La Commune de Paris (Pottier)

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Chants révolutionnairesAu bureau du Comité Pottier (p. 149-157).


LA COMMUNE DE PARIS



Anniversaire du 18 mars.


D’un hémisphère à l’autre, ô Globe, tu tressailles ;
C’est notre dix-huit mars, c’est la date où Versailles,
— Le Passé, — se rua sur Paris — l’Avenir, —
D’un trop long héroïsme on voulait le punir.
L’impure Babylone, énervée, enrichie,
Que, par vingt ans d’Empire, on croyait avachie ;
Boudoir puant le musc, et, Caserne, le schnick ;
Où trônaient et traînaient Mathilde et Metternich ;
Foule que son cornac menait, pis que la bête,
À coup de plébiscite, à coups de casse-tête,
Tout d’un bond, — comme si, son glaive au ceinturon,
Le grand Quatre-vingt-treize eût sonné du clairon, —
Paris avait repris sa tâche titanique,
De la défaite en deuil tiré la République
Vomi son Bas-Empire et comme un excrément
Déposé Bonaparte et son gouvernement.
La mesure était comble aux yeux de l’assemblée
De Bordeaux, qui voulut, à peine déballée,
Décapitaliser Paris, — l’Invasion
Aidant, — décapiter la Révolution !
Le vote avait tiré des couches réfractaires
Toute une alluvion d’êtres rudimentaires,
Bourgeois momifiés, morts déjà, — résidu
Et de mil huit cent quinze et de mil huit cent trente, —
Marguilliers pleins de foi, mais d’humeur massacrante.

— Ils l’ont prouvé depuis ! — Ces ruraux à tous crins
Auraient lâché gaîment quatre Alsaces, six Rhins
Et trente milliards, — enfin des niaiseries, —
Pour remettre un bonhomme aux vieilles Tuileries.
Thiers, l’oracle avorton de ce concile nain,
Médite un coup de force, un vaste Transnonain ;
« Terrorisons, dit-il, la vile multitude !
« La Bourgeoisie a foi dans ma décrépitude ;
« Je sais comme à plat ventre elle accueille un Sauveur :
« je vais être le sien. J’ai conquis la faveur
« Du vote universel, que j’amputai naguère.
« Jouons du spectre rouge et jouons le vulgaire.
« Oui, pêchons le pouvoir dans l’eau trouble et le sang ! »
— Bref la troupe attaqua Montmartre au jour naissant. —

Devant ce guet-apens les âmes n’en font qu’une
Et la grande cité proclame la Commune.

Victoire ! un cri de joie, un immense bravo
S’élève alors du peuple. Un horizon nouveau
S’illumine. Émergeant des brouillards de l’Empire,
De sa honte, on revoit le ciel vaste : on respire !
Des plans d’égalité dans les cerveaux germaient ;
Les bras étaient armés, mais les cœurs désarmaient.
La Commune, ô Justice, affirmait ton principe :
Tous pour chacun, chacun pour tous ; et, comme type
De l’ordre social futur, sur son portail
Biffait : Propriété, pour y graver : Travail.

Oui, Paris t’acclama ! tu venais sur la terre
Débrouiller le chaos
Tu devins le cerveau, l’âme du prolétaire
Et la chair de ses os.

Des penseurs sociaux s’il ignore la lettre,
Le peuple en sent l’esprit.
Quand tu dis : Travailleur, tu n’es rien, tu dois être !
Le Travailleur comprit.


Chacun mit à la pâte une main vigoureuse :
Bataillons fédérés,
Vieux faubourgs, vous prenez le flingot, la vareuse,
Vous marchez, vous mourez !

Vous fûtes des premiers, vieillards au front sévère,
Prêchant les combattants.
Sombres vaincus de Juin, vos trois mois de misère
Avaient duré vingt ans.

Ô Commune splendide, ô toi, qu’on injurie,
Tu vis sur tes remparts,
Insignes rayonnants, la Franc-Maçonnerie
Planter ses étendards.

Dans cet enfantement la femme eut le courage
De la maternité :
Elle aime, parle et meurt et répand dans l’orage
Son électricité.

Une idole, à la France, avait été fatale :
Napoléon premier,
Le Corse, le faux dieu de la force brutale
Roula sur le fumier.

Tu ne pus en deux mois renverser des Bastilles ;
Tes décrets survivront.
L’homme aux outils, l’homme au pain noir, l’homme aux guenilles
Les exécuteront.

Tu ne pris pas la Banque — ah ! ta faute fut grande ! —
Tu devais transformer.
Sait-on pas, si l’on veut que l’ennemi se rende,
Qu’il faut le désarmer ?


Tous ces honnêtes gens, vivant, eux et leurs proches,
Les crocs dans notre chair et les mains dans nos poches :
Usuriers, calotins, soudards, ruffians, — malheur ! —
Pris la main dans le sac crièrent au voleur !…
Le drapeau rouge en main, dignes fils de nos pères,
Nous devions écraser tout ce nid de vipères
Le soir du Dix-huit Mars. — Nous ne l’avons pas fait !
Nous n’avons jamais su haïr ! — Mais quel forfait
Que d’épargner le loup, la panthère ou la hyène !
Ô Nouméa, poteaux de Satory, Cayenne,
Pardonnez aux cléments !…

Pardonnez aux cléments !Puis l’éclair sillonna
Les cieux noirs, le rempart cracha, le fort tonna ;
Paris fut replongé dans les horreurs du siège
Et, lion mutilé, repris au même piège.
La semaine de sang, comment puis-je en parler ?
Quand j’y pense, je vois comme un fleuve couler
Rouge… oui, rouge et fumant !… C’est le sang de nos veines,
C’est le sang généreux de ces masses humaines :
Femmes, vieillards, qu’ils ont éventrés, ces bourreaux !
Morts et blessés qu’ils ont piétinés, ces héros !
L’égorgement de Juin n’était qu’enfantillage ;
Le massacre en progrès change son outillage ;
O ne suffirait pas à tuer ce qu’on prend :
Avec la mitrailleuse on fait l’ouvrage en grand ;
On transforme nos parcs en abattoirs, nos squares
En cimetières, puis, les bottes dans des mares
De sang, les officiers sont réunis en cours
Martiales, — on veut que justice ait son cours. —
Par fournées, entre absinthe et cognac, — un chef-d’œuvre ! —
La graine d’épinards commande la manœuvre :
Arrêts à tir rapide, où, du képi coiffé,
Le magistrat fournit au moulin à café.
Oui, voilà tes hauts faits, Bourgeoisie, et ta gloire.
Voilà pour ton musée un fier tableau d’histoire.

Oh ! que n’es-tu vivant, grand peintre du radeau
De la Méduse ! Il faut un ciel rouge, un rideau
De feu : la ville à sac, pour vainqueurs : les vandales !
Trente-cinq mille morts exposés sur les dalles
D’une morgue ! — Un convoi de prisonniers partant
Pieds nus pour les pontons ; des beaux fils insultant
Les vaincus en haillons, saignants, et des donzelles
Dans leurs chairs enfonçant le bout de leurs ombrelles.
Dans une apothéose, au loin, le Panthéon
Du crime, et Jules Favre, et Thiers et Mac-Mahon,
Les escarpes d’État, la gouape cléricale,
S’embrassant au milieu des flammes de Bengale ;
Enfin, au dernier plan, les radicaux honteux
Qui s’en lavent les mains ! Commune, ce sont eux
Les coupables… ils t’ont lâchement abjurée.
Que sur un cadre noir l’avenir lise : Entrée
Des Versaillais.

Pourquoi de l’huile sur le feu
Dit Prudhomme, l’ordre est rétabli, grâce à Dieu !
Grâce à Dieu ! vous avez raison, Monsieur Prudhomme !
C’est toujours ce nom-là qu’on jette au nez de l’homme.
Son ordre est le désordre et nous l’avions brisé,
Prenons Dieu sur le fait et jugeons l’accusé.

Grâce à Dieu, l’éternel complice
De tous les exterminateurs,
Grâce à Dieu, préfet de police
Des caffards et des exploiteurs,
Grâce à la sainte Providence
L’ordre moral reprend son pli,
Et tout marche à la décadence :
Grâce à Dieu, l’ordre est rétabli !

Grâce à Dieu, tout rentre dans l’ordre :
La pensée a tari son flux ;
Les chiens enragés pourront mordre,
Ceux qu’ils mordront ne crieront plus.

L’état de siège sur la bouche,
La France, l’esprit affaibli,
S’endort après sa fausse-couche :
Grâce à Dieu, l’ordre est rétabli !

Grâce à Dieu, Rouher et sa bande,
Les généraux de l’attentat
Et l’avorton de la légende
Nous mitonnent un coup d’État,
Pour reboulonner la victoire
On hisse l’oncle démoli
Sur le mirliton de la gloire,
Grâce à Dieu, l’ordre est rétabli !

Grâce à Dieu, la tribu des filles
Bosse au croupion, chignon épars,
S’étale aux yeux de nos familles,
Dans les cafés des Boulevards,
Des Cora Pearl le truc prospère
Et soulage maint ramolli
Des millions de feu son père :
Grâce à Dieu, l’ordre est rétabli !

Grâce à Dieu, la pieuvre noire
Aux tentacules étouffants,
Pour l’ignorance obligatoire
Vient de ressaisir nos enfants.
La Jeunesse en sortira blette,
Le nourrisson maigre et sali
Tettera l’eau de la Salette :
Grâce à pieu, l’ordre est rétabli !

Grâce à Dieu, la Banque a main haute,
Et les travailleurs sont capots :
La misère est leur table d’hôte,
La mort est leur lit de repos.

De nos sueurs plus altérée,
Sur la peau du peuple avili,
Grouille une vermine dorée :
Grâce à Dieu, l’ordre est rétabli !

C’est grâce à Dieu qu’on nous écrase,
N’est-il pas la vis du pressoir ?
Il faut pour faire table rase
Briser l’idole et l’encensoir.
Nais, justice, et grandis, Science ;
En vous créant l’homme ennobli
Pourra dire à sa conscience :
Grâce à moi, l’ordre est rétabli !

Donc l’ordre est rétabli ! mais, crois-tu, vieille Usure,
Ton sac bien recousu par ton assassinat ?
Crois-tu, quand la Commune a troué ta masure,
Reboucher la crevasse avec un septennat ?

Croyez-vous, gens de l’ordre et des saines doctrines,
Inquisiteurs logés dans la peau des bourgeois,
Avoir des communeux extirpé les racines,
Pour qu’il en soit de nous comme des Albigeois ?

Vieux monde, ô moribond, pourri par les deux Romes,
Crevant d’hypocrisie et de servilité,
Crois-tu donc pour avoir tué cent mille hommes,
Dormir sur l’oreiller de la stabilité ?

Parce que des héros en fumant leur cigare
Sont morts à Satory, — bien morts : fiers, dédaigneux !
Et que pour maquiller l’histoire qui s’égare
Tu souilles leur cadavre en tes journaux hargneux ;

Parce que déportant dans la Calédonie
Tes vaincus par milliers, et toujours, et sans fin,
Tu laisses torturer leur sinistre agonie
Par l’argousin du bagne, et la soif, et la faim ;


Parce que tu nous tiens, nous, morts par contumace,
Dispersés dans l’exil, sans joie et sans travail,
Et qu’affolant le riche et pelotant la masse
Tu nous montres de loin comme un épouvantail ;

Parce que Jules Favre a fusillé Millière,
Garcin, deux Billaurey — faux — et Tony Moilin ;
Parce qu’ils ne sont plus, ces esprits de lumières :
Duval, Flourens, Ferré, Delescluze et Varlin ;

Parce qu’après la fièvre est l’heure d’apathie,
Tu dis : Tout est fini, dormons ! reposons-nous !
Je n’ai qu’à les leurrer d’un semblant d’amnistie,
Et les tigres d’hier lècheront mes genoux.

Je conserve ! dis-tu. Quoi ? La crasse et la graisse,
La misère aux damnés, l’opulence aux élus ;
Et, saoûle de forfaits, tu crois dormir, ogresse ?
Vieille société, tu ne dormiras plus !

Le tocsin troublera tes nuits épouvantées.
Mijote le soldat, le mouchard, le bedeau,
Joins devant ton bon Dieu tes mains ensanglantées,
Dis ton confiteor, marmotte ton credo ;

Tu ne dormiras plus ! Ils rempliraient des pages
Tes crimes impunis, tes vices protégés !
Résumons tout d’un mot : banquet d’anthropophages.
Il n’est plus que deux camps : les mangeurs, les mangés !

Tu ne dormiras plus ! Jamais on ne recule
L’heure du châtiment ! il s’avance à grands pas !
Tu peux crier : au feu ! Si ta baraque brûle,
Tu viderais la mer, tu ne l’éteindrais pas !

Ce n’est pas le pétrole. Oh ! non, c’est la colère
Des peuples qui s’allume : elle couve en tout lieu.

Qu’il flambe jusqu’au ciel le courroux populaire !
C’est le grand incendie : un genre humain prend feu !

Confesse ou meurs ! Choisis ? La flamme atteint ton bouge.
Pour le bonheur de tous, nous t’avons combattu.
Décrète : Égalité, Commune et Drapeau rouge ;
À ce prix nous t’offrons l’amnistie.
À ce prix nous t’offrons l’amnistie. En veux-tu ?


New-York, 18 mars 1876.