La Crise financière de l’Angleterre en 1866/02

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LA
CRISE FINANCIERE
DE L'ANGLETERRE

II.
L’ACT DE 1844 ET LA LIBERTE DES BANQUES.


I

L’Angleterre vient de passer par une épreuve qu’elle n’avait jamais subie[1]. Plus d’une fois des crises formidables ont éclaté de l’autre côté du détroit, plus d’une fois un commerce colossal, une industrie merveilleuse, un crédit étendu, une richesse sans cesse croissante, y ont éprouvé un rude ébranlement. On y connaissait les runs upon the bank, c’est-à-dire les assauts livrés par les détenteurs de billets et par les déposans aux caisses des institutions de crédit ; mais jamais on n’avait vu, pour nous servir de l’expression du président actuel du Board of Trade (ministre du commerce), sir Stafford Northcote, un run upon England, causé par la méfiance répandue à l’étranger. — Malgré le taux élevé de l’escompte, qui assurait un beau revenu aux détenteurs des lettres de change disposés à attendre l’échéance de ces titres, les remises sur l’Angleterre ont été délaissées, et les soldes ont dû en grande partie être payés en or. Ce coup a porté atteinte non-seulement aux intérêts les plus vivaces du pays, mais encore à la fierté du sentiment public. La Grande-Bretagne, ainsi que l’a reconnu l’Economist, s’était résignée à ne plus peser sur le monde comme puissance militaire, elle savait qu’elle ne représentait qu’une puissance géographique de second ordre ; mais son orgueil était satisfait du rôle de grande puissance financière. Son amour-propre a été blessé dans ce qu’il avait de plus sensible lorsqu’elle a vu la défiance générale repousser ses valeurs de crédit, si recherchées jusque-là par le monde entier.

Tel a été le caractère saillant et nouveau de la crise actuelle ; on peut être assuré que rien ne sera négligé pour prévenir le retour d’une pareille calamité. Les hommes d’affaires ont les sensations vives, mais la mémoire courte. S’il ne s’agissait que d’une de ces secousses périodiques qui portent de rudes coups aux fortunes privées, on n’y penserait plus dans six mois, car le mouvement fécond du travail ne tardera point à compenser les pertes subies. Il en est autrement de l’échec éprouvé par le crédit extérieur de la Grande-Bretagne ; c’est une bataille perdue qui laissera un long souvenir. Il ne suffirait pas de s’approvisionner de canons rayés et de fusils à aiguille, de construire des monitors ou d’étendre les fortifications pour garantir désormais le royaume-uni ; il faut sonder courageusement la plaie financière, y porter au besoin le fer chaud et rétablir dans l’estime de l’univers la force vitale qui anime ce grand corps. « Les chiens de garde sont nécessaires pour préserver le troupeau, » disait le duc de Wellington ; ce qui est plus nécessaire encore, c’est que le troupeau continue de prospérer. Aussi toutes les institutions financières vont-elles passer au creuset de la discussion ; on peut s’en rapporter sous ce rapport à l’esprit sérieux et investigateur des Anglais, aiguisé par l’intérêt national mis en éveil. On laissera de côté tout vain ménagement ; on essaiera d’atteindre le mal dans sa racine. Aucun principe, quelque éprouvé qu’il paraisse, ne saurait se soustraire au plus minutieux examen.

L’occasion semble favorable aux innombrables faiseurs de projets pour mettre en avant les réformes qu’ils prônent depuis longtemps, notamment en ce qui touche le régime de la circulation fiduciaire. Le prestige de la richesse générale s’est trouvé voilé ; ne faut-il pas s’en prendre à une mauvaise organisation du crédit ? Les ressources de l’Angleterre se sont montrées insuffisantes ; n’est-ce pas le moment d’essayer de la merveilleuse panacée d’une multiplication plus abondante de la monnaie créée sans effort et sans peine ? L’act de 1844 n’a-t-il pas été comme le dragon jaloux qui défendait l’entrée du nouveau jardin des Hespérides ? ne faut-il point l’écarter afin de prêter secours à tous ceux qui demandent des avances ? N’est-il pas honteux pour l’Angleterre qu’elle ait subi pendant trois mois l’escompte à 10 pour 100, tandis que la Banque de France ne demandait que 4 et 3 1/2 pour 100 ? Rien n’a été épargné dans ce sens de ce qui peut irriter et de ce qui peut séduire les esprits. C’est en vain qu’il y a deux ans M. Goschen, dans son remarquable écrit intitulé Sept pour cent (Seven per cent), avait mis à néant ces spécieux artifices ; on a profité de l’excitation du public pour reproduire le même thème, et des besoins factices ont cherché à ressusciter des erreurs victorieusement réfutées. Toutefois les fantaisies attardées des disciples déguisés de Law ne nous inquiètent guère pour un pays positif et éclairé comme l’Angleterre. Des systèmes sérieux peuvent seuls y être sérieusement débattus. Tous les hommes dignes d’être écoutés y sont fermement attachés au principe de la circulation métallique ; ils n’admettent le billet qu’autant qu’il représente fidèlement l’or, et qu’il s’échange à volonté contre de l’or ; ils ne diffèrent que quant au mode à choisir pour assurer ce résultat capital. Les membres de l’ancien et du nouveau cabinet, la chambre des lords et la chambre des communes, le club d’économie politique et les organes accrédités de la presse, tout le monde est bullionist[2], sévèrement bullionist ; tout le monde aujourd’hui comprend que la monnaie n’est pas simplement un signe d’échange, qu’elle doit être un équivalent, posséder une valeur intrinsèque, afin de servir d’évaluateur commun de tous les produits et de tous les services, de véhicule au commerce international.

C’est le souverain d’or, d’un poids et d’un titre déterminés, qui constitue la base de la circulation britannique. L’école de Birmingham, après avoir essayé de ressusciter une vieille méprise, s’est abîmée dans le désastre de la célèbre maison Attwood and Spooner. Cependant la lutte, transportée sur un autre terrain, n’est ni moins vive ni moins grave. Il est admis sans contestation aucune que le billet de banque doit être constamment échangeable contre de l’or ; reste à savoir comment il faut s’y prendre pour assurer l’application de cette règle fondamentale. Le billet de banque remplit la fonction de la monnaie, il circule comme elle, il termine les transactions, il ne rapporte rien et ne vaut que comme instrument d’échange. « Le public reçoit et donne les billets comme une monnaie réelle, » disait M. Mollien. Le billet, qui exerce la même influence et qui accomplit le même service que le numéraire métallique, doit-il être soumis au contrôle public ? La création des billets est-elle une industrie, ou rentre-t-elle, comme le dit Tooke, dans la « province de la police de l’état ? » Ici les opinions se divisent : ceux qui veulent avant tout la stabilité, la fixité et la sincérité des conventions, soutiennent que le billet de banque dépend du domaine public ; ceux qui veulent n’y voir qu’un simple titre de crédit demandent la liberté de l’émission, que par une fâcheuse erreur de langage ils confondent avec la liberté des banques. Nous ne voulons point greffer sur notre sujet une discussion métaphysique ; nous nous contenterons de dire que, d’après nous, il y a, pour emprunter le beau langage de M. Cousin, « une famille de droits que la société moderne a fait sortir du cercle restreint des prétentions individuelles et des libertés partielles, afin de les remettre à la puissance publique, au grand profit de la liberté générale et de la sécurité des individus. » Le droit d’émission des billets, qui constituent une véritable monnaie de papier, est de ce nombre. Le devoir de l’état est de veiller à la fidélité des poids et mesures ; le devoir de l’état est au même titre de veiller à la fidélité de la monnaie métallique et fiduciaire. Tel est le principe qui domine en Angleterre et que les États-Unis viennent d’adopter.

Ce principe admet divers modes d’application : l’état peut exercer lui-même le droit d’émission ou le déléguer à des conditions définies. Il peut le déléguer à un seul établissement ou à plusieurs, appliquer l’unité pour la monnaie fiduciaire comme pour le numéraire métallique, ou bien tolérer une émission multiple. Il peut limiter la quotité de l’émission en fixant un contingent déterminé, ou bien régler seulement les bases sur lesquelles celle-ci doit reposer, sans en restreindre le chiffre ; il peut enfin prescrire un dépôt de valeurs publiques ou un encaisse métallique qui correspondent dans une proportion déterminée aux billets émis, soit qu’au-delà d’un certain chiffre toute l’émission fiduciaire doive être représentée par de l’or, soit qu’elle se trouve astreinte à ne pas dépasser un multiple fixe du métal conservé. Ces divers systèmes conduisent à des combinaisons variées, plus ou moins élastiques. Sir Stafford Northcote, qui a fait avec un rare succès le 31 juillet 1866 son maiden-speech de ministre du commerce sur la question des banques, a spirituellement défini les tendances de deux écoles irréconciliables. « Les uns, a-t-il dit, pensent que la monnaie est de l’or, du capital disponible, quelque chose de substantiel ; ils ajoutent que vous devez couper votre habit suivant la mesure du drap que vous possédez, et que, si vous avez peu de fonds, vous ne sauriez en prêter beaucoup à bon marché. D’autres au contraire soutiennent que vous devez alors faire ressource du crédit, car à leurs yeux la monnaie n’est qu’une forme du crédit. Au lieu de vous astreindre à couper votre habit d’après le drap, ils prétendent que vous devez tailler le vêtement tel qu’il vous convient, et, si vous ne pouvez point obtenir de drap en quantité suffisante, vous servir de quelque chose qui ressemble à du drap. » Il s’est empressé de déclarer au nom du gouvernement qu’il ne croyait pas possible, et, cela fût-il possible, qu’il ne croyait pas désirable, quand on a fait usage de la monnaie existante et du capital disponible, d’avoir recours à la création d’un capital fictif. Ces paroles sont de bon augure pour la solution définitive de la question. L’Angleterre n’est point exposée à répéter le vieux refrain du dissipateur :

Quand nous avons perdu notre or et notre argent,
Le papier nous parait d’un secours excellent[3].

L’act de 1844, dont nous avons déjà exposé le mécanisme[4], donne la formule la plus nette de l’école métallique. Il fixe d’une manière précise la limite de l’émission des billets pour toute l’Angleterre, en tant que ces billets ne sont pas couverts par un dépôt équivalent en or[5]. C’est contre lui que se dirigent les batteries des partisans d’une circulation plus élastique. On l’accuse d’avoir amené le désastre en empêchant une expansion de billets ; il n’a point permis à l’Angleterre de couper un habit conforme à sa taille dans le riche tissu du crédit ! Il est devenu le delenda Carthago des novateurs des deux côtés du détroit ; mais aussi quelle force nouvelle le principe de sir Robert Peel ne doit-il point puiser dans l’adhésion presque unanime qui vient de le consacrer lors d’un débat récent et remarquable de la chambre des communes ! Il ne faut pas s’y tromper, les demandes de réforme ne portent que sur des points secondaires, notamment sur une question d’ordonnance extérieure plutôt que de système, la séparation des deux départemens d’émission et de banque. Quant au principe fondamental, qui consiste à faire dériver la création des billets du pouvoir public au lieu d’y voir line fonction de banque, il obtient une adhésion à peu près unanime. Loin d’être menacé de disparaître, il grandit dans les convictions. — Quand on parle des adversaires de l’act de 1844, il faudrait commencer par distinguer entre eux, car en y voyant simplement des auxiliaires de la liberté d’émission on risque de commettre la plus étrange méprise. L’Angleterre n’a pas besoin de conquérir la liberté des banques, elle la possède, pour tout ce qui est office de banque, grâce à l’esprit libéral de l’act de 1844. Sir. Robert Peel l’avait dit : « il ne saurait y avoir une concurrence trop libre et trop illimitée dans l’industrie de la banque, le principe de la concurrence doit gouverner les banques ! » Il n’en est pas de même du droit d’émission.

Parmi les adversaires de l’act de 1844, beaucoup trouvent qu’il n’a pas assez fait, ils veulent le compléter et l’élargir dans le sens du principe qu’il consacre. Ils désirent voir cesser en Angleterre, même en Écosse et en Irlande, toute émission de monnaie de papier autre que les billets de la Banque d’Angleterre. Déjà l’année dernière, M. Gladstone a présenté un bill pour préparer la voie à cette réforme. S’il a échoué, c’est qu’aux partisans de l’émission limitée, tolérée par sir Robert Peel, se sont joints ceux qui blâmaient le bill de ne pas faire assez dans le sens de l’abrogation d’une faculté contraire au principe dominant de la loi. D’autres encore se rendent les interprètes des idées exposées avec talent en France par M. Cernuschi et par M. Modeste, en Allemagne par M. Geyer ; ils demandent la suppression de tout billet qui ne rencontre point une garantie équivalente en or dans l’encaisse de la Banque. À cette condition, il est facile de le comprendre, on pourrait sans danger autoriser toutes les banques à joindre à leur industrie libre la faculté de représenter par des billets la valeur des métaux précieux fidèlement conservés. Les avantages qui distinguent la monnaie de papier, — la facilité du transport, la rapidité du compte, l’agilité des mouvemens, — se trouveraient conciliés avec la sécurité inébranlable d’une circulation purement métallique. Sir Robert Peel et lord Overstone ont voulu que la circulation mixte, composée de papier et de métal, se comportât comme une circulation complètement métallique. Le but a été atteint par l’act de 1844 ; cela semble suffire. L’économie qu’il est permis de réaliser ainsi sur le capital employé au mécanisme de la circulation monte à 500 millions de francs au maximum. C’est peu de chose sans doute relativement à la richesse de l’Angleterre, quatre cents fois plus considérable, mais c’est une épargne qui n’est pas à dédaigner, alors surtout que les habitudes sont prises, et que le retour à un système rigoureusement métallique risquerait d’apporter quelque trouble dans l’équilibre des relations établies. Nous n’insisterons pas sur ce point : nous n’avons voulu le toucher que pour montrer combien ceux que l’on confond sous la dénomination commune d’adversaires de l’act de 1844 sont en partie placés aux antipodes des prétendus partisans de la liberté des banques, comme l’entendent MM. Horn et Michel Chevalier.

Bien mieux, les plus sérieux et les plus résolus parmi ceux qui demandent la réformé de l’act de 1844 voudraient y voir substituer le régime qui gouverne notre Banque de France. Parmi les représentans des chambres de commerce de l’Angleterre, cette opinion rencontre beaucoup d’adhérens ; elle compte au parlement des organes autorisés, elle exprime la tendance des propositions faites par M. William Newmarch, et si l’act de 1844 avait chance d’être modifié, il le serait sans contredit dans ce sens. Un fort encaisse métallique et une augmentation rapide et courageuse du taux de l’escompte, dès que le change extérieur commence à faire craindre une dépréciation relative du métal précieux, telles sont les bases essentielles de la doctrine de Tooke, de James Wilson, de William Newmarch, à laquelle M. Macleod vient de donner une éclatante adhésion. C’est la doctrine connue sous le nom de banking-principle, elle a été longtemps en lutte avec les adhérens du currency-principle, lord Overstone, le colonel Torrens, M. Ward Norman et tant d’autres esprits éminens, précurseurs de l’act de 1844.

Les deux écoles se rencontrent sur un terrain commun et tendent au même but : elles veulent toutes les deux des réserves métalliques imposantes, elles pratiquent toutes les deux l’exhaussement du taux de l’escompte pour empêcher que ces réserves ne soient sérieusement menacées. Quant aux rêveurs qui parlent de capital illimité et de maximum du taux de l’escompte, ils ont peu de chance de faire triompher leurs principes. Les Anglais savent trop bien l’économie politique pour qu’ils risquent d’être séduits par de pareilles vieilleries, présentées avec une naïve confiance comme des nouveautés hardies. Il y a longtemps qu’on connaît ces idées, étrange assemblage des audaces de Law, des erreurs du système mercantile, des préjugés des lois contre l’usure, et des déceptions des assignats ! Il importait de dissiper la confusion souvent involontaire qui attribue aux critiques dont l’act de 1844 a souvent été l’objet en Angleterre une portée entièrement erronée ; certains écrivains ont essayé d’habiller ces idées à la française en les dénaturant complètement. S’ils les avaient mieux comprises, ils n’auraient pas eu l’étrange pensée de s’en servir comme d’une arme dans la campagne entreprise contre la Banque de France, dont la plupart de ceux qui combattent la Banque d’Angleterre recommandent au contraire le régime.


II

Nous ne sommes pas admirateurs de l’act de 1844 au point de ne pas reconnaître qu’il pourrait être utilement révisé. Bien qu’il s’agisse d’une difficulté de forme plutôt que d’une question de fond, ne serait-il pas préférable d’inscrire dans la loi la faculté d’étendre l’émission dans des circonstances extraordinaires et sous des conditions définies plutôt que de procéder, comme on l’a fait à trois reprises, par une suspension inquiétante de l’act ? Pourquoi s’exposer à paraître violer la loi, alors qu’on en suit réellement l’esprit ? pourquoi ne pas mettre la lettre des dispositions d’accord avec le fait ? La chose semble facile. Il eût été bon de traduire cette pensée en article de loi, rien n’était plus simple ; telle avait même été la pensée primitive de sir Robert Peel, il l’avait ainsi formulée : « une autorisation du gouvernement sera nécessaire pour toute émission additionnelle dans des circonstances déterminées. » On préféra ne pas prévoir le cas ; on aima mieux obliger le gouvernement à venir demander un bill d’indemnité chaque fois qu’il aurait dépassé la lettre stricte de l’act. Puisque c’était une garantie désirable contre des mesures inconsidérées, pourquoi ne pas en faire l’objet d’une disposition spéciale ? Si elle avait été comprise dans la loi de 1844, ce qu’on a nommé à tort une violation de l’act n’en aurait été que l’application régulière. Tout le monde le savait et sir Robert Peel l’avait affirmé à plusieurs reprises : la limite posée n’était pas assez rigide pour ne point s’abaisser devant une décision du conseil de la reine, prise sous la responsabilité ministérielle et sanctionnée par la représentation du pays. On aurait évité ainsi jusqu’à l’apparence d’une mesure arbitraire ; ce qui n’a pas été accompli alors peut être fait aujourd’hui.

Quant à la séparation des deux départemens d’émission et de banque, elle traduit sous une forme saillante, bien comprise par tous, un procédé de prévoyance que la Banque d’Angleterre avait déjà essayé d’appliquer au moyen d’une simple division de comptabilité. En fait, le système suivi par les deux grandes institutions de Londres et de Paris diffère beaucoup moins qu’on n’est disposé à le supposer. L’une et l’autre s’attachent à mesurer l’émission suivant la situation monétaire ; seulement ce que le calcul et la prudence décident chez nous se trouve en Angleterre réglé avec la précision rigoureuse d’un mécanisme. Une certaine somme de billets circule toujours, ne demande jamais à être échangée contre de l’or ; c’est cette quotité indiquée par une longue expérience qui sert de régulateur. La Banque d’Angleterre est forcée, aussitôt que le niveau ainsi déterminé se trouve dépassé, d’ajouter à la garantie en fonds publics une réserve d’or rigoureusement équivalente au surcroît variable de la circulation fiduciaire. La Banque de France procède de même : elle accroît ou elle cherche à maintenir d’une manière correspondante la réserve métallique ; elle a constamment obéi à ce devoir avec une sagesse à laquelle tout le monde rend hommage. Aussi le législateur n’a-t-il pas cru avoir besoin de s’armer contre elle d’une précaution matérielle, il ne lui a imposé aucune limite fixe pour la circulation non couverte par le métal. Pourquoi n’en a-t-il pas été de même de la Banque d’Angleterre ? C’est que the old lady of Threadneedle-street n’a pas toujours été une prudente et circonspecte matrone, elle a eu au contraire de nombreuses légèretés à se reprocher. Sir Robert Peel lui imposa une règle de conduite strictement définie : il remplaça l’action du conseil de direction, qui avait failli, qui n’avait pas su conserver une réserve suffisante, par l’action inflexible d’un, mécanisme ingénieux. Le contingent de la circulation qui n’est pas couvert par le métal fut rigoureusement déterminé ; tout excédant exige un dépôt en or de pareille valeur. On ne pourrait donc plus enfler ou restreindre à volonté la circulation, car celle-ci se compose d’une quotité fixe qui est en papier garanti simplement par un dépôt de fonds publics, et d’une quotité variable qui est en or, soit qu’il circule sous la forme de numéraire métallique, soit qu’il circule sous la forme du billet créé en échange d’une quantité de métal égale conservée en caisse. De cette manière le but principal se trouve atteint ; la circulation mixte, composée de papier et de métal, se comporte exactement comme le ferait une circulation purement métallique. En effet, le billet de banque, en tant que simple papier, reste renfermé dans une quotité fixe ; ce qui change, c’est uniquement le métal employé dans la circulation sous forme de billet ou sous forme de numéraire. On ne possède plus de monnaie élastique, c’est vrai ; mais là se rencontre précisément le grand mérite du système, car ainsi se trouve empêchée toute influence irrégulière sur le prix des choses et sur la portée des engagemens contractés.

La fixité présentée par les métaux précieux, fixité aussi complète que le comportent les choses humaines, les a fait consacrer d’un consentement universel comme fa marchandise tierce à laquelle tout se rapporte, qui sert d’évaluateur commun. Les grands économistes ont parfaitement défini la monnaie ; ils en ont précisé le caractère stable, ils ont montré comment la survenance successive des nouvelles extractions d’or ou d’argent exerce sur les prix et sur les contrats une influence d’autant moins sensible que les moissons de métal se répartissent sur une durée plus longue, et qu’elles s’ajoutent à une masse énorme, sans cesse grossissante, de réserves métalliques qui échappent à l’action du temps, et que les hommes transforment en partie, mais sans les consommer. C’est ainsi que l’or et l’argent agissent comme les interprètes fidèles des échanges, en étendant cette heureuse influence sur le marché international. Plus la liberté du commerce multiplie ses bienfaits, et plus le régulateur métallique devient indispensable ; il entretient l’équilibre des prix dans le monde entier, car l’or et l’argent sont la marchandise acceptée partout, préférée partout. Agile dans ses mouvemens, elle se transporte aisément et à bon compte là où un léger avantage l’attire, elle abandonne le marché où une faible différence la déprécie. Ces quelques mots contiennent toute la doctrine du change ; ils en révèlent l’importance. Le prix coté pour l’or et l’argent fins, qu’il faille les faire voyager en nature ou bien que la convention contenue dans l’engagement commercial, dans la lettre de change, en stipule la remise, ce prix détermine chaque jour les rapports qui existent entre les divers pays, et règle le mouvement international des métaux précieux en diminuant tout écart de valeur qui pourrait dépasser le prix payé pour le transport et l’assurance des matières d’or et d’argent. Il suffit que l’or puisse venir et s’en aller librement, dégagé des entraves du régime mercantile, qui cherchent à le retenir de force, et des artifices de la monnaie de papier, qui l’expulsent en l’avilissant. Qu’on le paie ce qu’il vaut, ni plus ni moins, et il se mettra toujours de niveau avec les besoins de la circulation. — Rien de plus singulier que les lamentations de ceux qui disent : Nous n’avons pas d’argent, il faut fabriquer des billets de banque. De cette manière on fait partir l’argent qui reste, on substitue la fiction à la réalité, on intervient d’une manière funeste pour modifier les conditions des contrats. Quand ces plaintes se font entendre, ce n’est pas l’argent qui manque, c’est le capital disponible qui fait défaut ; s’il en était autrement, il lui serait facile de s’échanger au dehors contre de l’argent et de bénéficier de l’intérêt élevé assuré à ceux qui le possèdent. Tant qu’on a des marchandises, on a le moyen de se procurer la marchandise tierce, le métal. La liberté du commerce a ouvert à cet échange le marché universel. Lorsque M. Watkin demandait à la chambre des communes une enquête pour faire rechercher les motifs d’un écart énorme d’escompte entre la Banque d’Angleterre et la Banque de France, on lui a dit avec raison : « Embarquez-vous, traversez le détroit, prenez des valeurs, négociez-les à Paris ; vous rapporterez autant d’or que vous voudrez, et vous réaliserez un gros bénéfice. » Pourquoi ne le faisait-il pas, pourquoi personne ne le faisait-il ? Cela tenait aux causes qui ont déterminé le run upon England dont nous parlions en commençant ; cela tenait à la défiance soulevée contre la solvabilité actuelle de nos voisins, sentiment qui ne devait pas trop surprendre les Anglais, puisque chaque Anglais se défiait de tous ceux qui se trouvaient autour de lui. Cela tenait à un change défavorable qui maintenait le prix de l’or à un taux plus bas à Londres qu’à Paris ; ce taux ne dénotait guère qu’il y eût trop peu de billets dans la circulation.

La quotité de ceux-ci n’est pas limitée ; on peut s’en procurer tant qu’on le désire à la Banque d’Angleterre en échange de l’or que l’on apporte. Cela ne fait point le compte de ceux qui voudraient posséder des billets sans posséder de capital disponible : ils demandent qu’on en crée au moyen d’une monnaie de papier qui serait ce qu’on appelle une forme du crédit ; ils demandent que, quand le capital disponible manque, quand les ressources se trouvent immobilisées, quand d’immenses entreprises et des prêts considérables l’ont absorbé, on crée un supplément de capital fictif pour enfler le prix des marchandises et pour déprimer encore la valeur de la monnaie véritable. Ce serait tout simplement ouvrir à deux battans la porte à la banqueroute. — On a beaucoup attaqué le mécanisme self-acting du département de l’émission à la Banque d’Angleterre, le taxant d’obstacle mis à l’expansion naturelle de la circulation fiduciaire ; le procédé qu’on recommande quand on prétend combattre au moyen du papier les embarras financiers qui résultent d’une absence momentanée de l’or en quantité suffisante brise la puissante machine que la force des choses fait sans cesse agir spontanément pour ramener l’équilibre entre les transactions et les instrumens de la circulation. Si ceux-ci viennent à manquer, l’or, sollicité par le bénéfice du change, arrive ; l’abaissement de la valeur des marchandises en accroît l’exportation, et le cours naturel des choses alimente le marché des outils indispensables de la circulation. Pour cela, au lieu de bâtir des systèmes fragiles et périlleux, au lieu de rêver une production factice d’un capital chimérique, il faut simplement se régler sur les circonstances, plus fortes en dernier ressort que la volonté capricieuse de l’homme. Il faut, au moyen d’un intérêt élevé, attirer le capital ou du moins, quand il se refuse à venir, empêcher qu’il ne parte, obtenir un attermoiement pour les paiemens dus, retarder le moment où l’on voudra échanger des titres à échéance contre du comptant. Il est vrai que cela se fait sans fracas et sans grand coup de théâtre, il est vrai qu’on se dispense de paroles retentissantes et qu’on renonce à la gloire de construire tout d’une pièce une merveilleuse organisation du crédit ; le crédit, comme le travail, s’organise tout seul sous l’empire de lois équitables, d’une sécurité complète, d’un labeur intelligent, d’un commerce libre, d’une monnaie stable et fidèle. Le crédit n’est pas autre chose qu’un engagement qui doit être réalisé dans l’avenir contre un produit livré ou un service rendu actuellement ; il ne multiplie point le capital, il le déplace et le fait arriver à ceux qui savent l’employer utilement ; il fortifie la garantie, il ne crée pas l’instrument. Or le plus essentiel est de savoir exactement ce qu’on stipule, et comme tout se traduit en monnaie, le plus essentiel est de posséder une monnaie que le cours naturel des choses détermine, qui ne risque point de varier d’une manière sensible dans les courtes périodes qu’embrassent d’ordinaire les transactions humaines, et surtout qui demeure indépendante d’un calcul arbitraire en se trouvant à l’abri de violens soubresauts. C’est pour cela que la monnaie doit posséder une valeur par elle-même, qu’elle est en or, qu’elle demande un sacrifice et l’abandon d’un fruit du travail, au lieu de n’émaner que d’un procédé artificiel. Quand on a compendieusement établi quelles sont les conditions indispensables de la monnaie et les motifs supérieurs qui en déterminent la construction solide, n’est-ce point commettre la plus étrange contradiction que de susciter une monnaie élastique au moyen de l’émission libre des billets de banque ? Il est vrai qu’on s’épuise en subtilités pour tracer une différence absolue entre ce qui est le numéraire métallique et ce qui se substitue au numéraire dans toutes les fonctions auxquelles celui-ci est appelé. Le billet vaut de l’or, ou il ne vaut rien ; il remplit l’office de l’or, ou il est inutile et s’éteint. Il est un outil d’échange, rien de plus, rien de moins ; on ne l’accepterait point, si l’on se défiait de la puissance de tout acquérir qu’il communique au détenteur aussi bien que les espèces sonnantes. Quiconque, au lieu de se complaire dans des distinctions théoriques, touche du doigt la réalité des choses et se détermine d’après la pratique universelle pour juger d’une question pratique, ne saurait hésiter : le billet de banque ne rapporte rien, il est toujours échangeable contre le métal précieux, il s’applique à en être le reflet fidèle et exact, il exerce la même influence sur le marché ; il ne saurait donc échapper aux conditions essentielles de la monnaie. Le fabriquer, ce n’est point se livrer à une industrie qui, comme les autres, doit être livrée à la concurrence. Il faut que la monnaie soit une, chaque pièce doit être identique ; il ne s’agit point de l’obtenir à meilleur marché, il s’agit de lui conserver une composition exactement invariable, une sécurité entière. Les mêmes conditions s’appliquent au billet, ombre fidèle du numéraire. « En matière de papier de circulation, ce qu’il me faut, disait sir Robert Peel, ce n’est pas une quantité considérable au plus bas prix possible, c’est une certaine quantité de ce papier dont la valeur soit exactement celle de l’or ; ce qu’il me faut, c’est qu’il soit émis par un établissement dans l’intégrité, l’honneur et la solvabilité duquel j’aie la plus entière confiance. Je n’ai pas besoin du meilleur marché, j’ai besoin de la meilleure qualité possible ; or le principe qui détermine la qualité particulière de cette nature particulière d’article commercial est tout autre que celui de la libre concurrence, parce que cette qualité est fixe, définie, invariable. » L’illustre homme d’état ajoutait : « Le pays ne s’aperçoit pas immédiatement de la dépréciation du billet, il ne s’en aperçoit qu’au moment où l’or, ce moniteur silencieux, l’en avertit. En négligeant les premiers indices de dépréciation qu’il donne, les banques se placent dans la nécessité de restreindre tardivement et subitement leur circulation, au grand préjudice du commerce. »

Les partisans du banking-principle ont vainement essayé de combattre cet argument ; le billet ne saurait se déprécier, disent-ils, tant qu’il continue de s’échanger contre de l’or. Sans doute il vaudra l’or qu’il peut immédiatement procurer, mais c’est l’ensemble de la circulation, or et billets, qui se déprécie simultanément. Le cours du change décline, l’or, ce moniteur silencieux, s’en va, et malheur au pays qui néglige cet avertissement ! L’or reflue alors de plus en plus au dehors, il va chercher un marché plus favorable ; on émet plus de billets, ceux-ci retournent plus nombreux à la banque pour obtenir de l’or, qui devient plus rare, et ce jeu de navette continue jusqu’au moment où les réserves épuisées ne permettent plus de faire face à l’obligation du remboursement. Alors arrive le cours forcé avec le sinistre cortège de variations anormales dans les prix et de déceptions de toute nature. Telle est la double extrémité que l’act de 1841 a voulu prévenir à tout jamais, et il l’a fait avec un éclatant succès. Grâce à lui, l’Angleterre a triomphé de la dernière crise, plus violente, plus terrible que les crises antérieures ; les suites du noir vendredi vont bientôt s’effacer. En maintenant la fixité de l’étalon métallique, l’act de 1844 a été le véritable palladium de la richesse du royaume-uni et de la fidélité des transactions. Déjà l’escompte a été réduit à 8 pour 100 le 16 août dernier et à 7 pour 100 le 23 août suivant[6]. A moins de quelque événement imprévu, le marché anglais sera bientôt revenu à une situation normale. — On ne manquera point de prétendre que c’est après avoir fait subir au pays de cruelles souffrances et fait supporter de lourdes pertes au commerce. Il ne faut rien exagérer dans aucun sens ; l’escompte à 10 pour 100 a été un mal, mais nous savons quelle en a été la cause première : la formation de compagnies innombrables et la témérité dont elles ont fait preuve, des spéculations financières marquées au coin de l’impéritie ou d’une aveugle audace, l’épuisement momentané des ressources accumulées par le travail et par l’épargne. Le pays a dû porter la peine de ces fautes et de ces folies, elle a été plus rude encore pour son amour-propre que pour ses intérêts. L’industrie régulière a marché d’un pas ferme, les exportations se sont accrues[7], elles ont hâté par le mécanisme naturel de l’échange la venue d’une situation monétaire moins embarrassée ; la puissance du crédit britannique, un instant atteinte, retrouvera bientôt toute son énergie. Quant à la rançon payée, il est facile d’en calculer le montant. Prenons le chiffre le plus large, celui que M. Watkin a formulé en portant sa proposition d’enquête à la chambre des communes : il a dit qu’on pouvait estimer à 300 millions de livres (7 milliards 1/2 de francs) le montant des valeurs présentées à l’escompte au taux de 10 pour 100 ; il a estimé à moitié le surcroît d’intérêt imposé par la crise. Admettons ces données, bien qu’elles nous semblent exagérées du côté du montant des titres escomptés et du côté de la réduction à 5 pour 100 du taux de l’intérêt normal, quand la position se trouve embarrassée ; au moins ne saurait-on nous accuser d’atténuer les conséquences. Calculons : une différence de 5 pour 400 par an sur l’escompte se réduit pour trois mois à une différence de 1 1/4 pour 100 ; or que représente ce chiffre appliqué à 7 milliards 1/2 ? Un total inférieur à 94 millions de francs : c’est beaucoup sans doute, cependant ce chiffre n’équivaut même pas au vingt-cinquième de celui qui représente aujourd’hui le progrès annuel de la richesse britannique. Tout en déplorant cette perte, il faut reconnaître qu’elle sera facile à réparer. Que ne pouvons-nous en dire autant des ressources énormes englouties dans les sinistres qui ont amené la crise !

La Banque d’Angleterre a fait tête à l’orage : elle a maintenu la circulation fiduciaire dans une situation normale, elle n’a cédé ni aux menaces, ni aux objurgations, ni aux faux systèmes ; le pays n’oubliera point l’immense service qu’elle lui a rendu. Elle ne s’est pas laissé atteindre par le découragement ; elle a eu foi dans le principe honnête, scrupuleux et ferme que sir Robert Peel a fait consacrer ; elle est restée dans la limite de l’act de 1844, elle n’a pas fait un usage inconsidéré de la faculté d’émission supplémentaire qui lui était ouverte, et la panique a disparu. Si la Banque avait faibli, si elle avait créé la masse de billets qu’on lui demandait, le mal aurait été en s’aggravant : le prétendu palliatif d’une monnaie élastique aurait tout corrompu. C’est dans ce sens que l’illustre Américain Webster disait : « De tous les artifices employés pour abuser les hommes, on n’en a pas rencontré de plus décevant que la monnaie de papier[8]. » Répondons rapidement à deux assertions sans cesse reproduites. Les transactions se sont énormément accrues, la production a doublé, les exportations ont quintuplé depuis 1844, est-il possible que la somme des billets demeure stationnaire ? Loin d’affaiblir l’argument, nous sommes tout disposé à le fortifier ; la somme des billets, au lieu de demeurer stationnaire en Angleterre, a diminué ; cependant, au lieu de nous en plaindre, nous croyons devoir en féliciter ce grand pays, car c’est au progrès considérable de la richesse et au développement énorme du crédit qu’est dû ce phénomène. Le savant Babbage estimait à 7 pour 100 le montant des billets qui servaient à solder en 1839 environ 1 milliard de livres (25 milliards de francs) de titres commerciaux balancés par le clearing-house[9]. En appliquant la même proportion aux 5 milliards de livres (125 milliards de francs) compensés par cet établissement en 1865, on arriverait au chiffre colossal de 350 millions de livres, plus de 8 milliards de francs de billets employés au même office, qui s’accomplit aujourd’hui au moyen d’un simple virement sur les livres de la Banque d’Angleterre. Cet exemple suffit pour montrer combien le mécanisme perfectionné du crédit économise sur les signes de la circulation. Les comptes courans, les chèques et le clearing-house constituent de puissans instrumens compensateurs qui dispensent de recourir au billet de banque, et qui réalisent une économie notable sur l’emploi du capital monétaire. — Deux voies sont ouvertes pour atteindre le résultat que recherchent avec une ardeur quelque peu exagérée ceux qui veulent restreindre dans d’étroites limites la valeur de la circulation métallique. On peut avoir recours à la circulation fiduciaire, au billet de banque ; mais celui-ci ne fournit en fin de compte qu’une médiocre ressource. Quand on ajouterait 100 ou 200 millions au demi-milliard d’espèces qu’il permet d’utiliser autrement en Angleterre et en France, — et c’est tout ce que les partisans les plus déterminés de la monnaie fiduciaire osent promettre, — ce ne serait pas encore là un résultat fort considérable. Le succès est bien autrement large avec les institutions de crédit dignes de ce nom, avec des banques nombreuses qui ouvrent des comptes courans sans qu’elles émettent un seul billet faisant office de monnaie, et qui correspondent entre elles au moyen d’une maison de compensation (clearing-house). Nous avons eu occasion de l’établir il y a bientôt vingt ans[10] : « le crédit ne consiste point à multiplier le signe d’échange, mais à donner le moyen de s’en passer en favorisant les viremens de compte et en rapprochant à de bonnes conditions les capitaux, c’est-à-dire les instrumens de travail, de l’usage auquel ils sont destinés. » L’ingénieux et délicat échafaudage du crédit repose sur la monnaie métallique qui en précise la valeur, qui en soutient les mouvemens. Pour s’élever, il a besoin que cette base soit ferme, que rien ne risque d’en ébranler la massive solidité. Bien imprudens sont ceux qui, sous prétexte de favoriser le crédit, lui enlèvent un support indispensable, et sacrifient à la facile création des billets abandonnée à la concurrence la condition la plus essentielle d’un crédit vigoureux, la stabilité, la fixité, la sincérité du mécanisme monétaire !

L’act de 1844 a pour but unique de fortifier ce mécanisme, de le rendre inébranlable ; aussi, malgré quelques lacunes que nous avons été des premiers à signaler, le regardons-nous comme une œuvre admirable, comme étant le titre le plus glorieux de sir Robert Peel, avec l’act qui a consacré le rappel des lois sur les céréales et ouvert la porte au free-trade.


III

Cependant c’est au nom même du free-trade, en vertu du principe sacré de la liberté de l’industrie, que l’on s’attaque au principe posé par sir Robert Peel. La fabrication des billets de banque n’est point une industrie, elle échappe aux lois de la concurrence ; une fausse assimilation avec la lettre de change ne suffit point pour enlever au billet le caractère essentiel qui le distingue, celui de servir de monnaie. Sur le premier point, nous nous bornerons à rappeler que Tooke, le plus autorisé des adversaires de l’act de 1844 quant à la séparation des deux départemens, a combattu énergiquement dans son grand ouvrage, l’Histoire des prix, la pensée que l’émission des billets doive être livrée à la concurrence. « Ce n’est point, dit-il, une branche d’industrie, c’est une matière à régler par l’état en vue de l’intérêt général ; elle rentre dans la province de la police[11], » et il ajoute : « Je considère comme un droit incontestable de l’état le principe que les banques d’émission doivent être réglées par lui. Quant à la liberté des banques, dans le sens où quelques-uns la soutiennent, je suis de l’avis d’un écrivain américain, qui dit que le libre commerce de banque (ainsi compris) est synonyme de libre commerce de la tricherie. » Certes jamais condamnation plus sanglante n’a été prononcée contre le régime défendu par ceux qui prétendent cependant se couvrir du nom de Tooke. Il serait inutile de revenir sur la confusion singulière qu’on a voulu faire chez nous entre la liberté de l’émission livrée à la concurrence et la liberté des banques, telle que nous la demandons. M. Michel Chevalier, qui professe l’opinion contraire à la nôtre, a cité les noms respectés de Huskisson et de Storch ; il réveille ainsi le souvenir de deux économistes qui se réunissent pour condamner sa doctrine. Huskisson a dit formellement : « La monnaie et le papier qui promet de la monnaie sont l’une et l’autre une commune mesure dans le commerce et expriment tous deux la valeur de tous les produits[12]. » Quant à Storch, voici ses paroles : « Les billets de banque font partie de la valeur totale du numéraire dont ils représentent une fraction, aussi circulent-ils avec le numéraire métallique en sens contraire des marchandises. Les papiers-promesses au contraire (les lettres de change) représentent une fraction de la valeur mobilière dont ils font partie ; aussi ils cheminent avec les marchandises en sens contraire du numéraire et le croisent dans la circulation. On les crée et on les transmet, on les vend et on les achète contre de l’argent ou des billets de banque, précisément comme toute autre marchandise[13]. » Qu’ajoute James Wilson, dont M. Michel Chevalier ne récusera certes pas l’autorité ? « Sous ce terme de monnaie, nous comprenons aussi les billets de banque, convertibles à volonté, qui, d’après l’acception populaire du terme, constituent avec les espèces la circulation du pays[14]. » Enfin l’apôtre du libre échange, Cobden, s’est exprimé avec le plus de résolution dans le sens des idées que nous défendons ; qu’on relise sa déposition dans l’enquête de 1840, on y trouvera des principes nettement posés. Il déclarait qu’il regardait comme monnaie de papier le billet de banque. « C’est, disait-il, la seule sorte de monnaie que je veuille désigner, et la seule acception dans laquelle j’entende ce terme. » Ainsi que l’a rappelé M. Macleod[15], Cobden faisait la distinction précise entre la lettre de change, simple reconnaissance d’une dette transférable, et le billet de banque, véritable monnaie qui augmente le montant de la circulation.

Personne ne s’est plus énergiquement élevé que Cobden contre la liberté d’émission, qu’il était loin de confondre avec la liberté de l’industrie. Sa déposition de 1840 contient une ferme adhésion au principe qui a plus tard dicté l’act de 1844, et dont Cobden est demeuré le défenseur convaincu. Il l’a bien prouvé alors que, siégeant dans le comité de la chambre des communes réuni pour statuer sur la question de savoir s’il n’y avait point lieu de modifier l’œuvre de sir Robert Peel, il a constamment répondu aux trois questions posées à ce sujet : Non, non, non. En prenant cette attitude, Cobden était parfaitement fidèle à l’idée qui a fait sa gloire, au free-trade. La liberté commerciale vit de réalité, elle repousse la fiction ; elle ne saurait s’accommoder de la doctrine relâchée d’une monnaie élastique. Cobden, dans ce langage à la fois familier, clair et pittoresque dont il avait le secret, disait : « La circulation doit se régler elle-même, elle doit être réglée par le commerce et le trafic du monde entier. Je ne voudrais pas laisser à la Banque d’Angleterre, non plus qu’aux autres banques, ce qu’on appelle l’administration de la circulation… Si nous devons avoir de la monnaie de papier, ce que j’admets avec peine, il faut que ce papier soit limité au chiffre représenté par les métaux précieux, s’ils circulaient seuls… Le chiffre devrait en être réglé par conséquent de manière à laisser circuler une quantité de métaux précieux suffisante pour permettre aux opérations de change sur les métaux précieux de se faire tranquillement. Le chiffre maximum de la monnaie de papier devrait être fixé. La totalité de la circulation devrait varier précisément comme si elle était entièrement composée d’or et d’argent, et que les échanges dussent se faire avec des lingots et des espèces. »

Questionné sur la division de la Banque d’Angleterre en deux départemens, l’un chargé d’administrer la circulation et l’autre chargé des opérations de banque ordinaires, sans droit d’émission, Cobden reconnut que ce plan, proposé par M. Loyd (aujourd’hui lord Overstone), avait de grands avantages ; mais, plus rigoriste encore que le célèbre fondateur de l’école métallique, il se refusait à admettre les expressions « administrer la circulation, régler la circulation. » — « A mon avis, dit-il, c’est comme si l’on voulait administrer et régler le temps, les étoiles et les vents. Je n’ai pas encore vu de projet qui enlève entièrement à une corporation le pouvoir d’augmenter ou de diminuer la quantité de monnaie ; or ce pouvoir est aussi intolérable que celui qu’aurait une corporation de régler la longueur de l’aune… Des marchands pouvant modifier à leur gré le montant de la circulation, cela n’est pas plus raisonnable que le privilège donné aux marchands de vendre à l’aune raccourcie et d’acheter à l’aune allongée. — Je suis opposé à ce que des marchands aient le pouvoir d’augmenter ou de diminuer la quantité de la monnaie ; — Je suis aussi opposé aux banques locales d’émission qu’à la Banque d’Angleterre sous ce rapport. » Cobden finissait par exprimer l’avis de concentrer la faculté d’émission des billets faisant office de monnaie dans un établissement public administré par des commissaires du gouvernement et n’ayant aucune autre office que celui de l’émission ; il devrait, ajoutait-il, rester absolument passif et ne pas songer à régler la circulation[16].

L’act de 1844, en organisant comme il l’a fait l’issue department, complètement séparé du bank department, à pleinement réalisé le vœu de Cobden. La circulation se règle d’elle-même aujourd’hui suivant le nombre de billets demandés en échange de l’or. Quant au chiffre de ceux qui reposent sur d’autres garanties, il demeure invariable : les changement ne portent que sur la quotité des métaux précieux employés ; celle-ci, régie par le commerce libre, s’ajuste aux besoins du marché suivant les lois naturelles de l’offre et de la demande. La Banque d’Angleterre n’exerce aucune influence sur l’émission : les marchands qui la gouvernent ne peuvent plus ni allonger ni raccourcir à volonté le mètre de la valeur ; ils font simplement la banque comme les banquiers privés, avec la même liberté et sous les mêmes conditions légales. Ce qui est industrie est livré à une pleine concurrence, ce qui est fabrication de monnaie échappe ; à toute influence arbitraire, et fonctionne en vertu d’un mécanisme régulier. Si ce n’était la crainte d’emprunter une formule mathématique, nous serions tenté de résumer d’une manière brève notre opinion sur cette matière fondamentale : la circulation se compose régulièrement d’une constante, qui est la somme de billets toujours maintenue entre les mains du public, le montant de ce qui ne s’est jamais présenté à l’échange contre de l’or, et d’une variable, qui se modifie suivant les besoins du marché et les rapports extérieurs. Cette variable doit être tout entière en métal précieux et se plier aux mouvemens naturels de l’échange, tandis que la constante peut sans inconvénient être représentée au moyen du contingent déterminé pour l’émission. De cette manière, suivant le vœu de Cobden, de lord Overstone et de sir Robert Peel, la circulation mixte, formée de papier et d’or, se comportera exactement comme si elle était purement métallique. Les principes du free-trade et la sincérité des conventions ne recevront aucune atteinte.

Pénétrez au fond des choses, écartez les apparences extérieures ; vous verrez que la Banque de France s’administre suivant un principe analogue. On est revenu de la vieille erreur d’une proportion de l’encaisse égale au tiers des billets en circulation, cette proportion arbitraire que Cobden repoussait et qu’un économiste allemand distingué, M. Michaëlis, a eu raison de qualifier de non-sens arithmétique. Chaque billet présenté à l’échange, si cette proportion fait loi, suffit pour la troubler quand elle existe, puisqu’il déplace une quantité d’or qui devrait faire retirer de la circulation trois fois autant de billets. — En France comme en Angleterre, la circulation fiduciaire oscille autour d’une quotité à peu près fixe de billets émis sur des garanties autres que de l’or, sauf les complémens variables représentés par le mouvement de l’encaisse métallique. Les différences ne sont que peu sensibles entre le résultat produit par le mécanisme inflexible du département de l’émission de Londres et celui qu’amène le régulateur construit par l’expérience prévoyante du conseil de la Banque de France. Les deux institutions ne se distinguent en réalité que par la forme des relevés hebdomadaires qu’elles publient et par l’impression que peut produire sur l’esprit public la révélation permanente de la situation des ressources disponibles de la Banque d’Angleterre, alors que l’on voit approcher le moment où la réserve commerciale (banking-reserve) ne pourra plus à aucun prix, quelle que soit l’élévation du taux de l’intérêt, fournir aux demandes d’avances ou d’escomptes. La Banque de France n’a aucune limite légale qui gêne ses allures : elle pourrait au besoin, en serrant l’écrou de l’escompte, émettre un surcroît temporaire de billets, bien qu’elle recule prudemment devant une pareille extrémité. La Banque d’Angleterre ne le peut pas ; pour entr’ouvrir une pareille perspective, il faut suspendre l’act de 1844, sauf à ne pas avoir recours à la faculté ainsi conquise, et à se borner, comme l’on vient de le faire lors de la dernière crise, à exercer une influence morale pour calmer la panique.

Là se rencontre le nœud de la question agitée en ce moment au-delà du détroit en ce qui concerne l’organisation de la Banque, car il ne faut pas s’y tromper, le terme retentissant de suspension de l’act de 1844 ne signifie que la possibilité d’étendre temporairement l’émission de billets, sous d’autres garanties que de l’or, au-delà de la limite déterminée par la clause II. La loi entière reste toujours debout, et son principe ne fait que se fortifier au contact de l’expérience. En effet, la suspension de l’act a été purement nominale en 1847 et 1866 ; pas un billet n’est venu s’ajouter à la circulation normale ; en 1857, une quotité insignifiante de 928,000 livres sterling a suffi comme supplément, alors que l’escompte à 10 pour 100 empêchait qu’on n’abusât de cette tolérance ; pour multiplier un capital fictif et pour troubler le cours régulier des lois de l’échange libre. D’où vient la puissance développée par la Banque d’Angleterre pendant la dernière crise ? De la force que lui donne l’act de 1844 ; il ne se borne pas à permettre la conversion facultative du billet en or, il l’assure. On soutiendra vainement qu’on ne saurait émettre plus de billets que la circulation n’en comporte, en comparant celle-ci à une éponge qui une fois saturée d’eau n’en absorbe plus ; la question est ailleurs, elle est dans la proportion maintenue entre le métal et le billet. Du moment où la proportion grandit du côté du papier, la situation s’altère, car l’ensemble des instrumens d’échange ne varie guère, le métal précieux est déplacé par le billet, voilà tout. Alors que la sécurité générale est entière, que tout prospère, que la confiance enfle les voiles du commerce et de l’industrie, on accepte les billets de banque comme de l’or ; mais pour peu que le plus léger embarras se produise, on vient échanger la monnaie de papier contre les espèces. Si le pays s’est trop dépouillé de celles-ci, la crise éclate. Personne ne saurait contester que les banques gagnent à étendre une circulation qui ne leur coûte presque rien, qui constitue en réalité un emprunt à titre gratuit prélevé sur le public ; elles sont naturellement disposées à se montrer plus faciles pour les prêts et pour les escomptes tant qu’elles réussissent à placer des billets. Les emprunteurs et les commerçans usent et abusent de cette facilité pour entreprendre au-delà de leurs ressources : ils acceptent sans peine la monnaie de papier qu’on leur offre ; des deux côtés un entraînement bien simple conduit à outrer les émissions et à provoquer l’over-trade, les spéculations excessives. A qui reviennent en définitive les billets ? A ceux qui travaillent, à ceux qui sont étrangers aux opérations aventurées, à ceux qui vendent au détail, à ceux en un mot qui sont le moins en état de supporter une perte, et qui n’ont tiré aucun avantage de la substitution d’une monnaie fictive à une monnaie solide. L’intérêt de tous ceux qui reçoivent les billets en paiement n’est p&s qu’il y en ait beaucoup, mais qu’ils soient d’une valeur stable, assurée. C’est cet intérêt général que l’act de 1844 prend sous sa sauvegarde.

Beaucoup de banques ont fait faillite en Écosse, en Angleterre, en Amérique ; la Banque d’Angleterre n’a rien fait perdre à personne depuis vingt ans ; elle est venue au contraire plusieurs fois au secours des banques provinciales et des banques d’Écosse. M. Léonce de Lavergne, bien qu’il soit partisan d’une émission confiée simultanément à plusieurs grandes banques de monopole, a rendu cette justice à l’œuvre de sir Robert Peel. Il ajoute : « Le plus grand éloge qu’on puisse faire d’un établissement de crédit, c’est qu’il lui suffise d’augmenter ses émissions pour calmer les crises. C’est précisément parce qu’en temps ordinaire les émissions de la Banque d’Angleterre sont contenues par la loi que les billets jouissent d’une si grande faveur quand tout autre papier est déprécié ; il suffit alors d’ouvrir le canal à ce réservoir de crédit amassé par une sage prudence. Si la mémoire de sir Robert Peel avait besoin d’une consécration nouvelle, elle l’aurait reçue des expériences de 1847 et de 1857. » On ne saurait mieux dire, et M. de Lavergne n’a pas encore dit assez ; il aurait pu montrer comment la confiance acquise au grand établissement autour duquel pivote le. crédit de l’Angleterre a suffi pour conjurer l’orage, sans émission irrégulière de billets ; s’il avait pu apprécier, lorsqu’il a prononcé ces paroles, la grande expérience de 1866, il aurait reconnu que jamais la Banque n’avait prêté au commerce une assistance plus large, plus rapide, ni plus efficace, sans user du droit qui lui était conféré de sortir des limites légales de l’émission. Aussi le gouvernement n’a-t-il pas eu besoin de demander de bill d’indemnité au parlement ; de fait, l’act de 1844 n’a pas été violé. L’Angleterre est déjà rentrée, sous ce rapport, dans la situation normale ; la diminution récente de l’escompte jusqu’à 8 et à 7 pour 100, a réduit à néant la faculté nominalement ouverte par la lettre ministérielle. Il en a été exactement de même en 1847 ; la Banque n’avait point fait d’émission supplémentaire quand l’escompte a été réduit à 7 pour 100 le 23 novembre, après une suspension déclarée le 23 octobre, sous la condition que le taux ne descendrait pas au-dessous de 8 pour 100. — En 1857, le gouvernement prit une mesure analogue : le 12 décembre, l’act de 1844 était suspendu, une émission de nouveaux billets autorisée et le minimum de l’escompte fixé à 10 pour 100. La Banque ayant fait usage de la faculté ainsi ouverte jusqu’à concurrence de 928,000 livres (23 millions de fr.) employés en billets émis sur un supplément de garantie en fonds publics, le parlement consulté étendit jusqu’au 1er février 1858 la durée de la permission exceptionnelle. Dès le 24 décembre 1857, l’escompte était ramené à 8 pour 100, par conséquent l’effet de la suspension avait été effacé. Nous venons de rappeler qu’en 1866 la Banque n’a fait aucun usage d’une faculté analogue. Elle avait déjà traversé en 1864 une crise formidable sans que l’intervention du gouvernement eût été nécessaire. La solidité inébranlable du principe de sir Robert Peel se trouve consacrée par ces expériences décisives.

Cependant, nous l’avouerons, nous regrettons qu’à défaut d’une latitude comme celle dont la Banque de France n’abuse nullement, l’idée primitive de sir Robert Peel n’ait point été maintenue dans le texte légal. Si la suspension temporaire avait été inscrite à l’avance dans une clause spéciale, sous des conditions définies et moyennant l’accord entre le gouvernement et la Banque, on aurait évité jusqu’à l’apparence d’une mesure d’exception. Le contrôle légitime du parlement s’exerce toujours, dans un pays libre, sur l’usage fait par le pouvoir d’une faculté extraordinaire, il n’échappe jamais à la surveillance légitime de la représentation nationale ; c’est une lacune dans l’act de 1844, elle est facile à combler. De cette manière l’organisation de la Banque d’Angleterre se rapprocherait de celle de la Banque de France, qui a, depuis quelques années, su emprunter avec succès au-delà du détroit l’arme de l’élévation de l’escompte ; celle-ci, pourvu qu’elle soit énergiquement maniée, paraît suffisante aux partisans du banking-principle, à Tooke, à Newmarch, à Fullarton, à James Wilson, et en dernier lieu à M. Macleod.

Grande est l’erreur de ceux qui supposent que les principaux adversaires de l’act de 1844 se montrent hostiles à cette élévation de l’escompte ; ils recommandent Unanimement ce moyen de maintenir un encaisse métallique satisfaisant du moment où le change commence à inspirer quelque inquiétude. Ils ne sont pas, pour la plupart, partisans de la liberté d’émission ; pour Tooke et ses disciples, ce terme n’a aucune autre signification que celle de l’absence d’une limite absolue imposée à la circulation fiduciaire, soustraite à la loi de la concurrence ; c’est simplement une préférence accordée au système de la Banque de France.


IV

Peu de questions ont été aussi mal comprises chez nous et aussi défigurées par de faussés interprétations. La discussion récente de la chambre des communes du 31 juillet 1866 met la vérité en plein jour, et l’act de 1844 n’est point menacé quant au principe fondamental qu’il consacre. — N’a-t-on point prétendu que sir Robert Peel avait reconnu la faute qu’il avait commise et s’en était publiquement repenti ? Rien de plus erroné qu’une pareille assertion. Le discours de 1847, dont on a si étrangement abusé, ne contient rien de pareil. L’illustre orateur a résolument et habilement défendu son œuvre en l’expliquant. Sans doute son espoir avait été déçu en ce qui concernait la direction imprimée aux affaires de la Banque d’Angleterre dans le bank-department. Il pensait qu’instruits par une sévère expérience, les directeurs de cet établissement sauraient mieux ménager leurs ressources et empêcher l’épuisement de la réserve commerciale (banking-reserve). Il a reconnu avec tristesse que sur ce point ses espérances avaient été trompées. Le but que se proposait la loi était d’empêcher le recours aux mesures extrêmes en imposant à la direction de la Banque, sinon l’obligation légale, du moins l’obligation morale d’une impulsion plus prudente donnée aux affaires ; celle-ci aurait dû dès le principe obvier au danger en resserrant l’émission, en haussant le taux de l’escompte ; elle aurait empêché ainsi le recours au gouvernement et la suspension de l’act. « Celui-ci avait un triple objet, dit sir Robert Peel. Je reconnais qu’il n’a pas rempli le premier, qui était de prévenir par une contraction prompte et énergique des affaires la panique et le désordre ; mais le bill avait en vue deux autres objets d’une importance au moins égale : l’un était de maintenir et de garantir la conversion constante de la monnaie de papier en or, l’autre d’empêcher que les embarras des temps difficiles ne fussent aggravés par l’abus du papier de crédit sous la forme des billets. » Sous ces deux rapports, le succès a été complet. « Mon opinion, dit sir Robert Peel, est que vous avez aujourd’hui une garantie du remboursement en or plus solide que vous ne l’avez jamais possédée ; mon opinion est aussi que, quel que soit le poids des difficultés qui nous pressent, il aurait été singulièrement aggravé, si vous n’aviez point pris la précaution d’arrêter l’émission illimitée des billets de la Banque d’Angleterre, des banques par actions et des banques privées. » Il continua ce discours, dont M. Macleod parle avec une véritable admiration, en montrant combien il est absurde d’espérer l’argent à bon marché lorsque le capital est rare. Il approuva pleinement la conduite du gouvernement, qui avait opposé une mesure exceptionnelle à une situation exceptionnelle. Sans repousser l’examen d’une révision de l’act, il se prononça sans hésiter en faveur du maintien des grands principes que celui-ci consacre. Certes rien ne ressemble moins que ces paroles à un désaveu de l’œuvre de 1844. Le seul point sur lequel l’attente de sir Robert Peel avait été déçue tenait au manque d’habileté de la direction de la Banque, et non à une disposition de la loi. On avait, dès le mois d’avril 1847, laissé descendre la réserve disponible au chiffre minime de 2,833,000 livres sterling et en octobre jusqu’à 1 million seulement ; cette fauté fut renouvelée en1857 d’une manière plus grave encore, puisque le 10 novembre, deux jours avant la suspension de l’act de 1844, la banking-reserve n’était plus que de 950,000 livres. Depuis lors, le gouvernement de la Banque a été admirablement conduit ; l’ancien et le nouveau cabinet, ainsi que la chambre des communes, lui ont rendu pleine justice.

Le discours de sir Robert Peel, cet exposé des motifs de l’act de 1844, suffirait à lui seul pour en garantir le maintien[17]. Il ne laisse subsister aucune dissidence sur la distinction essentielle entre l’émission et les opérations de banque, qu’elle se traduise comme en Angleterre dans la constitution de deux départemens distincts, ou qu’elle dépende d’un calcul prévoyant, comme celui qui préside à la direction des affaires de la Banque de France ; la forme diffère seule, le fond reste le même. « Nous pensons, disait avec raison sir Robert Peel, que le droit d’émission doit être soumis au contrôle de l’état, tandis que la plus parfaite latitude doit régner dans les opérations de banque. » Cette latitude, il la voulait pour toutes les banques publiques ou privées ; elle existe aujourd’hui pleine et entière dans le royaume-uni et donne les plus heureux résultats.

Quant au droit d’émission, sir Robert Peel ne désirait pas le retirer brusquement aux banques qui en usaient : il voulait une réforme féconde et non une révolution ; mais il espérait que ce droit s’étendrait successivement, en se concentrant par voie d’héritage entre les mains de la Banque d’Angleterre. Son calcul a été trompé en partie. Environ 300 banques se divisaient en 1844 une émission de billets d’une valeur de 200 millions de francs ; il n’en a disparu qu’un peu plus du tiers. Au mois de juin dernier, on en comptait encore 190, avec une circulation autorisée de plus de 7,200,000 liv. (180 millions de fr.) et une circulation réelle réduite à 4,687,913 livres seulement (environ 117 millions). L’act de 1844 défend à ces banques de fusionner, il leur interdit d’établir un bureau à Londres. M. Gladstone pensa qu’au lieu de calculer sur la faiblesse incurable et la chute successive de ces établissemens, il valait mieux s’y prendre d’une autre manière pour arriver plus vite à réaliser le desideratum suprême de sir Robert Peel, l’unité d’émission, heureusement conquise par la Banque de France en 1848. Il introduisit l’an dernier à la chambre des communes un bill pour lever les diverses restrictions imposées par l’act de 1844, autres que la limitation du droit d’émission, sauf à fixer un terme rapproché où l’exercice de ce droit devrait cesser après une simple notification de la part du gouvernement. Telle est la modification de l’act de 1844 que, par suite d’une singulière méprise, M. Horn a signalée comme une brèche faite au principe, tandis que M. Gladstone essayait d’en hâter la pleine application. En s’appuyant sur l’expérience, il avait calculé que l’extinction totale du droit d’émission n’arriverait que dans deux cent cinquante ans, peut-être même dans quatre siècles. Or, comme il ne voulait pas attendre indéfiniment, il préférait hâter un arrangement temporaire qui, en donnant pleine liberté aux banques actuelles d’émission pour les opérations de banque, limiterait l’exercice de la faculté de fabriquer des billets payables au porteur et à vue.

Le projet fut énergiquement combattu par un financier habile, M. Hubbard ; il déclara qu’il ne comprenait point comment l’état, qui contrôle les pièces d’or, d’argent et de cuivre, qui ont une valeur intrinsèque, abandonnerait à l’autonomie des banques de province, le droit de créer une monnaie de papier qui n’a aucune valeur. M. Blake dénia aux banques la faculté de fabriquer des billets qui circulent comme de la monnaie ; ce n’est pas, dit-il, un acte de commerce. M. Thomson Hankey trouvait la proposition inutile ; il regardait le droit des banques comme périmé depuis 1854, et M. l’alderman Salomons proposa d’exiger partout la garantie que fournit la Banque d’Angleterre, qui dépose une valeur de fonds publics égale à celle des billets émis. M. Cardwell, sir Charles Wood (aujourd’hui lord Halifax), M. Goschen, appuyèrent au contraire la motion comme étant un complément de l’act de 1844. M. Gladstone n’attribuait pas à sa proposition une autre portée ; c’était, disait-il, un bill préparatoire qui laisserait pleine liberté de statuer ensuite sur l’ensemble dans le sens du principe fondamental, si, comme il en exprimait la confiance, ce principe était reconnu juste.

Il serait inutile d’insister davantage sur l’adhésion donnée au principe de l’act avant la dernière crise ; celle-ci lui a-t-elle porté atteinte ? La vigilance de l’intérêt public et la susceptibilité nationale, si vivement réveillées par le run sur l’Angleterre, condamnent-elles la base sur laquelle repose l’organisation de la Banque ? En aucune manière ; on ne veut même discuter que des questions d’application, sans toucher au principe, dont presque tous apprécient la salutaire efficacité.

Une demande d’enquête a été développée par M. Watkin, qui s’est appuyé sur les précédens de 1847 et de 1857 pour dire qu’on avait, à chaque suspension de l’act, recherché les causes de la crise ; un débat approfondi a occupé la séance de la chambre des communes du 31 juillet. M. Watkin a principalement appuyé sur le phénomène nouveau que présentait l’écart énorme et persistant entre le taux de l’escompte à Paris et à Londres, sans se demander si une difficulté entièrement étrangère à l’organisation de la Banque d’Angleterre ne pesait point sur la situation. On aimait mieux laisser dormir son argent que de l’engager dans une affaire quelconque, car l’inquiétude des esprits, troublés par l’émotion de la guerre et par les désastres financiers, avait arrêté court les opérations les plus simples. Une circulaire de lord Clarendon, ministre des affaires étrangères, avait été transmise à toutes les missions anglaises après l’Overend-friday ; elle voulait prévenir une fâcheuse méprise au sujet de la suspension de l’act de 1844 ; les pays habitués à ne voir intervenir les gouvernemens dans les affaires de banque que pour établir le cours forcé pouvaient être induits en erreur au sujet du caractère tout différent de la mesure décidée par le comte Russell et par M. Gladstone. Cette appréhension n’était pas entièrement imaginaire, s’il est vrai qu’on eût envoyé, ainsi que l’a raconté M. Watkin, des billets de la Banque d’Angleterre de Madrid à Liverpool avec ordre de les négocier à tout prix. Rien de pareil n’était à craindre cependant sur les marchés importans de Paris et d’Amsterdam ; personne n’y pouvait commettre l’erreur grossière.de confondre avec une suspension de paiemens la simple faculté d’émettre une faible somme de billets, faculté dont on savait que la Banque d’Angleterre ne ferait qu’un discret usage. La sollicitude qui avait porté lord Clarendon il cette démarche inusitée a pu être mal interprétée ; des esprits timorés ont pu y voir un indice de plus du trouble causé par la crise. Ce qui est vrai, c’est que, malgré l’incontestable habileté de la rédaction, la missive du Foreign-Oflice a manqué le but qu’elle voulait atteindre, elle n’est pas parvenue à calmer les esprits. — L’exposé fait par M. Watkin est méthodique et complet ; il n’entendait soulever aucune discussion théorique, et la liberté d’émission n’a pas même obtenu de sa part, l’honneur d’une mention. Il s’est borné à faire porter sur la limitation inflexible consacrée par l’act et sur la division des deux départemens de la Banque la responsabilité, du taux (énorme*, de 10 pour. 100, ainsi que les variations fréquentes et spasmodiques de l’escompte, « On arguerait vainement, dit-il, d’une insuffisance de ressources. Le pays n’a jamais été aussi puissamment riche ; tout le tort est du côté de la Banque, qui n’a point accru la circulation, et du côté d’une vicieuse séparation de l’émission et de l’escompte. »

M. Watkin concluait en demandant la nomination d’une commission royale, qui serait formée comme la commission chargée en France de la grande enquête sur les banques, mais, qui fonctionnerait dans un cadre plus restreint. Cette motion a été appuyée par M. Akroyd, qui posa la question de savoir si le nouveau cabinet entendait endosser la responsabilité prise par le dernier chancelier de l’échiquier, M. Gladstone, qui avait suspendu l’act de 1844. Cette interpellation a fourni a sir Stafford Northcote, le nouveau ministre du commerce, l’heureuse occasion d’une réponse pleine d’humour et de sens, conçue dans un excellent esprit et servie par un rare bonheur d’expressions. L’organe du cabinet ne s’est point borné à repousser la demande de la formation d’une commission, il a expliqué en excellens termes une doctrine saine, ainsi qu’une adhésion complète au système de 1844. Sans dissimuler ce que les trois suspensions prononcées chacune à peu près à dix années d’intervalle peuvent soulever d’objections contre certains détails de l’act, il en a fermement affirmé le principe. Il ne le regarde point comme un idéal de perfection qui se refuse à la moindre modification, mais il repousse la pensée que la doctrine admise par le législateur soit en rien responsable du mal qu’on a subi, ou que le renversement de cette doctrine pût en prévenir le retour. — Le gouvernement actuel, a dit sir S. Northcote, n’attache aucun intérêt paternel à l’act de 1844 ; mais il croit de son devoir de déclarer que les principes que cette loi consacre lui semblent être les vrais et sains principes sur lesquels la circulation doit reposer. Qu’il soit possible d’introduire dans le mécanisme quelques perfectionnemens qui en rendent le jeu plus facile et moins sujet à quelques inconvéniens ; que l’expérience des paniques anciennes et de la crise actuelle puisse suggérer quelques moyens d’alléger les souffrances sans porter atteinte au système, le gouvernement ne se refuse point à tourner son attention vers cette question grave, et il veut l’examiner avec une sérieuse sollicitude ; il essaiera d’étudier la matière, et s’il réussit à rencontrer une solution favorable, il en fera l’objet d’une proposition dès le début de la session parlementaire, sauf à provoquer lui-même la formation d’un comité de la chambre dans le cas où ses efforts n’auraient abouti à aucun résultat pratique. — On a semblé prétendre que l’act de 1844 empêche l’expansion de la circulation fiduciaire au moment où le recours au crédit devient le plus nécessaire ; mais le crédit doit servir à procurer du capital. Il a élevé l’Angleterre à un haut degré de puissance et de richesse en accomplissant cette large mission ; toutefois il ne saurait l’accomplir au même degré quand le capital manque. Bien que le capital disponible se soit énormément accru, il peut devenir insuffisant, ces deux termes n’impliquent aucune contradiction ; il s’agit en effet d’une question de proportion. Quand on considère la masse des entreprises, la diversité et l’importance des emplois, on comprend aisément que des ressources, même énormes, n’y puissent pleinement satisfaire. On a voté, rien que dans les deux dernières sessions, des chemins de fer dont la dépense s’élèvera au moins à 176 millions sterl. (4 milliards 400 millions de francs). Pouvez-vous et devez-vous fabriquer de la monnaie fiduciaire quand la monnaie est rare ? Telle est la véritable question qui se rencontre au fond de ces difficultés. Faut-il couper un habit à sa taille dans le tissu élastique du crédit, ou bien s’accommoder du drap qu’on possède et tailler le vêtement suivant cette mesure ? — Sir S. Northcote a fermement déclaré que le gouvernement n’entendait point se lancer dans la voie des fictions monétaires. Cependant personne ne saurait demeurer indifférent au spectacle du run sur l’Angleterre qui s’est subitement déclaré, et l’on doit reconnaître que la suspension de l’act de 1844 a été l’origine d’un triste malentendu au sujet de la situation financière du pays. Néanmoins il y aurait erreur à supposer qu’une modification de la législation de la Banque rétablirait le crédit, de l’Angleterre. L’orateur a voulu établir nettement que ni le gouvernement ni le pays n’admettaient en aucune manière que les difficultés actuelles tiennent au régime de la circulation et au système des banques établi par la loi. En supposant qu’ils pussent être modifiés, il y aurait péril à laisser croire qu’une pareille réforme viendrait guérir les plaies faites par l’imprudence des entreprises mal conçues. Le ministre a reproduit en d’autres termes la pensée exprimée dans le rapport du comité d’enquête de 1858, qu’il n’est pas de système monétaire qui puisse mettre le commerce, la finance et l’industrie à l’abri de leur propre imprévoyance.

Nous avons essayé de résumer fidèlement l’habile argumentation de sir S. Northcote, chargé de parler au nom du nouveau cabinet ; cette attitude fait autant d’honneur à ses lumières qu’à son patriotisme. Si la question n’avait été envisagée que par le côté mesquin des querelles de partis, l’occasion pouvait sembler bonne pour profiter des clameurs des intérêts désappointés en essayant de faire tomber un blâme sur la marche suivie par le dernier chancelier de l’échiquier, par l’illustre chef actuel de l’opposition, M. Gladstone. Sir S. Northcote a repoussé cette mesquine tentation, il n’a voulu voir que l’intérêt véritable de l’Angleterre, et il s’est résolument rangé du côté de son adversaire politique pour défendre les principes de 1844.

Un jeune professeur d’économie politique, très haut placé déjà dans l’estime publique, M. Fawcett, aux paroles de qui l’infirmité dont il est atteint[18] imprime encore plus d’intérêt, s’est empressé d’approuver les idées émises par le ministre du commerce. On nous saura gré sans doute de donner ici le résumé et souvent la traduction littérale de ce remarquable discours. — On a prétendu, dit M. Fawcett, que la charte de la Banque avait amené la dernière crise et devait porter la responsabilité du taux élevé de l’escompte. C’est une illusion trompeuse : si le gouvernement avait accepté la motion d’enquête, il aurait simplement suscité de fallacieuses espérances. Je ne suis pas un ami chaleureux de l’act de 1844, il me semble qu’on pourrait en tempérer la rigueur de manière à en prévenir la suspension arbitraire. Si la crise actuelle tient au crédit, c’est-à-dire si elle témoigne d’un ébranlement de la confiance mutuelle, comment est-il possible de l’attribuer à la charte de la Banque ? La cause est bien autrement sérieuse et profonde, elle est dans cet esprit désordonné de spéculation aléatoire qui dégénère en un jeu coupable, et qui s’est emparé de ce pays. Une nouvelle école a surgi depuis quelques années, elle a encouragé la pensée que la richesse devait être produite non plus suivant le mode suranné d’un travail assidu, mais par l’art moderne de financer, en d’autres termes par la manipulation habile du papier. Cette idée étrange s’est tellement répandue, qu’on en est venu à penser qu’un ingénieur hardi, un entrepreneur actif, un attorney intelligent et des avances largement consenties suffiraient pour faire construire un chemin de fer d’un bout à l’autre de l’Angleterre. Les choses marchaient bien, les fondateurs et directeurs s’enrichissaient à vue d’œil ; mais quand les banques et les sociétés de crédit, poussées par leurs créanciers, voulurent être payées, tout fut menacé, et l’on entendit retentir des plaintes comme celles-ci : « nous avons besoin d’une institution qui fournisse constamment de l’argent à bon marché, et si la Banque ne le peut pas, la législation est mauvaise, il faut la refondre. » A mon avis, la chute n’est pas venue un instant trop tôt. Tout ajournement facilité par la loi aurait rendu le déchirement plus terrible. Ce qui doit nous consoler, c’est qu’il n’est pas une entreprise commerciale sagement et honorablement conduite qui ait succombé. Le commerce régulier de ce pays est dans une bonne situation, et l’élévation de l’intérêt n’a fait qu’arrêter des opérations téméraires. La hausse des profits a permis de supporter la hausse de l’escompte ; le capital et le travail ont tous deux obtenu une large récompense. Au lieu de nous embarrasser d’une réforme législative, nous avons un autre, un sûr moyen de rendre au crédit de l’Angleterre sa solidité au dehors, c’est de rétablir la foi entière dans l’accomplissement des contrats commerciaux. Le commerce aurait souffert tout autant et plus encore, si l’act de 1844 n’existait point, et le supprimer n’empêcherait nullement une crise financière. On a dit que nous ne possédions point une circulation suffisante ; mais, au lieu d’avoir indûment décru, elle s’est au contraire largement développée, sans qu’il en résulte de facilités nouvelles de prêt, car les prix haussent avec l’accroissement de la circulation. — Si une commission d’enquête était formée, dit M. Fawcett en terminant, elle ne constaterait qu’une chose d’une manière irrécusable : c’est que les affaires de la Banque ont été conduites avec un singulier concours de fermeté, d’habileté et de prudence, et que les directeurs de la Banque forment une réunion d’hommes dont tout pays voué au commerce serait fier à juste titre. Ils n’ont ni amené ni aggravé la crise ; celle-ci n’a été produite que parce qu’on s’est départi des vieilles maximes qui avaient assuré la prospérité du trafic, et parce qu’on s’est confié au système nouveau de finance (modem financing).

On le voit d’après les paroles de M. Fawcett, les lumières de la science sont venues confirmer les enseignemens de la pratique ; quant à l’éloge mérité du conseil de la Banque d’Angleterre, personne ne saurait le taxer d’exagération, alors que l’on connaît MM. Lancelot-Holland, gouverneur, Hunt, sous-gouverneur, Kirkman-Hodgson, Hubbard, Alfred Latham, Thomson-Hankey, Ward-Norman, Grenfeld, et tant d’autres hommes éminens qui le composent. L’un d’eux, M. Hubbard, membre du parlement, a parfaitement exposé l’importance d’un bon système monétaire. — Il a montré combien il était faux de prétendre qu’un taux élevé d’escompte, temporairement perçu, puisse arrêter les opérations bien conduites et enlever le travail aux ouvriers. Cette charge supplémentaire, quelque pénible qu’elle soit, ne saurait exercer, lorsqu’on la réduit à sa juste valeur, une pareille influence ; la plus légère variation dans le prix des matières premières ou de la main-d’œuvre a une bien autre importance. Des abus énormes ont été commis, des plans follement conçus et audacieusement accomplis ont fait le mal que la fermeté de la législation monétaire a seule pu arrêter. Quant à la Banque, jamais elle n’a réuni autant de ressources et n’en a fait un plus libéral usage. Le régime actuel, en donnant une base solide aux opérations et aux crédits ouverts, a fait naître un large système de crédit, bien plus efficace qu’une multiplication périlleuse de billets de banque. L’act de 1844 n’a pas besoin qu’on le défende : il a fondé la sécurité de la circulation en réglant sagement l’émission des billets considérée comme attribut de l’état, et il a établi la liberté des banques la plus complète pour tout ce qui est affaire de banque. Loin de restreindre les moyens d’action de la Banque d’Angleterre, il les a élargis, et il lui permet de soutenir les chocs les plus violens grâce à une solidité éprouvée. L’effet d’apaisement dû à la suspension temporaire de l’act ne se serait pas produit, si le billet de la Banque inspirait une confiance moins absolue. La réserve métallique a été conservée dans une large proportion. Tandis qu’on l’avait vue tomber presqu’à rien en 1825 et à quelques millions en 1839, elle se maintient aujourd’hui à 12 millions de livres et au-dessus. M. Hubbard aurait pu rappeler la déclaration de Tooke, qu’il se réconcilierait avec la limitation imposée par l’act de 1844, si celui-ci donnait une pleine garantie contre toute suspension future du paiement en espèces ; Tooke serait donc pleinement réconcilié aujourd’hui avec la loi qui a définitivement écarté jusqu’à l’appréhension d’une pareille calamité.

Cet important débat s’est terminé par une défense vigoureuse de l’act de 1844, que M. Gladstone a présentée avec son éloquence habituelle. Il a surtout insisté sur ce que le droit d’émission n’appartient qu’à l’état, qui seul peut le déléguer. Le malaise actuel ne frappe que ceux qui ont été coupables d’un entraînement aveugle et malsain, le commerce et l’industrie continuent de prospérer, et la liberté, pleinement appliquée aux échanges, porte d’heureux fruits. Pourquoi le taux de l’intérêt a-t-il haussé ? Parce que la réserve commerciale de la Banque a dû satisfaire aux énormes demandes des institutions de crédit. Libres d’accroître leur circulation de billets, les banques de province l’ont réduite d’un million de livres pendant la crise[19]. Ce n’était donc pas de billets qu’on avait tant besoin, ou du moins les billets ne peuvent circuler avec sécurité que si tout porteur les regarde avec la même confiance qu’un souverain d’or. M. Gladstone a, dans le cours de son argumentation, produit un fait curieux : il a mentionné en termes reconnaissais l’offre amicale du gouvernement français, qui se déclarait prêt, au moment de la suspension de l’act, à faire à la Banque d’Angleterre une avance de numéraire. On a cru ne pas devoir accepter cette proposition, car on aurait pensé porter ainsi une atteinte encore plus rude au crédit du pays. — Le métal précieux ne peut manquer de revenir au bout d’un temps assez court par le jeu régulier du balancier commercial ; la quotité des espèces ne tarde point à, s’ajuster aux besoins de la circulation, pourvu qu’on laisse agir le trafic libre sous l’empire des lois de l’offre, et de la demande ; aucune combinaison artificielle ne saurait égaler la puissance du mécanisme naturel des échanges. La liberté commerciale fournit une inappréciable, ressource à l’entretien d’une monnaie stable, comme aussi le système métallique, tel que l’act de 1844 l’a établi est le complément nécessaire de la liberté commerciale. Plus un pays sort de l’isolement, plus ses intérêts se trouvent mêlés à ceux du dehors, et plus la monnaie tombe, dans la dépendance du marché international. Le prix d’achat se règle alors sur l’offre et la demande du marché universel, et les métaux précieux obéissent à cette loi suprême comme les autres marchandises. Aussi la monnaie réelle retrouve toujours sa limite ; si elle surabonde, elle va où le profit l’appelle, car c’est une marchandise recherchée partout ; si elle manque, le marché, universel est ouvert pour la procurer. Il faut toutefois que ce soit de la monnaie métallique ; celle-ci est seule appelée à régler les comptes extérieurs, seule elle doit varier, tandis que l’émission fiduciaire demeure fixe. Une fausse économie cherche à multiplier les billets, acceptés sans peine dans les temps calmes. Pour peu que la situation ; change, pour peu que le mouvement commercial amène des demandes plus nombreuses d’or, si on a trop restreint la réserve, si la base sur laquelle s’appuie la pyramide renversée des opérations fiduciaires se trouve trop faible, tout croule. On voit alors combien revient cher ce qui semble ne rien coûter. « Le bon marché ruine, rien ne coûte comme le bon marché. » Ces dictons populaires deviennent des vérités pratiques.

On a surabondamment prouvé que la monnaie est une marchandise, d’une espèce particulière il est vrai ; il faut se résigner à la traiter comme une marchandise, et il y a contradiction à vouloir user de moyens artificiels pour la faire échapper à la loi régulière du commerce. L’act de 1844 fait éviter cette erreur, c’est le mérite qui le distingue. Les débats récens de la chambre des communes, dont nous avons fidèlement reproduit la substance, montrent combien se trompent ceux qui imaginent que l’on est disposé à l’abroger.


V

Nous avons assisté le 6 juillet 1866 à la réunion du club d’économie politique de Londres. Il ne compte que trente-six membres, mais c’est l’élite des hommes voués à l’étude désintéressée de la science. La question posée par M. Bagehot, l’habile directeur de l’Economist, était celle de savoir s’il valait mieux confier le soin de conserver les réserves disponibles à une banque ou à plusieurs. La matière a été habilement traitée par l’éminent écrivain, mais personne ne s’est prononcé dans le sens d’une division entre plusieurs banques de l’émission des billets. Il va de soi que la société d’économie politique anglaise est unanime pour admettre le système métallique, elle est bullionist sans réserve aucune. Nous regrettons de ne pouvoir donner ici qu’un aperçu rapide d’un débat plein d’intérêt, auquel ont pris part M. Bagehot, lord Overstone, M. William Newmarch, M. Hubbard, M. le professeur Rogers, M. John Stuart Mill, et auquel nous avons été invité à nous mêler. Ce débat avait lieu en présence d’hommes tels que MM. Watkin, Blake, Hankey, le professeur Cairnes, Hare, sir Rowland Hill, Chadwick, le baron Bremwel, Merivale, Thornton, Ch. Villers, l’un des promoteurs de l’abolition de la loi des céréales, Leslie, lord Dufferin, le professeur Farren, du Board of Trade, etc. Des critiques ont été dirigées par M. Newmarch contre la séparation des deux départemens de la Banque, à laquelle il attribue en partie les brusques élévations de l’escompte ; mais personne n’a même fait allusion à une liberté de l’émission livrée à la concurrence. M. Newmarch est le premier à déclarer que l’émission dévolue à la Banque d’Angleterre ne constitue point un privilège, et que, si cette faculté était livrée à tous, aucun banquier sérieux et aucune banque solide ne voudraient s’en servir. Cela nous rejette loin des singulières imaginations de ceux qui prétendent trouver dans la liberté de l’émission, à laquelle ils donnent par erreur le nom de liberté des banques, la source du crédit. « La circulation (currency) a tourné encore plus de têtes que l’amour, » nous écrivait ces jours derniers le chancelier actuel de l’échiquier, M. Disraeli[20].

La question préalable a écarté la demande d’enquête de M. Watkin, quoique présentée à la chambre des communes sous la forme la plus modérée. C’est que de nombreuses enquêtes ont déjà eu lieu sur la question ; l’Angleterre en est saturée. Deux fois après la suspension de l’act de 1844, en 1848 et en 1858, les comités ont conclu en faveur du principe qu’il consacre, et ce principe a rencontré pendant la crise de 1866 une adhésion plus éclatante encore. Il faut bien que ceux qui espéraient le voir crouler renoncent une bonne fois à ces tristes prévisions. Les conclusions de l’enquête de 1857-1858 sont encore l’expression fidèle d’une opinion générale sur ce point fondamental. « L’objet principal de la législation est de rendre les variations de la monnaie mixte conformes à celles d’une circulation purement métallique ; personne ne peut prétendre que ce but n’ait pas été atteint[21]. » Les principes de l’act auraient été suivis quand même la loi n’en aurait pas établi l’obligation formelle, car le conseil de la Banque d’Angleterre connaît maintenant ses devoirs et s’applique à les accomplir comme le fait le conseil de la Banque de France.

L’exemple des banques d’Ecosse, si souvent et si complaisamment mis en relief, ne prouve absolument rien en faveur de l’émission libre. En premier lieu, ces banques, au lieu de compter par centaines, comme on l’a dit trop souvent, ne sont qu’au nombre de douze, et l’émission qu’elles font pour la partie non garantie par de l’or est strictement limitée. Elle ne dépasse pas 50 millions de francs[22], alors que les dépôts atteignent, assure-t-on, le chiffre colossal de 70 ou 80 millions de livres (environ 2 milliards de francs). Là est la force, là est la puissance d’action des banques d’Ecosse. Ce n’est que par un artifice de discussion qu’on pourrait attribuer au maigre chiffre de l’émission les merveilles que réalise le principe de la liberté des banques, qui opérerait aussi bien sans billets fiduciaires, et qui, par les comptes-courans, les dépôts, les viremens et les avances d’un capital réel, accomplit seul de grandes choses. Les adeptes passionnés du billet de banque se parent ici des plumes du paon. Les banques d’Écosse fonctionnent suivant la situation du marché, elles s’écartent peu du taux de l’intérêt fixé par la Banque d’Angleterre. Quand le besoin se manifeste, elles ne se font pas faute d’élever l’escompte à 10 pour 100, depuis que les entraves des lois contre l’usure sont effacées. Il n’est pas inutile de le mentionner, quand les défenseurs de la liberté d’émission établissent un parallèle entre le taux élevé de l’escompte de la Banque d’Angleterre à certaines époques et l’ancienne permanence de l’escompte à 5 pour 100, et qu’ils tâchent de tirer parti pour leur thèse de cette comparaison. Ceux qui produisent ce singulier argument n’oublient qu’une chose, c’est que jusqu’en 1833 une loi, dont aucun économiste ne saurait regretter l’abolition, défendait à la banque de prendre plus de 5 pour 100 d’intérêt.

En 1856, sir Cornwall Lewis, chancelier de l’échiquier, demanda l’opinion des banques d’Écosse sur l’act de 1845, qui avait étendu à cette contrée le principe de la limitation de l’émission consacré par l’act de 1844 en Angleterre. Les réponses se trouvent dans l’enquête de 1857. Sur les dix banques principales, cinq banques anciennes, dont le siège est à Edimbourg, se sont prononcées pour l’act ; une seule, la Banque d’Écosse, l’a regardé comme sans effet (inoperative). Cinq banques plus nouvelles, dont le siège était à Glasgow, se prononcèrent contre ; mais peu de mois plus tard on connut le mot de cette divergence d’opinion : les cinq banques anciennes résistèrent au danger ; sur les cinq nouvelles, la Western-Bank et la City of Glasgow succombèrent, les autres furent embarrassées. La protestation la plus véhémente contre l’act était celle de la Western-Bank ; elle portait la signature de mauvais augure de John Taylor, cause première de l’éclatant désastre subi bientôt après par cet établissement.

L’enquête de 1857 constate que, suivant la Banque royale d’Écosse, rien n’avait infirmé la sagesse du principe de l’act. Le directeur de la British Linen Company en déclare « toutes les prévisions judicieuses et salutaires, bien calculées pour maintenir en Écosse une quotité de numéraire en rapport avec la circulation. Aucun inconvénient n’en est résulté, ni pour la banque, ni pour le public, et l’on espère qu’on ne le modifiera pas. » La Commercial Bank of Scotland approuve la loi et déclare que celle-ci n’a besoin d’aucune révision. La National Bank of Scotland nie qu’elle ait causé aucune gêne. Le principe de la limitation se trouve approuvé par les représentans autorisés de la contrée qu’on présente toujours comme entièrement dévouée à la liberté d’émission. Les exemples anciens se réunissent aux derniers débats soulevés pendant une crise formidable pour recommander la sagesse de l’œuvre de sir Robert Peel. On ne saurait trop le répéter, l’act de 1844 n’a été pour rien dans la dernière crise ; il a au contraire servi à relever énergiquement les affaires et à ramener une situation plus régulière.

Un seul point reste à débattre : la loi ne devrait-elle pas prévoir le cas et poser les conditions d’une suspension de l’act ? En outre, une fois la suspension prononcée, la limite du minimum d’intérêt qu’elle fixe doit-elle demeurer invariable tant que l’effet de cette mesure exceptionnelle n’est pas épuisé ? Tout se borne à l’étude de ces dispositions secondaires : quant au principe de l’act, il demeure debout, au grand avantage de la sécurité commerciale, de la sincérité des transactions et de la liberté des échanges. Le temps n’est pas loin, et la dernière expérience servira à le rapprocher, où l’on ne s’étonnera plus que d’une chose, c’est qu’on ait si longtemps méconnu la nécessité d’assujettir à une limitation précise l’émission du billet faisant office de monnaie, et qu’on ait hésité à reconnaître dans l’émission elle-même un attribut de l’état. Il s’est passé quelque chose d’analogue pour le free-trade et pour les lois sur l’intérêt. Notre temps aura la gloire d’avoir résolu ces trois questions d’une si grande importance en ce qui concerne le développement de la richesse et la garantie des rapports équitables.

Nous ne saurions mieux résumer notre pensée qu’en empruntant à un partisan déterminé de la liberté dans toutes les acceptions sérieuses du mot, M. Prince-Smith, les lignes suivantes : « La convertibilité du billet est une garantie contre l’excès permanent de l’émission, contre une dépréciation extrême. Néanmoins elle n’empêche pas qu’on ne dépasse temporairement la limite des besoins sérieux de la circulation, limite dans laquelle on ne rentre qu’à travers une série de crises. Aussi une bonne organisation de la monnaie de papier exige-t-elle non-seulement l’assurance d’une prompte convertibilité, mais encore la fixation de la quotité. » Appuyée sur la base solide du système de 1844, qui ne permet de représenter en papier que la portion stable de la circulation, en exigeant que la portion variable soit en or ou en papier gagé par de l’or, la liberté des banques, pleine et entière pour tout ce qui constitue l’office de banque, fonctionne en Angleterre sur une immense échelle, sans recourir à aucune création de billet faisant office de monnaie. Sir Robert Peel a la gloire de l’avoir fondée, comme celle d’avoir établi le free-trade.


L. WOLOWSKI, de l’Institut.

  1. Voyez la Revue du 15 août 1866.
  2. Nom donné aux adeptes du système métallique.
  3. When gold and silver are gone and spent,
    There are bank-notes more excellent.
  4. Voyez la livraison du 15 août 1866.
  5. Un act analogue, rendu en 1845, applique le même principe a l’Ecosse et à l’Irlande.
  6. Ces réductions ont été motivées par une amélioration réelle et persistante ; la réserve commerciale s’était accrue de plus d’un million au 16 août ; elle touche presqu’au chiffre qu’elle avait conservé peu de temps avant la crise, quand l’escompte était à 6 pour 100, et la somme des métaux possédés par la Banque s’élevait déjà à 650,000 livres de plus. Au 23 août, une nouvelle augmentation de 897,000 livres sur la réserve commerciale et de 621,000 livres sur l’encaisse annonce le retour de temps meilleurs. On commence même à craindre une trop rapide réaction sur le taux de. l’escompte.
  7. Le chiffre des exportations était en 1844 de 59 millions de livres sterling, en 1854 de 110 millions, et en 1865 de 219 millions. Le premier semestre de cette année a présenté une augmentation notable sur celui de l’année dernière. Quant aux importations, elles ne s’élevaient pas à 80 millions en 1844, et ont été portées à 152 millions en 1854, à 271 millions en 1865. Le chiffre total du commerce extérieur, qui restait au-dessous de 140 millions en 1844, dépassera de beaucoup cette année un demi-milliard de livres, 12 milliards 1/2 de francs !
  8. « Of all contrivances for cheating mankind, none bas been more effectual, than that which deludes them with paper-money. »
  9. Maison de compensation..
  10. De l’Organisation du Crédit foncier, octobre 1848.
  11. Tooke’s History of Prices, t. III, p. 207. « The issue of paper is a branch of productive industry. It is a matter of regulation by the state. » Id. ibid. « That free trade in banking is synonymous with free trade in swindling. »
  12. Huskisson, The Question concerning the depreciation of our currency.
  13. Storch, première partie, l. VI, ch. XVI.
  14. Capital, currency and Banking.
  15. Theory and Practice of banking, t. Ier, p. 194, deuxième édition. L’auteur a complètement refondu son ouvrage ; l’expression de ses théories est devenue plus nette ; si elles ont perdu ce qu’elles avaient d’apparente audace, l’application se rapproche maintenant beaucoup plus de la réalité. Nous en félicitons M. Macleod. Personne ne défend, avec plus d’énergie la circulation métallique et ne conseille de mesurés plus sévères (notamment l’élévation rapide du taux de l’escompte) pour préserver de tout trouble la mesure commune de la valeur.
  16. Cette pensée rencontre de nombreux adhérens en Angleterre ; d’autres, comme M. Tennant dans son livre The Bank of England, proposent de concentrer dans cet établissement l’émission des billets de tout le royaume-uni.
  17. Nous l’avons fidèlement analysé dans le chapitre XXX de notre ouvrage, la Question des Banques.
  18. M. Fawcett est aveugle.
  19. L’émission des banques de province n’était plus au 23 juillet dernier que de 4,712,000 livres (au-dessous de 120 millions de francs) ; elle laissait une marge de 2,538,000 livres (plus de 63 millions de francs) à l’égard de l’émission autorisée.
  20. Le 21 août 1866. « I believe currency is a subject which has made even more people mad than love. »
  21. Rapport du comité, 66.
  22. Au 23 juillet dernier, la circulation des billets des banques d’Ecosse était de 4,363,000 livres avec un encaisse métallique de 2,413,000 livres ; la différence représente la monnaie fiduciaire, qui n’est point gagée par un encaisse correspondant, et n’offre qu’un total de 1,950,000 livres (moins de 40 millions de francs).