La Double Inconstance/Acte III

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Théâtre, volume I, Texte établi par Émile Faguet, Nelson (p. 225-256).
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ACTE TROISIÈME



Scène première

LE PRINCE, FLAMINIA.
Flaminia.

Oui, seigneur, vous avez fort bien fait de ne pas vous découvrir tantôt, malgré tout ce que Silvia vous a dit de tendre. Ce retardement ne gâte rien et lui laisse le temps de se confirmer dans le penchant qu’elle a pour vous. Grâces au ciel, vous voilà presque arrivé où vous le souhaitiez.

Le Prince.

Ah ! Flaminia, qu’elle est aimable !

Flaminia.

Elle l’est infiniment.

Le Prince.

Je ne connais rien comme elle parmi les gens du monde. Quand une maîtresse, à force d’amour, nous dit clairement : « Je vous aime », cela fait assurément un grand plaisir. Eh bien, Flaminia, ce plaisir-là, imaginez-vous qu’il n’est que fadeur, qu’il n’est qu’ennui, en comparaison du plaisir que m’ont donné les discours de Silvia, qui ne m’a pourtant point dit : « Je vous aime. »

Flaminia.

Mais, seigneur, oserais-je vous prier de m’en répéter quelque chose ?

Le Prince.

Cela est impossible ; je suis ravi, je suis enchanté ; je ne peux pas vous répéter cela autrement.

Flaminia.

Je présume beaucoup du rapport singulier que vous m’en faites.

Le Prince.

Si vous saviez combien, dit-elle, elle est affligée de ne pouvoir m’aimer, parce que cela me rend malheureux et qu’elle doit être fidèle à Arlequin !… J’ai vu le moment où elle allait me dire : « Ne m’aimez plus, je vous prie, parce que vous seriez cause que je vous aimerais aussi. »

Flaminia.

Bon ! cela vaut mieux qu’un aveu.

Le Prince.

Non, je le dis encore, il n’y a que l’amour de Silvia qui soit véritablement de l’amour. Les autres femmes qui aiment ont l’esprit cultivé ; elles ont une certaine éducation, un certain usage ; et tout cela chez elles falsifie la nature. Ici c’est le cœur tout pur qui me parle ; comme ses sentiments viennent, il me les montre ; sa naïveté en fait tout l’art, et sa pudeur toute la décence. Vous m’avouerez que tout cela est charmant. Tout ce qui la retient à présent, c’est qu’elle se fait un scrupule de m’aimer sans l’aveu d’Arlequin ? Ainsi, Flaminia, hâtez-vous. Sera-t-il bientôt gagné, Arlequin ? Vous savez que je ne dois ni ne veux le traiter avec violence. Que dit-il ?

Flaminia.

À vous dire le vrai, seigneur, je le crois tout à fait amoureux de moi ; mais il n’en sait rien. Comme il ne m’appelle encore que sa chère amie, il vit sur la bonne foi de ce nom qu’il me donne, et prend toujours de l’amour à bon compte.

Le Prince.

Fort bien.

Flaminia.

Oh ! dans la première conversation, je l’instruirai de l’état de ses petites affaires avec moi ; et ce penchant qui est incognito chez lui et que je lui ferai sentir par un autre stratagème, la douceur avec laquelle vous lui parlerez, comme nous en sommes convenus, tout cela, je pense, va nous tirer d’inquiétude, et terminer mes travaux, dont je sortirai, seigneur, victorieuse et vaincue.

Le Prince.

Comment donc ?

Flaminia.

C’est une petite bagatelle qui ne mérite pas de vous être dite ; c’est que j’ai pris du goût pour Arlequin, seulement pour me désennuyer dans le cours de notre intrigue. Mais retirons-nous, et rejoignez Silvia ; il ne faut pas qu’Arlequin vous voie encore, et je le vois qui vient.



Scène II

TRIVELIN, ARLEQUIN.
Trivelin, après quelque temps.

Eh bien, que voulez-vous que je fasse de l’écritoire et du papier que vous m’avez fait prendre ?

Arlequin.

Donnez-vous patience, mon domestique.

Trivelin.

Tant qu’il vous plaira.

Arlequin.

Dites-moi, qui est-ce qui me nourrit ici ?

Trivelin.

C’est le prince.

Arlequin.

Par la sambille ! la bonne chère que je fais me donne des scrupules.

Trivelin.

D’où vient donc ?

Arlequin.

Mardi ! j’ai peur d’être en pension sans le savoir.

Trivelin.

Ah ! ah ! ah ! ah !

Arlequin.

De quoi riez-vous, grand benêt ?

Trivelin.

Je ris de votre idée, qui est plaisante. Allez, allez, seigneur Arlequin, mangez en toute sûreté de conscience et buvez de même.

Arlequin.

Dame, je prends mes repas dans la bonne foi ; il me serait bien rude de me voir un jour apporter le mémoire de ma dépense ; mais je vous crois. Dites-moi, à présent, comment s’appelle celui qui rend compte au prince de ses affaires ?

Trivelin.

Son secrétaire d’État, voulez-vous dire ?

Arlequin.

Oui ; j’ai dessein de lui faire un écrit pour le prier d’avertir le prince que je m’ennuie, et lui demander quand il veut finir avec nous ; car mon père est tout seul.

Trivelin.

Eh bien ?

Arlequin.

Si on veut me garder, il faut lui envoyer une carriole, afin qu’il vienne.

Trivelin.

Vous n’avez qu’à parler, la carriole partira sur-le-champ.

Arlequin.

Il faut, après cela, qu’on nous marie Silvia et moi et qu’on m’ouvre la porte de la maison ; car j’ai coutume de trotter partout et d’avoir la clef des champs, moi. Ensuite nous tiendrons ici ménage avec l’amie Flaminia, qui ne veut pas nous quitter à cause de son affection pour nous ; et si le prince a toujours bonne envie de nous régaler, ce que je mangerai me profitera davantage.

Trivelin.

Mais, seigneur Arlequin, il n’est pas besoin de mêler Flaminia là dedans.

Arlequin.

Cela me plaît, à moi.

Trivelin, d’un air mécontent.

Hum !

Arlequin.

Hum ! Le mauvais valet ! Allons vite, tirez votre plume, et griffonnez-moi mon écriture.

Trivelin.

Dictez.

Arlequin.

« Monsieur. »

Trivelin.

Halte-là ! dites : Monseigneur.

Arlequin.

Mettez les deux, afin qu’il choisisse.

Trivelin.

Fort bien.

Arlequin.

« Vous saurez que je m’appelle Arlequin. »

Trivelin.

Doucement ! Vous devez dire : Votre Grandeur saura.

Arlequin.

Votre Grandeur saura ! C’est donc un géant, ce secrétaire d’État ?

Trivelin.

Non ; mais n’importe.

Arlequin.

Quel diantre de galimatias ! Qui a jamais entendu dire qu’on s’adresse à la taille d’un homme quand on a affaire à lui ?

Trivelin.

Je mettrai comme il vous plaira. Vous saurez que je m’appelle Arlequin. Après ?

Arlequin.

« Que j’ai une maîtresse qui s’appelle Silvia, bourgeoise de mon village, et fille d’honneur… »

Trivelin.

Courage !

Arlequin.

«… avec une bonne amie que j’ai faite depuis peu, qui ne saurait se passer de nous, ni nous d’elle ; ainsi, aussitôt la présente reçue… »

Trivelin.

Flaminia ne saurait se passer de vous ? Aïe ! la plume m’en tombe des mains.

Arlequin.

Oh ! oh ! que signifie cette impertinente pâmoison-là ?

Trivelin.

Il y a deux ans, seigneur Arlequin, il y a deux ans que je soupire en secret pour elle.

Arlequin, tirant sa latte.

Cela est fâcheux, mon mignon ; mais, en attendant qu’elle en soit informée, je vais toujours vous en faire quelques remercîments pour elle.

Trivelin.

Des remercîments à coups de bâton ! je ne suis pas friand de ces compliments-là. Eh ! que vous importe que je l’aime ? Vous n’avez que de l’amitié pour elle, et l’amitié ne rend point jaloux.

Arlequin.

Vous vous trompez ; mon amitié fait tout comme l’amour ; en voilà des preuves. (Il le bat.)

Trivelin.

Oh ! diable soit de l’amitié ! (Il sort.)



Scène III

FLAMINIA, ARLEQUIN.
Flaminia.

Qu’est-ce que c’est ? Qu’avez-vous, Arlequin ?

Arlequin.

Bonjour, m’amie ; c’est ce faquin qui dit qu’il vous aime depuis deux ans.

Flaminia.

Cela se peut bien.

Arlequin.

Et vous, m’amie, que dites-vous de cela ?

Flaminia.

Que c’est tant pis pour lui.

Arlequin.

Tout de bon ?

Flaminia.

Sans doute ; mais est-ce que vous seriez fâché que l’on m’aimât ?

Arlequin.

Hélas ! vous êtes votre maîtresse ; mais si vous aviez un amant, vous l’aimeriez peut-être ; cela gâterait la bonne amitié que vous me portez, et vous m’en feriez ma part plus petite. Oh ! de cette part-là, je n’en voudrais rien perdre.

Flaminia.

Arlequin, savez-vous bien que vous ne ménagez pas mon cœur ?

Arlequin.

Moi ! et quel mal lui fais-je donc ?

Flaminia.

Si vous continuez de me parler toujours de même, je ne saurai plus bientôt de quelle espèce seront mes sentiments pour vous. En vérité je n’ose m’examiner là-dessus : j’ai peur de trouver plus que je ne veux.

Arlequin.

C’est bien fait, n’examinez jamais, Flaminia ; cela sera ce que cela pourra. Au reste, croyez-moi, ne prenez point d’amant ; j’ai une maîtresse, je la garde ; si je n’en avais point, je n’en chercherais pas ; qu’en ferais-je avec vous ? Elle m’ennuierait.

Flaminia.

Elle vous ennuierait ! Le moyen, après tout ce que vous dites, de rester votre amie ?

Arlequin.

Eh ! que serez-vous donc ?

Flaminia.

Ne me le demandez pas, je n’en veux rien savoir ; ce qui est de sûr, c’est que dans le monde je n’aime plus que vous. Vous n’en pouvez pas dire autant ; Silvia va devant moi, comme de raison.

Arlequin.

Chut ! vous allez de compagnie ensemble.

Flaminia.

Je vais vous l’envoyer si je la trouve, Silvia ; en serez-vous bien aise ?

Arlequin.

Comme vous voudrez ; mais il ne faut pas l’envoyer ; il faut venir toutes deux.

Flaminia.

Je ne pourrai pas ; car le prince m’a mandée et je vais voir ce qu’il me veut. Adieu, Arlequin ; je serai bientôt de retour.



Scène IV

LE SEIGNEUR, ARLEQUIN.
Arlequin.

Voilà mon homme de tantôt. Ma foi ! monsieur le médisant (car je ne sais point votre autre nom), je n’ai rien dit de vous au prince, par la raison que je ne l’ai point vu.

Le Seigneur.

Je vous suis obligé de votre bonne volonté, seigneur Arlequin ; mais je suis sorti d’embarras et rentré dans les bonnes grâces du prince, sur l’assurance que je lui ai donnée que vous lui parleriez pour moi ; j’espère qu’à votre tour vous me tiendrez parole.

Arlequin.

Oh ! quoique je paraisse un innocent, je suis homme d’honneur.

Le Seigneur.

De grâce, ne vous ressouvenez plus de rien, et réconciliez-vous avec moi en faveur du présent que je vous apporte de la part du prince ; c’est de tous les présents le plus grand qu’on puisse vous faire.

Arlequin.

Est-ce Silvia que vous m’apportez ?

Le Seigneur.

Non. Le présent dont il s’agit est dans ma poche. Ce sont des lettres de noblesse dont le prince vous gratifie comme parent de Silvia ; car on dit que vous l’êtes un peu.

Arlequin.

Pas un brin ; remportez cela ; car, si je le prenais, ce serait friponner la gratification.

Le Seigneur.

Acceptez toujours ; qu’importe ? Vous ferez plaisir au prince. Refuseriez-vous ce qui fait l’ambition de tous les gens de cœur ?

Arlequin.

J’ai pourtant bon cœur aussi. Pour de l’ambition, j’en ai bien entendu parler ; mais je ne l’ai jamais vue, et j’en ai peut-être sans le savoir.

Le Seigneur.

Si vous n’en avez pas, cela vous en donnera.

Arlequin.

Qu’est-ce que c’est donc ?

Le Seigneur.

En voilà bien d’une autre ! L’ambition, c’est un noble orgueil de s’élever.

Arlequin.

Un orgueil qui est noble ! Donnez-vous comme cela de jolis noms à toutes les sottises, vous autres ?

Le Seigneur.

Vous ne me comprenez pas ; cet orgueil ne signifie-là qu’un désir de gloire.

Arlequin.

Par ma foi ! sa signification ne vaut pas mieux que lui, c’est bonnet blanc et blanc bonnet.

Le Seigneur.

Prenez, vous dis-je : ne serez-vous pas bien aise d’être gentilhomme ?

Arlequin.

Eh ! je n’en serais ni bien aise ni fâché ; c’est suivant la fantaisie qu’on a.

Le Seigneur.

Vous y trouverez de l’avantage ; vous en serez plus respecté et plus craint de vos voisins.

Arlequin.

J’ai opinion que cela les empêcherait de m’aimer de bon cœur ; car quand je respecte les gens, moi, et que je les crains, je ne les aime pas de si bon courage ; je ne saurais faire tant de choses à la fois.

Le Seigneur.

Vous m’étonnez !

Arlequin.

Voilà comme je suis bâti. D’ailleurs, voyez-vous, je suis le meilleur enfant du monde, je ne fais de mal à personne ; mais quand je voudrais nuire, je n’en ai pas le pouvoir. Eh bien, si j’avais ce pouvoir, si j’étais noble, diable emporte si je voudrais gager d’être toujours brave homme : je ferais parfois comme le gentilhomme de chez nous, qui n’épargne pas les coups de bâtons à cause qu’on n’oserait les lui rendre.

Le Seigneur.

Et si on vous donnait ces coups de bâtons, ne souhaiteriez-vous pas être en état de les rendre ?

Arlequin.

Pour cela, je voudrais payer cette dette-là sur-le-champ.

Le Seigneur.

Oh ! comme les hommes sont quelquefois méchants, mettez-vous en état de faire du mal, seulement afin qu’on n’ose pas vous en faire, et pour cet effet prenez vos lettres de noblesse.

Arlequin.

Têtubleu ! vous avez raison, je ne suis qu’une bête. Allons, me voilà noble ; je garde le parchemin ; je ne crains plus que les rats, qui pourraient bien gruger ma noblesse ; mais j’y mettrai bon ordre. Je vous remercie, et le prince aussi ; car il est bien obligeant dans le fond.

Le Seigneur.

Je suis charmé de vous voir content ; adieu.

Arlequin.

Je suis votre serviteur. Monsieur ! monsieur !

Le Seigneur.

Que me voulez-vous ?

Arlequin.

Ma noblesse m’oblige-t-elle à rien ? car il faut faire son devoir dans une charge.

Le Seigneur.

Elle oblige à être honnête homme.

Arlequin.

Vous aviez donc des exemptions, vous, quand vous avez dit du mal de moi ?

Le Seigneur.

N’y songez plus ; un gentilhomme doit être généreux.

Arlequin.

Généreux et honnête homme ! Vertuchoux ! ces devoirs-là sont bons ; je les trouve encore plus nobles que mes lettres de noblesse. Et quand on ne s’en acquitte pas, est-on encore gentilhomme ?

Le Seigneur.

Nullement.

Arlequin.

Diantre ! il y a donc bien des nobles qui payent la taille ?

Le Seigneur.

Je n’en sais pas le nombre.

Arlequin.

Est-ce là tout ? N’y a-t-il plus d’autre devoir ?

Le Seigneur.

Non ; cependant vous, qui, suivant toute apparence, serez favori du prince, vous aurez un devoir de plus : ce sera de mériter cette faveur par toute la soumission, tout le respect et toute la complaisance possibles. À l’égard du reste, comme je vous ai dit, ayez de la vertu, aimez l’honneur plus que la vie, et vous serez dans l’ordre.

Arlequin.

Tout doucement : ces dernières obligations-là ne me plaisent pas tant que les autres. Premièrement, il est bon d’expliquer ce que c’est que cet honneur qu’on doit aimer plus que la vie. Malepeste, quel honneur !

Le Seigneur.

Vous approuverez ce que cela veut dire ; c’est qu’il faut se venger d’une injure, ou périr plutôt que de la souffrir.

Arlequin.

Tout ce que vous m’avez dit n’est donc qu’un coq-à-l’âne ; car si je suis obligé d’être généreux, il faut que je pardonne aux gens ; si je suis obligé d’être méchant, il faut que je les assomme. Comment donc faire pour tuer ces hommes-là et les laisser vivre ?

Le Seigneur.

Vous serez généreux et bon, quand on ne vous insultera pas.

Arlequin.

Je vous entends ; il m’est défendu d’être meilleur que les autres ; et si je rends le bien pour le mal, je serai donc un homme sans honneur ? Par la mardi ! la méchanceté n’est pas rare ; ce n’était pas la peine de la recommander tant. Voilà une vilaine invention ! Tenez, accommodons-nous plutôt ; quand on me dira une grosse injure, j’en répondrai une autre si je suis le plus fort. Voulez-vous me laisser votre marchandise à ce prix-là ? Dites-moi votre dernier mot.

Le Seigneur.

Une injure répondue à une injure ne suffit point. Cela ne peut se laver, s’effacer que par le sang de votre ennemi ou le vôtre.

Arlequin.

Que la tache y reste ! Vous parlez du sang comme si c’était de l’eau de la rivière. Je vous rends votre paquet de noblesse ; mon honneur n’est pas fait pour être noble ; il est trop raisonnable pour cela. Bonjour.

Le Seigneur.

Vous n’y songez pas.

Arlequin.

Sans compliment, reprenez votre affaire.

Le Seigneur.

Gardez-le toujours ; vous vous ajusterez avec le prince ; on n’y regardera pas de si près avec vous.

Arlequin.

Il faudra donc qu’il me signe un contrat comme quoi je serai exempt de me faire tuer par mon prochain, pour le faire repentir de son impertinence avec moi.

Le Seigneur.

À la bonne heure ; vous ferez vos conventions. Adieu, je suis votre serviteur.

Arlequin.

Et moi le vôtre.



Scène V

LE PRINCE, ARLEQUIN.
Arlequin, à part.

Qui diantre vient encore me rendre visite ? Ah ! c’est celui-là qui est cause qu’on m’a pris Silvia. (Haut.) Vous voilà donc, monsieur le babillard, qui allez dire partout que la maîtresse des gens est belle ; ce qui fait qu’on m’a escamoté la mienne !

Le Prince.

Point d’injures, Arlequin.

Arlequin.

Êtes-vous gentilhomme, vous ?

Le Prince.

Assurément.

Arlequin.

Mardi ! vous êtes bien heureux ; sans cela je vous dirais de bon cœur ce que vous méritez ; mais votre honneur voudrait peut-être faire son devoir, et après cela, il faudrait vous tuer pour vous venger de moi.

Le Prince.

Calmez-vous, je vous prie, Arlequin. Le prince m’a donné ordre de vous entretenir.

Arlequin.

Parlez, il vous est libre ; mais je n’ai pas ordre de vous écouter, moi.

Le Prince.

Eh bien ! prends un esprit plus doux ; connais-moi, puisqu’il le faut. C’est ton prince lui-même qui te parle, et non pas un officier du palais, comme tu l’as cru jusqu’ici aussi bien que Silvia.

Arlequin.

Votre foi ?

Le Prince.

Tu dois m’en croire.

Arlequin.

Excusez, monseigneur, c’est donc moi qui suis un sot d’avoir été un impertinent avec vous.

Le Prince.

Je te pardonne volontiers.

Arlequin.

Puisque vous n’avez pas de rancune contre moi, ne permettez pas que j’en aie contre vous. Je ne suis pas digne d’être fâché contre un prince, je suis trop petit pour cela. Si vous m’affligez, je pleurerai de toute ma force, et puis c’est tout ; cela doit faire compassion à votre puissance ; vous ne voudriez pas avoir une principauté pour le contentement de vous tout seul.

Le Prince.

Tu te plains donc bien de moi, Arlequin ?

Arlequin.

Que voulez-vous, monseigneur ? il y a une fille qui m’aime ; vous, vous en avez plein votre maison, et cependant vous m’ôtez la mienne. Prenez que je suis pauvre et que tout mon bien est un liard ; vous qui êtes riche de plus de mille écus, vous vous jetez sur ma pauvreté et vous m’arrachez mon liard ; cela n’est-il pas bien triste ?

Le Prince, à part.

Il a raison, et ses plaintes me touchent.

Arlequin.

Je sais bien que vous êtes un bon prince, tout le monde le dit dans le pays ; il n’y aura que moi qui n’aurai pas le plaisir de dire comme les autres.

Le Prince.

Je te prive de Silvia, il est vrai ; mais demande-moi ce que tu voudras ; je t’offre tous les biens que tu pourras souhaiter, et laisse-moi cette seule personne que j’aime.

Arlequin.

Qu’il ne soit pas question de ce marché-là, vous gagneriez trop sur moi. Parlons en conscience ; si un autre que vous me l’avait prise, est-ce que vous ne me la feriez pas remettre ? Eh bien ! personne ne me l’a prise que vous ; voyez la belle occasion de montrer que la justice est pour tout le monde !

Le Prince, à part.

Que lui répondre ?

Arlequin.

Allons, monseigneur, dites-vous comme cela : « Faut-il que je retienne le bonheur de ce petit homme parce que j’ai le pouvoir de le garder ? N’est-ce pas à moi à être son protecteur, puisque je suis son maître ? S’en ira-t-il sans avoir justice ? N’en aurais-je pas du regret ? Qui est-ce qui fera mon office de prince, si je ne le fais pas ? J’ordonne donc que je lui rendrai Silvia. »

Le Prince.

Ne changeras-tu jamais de langage ? Regarde comme j’en agis avec toi. Je pourrais te renvoyer et garder Silvia sans t’écouter ; cependant, malgré l’inclination que j’ai pour elle, malgré ton obstination et le peu de respect que tu me montres, je m’intéresse à ta douleur ; je cherche à la calmer par mes faveurs ; je descends jusqu’à te prier de me céder Silvia de bonne volonté ; tout le monde t’y exhorte, tout le monde te blâme et te donne un exemple de l’ardeur qu’on a de me plaire ; tu es le seul qui résiste, tu reconnais que je suis ton prince ; marque-le-moi donc par un peu de docilité.

Arlequin.

Eh ! monseigneur, ne vous fiez pas à ces gens qui vous disent que vous avez raison avec moi, car ils vous trompent. Vous prenez cela pour argent comptant ; et puis vous avez beau être bon, vous avez beau être brave homme, c’est autant de perdu, cela ne vous fait point de profit. Sans ces gens-là, vous ne me chercheriez point chicane ; vous ne diriez pas que je vous manque de respect parce que je réclame mon bon droit. Allez, vous êtes mon prince, et je vous aime bien ; mais je suis votre sujet, et cela mérite quelque chose.

Le Prince.

Tu me désespères.

Arlequin.

Que je suis à plaindre !

Le Prince.

Faudra-t-il donc que je renonce à Silvia ? Le moyen d’en être jamais aimé, si tu ne veux pas m’aider ? Arlequin, je t’ai causé du chagrin ; mais celui que tu me laisses est plus cruel que le tien.

Arlequin.

Prenez quelque consolation, monseigneur ; promenez-vous, voyagez quelque part ; votre douleur se passera dans les chemins.

Le Prince.

Non, mon enfant ; j’espérais quelque chose de ton cœur pour moi, je t’aurais plus d’obligation que je n’en aurai jamais à personne ; mais tu me fais tout le mal qu’on peut me faire. N’importe, mes bienfaits t’étaient réservés, et ta dureté n’empêche pas que tu n’en jouisses.

Arlequin.

Aïe ! qu’on a de mal dans la vie !

Le Prince.

Il est vrai que j’ai tort à ton égard ; je me reproche l’action que j’ai faite, c’est une injustice : mais tu n’en es que trop vengé.

Arlequin.

Il faut que je m’en aille ; vous êtes trop fâché d’avoir tort ; j’aurais peur de vous donner raison.

Le Prince.

Non, il est juste que tu sois content ; souhaite que je te rende justice ; sois heureux aux dépens de tout mon repos.

Arlequin.

Vous avez tant de charité pour moi ; n’en aurais-je donc pas quelque peu pour vous ?

Le Prince.

Ne t’embarrasse pas de moi.

Arlequin.

Que j’ai de souci ! le voilà désolé.

Le Prince, caressant Arlequin.

Je te sais bon gré de la sensibilité que je te vois. Adieu, Arlequin ; je t’estime malgré tes refus.

Arlequin.

Monseigneur !

Le Prince.

Que me veux-tu ? me demandes-tu quelque grâce ?

Arlequin.

Non ; je ne suis qu’en peine de savoir si vous accorderai celle que vous voulez.

Le Prince.

Il faut avouer que tu as le cœur excellent !

Arlequin.

Et vous aussi ; voilà ce qui m’ôte le courage. Hélas ! que les bonnes gens sont faibles !

Le Prince.

J’admire tes sentiments.

Arlequin.

Je le crois bien ; je ne vous promets pourtant rien ; il y a trop d’embarras dans ma volonté ; mais, à tout hasard, si je vous donnais Silvia, avez-vous dessein que je sois votre favori ?

Le Prince.

Eh ! qui le serait donc ?

Arlequin.

C’est qu’on m’a dit que vous aviez coutume d’être flatté ; moi, j’ai coutume de dire vrai, et une bonne coutume comme celle-là ne s’accorde pas avec une mauvais ; jamais votre amitié ne sera assez forte pour endurer la mienne.

Le Prince.

Nous nous brouillerons ensemble si tu ne me réponds toujours ce que tu penses. Il ne me reste qu’une chose à te dire, Arlequin : souviens-toi que je t’aime ; c’est tout ce que je te recommande.

Arlequin.

Flaminia sera-t-elle sa maîtresse ?

Le Prince.

Ah ! ne me parle point de Flaminia ; tu n’étais pas capable de me donner tant de chagrins sans elle.

Arlequin.

Point du tout ; c’est la meilleure fille du monde ; vous ne devez point lui vouloir de mal.



Scène VI

ARLEQUIN, seul.

Apparemment que mon coquin de valet aura médit de ma bonne amie. Par la mardi ! il faut que j’aille voir où elle est. Mais moi, que ferai-je à cette heure ? Est-ce que je quitterai Silvia là ? Cela se pourra-t-il ? Y aura-t-il moyen ? Ma foi, non, non assurément. J’ai un peu fait le nigaud avec le prince, parce que je suis tendre à la peine d’autrui ; mais le prince est tendre aussi, et il ne dira mot.



Scène VII

FLAMINIA, ARLEQUIN.
Arlequin.

Bonjour, Flaminia ; j’allais vous chercher.

Flaminia, en soupirant.

Adieu, Arlequin.

Arlequin.

Qu’est-ce que cela veut dire, adieu ?

Flaminia.

Trivelin nous a trahis ; le prince a su l’intelligence qui est entre nous ; il vient de m’ordonner de sortir d’ici et m’a défendu de vous voir jamais. Malgré cela, je n’ai pu m’empêcher de venir vous parler encore une fois ; ensuite j’irai où je pourrai pour éviter sa colère.

Arlequin.

Ah ! me voilà un joli garçon à présent !

Flaminia.

Je suis au désespoir, moi ! Me voir séparée pour jamais d’avec vous, de tout ce que j’avais de plus cher au monde ! Le temps me presse, je suis forcée de vous quitter ; mais, avant de partir, il faut que je vous ouvre mon cœur.

Arlequin.

Ahi ! Qu’est-ce, m’amie ? qu’a-t-il, ce cher cœur ?

Flaminia.

Ce n’est point de l’amitié que j’avais pour vous, Arlequin ; je m’étais trompée.

Arlequin.

C’est donc de l’amour ?

Flaminia.

Et du plus tendre. Adieu.

Arlequin.

Attendez… Je me suis peut-être trompé, moi aussi, sur mon compte.

Flaminia.

Comment ! vous vous seriez mépris ! Vous m’aimeriez, et nous ne nous verrions plus ! Arlequin, ne m’en dites pas davantage ; je m’enfuis.

Arlequin.

Restez.

Flaminia.

Laissez-moi aller ; que ferons-nous ?

Arlequin.

Parlons raison.

Flaminia.

Que vous dirai-je ?

Arlequin.

C’est que mon amitié est aussi loin que la vôtre ; elle est partie : voilà que je vous aime, cela est décidé, et je n’y comprends rien. Ouf !

Flaminia.

Quelle aventure !

Arlequin.

Je ne suis point marié, par bonheur.

Flaminia.

Il est vrai.

Arlequin.

Silvia se mariera avec le prince, et il sera content.

Flaminia.

Je n’en doute point.

Arlequin.

Ensuite, puisque notre cœur s’est mécompté et que nous nous aimons par mégarde, nous prendrons patience et nous nous accommoderons à l’avenant.

Flaminia.

J’entends bien ; vous voulez dire que nous nous marierons ensemble ?

Arlequin.

Vraiment oui ; est-ce ma faute, à moi ? Pourquoi ne m’avertissiez-vous pas que vous m’attraperiez et que vous seriez ma maîtresse ?

Flaminia.

M’avez-vous avertie que vous deviendriez mon amant ?

Arlequin.

Morbleu ! le devinais-je ?

Flaminia.

Vous étiez assez aimable pour le deviner.

Arlequin.

Ne nous reprochons rien ; s’il ne tient qu’à être aimable, vous avez plus de tort que moi.

Flaminia.

Épousez-moi, j’y consens ; mais il n’y a point de temps à perdre, et je crains qu’on ne vienne m’ordonner de sortir.

Arlequin.

Ah ! je pars pour parler au prince. Ne dites pas à Silvia que je vous aime ; elle croirait que je suis dans mon tort, et vous savez que je suis innocent. Je ne ferai semblant de rien avec elle ; je lui dirai que c’est pour sa fortune que je la laisse là.

Flaminia.

Fort bien ; j’allais vous le conseiller.

Arlequin.

Attendez, et donnez-moi votre main, que je la baise… Qui est-ce qui aurait cru que j’y prendrais tant de plaisir ? Cela me confond. (Il sort.)



Scène VIII

FLAMINIA, SILVIA.
Flaminia, d’abord seule.

En vérité, le prince a raison ; ces petites personnes-là font l’amour d’une manière qui ne permet pas de leur résister. Voici l’autre. À quoi rêvez-vous, belle Silvia ?

Silvia.

Je rêve à moi, et je n’y entends rien.

Flaminia.

Que trouvez-vous donc en vous de si incompréhensible ?

Silvia.

Je voulais me venger de ces femmes, vous savez bien ? Cela s’est passé.

Flaminia.

Vous n’êtes guère vindicative.

Silvia.

J’aimais Arlequin, n’est-ce pas ?

Flaminia.

Il me le semblait.

Silvia.

Eh bien, je crois que je ne l’aime plus.

Flaminia.

Ce n’est pas un si grand malheur.

Silvia.

Quand ce serait un malheur, qu’y ferais-je ? Lorsque je l’ai aimé, c’était un amour qui m’était venu ; à cette heure je ne l’aime plus, c’est un amour qui s’en est allé ; il est venu sans mon avis, il s’en retourne de même ; je ne crois pas être blâmable.

Flaminia, à part.

Rions, un moment. (Haut.) Je le pense à peu près de même.

Silvia.

Qu’appelez-vous à peu près ? Il faut le penser tout à fait comme moi, parce que cela est. Voilà de mes gens qui disent tantôt oui, tantôt non.

Flaminia.

Sur quoi vous emportez-vous donc ?

Silvia.

Je m’emporte à propos ; je vous consulte bonnement, et vous allez me répondre des à peu près qui me chicanent !

Flaminia.

Ne voyez-vous pas bien que je badine, et que vous n’êtes que louable ? Mais n’est-ce pas cet officier que vous aimez ?

Silvia.

Et qui donc ? Pourtant je n’y consens pas encore à l’aimer ; mais à la fin il faudra bien y venir ; car dire toujours non à un homme qui demande toujours oui ; le voir triste, toujours se lamentant ; toujours le consoler de la peine qu’on lui fait ; dame ! cela lasse ; il vaut mieux ne lui en plus faire.

Flaminia.

Oh ! vous allez le charmer ; il mourra de joie.

Silvia.

Il mourrait de tristesse, et c’est encore pis.

Flaminia.

Il n’y a pas de comparaison.

Silvia.

Je l’attends ; nous avons été plus de deux heures ensemble, et il va revenir avec moi quand le prince me parlera. Cependant j’ai peur qu’Arlequin ne s’afflige trop ; qu’en dites-vous ? Mais ne me rendez pas scrupuleuse.

Flaminia.

Ne vous inquiétez pas ; on trouvera aisément moyen de l’apaiser.

Silvia.

De l’apaiser ! Diantre ! il est donc bien facile de m’oublier, à ce compte ? Est-ce qu’il a fait quelque maîtresse, ici ?

Flaminia.

Lui, vous oublier ? J’aurais donc perdu l’esprit si je vous le disais. Vous serez trop heureuse s’il ne se désespère pas.

Silvia.

Vous avez bien affaire de me dire cela ! Vous êtes cause que je redeviens incertaine, avec votre désespoir.

Flaminia.

Et s’il ne vous aime plus, que diriez-vous ?

Silvia.

S’il ne m’aime plus ?… vous n’avez qu’à garder votre nouvelle.

Flaminia.

Eh bien, il vous aime encore et vous en êtes fâchée ! Que vous faut-il donc ?

Silvia.

Hum ! vous riez ! Je vous voudrais bien voir à ma place.

Flaminia.

Votre amant vous cherche ; croyez-moi, finissez avec lui sans vous inquiéter du reste. (Elle sort.)



Scène IX

SILVIA, LE PRINCE.
Le Prince.

Eh quoi ! Silvia, vous ne me regardez pas ? Vous devenez triste toutes les fois que je vous aborde ; j’ai toujours le chagrin de penser que je vous suis importun.

Silvia.

Bon, importun ! je parlais de lui tout à l’heure.

Le Prince.

Vous parliez de moi ? et qu’en disiez-vous, belle Silvia ?

Silvia.

Oh ! je disais bien des choses ; je disais que vous ne saviez pas encore ce que je pensais.

Le Prince.

Je sais que vous êtes résolue à me refuser votre cœur, et c’est là savoir ce que vous pensez.

Silvia.

Hum, vous n’êtes pas si savant que vous le croyez ; ne vous vantez pas tant. Mais, dites-moi ; vous êtes un honnête homme, et je suis sûre que vous me direz la vérité : vous savez comme je suis avec Arlequin ; à présent, prenez que j’ai envie de vous aimer : si je contentais mon envie, ferais-je bien ? ferais-je mal ? Là, conseillez-moi dans la bonne foi.

Le Prince.

Comme on n’est pas le maître de son cœur, si vous aviez envie de m’aimer, vous seriez en droit de vous satisfaire ; voilà mon sentiment.

Silvia.

Me parlez-vous en ami ?

Le Prince.

Oui, Silvia, en homme sincère.

Silvia.

C’est mon avis aussi ; j’ai décidé de même, et je crois que nous avons raison tous deux ; ainsi je vous aimerai, s’il me plaît, sans qu’il ait le petit mot à dire.

Le Prince.

Je n’y gagne rien, car il ne vous plaît point.

Silvia.

Ne vous mêlez point de deviner ; je n’ai point de foi à vous. Mais enfin ce prince, puisqu’il faut que le voie, quand viendra-t-il ? S’il veut, je l’en quitte.

Le Prince.

Il ne viendra que trop tôt pour moi ; lorsque vous le connaîtrez mieux, vous ne voudrez peut-être plus de moi.

Silvia.

Courage ! vous voilà dans la crainte à cette heure ; je crois qu’il a juré de n’avoir jamais un moment de bon temps.

Le Prince.

Je vous avoue que j’ai peur.

Silvia.

Quel homme ! il faut bien que je lui remette l’esprit. Ne tremblez plus ; je n’aimerai jamais le prince, je vous en fait un serment par…

Le Prince.

Arrêtez, Silvia ; n’achevez pas votre serment, je vous en conjure.

Silvia.

Vous m’empêchez de jurer ? cela est joli ; j’en suis bien aise.

Le Prince.

Voulez-vous que je vous laisse jurer contre moi ?

Silvia.

Contre vous ! est-ce que vous êtes le prince ?

Le Prince.

Oui, Silvia ; je vous ai jusqu’ici caché mon rang, pour essayer de ne devoir votre tendresse qu’à la mienne ; je ne voulais rien perdre du plaisir qu’elle pouvait me faire. À présent que vous me connaissez, vous êtes libre d’accepter ma main et mon cœur, ou de refuser l’un et l’autre. Parlez, Silvia.

Silvia.

Ah ! mon cher prince, j’allais faire un beau serment ! Si vous avez cherché le plaisir d’être aimé de moi, vous avez bien trouvé ce que vous cherchiez ; vous savez que je dis la vérité, voilà ce qui m’en plaît.

Le Prince.

Notre union est donc assurée.



Scène X

LE PRINCE, SILVIA, ARLEQUIN, FLAMINIA.
Arlequin.

J’ai tout entendu, Silvia.

Silvia.

Eh bien, Arlequin, je n’aurai donc pas la peine de vous rien dire ; consolez-vous comme vous pourrez de vous-même. Le prince vous parlera, j’ai le cœur tout entrepris ; voyez, accommodez-vous ; il n’y a plus de raison à moi, c’est la vérité. Qu’est-ce que vous me diriez ? que je vous quitte. Qu’est-ce que je vous répondrais ? que je le sais bien. Prenez que vous l’avez dit, prenez que j’ai répondu ; laissez-moi après, et voilà qui sera fini.

Le Prince.

Flaminia, c’est à vous que je remets Arlequin ; je l’estime et je vais le combler de biens. Toi, Arlequin, accepte de ma main Flaminia pour épouse, et sois pour jamais assuré de la bienveillance de ton prince. Belle Silvia, souffrez que des fêtes qui vous sont préparées annoncent ma joie à des sujets dont vous allez être la souveraine.

Arlequin.

À présent, je me moque du tour que notre amitié nous a joué. Patience ; tantôt nous lui en jouerons d’un autre.