La Druidesse, Winona et autres poésies/Préface

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PRÉFACE.

Je venais de terminer ma philosophie. En compagnie de mon professeur et ami, après avoir traversé la presqu’île de Quiberon et le champ des monuments mégalithiques de Carnac et de Locmariaquer, je vins visiter la célèbre tombelle de l’île de Gavr-Ynys, à l’entrée du golfe du Morbihan. On me présenta un bracelet qui, dit-on, avait appartenu à une druidesse. Je le crus, et, à son contact, je ressentis une étrange impression. Je venais d’éprouver quelque chose d’analogue en touchant l’épée du grand Clisson, au château de Josselin près de Ploërmel. Remontant sur la tombelle, je vis les flots de la marée montante se précipiter avec fracas par le goulet du golfe. Le vent soufflait avec force ; mon imagination fut frappée : j’eus comme une vision du passé. Depuis, dans la vie, cette vision m’a suivi. A mes heures de loisir, il y a quelques années, je lui donnai une forme, et je composai le poème de la druidesse de Gavr-Ynys.

Breton et Gaulois, je voulus rester fidèle à ce double élément : il me fallait garder la couleur locale. Alors j’empruntai à l’histoire de la Gaule le nom de l’archidruide et barde, Hu, descendant de Hu-Gadarn, dont je fis l’époux de la druidesse Camma, fille de la célèbre Gauloise de ce nom. Je leur supposai une fille, Bélisana, ainsi nommée parce qu’elle est prêtresse de Bélisana, déesse de la lune, compagne de Bel, le soleil. J’en fis une des neuf sènes.

D’autre part, je demandai à l’histoire bretonne de Vannes le nom de mon héros, Lez-Breiz, le David breton de la légende, et fils de Conan, roi de Vannes, ou Gwenet. Dans la guerre des Gaules, l’expédition de César contre les Vénètes me parut favorable, et je plaçai mon poème à cette époque.

Quant au plan du poème lui-même, le voici dans sa simplicité :

Les Vénètes, au champ druidique de Carnac, décident de secouer le joug, et de solliciter les autres Gaulois de l’Armorique à former une ligue secrète contre le tyran de la Gaule, César. L’âme de cette ligue est la jeune et belle Sène, Bélisana, fille de l’archidruide et barde, Hu, et de Camma, la prophétesse.

Echappée du massacre des vierges de l’île de Sène ou Sein, la druidesse s’est réfugiée sur l’îlot de Gavr-Ynys, près de la tombelle sacrée où reposent son père et sa mère. C’est de là qu’elle part, en couvrant ses pas, pour la mission que le Mallus des Vénètes lui a confiée ; et c’est là que, au jour dit, elle doit en rapporter l’issue. Lez-Breiz, fils de Conan, est le messager délégué pour venir apprendre, de la bouche même de la Sène, le résultat de ses démarches.

Touchée de la noblesse du jeune et brillant chef, de sa sagesse, de son amour pour la Gaule et de celui non moins ardent, bien que caché, qu’il lui garde, à elle-même, Bélisana sent son cœur envahi par une passion vive et profonde, mais non coupable : elle aime Lez-Breiz, mais dans l’espoir du glorieux Klaz-Merzin (l’autre vie). C’est dans la même espérance qu’aime le fils de Conan : l’objet de son amour est sacré dans cette vie.

Ces deux jeunes cœurs se dédommagent en se plongeant avec délire dans un grand amour, en commun, de leur mère adorée, la Gaule. Tous deux ont juré de la délivrer du joug des Romains, ou de périr. Bélisana a même dévoué sa vie à Esus pour son pays, dans le triomphe ou la défaite, heureuse de saisir ce noble moyen d’échapper aux dangers de son amour.

Dans un dernier conseil sur l’îlot de Gavr-Ynys, les chefs gaulois de la ligue ont résolu de sortir du Mor pour attaquer la flotte de César.

Le lendemain, dès le matin, les navires des Vénètes et de leurs alliés partent sous la conduite de Lez-Breiz, rencontrent l’ennemi et sont taillés en pièces. Lez-Breiz, mortellement blessé, revient expirer dans les bras de Bélisana, qui s’immole, sur le corps de son amant, à la vengeance de leurs autels, de leur amour, de leur patrie.

Le vieux Conan les ensevelit tous deux dans la tombelle de Gavr-Ynys, près de Hu et de Camma, avant de tomber sous le glaive du Romain.