bientôt dans un comité de salut public, le comité central intervient. C’est à ce moment qu’il faut, je crois, placer cette pièce non datée qui indique clairement combien l’esprit des meneurs est troublé, combien les cœurs défaillent, combien d’espérances impies se sont envolées : « Aux membres de la commune. Le découragement le plus grand règne dans la garde nationale. Une colère sourde s’amasse dans les cœurs. Les chefs, Dombrowski, Okolowicz, etc., sont désolés et presque sans hommes. Pour eux la position n’est plus tenable si des mesures énergiques et immédiates ne sont prises. Il faut arrêter Cluseret, nommer Dombrowski commandant en chef, constituer tous les militaires en conseil de guerre, délibérant sous les yeux d’un commissaire de la commune. Il faut des organisateurs civils responsables du contrôle et cela vite, vite, vite, ou tout est perdu. Pour le comité central et sur délégation : E. Tournois, Boisson, A. Bonnet, Houzelot, Marceau, Laroque. » Le principe révolutionnaire, celui-là même qui a perdu toute révolution, se montre là dans sa niaise simplicité : mettre les chefs d’armée en présence d’une assemblée, — commission ou comité, — qui discute les opérations militaires, brise toute initiative individuelle, impose des opinions collectives, c’est-à-dire médiocres, émoussées par les concessions réciproques, et délibère au lieu d’agir. Par cette remontrance adressée à l’Hôtel de Ville, le comité central croyait peut-être changer la marche des choses, il ne faisait, au contraire, que la continuer, que l’accentuer; seulement il substituait son action « militaire » à celle de la commune et ne laissait à celle-ci qu’une organisation civile diminuée par la responsabilité même du contrôle. La commune vit sans doute le piège, et ne répondit pas. La commune, le comité central, la fédération révoltée, tout ce monde étrange qui prenait ses vociférations pour des idées et la cruauté pour du courage, ne s’apercevait pas qu’il mourait d’une maladie à double caractère : d’un côté absence radicale d’initiative, de l’autre manque complet de discipline.

Dans les conseils que le comité central faisait parvenir à la commune, celle-ci n’en retint qu’un seul qu’elle suivit; elle fit arrêter Cluseret, son délégué à la guerre, le chef des opérations militaires qui avaient bien mal réussi, Cluseret n’avait point été tendre pour ses prédécesseurs. Il avait traité Eudes, Duval, Bergeret de « jeunes gens » et avait déclaré, à propos du mouvement tenté le 3 avril sur Versailles, qu’ils « ignoraient le premier mot de ce qu’ils allaient faire. » C’est sur sa demande motivée que Bergeret avait été arrêté et incarcéré à Mazas. La lettre que Cluseret écrivit à la commune contient quelques passages qu’il est bon de citer, car il n’est pas malséant de prouver que ces hommes se sont jugés plus sévèrement que bien souvent nous ne les avons jugés nous-mêmes. Cluseret accuse Bergeret d’avoir déployé un luxe antirépublicain, d’avoir fait étalage d’un état-major ridicule, d’avoir voulu jouer à l’aristocrate militaire... « d’avoir mis son ambition personnelle au-dessus du devoir et du bien public. » Il demande que Bergeret soit maintenu en état d’arrestation jusqu’à la fin des hostilités, parce que « sa présence parmi les gardes nationaux serait un objet de trouble, vu le caractère présomptueux, intrigant et personnel dudit citoyen. » On dit qu’à Mazas Bergeret écrivit sur le mur de sa cellule : « A bientôt, Cluseret, je t’attends ici. » Cluseret, emprisonné, fut remplacé par Rossel, et ce remplacement concordait avec la nouvelle révolution que la commune accomplissait. Elle laissait les délégués à leur poste, supprimait les commissions, et, sous le titre de comité de salut public, créait une dictature composée de cinq personnes. Cette mesure d’une insurrection in extremis fut vivement et vainement combattue dans de longues discussions que j’ai déjà résumées ailleurs[12]. Cette fois la scission était définitive; les deux partis qui se partageaient la commune étaient face à face, comme deux frères ennemis se haïssant et cherchant à se supplanter. Ils ne se réuniront qu’à l’heure du dernier combat, lorsqu’il s’agira de mettre à exécution le programme formulé depuis tant d’années : « Paris sera à nous ou Paris ne sera plus! » Mais jusque-là les deux groupes se côtoient et s’observent sans se mêler ; d’une part les socialistes, qui se croient intelligens parce qu’ils rêvent tout éveillés; de l’autre les jacobins, qui se croient énergiques parce qu’ils se savent prêts à toutes les violences.

Pendant que la commune entrait déjà en agonie, elle recevait de quelques étrangers des encouragemens qui la chatouillaient au plus vif de son amour-propre et qui lui faisaient peut-être espérer qu’un jour elle serait reconnue comme gouvernement régulier. Un député de Leipzig, socialiste de profession, M. Bebel, était monté à la tribune du Reichstag de Berlin et avait fait l’éloge de la commune de Paris; on avait laissé passer ses paroles sans protestations, car il est certains goûts dont il ne faut pas disputer; mais l’hilarité devint générale et presque insultante, lorsque l’on entendit l’orateur s’écrier : « On accuse la commune de pousser à la guerre civile ; c’est une calomnie, car la modération a toujours été de son côté. » L’Hôtel de Ville fut très flatté de cette attestation de bonne conduite qui lui était publiquement décernée sur les bords de la Sprée, là même où sept ans plus tard un régicide devait gravir les degrés de l’échafaud en criant : « Vive la commune ! » et il la fit insérer dans les journaux. Il y joignit une adresse qu’une société démocratique de Florence lui avait économiquement expédiée par la poste : « Que vous soyez victorieux ou vaincus, notre drapeau (le drapeau rouge) n’en restera pas moins le glorieux étendard de l’avenir; nous ou nos fils recueillerons ce sang, et cette terre ensanglantée, nous la jetterons au ciel avec cette exclamation : « Notre jour viendra! » — La voix alors isolée de Bebel, les phrases prétentieuses de quelques Florentins répondirent seules à cette invitation à la république universelle que le comité central et la commune avaient lancée du haut du perron de l’Hôtel de Ville. C’était peu de chose, et le délégué aux relations extérieures n’eut point d’ambassadeurs extraordinaires à envoyer vers les peuples alliés. La commune devait rester un fait particulier, une sorte d’accès d’envie furieuse que toutes les nations contemplaient avec horreur et que la France supporta avec désespoir.

Si la commune qui, dès l’heure de sa naissance, s’était résolument mise au ban de la civilisation par l’assassinat du général Lecomte et de Clément Thomas, n’eut aucune action diplomatique à entamer, il se trouva des gens de volonté irréprochable que leur ardent désir de la paix poussa vers une négociation dont le résultat était bien incertain. Quelques hommes de bien, d’opinions profondément libérales., désolés de voir l’état convulsif dans lequel Paris se débattait, affligés de cette guerre qui ressemblait à une lutte de gladiateurs, offerte par des vaincus à l’Allemagne victorieuse, blâmant les exigences des deux adversaires, voulurent apaiser les esprits, prêcher la conciliation, obtenir de part et d’autre quelques concessions et fermer cette plaie vive par où le sang de la France menaçait de s’écouler. Mus par une pensée généreuse dont il convient de leur garder une sincère reconnaissance, ils voulurent servir d’intermédiaires entre Paris et Versailles, entre l’Hôtel de Ville et l’assemblée nationale. De chaque côté ils se brisèrent contre d’invincibles résistances. La commune ne voulait déposer les armes qu’après avoir obtenu tout ce qu’elle réclamait; M. Thiers, président de la république, chef du pouvoir exécutif, parlant au nom de la représentation légale du pays, ne voulait rien accorder avant que l’insurrection ne se fût soumise et n’eût ouvert les portes de Paris. On eut beau invoquer la raison, le patriotisme, le sentiment, tout fut inutile, et le duel impie continua. Plusieurs interventions spontanées se produisirent, qui toutes demeurèrent stériles ; la plus importante fut celle que l’on nomma alors la manifestation des francs-maçons ; elle se fit en grand apparat et avec une pompe un peu théâtrale; elle étonna les Parisiens, et elle fut, je crois, la seule dont la commune accepta franchement le concours. À ce titre, elle ne doit pas échapper à notre récit, et nous en parlerons bientôt.


MAXIME DU CAMP.

  1. L’écriture de cette pièce est de Blanchet, dont le vrai nom était Pourille.
  2. Je crois que le mot commune doit ici être entendu dans le sens de Paris municipe.
  3. La nomination fut ratifiée par la commune. «2 avril 1871 ; le citoyen Rossel reste chef militaire de la 17e légion. Le citoyen Géroudier représente dans ladite légion la pouvoir civil comme membre de la commune. Les délégués de la commission exécutive : G. LEFRANCAIS; Félix PYAT; E. VAILLANT. »
  4. La terreur ou la commune de Paris en l’an 1871 dévoilée, par W. de Fonvielle, Bruxelles, 1871, p. 7.
  5. Procès des membres de la commune devant le 3e conseil de guerre; audience du 18 août 1871.
  6. La signature est tellement douteuse que je ne puis pas la donner.
  7. Ranc donna sa démission le 5 avril et la maintint résolument malgré les démarches très pressantes que Lefrançais fit auprès de lui pour l’engager à la retirer.
  8. Procès Chalet; 8e conseil de guerre; débats contradictoires; 12 octobre 1871.
  9. On renchérit encore. Un ancien architecte, nommé H. Barnout, qui avait inventé la borne maudite, sorte de pilori qu’il proposait d’élever à la honte des malfaiteurs de l’humanité (empereurs et rois), « réduit la devise de l’avenir aux quatre termes suivans : souveraineté universelle — contribution universelle — héritage universel — expropriation universelle. » Le Vengeur, numéro du 8 avril 1871.
  10. Procès L.-J.-R. Bourdon ; débats contradictoires ; 4e conseil de guerre, 4 août 1874.
  11. Les treize membres de la commune qui votèrent contre la validation de ces élections tronquées furent : Arthur Arnould, Avrial, Beslay, Clémence, V. Clément, Geresme, Langevin, Lefrançais, Miot. Rastoul, Vallès. Verdure, Vermorel.
  12. Voyez, dans la Revue du 1er juin 1878, la Banque de France pendant la commune.