La Cryoscopie et ses applications chimiques

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La Cryoscopie et ses applications chimiques
Revue des Deux Mondes4e période, tome 157 (p. 906-922).
REVUE SCIENTIFIQUE

LA CRYOSCOPIE ET SES APPLICATIONS CHIMIQUES

Il ne serait pas permis de faire l’histoire des progrès des sciences physiques dans ces vingt dernières années sans réserver une place importante à la Cryoscopie et à ses applications. Les mesures cryoscopiques sont, en effet, devenues usuelles en Chimie depuis dix ans ; et, depuis trois ou quatre ans en Biologie et en Médecine. On ne peut guère ouvrir aujourd’hui un recueil consacré à l’une ou l’autre de ces sciences sans trouver de mémoire où il soit question de « cryoscoper » quelque liquide complexe, c’est-à-dire d’en fixer le point de congélation quand il passe à l’état solide, ou, inversement, le point de fusion quand il revient à l’état liquide. Les chimistes déduisent de cette mesure le poids moléculaire de certaines substances, renseignement qui leur est de la plus haute utilité ; d’autres fois elle leur fournit une indication précieuse sur le degré de pureté de tel ou tel corps. Les physiologistes appliquent les mêmes procédés à l’étude des liquides de l’organisme pour en juger le degré d’isotonie et les propriétés osmotiques, notions qui ne sont pas, non plus, sans intérêt. Quels qu’aient été, d’ailleurs, les profits réels de tout cet empressement, il faut le signaler comme une direction nouvelle de l’esprit scientifique. Il y a là un mouvement d’idées qui mérite quelque attention.

La Cryoscopie est l’étude des corps fondée sur l’observation de la température de congélation de leurs solutions. Et comme il y a bien peu de substances qui ne puissent entrer en solution dans l’eau, ou dans quelque autre liquide ; et, d’autre part, comme il n’y a pas de liquide qui ne soit susceptible de se congeler, c’est-à-dire de se solidifier si l’on abaisse convenablement sa température, il en résulte que le domaine de la Cryoscopie est très étendu. Les corps mêmes que quelque circonstance empêche de soumettre à l’observation directe n’échappent pas aux lois qu’on en a déduites. Il s’agit donc d’un ordre de faits très général.

Le mot de Cryoscopie signifie littéralement « examen de la glace ». Il a été employé pour la première fois par M. Raoult dans une communication à l’Académie des sciences, du 25 juin 1885. Ce savant n’a pas créé seulement le mot, mais la chose ; depuis vingt ans il n’a cessé d’étendre et d’approfondir ce genre d’études avec un soin, une patience, une ingéniosité et un bonheur remarquables. M. Raoult, qui est doyen de la Faculté de Grenoble, est un vivant exemple de la valeur de nos Universités provinciales ; il a montré que les découvertes et les travaux importans ne sortent pas toujours des Laboratoires parisiens. L’Académie des sciences lui a décerné les plus hautes récompenses dont elle dispose, et en particulier, en 1885, le prix biennal. Ses travaux font autorité dans tout le monde savant.

Un corps dissous dans un liquide, par exemple dans l’eau ; la solution soumise à l’action du froid et se congelant ; la détermination précise de ce point de congélation au moyen d’un thermomètre perfectionné : voilà tout l’objet de la cryoscopie — et, il semble, au premier abord, que ce soit là un objet bien particulier et bien mince. Ce serait une erreur de le croire. L’étude est. au contraire, riche en conséquences. Il se trouve que la température de congélation est liée, par un lien étroit, aux circonstances les plus cachées et les plus intimes de la constitution des corps. La simple lecture du thermomètre fournit, par voie de conséquence, les indications les plus pénétrantes sur l’état de la matière à l’état de dissolution. Elle permet de connaître le nombre des particules physiques, des molécules, qui existent dans un volume donné. En un mot, ce qui fait le prix du résultat cryoscopique, c’est qu’il renseigne sur la concentration moléculaire des corps en dissolution.


I

C’est un fait d’observation vulgaire que l’eau qui tient en dissolution des matières étrangères, des sels par exemple, se congèle plus difficilement que l’eau pure ; ou, pour parler plus exactement, elle ne se prend en glace qu’à une température plus basse. Il y a retard ou abaissement du point de congélation. Lorsque la température se refroidit, l’eau douce des lacs et des étangs se recouvre de glace, bien avant l’eau saumâtre des flaques marines. Les rivières charrient des glaçons avant qu’il ne s’en produise à la surface de la mer. Il y a plus ; ceux qui s’étaient formés dans l’eau des fleuves ne peuvent se maintenir lorsqu’ils arrivent dans l’eau marine, non pas toujours, comme on le dit, parce que celle-ci serait plus chaude ou plus agitée, mais parce qu’elle est plus salée.

De même, la sève des plantes et les liquides organiques, qui sont des solutions aqueuses de substances diverses, se conservent liquides, alors que l’eau extérieure se congèle ; c’est là une des circonstances qui permettent aux plantes de résister aux froids modérés.

Tandis que l’eau, si elle est pure, se prend en glace lorsque la colonne de mercure du thermomètre, dans sa descente, atteint le point zéro, elle reste liquide et mobile non seulement au zéro, mais au-dessous, si elle tient en dissolution quelque corps étranger. Il faut un froid plus intense, une température plus basse, par exemple — 2°, — 3°, pour que ses particules puissent s’agréger et s’immobiliser en une masse cohérente. L’influence du corps dissous consiste donc à retenir le liquide dissolvant, à l’empocher de grouper ses molécules pour passer à l’état solide.


Ces faits, vaguement constatés dès la fin du siècle dernier, ont donné lieu à des études plus précises, de la part des physiciens. Un savant anglais, Blagden, en 1788, en fit l’objet d’un examen attentif. Il reconnut que l’abaissement de la température de congélation au-dessous du 0 des thermomètres, était d’autant plus grand qu’il y avait plus de sel dans l’eau, que la solution était plus concentrée. Il établit à cet égard une règle qui est connue dans la science sous le nom de Loi de Blagden. D’après cette loi, l’abaissement de congélation est proportionnel à la concentration, c’est-à-dire au poids du sel dissous dans un même poids d’eau. Une solution de sel commun au centième, c’est-à-dire contenant 1 gramme de sel pour 99 grammes d’eau, se congèle à une température qui est d’environ un demi-degré au-dessous de zéro ; exactement à — 0°, 585. L’abaissement est 0,585. La solution à 2 p. 100 se congèle à — 1m, 170 ; l’abaissement est double du précédent. Il est triple pour la solution à 3 p. 100 ; qui se congèle à — 1°, 755 ; quadruple pour la solution à 4 p. 100 qui se prend à — 2°, 340. La proportionnalité des abaissemens de congélation aux concentrations se vérifie ici fort exactement.

Ces détails font comprendre, entre autres choses, que la formation des glaces soit la plus tardive dans celles des eaux marines dont la salinité est la plus forte. La Baltique est une mer qui se dessale de plus en plus ; son eau est presque douce : c’est aussi l’une des premières, qui soient prises par les glaces. Il suffit que, dans une crique tranquille, la température s’abaisse de 2 à 3 dixièmes au-dessous de zéro pour que la glace apparaisse. L’eau de l’océan Atlantique contient neuf à dix fois plus de sel : à l’abri de l’agitation, elle ne se prend en glace que lorsque sa température tombe à près de 2° au-dessous de zéro.


La loi de Blagden a donné lieu ù bien des discussions. Quelques physiciens ont été frappés des nombreux démentis qu’elle reçoit de l’expérience. Rüdorf, en 1864, a constaté qu’elle était décidément inexacte pour les solutions concentrées, riches en sels. Ce n’est que pour les solutions pauvres, très étendues, comme celles dont nous venons de parler, qu’il peut être question de proportionnalité entre l’abaissement cryoscopique et la conrontration. Et, même dans ce cas, des expérimentateurs rigoureux, comme M. Ponsot, n’admettent son exactitude qu’entre des limites fort restreintes. Au contraire, les théoriciens de la physico-chimie nouvelle considèrent la loi de Blagden comme fondamentale. A leurs yeux, c’est une sorte de postulat. Ils expliquent les démentis de l’expérience ; ils trouvent des causes à tous les écarts, et non pas de ces causes particulières à chaque cas qui discréditent bientôt une doctrine, mais une cause unique, générais, plausible, qui la corrobore. Cette cause, comme nous le verrons plus loin, c’est l’état de dissociation ou, tout au contraire, de condensation du corps dissous.


On s’est demandé quelle était la composition du corps solide, transparent, qui est le produit de la congélation. C’est de la glace pure.

On le sait aujourd’hui. Mais cette notion n’a pas été établie sans peine, au moins dans le cas des solutions concentrées. Un savant distingué, Dufour, croyait encore, en 1860, que le solide, qui se produisait ainsi par l’action du froid, était, comme le liquide originel, un mélange d’eau congelée et du corps inclus. Un autre physicien, Guthrie, en 1875, y voyait un composé des deux corps, un cryohydrate, c’est-à-dire une combinaison de toute la glace, avec une petite proportion du sel. C’est là une erreur. L’eau se sépare, pure, à l’état de cristaux qui s’enchevêtrent en un bloc compact. Si l’analyse chimique y retrouve de petites proportions de sel, c’est que les cristaux de glace ont emprisonné un peu de la solution entre leurs lamelles.

Il n’y a qu’un seul cas où le sel se dépose en même temps que les cristaux de glace ; c’est lorsque la solution est saturée : que cette saturation, d’ailleurs, existe dès le début, ou quelle survienne par suite de la soustraction progressive de l’eau congelée. Une solution, même étendue, se concentre, en effet, par suite des progrès de la congélation, et arrive à être chargée à relus. Quand on refroidit une solution de ce genre, l’eau ne peut se séparer et se solidifier sans qu’une partie correspondante du corps dissous se solidifie également. La proportion des deux corps dans le mélange solide reste alors la même que dans la solution ; la concentration se conserve invariable jusqu’à solidification complète. La température se maintient constante pendant toute la durée de l’opération : on l’appelle point cryohydratique.

Il est clair, d’après cela, que l’on s’exprime incorrectement quand on parle de la congélation d’une solution. Ce n’est pas la solution qui se congèle ; c’est l’eau.


II

Blagden avait découvert, au cours de ses expériences, un phénomène très intéressant en lui-même, et qui joue un rôle dans les mesures cryoscopiques, c’est celui de la surfusion de l’eau et des moyens de la faire cesser.

Le point de congélation de l’eau pure est plus facile à définir que celui des solutions. Sa détermination n’est autre chose que celle du zéro de l’échelle thermométrique. Ce point est, à la fois, la température de fusion de la glace que l’on chauffe et la température de solidification de l’eau qu’on refroidit.

La congélation de l’eau pure est un phénomène plus ou moins brus que ; il n’est jamais instantané. Il a une certaine durée, pendant laquelle il existe donc un mélange d’une partie liquide, qui va en diminuant, et d’une partie solide, qui va en augmentant. Il en est de même pour le phénomène inverse de la fusion de la glace ; seulement, dans ce cas, c’est le liquide qui augmente et le solide qui diminue. Le mélange, pendant tout le temps qu’il subsiste, conserve, d’après une loi physique bien connue, une température permanente, invariable et fixe, dont la fixité même a été utilisée pour définir le zéro du thermomètre.

La loi de la fixité du point commun de fusion et de solidification exprime qu’il n’y a d’équilibre stable pour l’eau solide qu’au-dessous du zéro, et pour l’eau liquide qu’au-dessus de ce point. Mais, précisément, le physicien allemand Fahrenheit, avant Blagden, avait fait connaître une sorte d’exception à cette règle : c’est, à savoir, la surfusion. L’eau peut, dans certaines conditions, rester liquide au-dessous du zéro, jusqu’à — 12° et même jusqu’à — 20°. Mais c’est là un état instable, qui cesse brusquement, — non pas instantanément, comme on le dit à tort, — sous les plus faibles influences. L’une des plus remarquables c’est l’action d’un morceau de glace. La plus petite parcelle de glace, introduite dans l’eau en surfusion, devient le point de départ d’une solidification qui gagne rapidement de proche en pioche. C’est là ce que vit Blagden.

On applique cette notion aux mesures cryoscopiques, en projetant quelques cristaux de glace dans la solution dont on veut déterminer le point de congélation, afin de l’empêcher de descendre au-dessous de ce point.


La loi classique de la permanence de la température pendant toute la durée de la solidification, valable pour l’eau pure, n’est pas vraie pour les solutions. M. Raoult a fait remarquer qu’elle ne s’applique, d’une façon générale, qu’aux corps simples et aux composés définis parfaitement purs. Elle est un signe de la pureté des corps. Elle n’a donc rien à faire avec les dissolutions qui sont, en définitive, des mélanges de substances diverses, et, par conséquent, des corps impurs. Pendant la durée de la solidification, la température de la solution ne reste point fixe ; elle varie et s’abaisse continuellement. Et ceci se comprend. A mesure que de nouvelles quantités d’eau se séparent, à l’état de glace, du corps en solution, la liqueur restante se concentre. On se trouve réellement en présence d’une série de solutions de plus en plus concentrées, dont, par suite, les points de congélation deviennent de plus en plus bas. Il n’y a de fixe que la température à laquelle commence la congélation et la température à laquelle elle finit. Cette dernière est ce que nous avons appelé le point cryohydratique ; la première, c’est-à-dire la température du début de la congélation, — toutes précautions étant prises contre la surfusion, — fournit le point de congélation.

Il y a une autre manière — et meilleure — de définir ce point et de le déterminer. Quand il s’agit de l’eau pure on peut obtenir le point de congélation, soit en plongeant l’instrument dans de la glace que l’on fait fondre en la réchauffant, soit dans de l’eau que l’on fait geler en la refroidissant. En réalité le point commun de congélation et de fusion, correspond au moment où la glace ne gèle point l’eau et où l’eau ne fond pas la glace. Ces deux corps sont dans une situation d’équilibre, l’un par rapport à l’autre.

Il y a un équilibre analogue en ce qui concerne les solutions. Si l’on dépose un bloc de glace à la surface d’une solution refroidie qui n’est pas encore descendue tout à fait jusqu’à son point de congélation on voit la glace disparaître, bien que la température du liquide soit inférieure à zéro. Elle se liquéfie comme elle ferait dans de l’eau au-dessus de zéro. On dit qu’elle fond : il serait plus exact de dire qu’elle se dissout. C’est le phénomène qui peut s’observer dans la nature lorsque des glaçons amenés par les rivières viennent fondre dans l’eau de la mer, liquide encore, quoique refroidie un peu au-dessous de zéro.

Si, au contraire, l’on dépose des cristaux de glace dans une solution abaissée au-dessous de son point de congélation, mais qui ne s’est point prise cependant en blocs solides, — qui est, ainsi qu’on le dit, en état de surfusion, — on met fin à cet état et on voit se produire en abondance des cristaux de glace dans toute la liqueur.

Ainsi, le même morceau de glace, ajouté à la solution, pourra avoir des fortunes contraires selon que celle-ci aura une température supérieure ou inférieure au point cryoscopique. Il sera fondu par la liqueur, plus ou moins vite si celle-ci est plus ou moins haut en amont de son point de congélation ; la solution sera congelée par lui, si elle est en aval de ce point. Du moment que la glace fond avec une certaine vitesse, c’est que la température est supérieure au point cryoscopique ; du moment, au contraire, qu’elle se forme avec une certaine vitesse c’est que la température est inférieure au point cryoscopique. On conçoit qu’il n’y aura pas de changement dans un sens ni dans l’autre lorsqu’elle sera exactement à ce point. De là découle la véritable définition du point de congélation : c’est la température à laquelle la solution est en équilibre avec la glace.


Quant à la détermination exacte de ce moment, c’est une opération très délicate lorsqu’on veut l’exécuter avec une grande précision ; lorsque, par exemple, l’on prétend répondre, comme M. Raoult. du quatre millième ou même du millième de degré. Cette précision est nécessaire. Les températures de congélation sont, en effet, très voisines les unes des autres, au moins lorsqu’il s’agit des solutions salines étendues : elles sont alors comprises généralement entre 0° et 3° au-dessous de zéro. Des variations assez considérables de concentration ne peuvent, par suite, se traduire que par des différences cryoscopiques assez faibles. Il faut donc compenser par la sûreté et la sensibilité des mesures, la faiblesse des écarts et, par suite, la possibilité des erreurs. C’est à un défaut de sensibilité des mesures que les contradicteurs des théories nouvelles attribuent l’apparente proportionnalité entre les abaissemens de congélation et les concentrations, c’est-à-dire la loi de Blagden.

Les expérimentateurs se sont appliqués, surtout en ces dernières années, à perfectionner les appareils cryoscopiques et à approfondir les plus petites circonstances qui peuvent influer sur le phénomène. Un physicien soigneux et perspicace, M. Ponsot, s’est distingué, à côté de M. Raoult et quelquefois contre lui, dans la discussion des conditions expérimentales et dans la réalisation des perfectionnemens de la méthode et des appareils.


III

Dans le rapport que M. Debray lisait à l’Académie) des sciences le 15 octobre 1883, l’éminent chimiste, après avoir rendu compte des travaux de Blagden, de Rudorf et de M. de Coppet, s’exprimait ainsi : « On voit que le phénomène du retard à la congélation a déjà donné lieu à des recherches importantes, mais trop particulières, cependant, pour conduire à une loi générale. L’eau a été jusqu’ici le seul dissolvant étudié, et aucune expérience suivie n’a été tentée sur le groupe considérable des matières organiques ; les matières salines seules ont été examinées au point de vue qui nous occupe. Le savant professeur de chimie de la Faculté de Grenoble, M. Raoult, a entrepris de combler, dans la mesure du possible, une lacune aussi considérable. »

C’est, en effet, seulement de l’eau, comme dissolvant, et des sels, comme corps dissous, que s’étaient préoccupés les prédécesseurs de M. Raoult ; Blagden, Despretz, Dufour, Rüdorf et de Coppet. Il y avait là une lacune ; il y avait, aussi, mauvais choix. L’eau est, en effet, contre-indiquée parce qu’elle contracte très facilement des combinaisons avec les sels. Il se forme, surtout quand la solution se concentre, des produits intermédiaires, des hydrates qui se comportent comme de nouveaux corps, différens du corps originel et rendant très difficile l’évaluation quantitative, soit pondérale, soit moléculaire du corps dissous. D’autre part, dans le cas de solutions aqueuses étendues, les sels subissent une dissociation poussée plus ou moins loin. L’inconvénient est le même quoique la cause soit contraire, cette fois ; on obtient encore des résultats aberrans.

Ces causes d’erreur n’existent pas, en général, avec les autres dis-sol vans. Elles sont à peu près écartées aussi avec l’eau, à la condition d’y dissoudre les corps organiques. C’est ce que fit M. Raoult. Il examina ces solutions négligées. Il employa aussi comme dissolvans, outre l’eau, les acides formique et acétique, le bromure d’éthylène, la benzine, la nitro-benzine, le phénol, le thymol, la naphtaline ; et comme corps dissous, plus de 200 substances diverses.

Une étude aussi étendue a permis des conclusions très générales. La première de ces conclusions ou de ces lois, c’est que l’abaissement du point de congélation est un fait universel. Il s’observe même lorsqu’on emploie comme dissolvant des corps en fusion ; par exemple du nitrate de potasse, dans lequel on dissout du nitrate de soude, ou inversement — du plomb fondu où l’on fait dissoudre de petites quantités de zinc, d’étain, d’antimoine, de cuivre ou d’argent, — de l’étain fondu, où l’on dissout un métal quelconque. Dans tous ces cas, l’addition du corps capable de se dissoudre a pour effet d’abaisser le point de solidification du dissolvant.

La partie qui se solidifie en premier lieu n’est pas un mélange des corps présens dans la solution ; c’est le dissolvant pur et seul. De là, un procédé de purification, maintenant bien connu des chimistes sous le nom de Méthode de la congélation fractionnée. Elle consiste à soumettre à un refroidissement lent et méthodique le produit impur qui tient en solution des corps étrangers, et à en faire sortir par congélation le dissolvant. C’est ainsi que l’on peut se procurer l’acide acétique chimiquement pur ou acide acétique glacial : on obtient de même la benzine à l’étal de pureté.


IV

On a dit, au début de cet article, que le grand intérêt de la cryoscopie lui venait des renseignemens qu’elle fournit sur l’état moléculaire des corps dissous.

Il y a, en Physique, d’autres phénomènes encore qui fournissent des renseignemens du même ordre ; il y a d’autres propriétés qui sont liées au nombre des molécules dispersées dans un certain espace.

On leur donne le nom de propriétés additives ou colligatives. Elles n’ont aucun caractère spécifique ; elles ne dépendent en aucune façon de l’espèce particulière du corps qui les manifeste. A la vérité, les phénomènes physiques en général semblent être dans le même cas. Mais, il y a ici quelque chose de plus. Les phénomènes colligatifs sont indépendans de la nature du corps où ils apparaissent, non seulement quant à leur nature, mais encore quant à leur grandeur. Ils n’ont de sujétion à aucun des paramètres physiques qui règlent la grandeur des autres phénomènes ; tels que poids spécifique, densité, coefficient de dilatation, chaleur spécifique, etc. ; ils n’ont de sujétion qu’au nombre des particules physiques, que le corps présente dans un espace donné C’est le cas pour les propriétés générales des gaz, et par exemple pour la pression gazeuse. La physique étudie les propriétés des gaz sans prononcer leurs noms particuliers. Qu’il s’agisse d’oxygène, d’hydrogène, d’azote, d’acide carbonique, etc., le même nombre de molécules dans le même espace produira la même pression ; la réduction du volume dans la même proportion augmentera dans la même proportion aussi la valeur de cette pression. La pression gazeuse est une propriété additive : c’est une somme d’effets où chaque particule a la même part, quelle que soit sa nature, et dans la grandeur de laquelle leur nombre seul intervient. Tel est au moins le sens du principe d’Avogadro, en ce qui concerne les gaz : tout y dépend de la concentration moléculaire.

Les corps dissous sont dans le même cas. Presque toutes leurs propriétés dépendent de la concentration moléculaire ; — non seulement leur pression qui est, ici, la pression osmotique — mais le point de congélation de leurs solutions, leur point d’ébullition, leur tension de vapeur, leur pouvoir de conduire l’électricité, le degré de solubilité qu’elles déterminent chez divers corps. Ce sont là autant de propriétés colligatives. L’une quelconque d’entre elles est une somme d’effets où chaque molécule, quelle qu’elle soit, participe également, et dont la valeur, en conséquence, ne dépend que du nombre des participans. Telle est, au moins, la conclusion philosophique des études qui ont été poursuivies, depuis quinze ans, par les physiciens-chimistes. Nous avons dit la grande part qui revient à M. Raoult dans la conquête de ces résultats.


Il va de soi qu’un principe si général, qui attribue tant de vertu à un simple nombre (de molécules), qui en fait découler tant de phénomènes et sortir tant de mesures précises n’a pu être d’un établissement facile. Les difficultés, les apparentes contradictions se sont présentées maintes fois. Les objections et les contestations se sont attaquées à chaque assertion. Des expérimentateurs extrêmement soupçonneux, des logiciens rigoureux comme M. Ponsot, insensibles à la séduction exercée par la belle simplicité de cette doctrine lui disputent pied à pied le terrain. Et, puisque le principe même d’Avogadro, fondement de la chimie moderne, et le principe de l’attraction universelle, fondement de la mécanique céleste, sont soigneusement rabaissés, par les esprits exacts, à la condition d’une hypothèse ou d’un postulat, on ne s’étonnera pas qu’il en soit de même pour la doctrine qui rattache la plupart des propriétés des solutions au nombre des particules physiques.

Acceptons-la donc, tout au moins, comme une vérité provisoire, ou comme une première approximation. Elle nous permettra de comprendre l’intérêt qui s’attache à la Cryoscopie. L’abaissement du point de congélation d’une solution, la pression osmotique, la dépression de vapeur, l’abaissement du point d’ébullition, la conductibilité électrique, la diminution de solubilité, sont alors, à nos yeux, des grandeurs de diverses sortes qui se déduisent toutes de la concentration moléculaire — et inversement la concentration moléculaire peut se déduire de chacune d’elles. Il en résulte, évidemment, qu’elles peuvent se déduire les unes des autres.

Et, en fait, il en est ainsi, dans la pratique. Par exemple, si un physicien veut connaître la pression osmotique d’une solution, il ne s’astreint pas à la mesurer directement en plaçant la liqueur dans un osmomètre ; ce serait là une opération beaucoup trop pénible. Puisque l’on peut déduire la pression de l’une quelconque des autres mesures, le physicien choisira la plus simple, la plus commode, la plus facile à exécuter ; et c’est précisément la mesure cryoscopique. On voit par-là le développement que prend la cryoscopie, puisqu’en physique même, — indépendamment de ses applications, — elle alimente, par ses opérations, tant d’autres chapitres voisins. En fin de compte, l’intérêt de toutes ces études vient toujours, directement ou indirectement, de leur dépendance étroite avec le nombre moléculaire. C’est donc cette dépendance qu’il a fallu établir tout d’abord. C’est le premier résultat à obtenir ; c’est le plus essentiel ; on pourrait dire que c’est le seul.


V

Le problème consiste à mesurer, au moyen d’un thermomètre sensible, la température de congélation de diverses solutions, de concentrations différentes, et de comparer les valeurs ainsi obtenues aux nombres de molécules dissoutes. La première partie est très simple, en principe ; elle n’offre que des difficultés expérimentales dont d’habiles physiciens peuvent venir à bout plus ou moins heureusement.

La véritable difficulté commence lorsqu’il s’agit d’apprécier le nombre des molécules. Comment faut-il comprendre les molécules ? Comment faut-il entendre leur nombre pour s’assurer que l’abaissement du peint de congélation est proportionnel à ce nombre ? Et comment connaître ce nombre ?

On a commencé par prendre le mot de molécule dans l’acception ordinaire que lui donnent les chimistes. Ceux-ci, en effet, distinguent les dernières particules chimiques des corps ou atomes et les dernières particules physiques ou molécules. L’atome d’un corps est la plus petite portion de ce corps qui puisse exister dans les combinaisons ; les énergies chimiques sont inhérentes à l’atome ; les forces chimiques s’exercent entre atomes ; le caractère de ces forces est de n’agir qu’aux plus courtes distances.

La molécule d’un corps est la plus petite partie de ce corps qui puisse exister à l’état libre, isolé, avec les caractères et les propriétés physiques du corps. Les atomes, eux, n’existent que liés, accrochés les uns aux autres : ils satisfont leurs attractions réciproques, en se combinant ; ils ne se rencontrent jamais, dans le monde physique, à l’état nu. Par exemple, nous ne connaissons l’hydrogène qu’à l’état de molécules formées de deux atomes unis entre eux H2 ; nous ne rencontrons, de même, le chlore que sous la forme Cl2 et ainsi des autres corps simples. Leurs atomes existent à l’état de couples, de triades, etc., jamais à l’état isolé.

Il n’y a d’exception probable à cette règle que pour les atomes du cadmium et du mercure, qui participeraient donc à la fois des propriétés des atomes el de celles des molécules. Il y a une seconde exception, mais, celle-là, hypothétique, c’est celle des ions qui proviennent de la dissociation électrolytique des molécules ; mais encore faut-il remarquer que ces atomes, chargés d’électricité, ne sont pas entièrement libres.

L’existence à l’état isolé est donc bien véritablement le trait caractéristique de la molécule. Il n’est pas le seul. Les molécules sont des groupemens d’atomes réunis chimiquement à des atomes de même nature (corps simples) ou à des atomes différens (corps composés). Les diverses énergies physiques sont attachées aux molécules ; les forces physiques s’exercent entre molécules, comme les forces chimiques s’exercent entre atomes : le caractère de ces forces est d’avoir un rayon d’action beaucoup plus grand que les dernières.

En appliquant des procédés et des considérations que nous n’avons pas à rappeler ici, la chimie détermine les poids atomiques et les poids moléculaires. Naturellement, on ne connaît pas en grammes ou fractions de gramme le poids absolu de ces particules dernières, atome et molécule, pas plus qu’on ne connaît en centimètres cubes ou fractions de centimètre cube leur volume absolu. Mais la chimie fait connaître leurs valeurs relatives.

Des expériences très délicates interprétées à la lumière des théories de l’optique physique, de la capillarité, de la conduction électrique. etc., ont amené les physiciens à se faire quelque idée de l’ordre de grandeur des molécules et atomes. En prenant pour unité de longueur le micro-micron, c’est-à-dire le millionième de millimètre, le diamètre de ces particules s’exprimerait par un certain nombre de millièmes de cette unité. Quant à la distance d’action des forces d’attraction qui en émanent, et que l’on nomme rayon d’action moléculaire ; il est d’environ 25 micro-microns. Au-delà, les forces moléculaires perdent toute influence.

Ce sont donc seulement des valeurs relatives que la chimie fournit pour les poids des molécules et des atomes. Les formules chimiques des corps sont précisément choisies de manière qu’elles expriment, pour chacun, un poids qui, s’il n’est pas celui même de la molécule, lui est proportionnel. Les poids moléculaires des différens composés contiennent le même nombre de fois le poids de la véritable molécule, et par conséquent le même nombre de molécules : ils sont équimoléculaires. Pour parler autrement, les poids moléculaires, donnés par les formules, correspondent, pour tous les corps, au même nombre de molécules. Le nombre des molécules dissoutes dans telle ou telle solution nous est immédiatement fourni par la fraction du poids moléculaire qu’elle contient.


Pour en revenir à notre objet, qui est la confrontation de la mesure cryoscopique avec le nombre des molécules existant dans la solution, l’opération est maintenant facile. On prépare, par exemple, une série de huit vases identiques. Dans le premier on met 1 gramme de sucre de cannes ; dans le second 1 gramme d’acide citrique ; dans le troisième, 1 gramme de glucose, et dans les suivans le même poids d’acide tartrique, d’acide malique, de glycérine, d’acide oxalique et enfin d’alcool. On ajoute de l’eau de manière à amener le volume de chaque solution à 100 centimètres cubes. On détermine le point de congélation de ces solutions : il est partout inférieur à zéro. On trouve que dans le vase qui contient le sucre de cannes, la température de formation de la glace est — 0°, 054 ; l’abaissement par rapport à l’eau pure est donc 0°, 054 : il est de 0°, 096 pour l’acide citrique ; 0°, 102 pour la solution tartrique ; 0°, 138 pour la solution malique ; 0°, 291 pour la glycérine ; 0°, 205 pour l’acide oxalique ; 0°, 402 pour l’alcool.

Ce sont là les abaissemens du point décongélation pour 1 gramme de substance dissoute : ces nombres sont nommés les coefficiens d’abaissement des diverses substances considérées. Ce sont des nombres très différens, sans signification appréciable.

M. de Coppet, en 1872, eut l’idée de se demander ce que seraient ces abaissemens, non plus pour 1 gramme des corps qu’il considérait, mais, en ce qui concerne chacun d’eux, pour le nombre de grammes que représente son poids moléculaire. M. Raoult, plus tard, s’est posé la même question à propos des substances dont nous venons de donner la liste. La réponse est facile. La loi de Blagden, supposée exacte, enseigne que l’abaissement est proportionnel au poids. L’abaissement qui était de 0°,54 pour une dissolution contenant 1 gramme de sucre de cannes dans 100 centimètres cubes d’eau, sera pour 342 grammes (qui est le poids moléculaire de ce corps) 342 fois plus grand, c’est-à-dire 342 X 0°,054 ou 18°,5. C’est là ce que l’on nomme l’abaissement moléculaire.

Or, — et c’est ici le fait remarquable, — si l’on fait le même calcul pour toutes les autres substances de la liste, on tombe toujours sur le même chiffre 18°, 5[1].

Cette coïncidence ne saurait être fortuite, puisqu’elle se répète chaque fois invariablement. Elle a au contraire une signification très profonde. L’abaissement moléculaire est constant ; c’est dire qu’est constant, quel que soit le corps considéré, l’abaissement de congélation produit par le même nombre de molécules, puisque les poids moléculaires des divers composés répondent sinon à une molécule, au moins à des nombres égaux de molécules. Chaque molécule d’un corps, quel qu’il soit, abaisse d’une manière identique le point de congélation. Une molécule quelconque équivaut à une autre molécule quelconque. L’abaissement ne dépend que du nombre des molécules. C’est la loi générale que nous avions annoncée.

Cette relation, d’une simplicité schématique, répond-elle à la réalité expérimentale ? Oui et non. Oui, si l’on considère les corps de la chimie organique, catégorie nombreuse. Pour tous ces corps, quelles que soient leur solubilité, leur fonction chimique et leur constitution, leur nature propre en un mot, la molécule, — par un mécanisme d’ailleurs entièrement inconnu, — abaisse de la même quantité le point de congélation de la solution[2].

Non, pour les corps de la chimie minérale, catégorie non moins immense, et pour les sels minéraux en particulier. Les abaissemens moléculaires varient et semblent échapper à toute discipline. Il faut distinguer entre les solutions étendues et les solutions concentrées et écarter ces dernières, si l’on veut apercevoir un commencement de régularité. On voit alors que pour les sels de même constitution, les abaissemens moléculaires sont sensiblement égaux. M. Raoult, après M. de Coppet, a divisé, d’après cela, les sels en un certain nombre de groupes à l’intérieur desquels la discipline égalitaire est observée par les molécules. Chacune a le même pouvoir d’abaissement cryoscopique[3]. Mais, d’un groupe à l’autre, il n’y a plus d’équivalence.

Si l’on fait un dernier pas, si l’on distingue enfin les solutions excessivement étendues de celles qui le sont modérément ; si, en un mot, l’on passe à la limite de dilution, les règles particulières font place à une règle unique ; la loi de l’équivalence moléculaire reparaît dans toute sa simplicité et sa généralité. À une condition toutefois : c’est de donner au mot de molécule un sens convenable, celui de particule physique ultime, puisque nous ne doutons pas que l’abaissement du point de congélation ne soit un phénomène physique.

Or, ce n’est point là ce que nous faisons ordinairement. Nous prenons la notion de molécule des mains des chimistes qui nous en donnent le poids relatif au moment où elle entre en combinaison ou bien où elle en sort. Cette molécule, caractérisée chimiquement, n’est pas nécessairement la seule qui existe dans les solutions. Les Physiciens nous obligent à croire que, dans les solutions conductrices de l’électricité, elle peut être divisée en particules plus petites, les ions. Le pouvoir d’agir sur le point de congélation pourra donc appartenir à ces ions comme aux molécules entières. Disons qu’elle leur appartient, en effet ; c’est en cela que consiste l’hypothèse célèbre d’Arrhénius : « Les ions équivalent physiquement aux molécules ; les solutions concentrées sont partiellement et les solutions très étendues complètement décomposées en ions. » Il en résulte que l’abaissement moléculaire, en fait, doit correspondre, pour les solutions très diluées, au nombre des ions.

En est-il réellement ainsi ? la concordance existe-t-elle ? L’école physico-chimique, très nombreuse en Allemagne, affirme que l’accord est satisfaisant. La plupart des physiciens français le trouvent insuffisant. La question qui s’agite est minime, en apparence ; elle est de premier ordre, en réalité. Si nous voulons la rétrécir, présentons-la ainsi : Une solution contenant 58gr, 5 de sel ordinaire dans un mètre cube d’eau (considérée par les physico-chimistes comme complètement dissociée) doit avoir un abaissement moléculaire égal, non pas au chiffre normal 18, 5 mais au double, 37, puisque chaque molécule primitive est remplacée par ses deux ions. Or les déterminations expérimentales donnent, au lieu de 37, — les chiffres réels varient, — de 38 (Arrhénius) à 34, 30 (Raoult et Ponsot).

Les uns disent : il y a accord. Les autres : il y a contradiction. La même situation se reproduit à propos des mesures osmotiques, tonométriques, électriques. De là deux interprétations contraires. L’une condamne l’hypothèse d’Arrhénius, le rôle général attribué aux molécules indépendamment de leur nature propre, et la réalité même des propriétés colligatives. Tout cet édifice théorique est, aux yeux de ces juges difficiles, une pure fantasmagorie. L’autre opinion, au contraire, voit dans ces concordances approximatives la légitimation d’une des doctrines les plus ingénieuses et les plus fécondes qui aient paru depuis longtemps dans la science.

La vérité est certainement de ce côté. Les discordances n’effacent point des coïncidences précises et nombreuses. Ces coïncidences ne sauraient être sans raison ; au contraire, il n’y en a que trop aux divergences. Les particules dissoutes ne sont pas nécessairement les molécules des chimistes : elles peuvent résulter du fractionnement de celles-ci ou de leur agrégation entre elles et avec le liquide dissolvant. C’est à ces particules physiques, associées ou dissociées, — que M. Raoult nomme des monades, que Naegeli appelait des micelles, et Pfeffer des tagmas, — qu’appartiendraient véritablement les influences cryoscopique. osmotique, et autres : c’est-à-dire les propriétés colligatives. La variété de ces arrangemens et les limites inévitables à cette variété rendraient compte, à la fois, de la concordance générale des mesures et de leurs divergences de détail.


VI

Quant aux applications chimiques de ces études, nous les avons signalées au cours de cet exposé. La plus importante est relative à la mesure des poids moléculaires. Étant donnée une solution d’un corps, contenant 1 gramme pour 100 grammes d’eau, si l’on mesure sa température de congélation au-dessous du zéro, ce nombre multiplié par le poids moléculaire doit donner la constante 18,5 : divisé par 18,5 il donnera donc le poids moléculaire. En employant un autre dissolvant, la constante change de valeur. Au bleu de 18,5 elle est 39 pour l’acide acétique, 49 pour la benzine, 74 pour le phénol.

Inversement, si le poids moléculaire du corps dissous est connu, la relation précédente permet de déterminer la composition de la solution. La cryoscopie devient un moyen d’analyse chimique.

Nous avons vu qu’elle fournissait, sous le nom de méthode de la congélation fractionnée, un procédé de purification des corps.

Le fait que la solidification produite par le froid porte sur l’eau pure a été utilisé, dans les pays du Nord, pour séparer de l’eau de mer le sel qu’elle tient en solution. Si l’on refroidit cette eau, il se forme à la surface du vase une gaine de glace transparente, tandis que le sel se réfugie et se concentre à l’intérieur. La concentration et le dépôt qui, dans les pays méridionaux, s’obtiennent par la chaleur, sont ici réalisés par le froid. On peut concentrer de la même manière les eaux-de-vie.


A. DASTRE

  1. Les poids moléculaires sont, en effet, 342 pour le sucre de cannes, 192 pour l’acide citrique, 180 pour le glucose, 150 pour l’acide tartrique, 134 pour l’acide malique. 92 pour la glycérine, 90 pour l’acide oxalique, 46 pour l’alcool. Les produits de ces nombres par les abaissemens respectifs, 0,054 : 0,096 ; 0,102 ; 0,123 ; 0,138 ; 0,205 ; 0,205 ; 0,402, — donnent invariablement 18,5
  2. Les expériences ont porté sur un très grand nombre de ces substances : sucres, éthers, bases faibles, acides de la série grasse, alcools polyatomiques, glycérine, urée, etc. Avant d’admettre que l’abaissement moléculaire est le même (18,5) pour les solutions de tous les corps, il faut mettre hors de doute qu’il est le même pour les solutions de chacun d’entre eux, à quelque concentration qu’elles soient faites. Or, pour le sucre, les déterminations les plus récentes et les plus soignées donnent, pour des solutions au-dessous du millième, le chiffre 18,70, bien voisin de celui des solutions plus concentrées. Mais, d’autre part, il y a des cas plus ou moins exceptionnels, où les écarts sont assez considérables et pour lesquels, par conséquent, il ne semble pas permis de dire que l’abaissement moléculaire est indépendant de la concentration. Cela a lieu pour l’acide oxalique, par exemple. Pour quelques physiciens, cette prétendue exception serait une règle. Ils considèrent que l’abaissement moléculaire varie avec la concentration et qu’il n’est point permis d’en parler sans définir à quelle concentration il correspond. C’est là un exemple des discussions dont nous avons parlé plus haut.
  3. Ici, il ne s’agit véritablement que de résultats empiriques et d’une approximation grossière, vérifiés seulement à 1/15, à 1/10 ou même à 1/7 près. Les biologistes qui en font une application fréquente ne doivent pas ignorer que cette règle des coefficiens cryoscopiques, comme la règle des coefficiens isotoniques de de Vries, n’offrent pas le caractère de lois rigoureuses.