La Confession d’une jeune fille/42

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Calmann Lévy (2p. 1-6).


XLII


Je trouvai Jennie, comme on me l’avait annoncé, en conférence avec M. Barthez, lequel, ayant vu le matin même M. Mac-Allan à Toulon, apprenait à Jennie tout ce que je venais lui apprendre.

— Eh bien, ma pauvre enfant, me dit-il en me tendant les mains, la guerre est déclarée ! On nous envoie un plénipotentiaire très-poli et très-prudent, mais qui n’en est pas moins très-net et très-ferme. On veut que vous renonciez à tout, et on vous offre, sous le rapport pécuniaire, un sort meilleur…

— Que je n’accepterai jamais ! m’écriai-je. Cette offre est une insulte à la mémoire de mes parents ; car ma grand’mère m’a reconnue et ma mère ne m’eût pas désavouée. Je suis leur enfant ou je ne suis rien, et je ne puis dans aucun cas accepter l’aumône.

— Lucienne a raison, dit Jennie en m’embrassant. J’étais sûre qu’elle répondrait comme cela.

— N’allons pas si vite, reprit M. Barthez. Je viens de relire la fameuse preuve, elle m’inspire toute confiance morale, elle ne laisse aucun doute dans mon esprit ; mais légalement elle n’est pas d’une valeur incontestable, il ne faut pas se le dissimuler. M. Mac-Allan en connaît depuis longtemps la substance et nous pouvons démasquer nos batteries ; mais je doute qu’elles l’effrayent beaucoup.

Jennie serrait dans ses mains un papier plié qu’elle froissait malgré elle. Elle avait l’air plus surpris que consterné. Elle avait toujours foi dans cette preuve ; les doutes de M. Barthez n’entraient pas dans son esprit ; ils ne pouvaient par conséquent entrer tout à fait dans le mien. Je connaissais le caractère de notre ami, d’autant plus craintif à l’occasion qu’il était confiant à l’habitude. Je m’efforçai de réagir contre lui en moi-même.

Mais le temps pressait ; M. Mac-Allan allait arriver. Je lui annonçai sa visite et celle de Frumence en lui demandant si quelqu’un pouvait être compromis dans la lutte où j’allais être engagée.

— Oui, certes, répondit-il, et très-gravement.

— Personne de vivant ! s’écria Jennie avec un accent douloureux qui me frappa.

— Pardonnez-moi, quelqu’un de vivant, répliqua M. Barthez, quelqu’un de très-honorable et dont je vous jure que je ne douterai jamais ; mais les apparences peuvent être invoquées contre…

— Contre qui donc ? m’écriai-je à mon tour. Dites-le, monsieur Barthez, il faut le dire !

M. Barthez me fit de l’œil et de la main un signe rapide. Il désignait Jennie, qui s’était approchée de la fenêtre en entendant venir des cavaliers, et qui ne semblait pas se douter qu’elle pût être mise en cause. Elle se retourna vers M. Barthez en lui demandant avec une impatiente candeur :

— Eh bien, qui donc ?

— Inutile de le dire à présent, lui répondit M. Barthez. Cette pensée ne se présentera peut-être pas à l’esprit de notre adversaire. Le voici qui arrive, n’est-ce pas ? et je dois vous recommander à l’une et à l’autre une excessive prudence. Pas d’inutiles vivacités, pas de résolutions exaltées, aucune précipitation provocante ! Un calme parfait, beaucoup d’aménité, quoi qu’on nous dise, et surtout pour aujourd’hui réservons nos réponses jusqu’après nous être bien consultés ensemble.

M. Mac-Allan entrait avec Frumence dans le parterre. J’allai les recevoir. M. Costel venait à pied derrière eux. On l’attendit, et la conversation, d’abord oiseuse et gênée, alla bientôt droit au fait.

— Avant de vous découvrir nos forces, dit M. Barthez à M. Mac-Allan, nous voudrions bien savoir le motif de la guerre que l’on nous déclare. Je sais, monsieur, que vous prétendez fort gracieusement nous apporter la paix ; mais vos offres courtoises sous-entendent nécessairement une menace, et votre loyauté ne voudra pas nous en laisser ignorer la cause. Je comprendrais jusqu’à un certain point que l’on attaquât le testament qui favorise mademoiselle de Valangis au préjudice de ses frères et sœurs consanguins ; mais qu’on lui conteste son nom, c’est une preuve d’hostilité personnelle que rien ne motive et qui doit nous être révélée.

— C’est pourtant ce que je ne veux pas faire maintenant, répondit M. Mac-Allan avec une douceur d’intonation qui n’ôtait rien à la fermeté de sa réponse. S’il y a des motifs d’hostilité, ce que je n’avoue point, je n’en rechercherai avec vous la cause qu’autant que je m’y verrai absolument forcé. Je vous répète, monsieur, que mon rôle est celui de conciliateur, et que je viens ici examiner une situation que je puis, que je veux sauver de part et d’autre, si on m’accorde la confiance que je me fais fort de justifier. J’ai plein pouvoir pour traiter, et je désire traiter. J’ai plein pouvoir aussi pour lutter ; peut-être ne m’en servirai-je pas, je l’ignore. Je me suis réservé une liberté entière ; peut-être arrivera-t-il un moment où je serai tenté de laisser à d’autres le soin de faire la guerre et où vous désirerez beaucoup que je ne cède ce soin et ce droit à personne. N’employons donc pas d’inutile diplomatie. Laissez-moi voir votre arsenal, et je vous découvrirai le mien. Mademoiselle Lucienne, prenez-moi pour conseil sans préjudice du conseil de M. Barthez. Vous pèserez l’un et l’autre dans une même balance. La vérité de fait vous semblera dans un plateau ou dans l’autre ; mais la bonne foi, la loyauté d’intentions sera dans l’un et dans l’autre à poids égal, je vous en réponds.

M. Mac-Allan avait un don de persuasion entraînante. Était-ce une grâce d’état, une faconde d’habitude ? Ces airs de probité sûre d’elle-même cachaient-ils une rouerie implacable ? Je vis sur la figure de M. Barthez qu’il s’y fiait médiocrement, et sur celle de Jennie qu’elle s’y fiait spontanément. Frumence était attentif et ne laissait rien voir de ses impressions. Quant à M. Mac-Allan, s’il jouait un rôle, il le jouait bien. Il était aussi à l’aise avec nous tous que s’il eût été de la famille, et, s’il y avait de la curiosité dans les regards qu’il jetait sur moi et sur Jennie, il était impossible d’y surprendre la moindre malveillance.

— Finissons-en, dit Jennie en nous offrant des siéges à tous. Je suis sûre que monsieur cherche la vérité, et que la vérité le frappera. Puisque c’est à moi de la dire, je la dirai. Qu’on lise d’abord l’histoire telle qu’elle est arrivée, et, si j’ai omis quelque chose, on me questionnera ensuite, je répondrai.

Elle dépliait déjà le papier qu’elle avait remis dans sa poche, quand le docteur Reppe arriva avec Marius et M. de Malaval, ainsi que Frumence me l’avait annoncé. Je désirais beaucoup que Marius connût exactement la vérité. L’avis du docteur pouvait être utile, et, si M. de Malaval était à craindre par ses appréciations bizarres, on pouvait compter sur sa parole de les garder pour lui seul. M. Barthez la lui demanda ainsi qu’aux autres. Cette précaution prise et les présentations faites, M. Barthez lut ce qui suit.