Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/La Couronne retrouvée

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LA COURONNE RETROUVÉE


Air :


        Bon Dieu ! que vois-je ? une couronne
Dont chaque rose a plus de trente hivers !
        Où, malgré l’orgueil qu’il nous donne,
Sèche un laurier peu respecté des vers.
C’est un débris du temps où ma naissance
Était fêtée, hélas ! comme un beau jour.
        Ce laurier parlait d’espérance ;
                Ces fleurs parlaient d’amour…

        Quel souvenir de ma jeunesse
Le sort moqueur me fait là retrouver !
        Ô jours de joie et de tendresse !
Nous n’étions rien ; nous pouvions tout rêver.
Amis si gais, maîtresse folle et bonne,
Nul astre encore à mon œil n’avait lui
        Quand vos mains tressaient la couronne
                Qui m’attriste aujourd’hui.

        Oui, ces fleurs ont paré ma tête
Dans un banquet d’enivrante gaieté.
        Un seul de nous donnait la fête ;
Ami discret, doux à ma pauvreté.
Las ! il n’est plus ; mais j’entends sa parole :
« Chante, dit-il, tandis que nous passons. »
        Et sa belle âme un jour s’envole
                Au bruit de nos chansons.

        Et ces convives si fidèles,
Au joyeux chant qui rend l’aï plus doux,
        Que plus tard j’ai pris sous mes ailes,
Pensent-ils même à moi, qui pense à tous ?
Oiseaux charmants, au souvenir volage,
Tous sont épars, chacun dans son enclos.
        Nous n’avons plus le même ombrage,
                Plus les mêmes échos.

        Et la beauté tendre et rieuse
Qui de ces fleurs me couronna jadis ?
        Vieille, dit-on, elle est pieuse ;
Tous nos baisers, les a-t-elle maudits ?
J’ai cru que Dieu pour moi l’avait fait naître ;
Mais l’âge accourt qui vient tout effacer.
        Ô honte ! et sans la reconnaître
                Je la verrais passer !

        Cette couronne si flétrie
Fut belle aussi le jour où je l’obtins.
        Quelle âme est à ce point tarie,
D’être sans pleurs pour ses amours éteints ?
Aux longs regrets la mienne s’abandonne.
De mon bonheur unique et vain lambeau,
        Ah ! que n’as-tu, pâle couronne,
                Séché sur mon tombeau !