La Famille Elliot/13

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Traduction par Isabelle de Montolieu.
Arthus Bertrand (2p. 1-17).


CHAPITRE XIII.


Le peu de jours qu’Alice avait à passer à Upercross fut consacré uniquement à la grande maison, où elle avait la satisfaction de se sentir utile, soit par sa société, soit en s’occupant des choses essentielles auxquelles M. et madame Musgrove étaient hors d’état de se livrer.

Le lendemain de l’accident de Louisa, le carrosse revint, dès le matin, apporter des nouvelles de Lyme ; Louisa était à peu près comme on l’avait laissée ; aucun symptôme plus fâcheux ne donnait lieu de craindre pour sa vie, mais elle n’avait pas encore repris ses facultés. Charles arriva quelques heures après, et donna plus de détails et plus d’espérance ; ayant assisté à la visite des chirurgiens, il était assez content : une prompte guérison ne pouvait être espérée, mais tout allait aussi bien que possible. Charles ne trouvait pas d’expressions pour peindre les soins, les bontés des Harville, et particulièrement ceux de madame pour la malade : elle l’avait veillée, et ne laissait rien à faire à Maria, qui, d’ailleurs, ayant ses nerfs très-détraqués, était de toute nullité. Madame Harville l’avait renvoyée, ainsi que son mari, passer la nuit à l’auberge, demandant en grâce qu’on se reposât sur elle. Charles voulait absolument rester près de sa sœur ; mais Maria avait déclaré qu’elle était trop malade elle-même pour se passer de lui. Elle avait bien dormi, mais elle se plaignait encore le matin de ses nerfs, qui ne lui permettaient pas de voir sa chère Louisa dans un si triste état ; mais à son départ, elle allait faire une promenade avec le capitaine Bentick, ce qui lui ferait sûrement du bien. Charles aurait voulu pouvoir obtenir d’elle qu’elle revînt auprès de ses enfans ; mais Maria trouvait convenable qu’il y eût là quelqu’un de la famille, et pensait que c’était elle qui devait y rester : elle était fâchée seulement que ses nerfs l’empêchassent absolument de supporter le bruit des enfans, sans quoi elle aurait pu se charger de ceux de madame Harville, pendant que leur mère était occupée auprès de Louisa ; mais Charles savait bien qu’elle ne pouvait souffrir même les siens près d’elle au-delà d’un quart d’heure. Charles avait promis de retourner à Lyme dans l’après-dînée, et son père eut d’abord l’idée d’aller avec lui ; mais sa femme et sa fille n’y voulurent pas consentir : « Tant que Louisa, dirent-elles, sera dans ce fâcheux état, vous ne ferez que multiplier les embarras dans la petite demeure des Harville, augmenter sa propre détresse, et donner peut-être une trop forte émotion à la malade si elle sort de sa léthargie. » Un plan beaucoup plus sage et plus utile fut proposé par Alice, et unanimement approuvé. On convint que Charles mènerait à Lyme la bonne Sarah, ancienne domestique de la famille, où elle avait ses invalides. Elle avait élevé tous les enfans l’un après l’autre ; et maintenant qu’elle n’avait d’autre occupation que celle de soigner les malades du village, elle serait trop heureuse d’aller auprès de sa chère miss Louisa. Madame Musgrove avait d’abord eu le désir que sa fille eût auprès d’elle sa bonne Sarah ; mais sans Alice, qui la fit partir, une chose aussi simple et aussi utile aurait trouvé mille difficultés.

George Hayter fut bientôt là dès qu’il eut appris le malheur de Louisa et le retour de sa bien-aimée Henriette ; il s’offrit de servir de courrier, et d’aller chercher des nouvelles sûres toutes les vingt-quatre heures, ce qui fut accepté avec la plus tendre reconnaissance : le plus doux regard de son Henriette, et un serrement de main de sa cousine chérie, furent sa récompense. Il partit à cheval, et revint apportant de bonnes nouvelles : les intervalles du retour des sens de la malade étaient plus rapprochés : elle avait regardé son cousin, et avait eu l’air de le reconnaître. On exigeait encore les ménagemens les plus suivis ; il ne lui fallait aucune émotion. Le capitaine Wentworth s’était tout-à-fait établi à Lyme. Les parens furent plus tranquilles.

Mais Alice devait les quitter le lendemain, et tous appréhendaient ce moment. Que feraient-ils sans elle ? Elle seule leur donnait du courage ; ils étaient de tristes consolateurs les uns pour les autres. Cela fut tant et tant répété, qu’Alice, ne pouvant rester sans déplaire à lady Russel, qui venait la chercher, prit sur elle de leur conseiller d’aller s’établir à Lyme, à l’auberge, ou dans un logement particulier, jusqu’à ce que Louisa fût en état d’être transportée ; à Upercross, ils pourraient au moins, eux dont les nerfs supportaient le bruit des enfans, veiller sur ceux des Harville pendant que leur mère était chargée de Louisa. Ils furent tous aussi heureux de cette idée qu’Alice le fut elle-même de la leur avoir donnée ; elle en pressa l’exécution, arrangea tout pour leur départ, qui eut lieu le lendemain matin de bonne heure, avant celui d’Alice, qui attendait lady Russel. Après avoir mis tout en ordre à la grande maison pendant l’absence des maîtres, elle fut au cottage pour ramener ses deux petits neveux à leur bonne ; elle s’y trouva la seule personne de la société nombreuse des deux maisons, et de toute cette réunion si joyeuse qu’un accident avait fait passer de la gaîté à la tristesse. La solitude régnait actuellement dans ces demeures. Mais Louisa se rétablira, et la joie y reparaîtra bientôt, et plus vive encore qu’avant ce malheureux incident, qui, sans doute, aurait des suites qu’elle ne prévoyait que trop. La chute de cette jeune personne, dont le capitaine Wentworth, disait être la cause, avait beaucoup ajouté à l’intérêt qu’elle lui inspirait déjà, et le déciderait sans doute à l’épouser après son rétablissement. Encore quelques mois, et ces chambres à présent si désertes seront remplies ; on y célébrera l’union de deux époux passionnés l’un pour l’autre. Tout ici sera content, heureux, comme j’aurais pu l’être, pensait Alice, et mes relations avec la famille ajouteront à mon supplice : toujours forcée de feindre, de cacher avec soin tous les sentimens dont mon cœur est oppressé… Mais non, non ; une fois que ce lien sera formé, et le ciel veuille que ce soit bientôt, je suis bien sûre que le mari de Louisa ne sera plus à mes yeux qu’un être indifférent, dont je désirerai le bonheur comme celui de tous mes semblables, et parce que je crois qu’il le mérite.

Elle eut une heure ou deux de loisir pour se livrer à ces réflexions, qui devinrent enfin aussi sombres que le temps. C’était un des jours les plus nuageux du mois de novembre ; une pluie fine et épaisse empêchait de se promener, frappait contre les fenêtres et obscurcissait l’horizon. Le roulement du carrosse de lady Russel lui fit donc un grand plaisir ; et cependant, malgré celui de retrouver son amie, malgré son désir de partir, elle ne put s’éloigner sans un serrement de cœur qu’elle ne savait comment définir, et qu’elle mit sur le compte de ses petits neveux, qui la suivaient en criant : Adieu, bonne tante Alice ; reviens bientôt. Mais d’autres souvenirs encore se présentaient en foule en quittant ce séjour, où elle avait revu Wentworth après une si longue séparation, où lui-même avait trouvé l’heureux objet qui devait le fixer, et les séparer à jamais ; elle se rappelait jusqu’à la plus légère circonstance. Quelquefois l’excès de la froideur de Wentworth lui avait donné quelque douce espérance de ne lui être pas indifférente. Elle aussi était en apparence de glace avec lui, pour cacher la flamme qui était encore dans son cœur : s’il en était de même, si cette indifférence, trop affectée pour être l’effet de l’oubli, cachait un sentiment que Frederich ne croit plus partagé ?… Mais ses attentions pour Louisa vinrent bientôt anéantir ce prestige, et son dévouement depuis cette malheureuse chute acheva de lui ôter tout espoir d’une réconciliation.

Elle n’avait pas été à Kellinch-Hall depuis le mois de septembre ; quand elle le quitta avec lady Russel, comme cela n’était nullement nécessaire, et qu’elle redoutait cette émotion, elle avait évité les occasions qui s’étaient présentées. Son cœur battit fort en revoyant ces lieux chéris, quoiqu’elle ne vît encore que l’élégante et moderne maison de son amie, assez éloignée du château : elle eut du plaisir à se retrouver dans sa jolie chambre, où lady Russel l’installa de nouveau avec une grande joie.

Elle était cependant mêlée de quelque inquiétude ; le retour du capitaine Wentworth était parvenu aux oreilles de lady Russel ; elle savait qu’il avait fréquenté assidûment les deux maisons d’Upercross, et ne doutait pas que son Alice ne fût l’objet de cette assiduité ; elle ne parla point de lui, mais examina sa jeune amie avec plus d’attention ; elle la trouva embellie ; ses joues étaient plus rondes, son teint plus coloré : était-ce le plaisir d’avoir retrouvé son amant qui produisait ce changement heureux ? Elle lui en fit compliment. Alice sourit, dit que sa santé était meilleure, et, réunissant ce que disait lady Russel à l’admiration silencieuse de son cousin Elliot, elle pensa, en étouffant un soupir, que ce retour de son printemps de jeunesse et de beauté n’avait pas amené un retour d’amour dans le cœur de Wentworth. Son nom ne fut pas encore prononcé. Lady Russel mit l’entretien sur Bath, sur sir Walter, sur madame Clay, enfin sur tout ce qui occupait vivement Alice quand elle quitta Kellinch-Hall, et qui n’était plus à présent pour elle que des objets d’un second intérêt ; elle avait tout-à-fait perdu de vue et Bath, et son père, et sa sœur : toutes ses pensées étaient à Upercross ; et quand lady Russel lui parlait avec chaleur de son espoir, de ses craintes, de l’établissement de sir Walter dans le plus brillant quartier de Bath, de la considération qu’on lui témoignait, et de son chagrin que madame Clay fût chez lui, Alice aurait été bien honteuse si son amie avait lu dans son cœur combien elle pensait à Lyme, au mal de Louisa Musgrove, à sa guérison, à son retour à Upercross ; combien elle était plus intéressée au petit logement des Harville et aux lectures du capitaine Bentick, qu’au bel appartement de son père à Camden-House, et à l’intimité de sa sœur avec madame Clay. Elle fut obligée de se forcer pour avoir avec lady Russel l’apparence d’une sollicitude égale au moins à la sienne ; mais elle préférait encore ce sujet de conversation à celui qui suivit naturellement. Il avait bien fallu instruire lady Russel de l’accident de Louisa, et lui expliquer par quel événement il n’y avait qu’Alice seule dans les deux maisons d’Upercross, celle-ci raconta d’abord la chose en peu de mots, mais ensuite son amie voulut plus de détails sur une chute aussi fâcheuse. Alice en avait été témoin ; et, pressée par les questions de lady Russel, il fallut entrer dans tous les détails et répéter souvent le nom du capitaine Wentworth. En le prononçant sa voix tremblait, elle n’osait regarder son amie, et risquer de rencontrer ses yeux pénétrans ; elle prit enfin le parti de lui confier ce que tout le monde pensait de l’attachement que le capitaine semblait avoir pour Louisa, et de la probabilité de leur mariage, si, comme on l’espérait, elle se rétablissait ; quand elle eut dit cela, elle put parler de Wentworth plus librement.

Lady Russel écouta cette nouvelle avec une indifférence affectée, en disant qu’elle leur souhaitait beaucoup de bonheur ; mais le son altéré de sa voix, un léger haussement d’épaules, un sourire moitié gracieux, moitié amer, décelaient, au milieu du plaisir que lui faisait cette nouvelle, une colère intérieure, ou plutôt un profond mépris pour l’homme qui, à vingt-trois ans, avait paru sentir la valeur d’Alice Elliot, et qui pouvait, huit ans plus tard, être charmé par l’insignifiante et petite étourdie Louisa Musgrove.

Trois ou quatre jours se passèrent tranquillement sans être marqués par aucune circonstance que la réception d’un ou de deux bulletins de Lyme, qui parvinrent à miss Elliot sans qu’elle sût de quelle part, et qui lui donnèrent des nouvelles plus satisfaisantes de Louisa. Lorsque lady Russel fut reposée, sa politesse et l’usage du monde dont elle se piquait plus que personne reprirent le dessus, et lui firent sentir qu’elle ne pouvait plus retarder sa visite chez les Croft.

« Il faut que j’y aille absolument, dit-elle un matin : Alice, avez-vous le courage d’y venir avec moi, de revoir cette maison ? Ce sera une rude épreuve pour toutes deux. »

Alice y consentit d’abord, et sentait véritablement ce qu’elle dit à Lady Russel :

« Vous devez souffrir plus que moi ; j’ai mieux pris mon parti que vous sur ces changement, et je m’y suis tout-à-fait accoutumée en demeurant dans le voisinage. » Elle aurait pu ajouter : Et par la bonne opinion qu’elle avait prise de ceux qui remplaçaient son père à Kellinch-Hall. La paroisse avait l’excellent exemple d’un ménage bien uni, les pauvres tous les secours d’une charité active et de la bienveillance. Elle était forcée de s’avouer à elle-même que Kellinch-Hall avait tout gagné en changeant de maître. Cette conviction avait bien son côté pénible qu’elle sentait vivement ; mais cette peine n’était pas celle que lady Russel redoutait pour sa jeune amie, en se retrouvant dans cette maison, dans ces appartemens qui lui retraçaient tant de choses : hélas ! ils lui retraçaient aussi des momens bien pénibles, des cœurs glacés, indifférens pour elle, une vanité puérile ; mais non, le souvenir de sa mère, la place toujours respectée où elle l’avait vue remplissant tous ses devoirs, étaient la seule chose, qui excitait chez Alice un soupir de tristesse ou de regret. Elles y allèrent donc la matinée.

Madame Croft accueillait toujours Alice avec une bonté qui lui donnait le plaisir de penser qu’elle était sa favorite ; et la recevant pour la première fois à Kellinch-Hall, elle redoubla d’attentions pour elle.

Le triste accident de Lyme devint bientôt le sujet d’entretiens : en comparant les derniers bulletins, il parut que chacun l’avait reçu de la même main et à la même heure, et que c’était le capitaine Wentworth qui les avait écrits. Il était venu à Kellinch-Hall la veille au matin (pour la première fois depuis l’accident) ; il avait envoyé à Alice les dernières nouvelles qu’elle avait reçues, n’était resté que peu d’heures avec sa sœur et son beau-frère, et était retourné à Lyme le même soir, sans annoncer aucune intention de revenir avant la famille Musgrove. Il s’était informé avec un intérêt particulier de miss Alice Elliot, espérant que sa santé n’avait pas souffert des peines qu’elle avait prises, et madame Croft répéta combien il avait donné d’éloges à sa présence d’esprit, à son courage, à sa sensibilité. Ce fut un moment délicieux pour la sensible Alice que d’entendre cet éloge sortir de la bouche et du cœur de Wentworth, et répété par sa sœur.

Quant à la catastrophe en elle-même, elle fut jugée également par ces deux dames, comme la conséquence naturelle de beaucoup d’étourderie et d’imprudence, dont les suites pouvaient être affreuses. Si la vie de cette jeune personne était sauvée, ce qui était encore douteux, son intellect pouvait avoir beaucoup souffert. Lady Russel cita nombre de chutes sur la tête qui avaient eu les plus fâcheux résultats ; elle pouvait rester folle ou imbécille, et il serait plus heureux pour elle de mourir.

« J’espère bien, dit vivement madame Croft, qu’aucun de ces malheurs n’arrivera ; mon pauvre frère serait trop à plaindre.

— Et il n’aurait que ce qu’il mérite, dit en riant l’amiral ; plaisante manière de faire sa cour que de briser la tête de sa belle ! Passe pour la tourner par ses doux propos ; mais la jeter sur le pavé est aussi trop rude. Si elle en revient, qu’elle soit folle, laide ou imbécille, c’est égal, il faut qu’il l’épouse, et qu’il la soigne le reste de sa vie ; et si elle meurt, il ne lui reste plus qu’à se pendre ou se consoler. Qu’en pensez-vous, miss Elliot ? N’êtes-vous pas de mon avis ? »

— Elle ne put prendre sur elle de répondre ; et sans doute, malgré tous ses efforts pour se surmonter, un nuage de tristesse s’était répandu sur son aimable visage. Les deux dames causaient ensemble, et ne s’en aperçurent pas ; mais l’amiral, après un instant de rêverie, s’approcha d’elle, et lui dit de ce ton de bonhomie et de simplicité qui le caractérisait : « Je comprends très-bien, chère miss Elliot, que tout ici vous attriste ; revenir dans votre demeure, et, au lieu de vos amis naturels, n’y trouver que des étrangers ! Je n’y avais pas pensé d’abord ; mais je comprends bien que c’est très-triste. Ne vous gênez pas, chère miss Elliot, vous êtes aussi avec des amis ; agissez sans cérémonie ; levez-vous, allez parcourir les jardins et toutes les chambres de la maison, si vous le voulez, comme si vous étiez encore chez vous ; vous trouverez tout en ordre, et cela vous fera plaisir. »

Alice était enchantée de la bonté de cœur et de la simplicité de cet excellent homme ; elle refusa son offre pour le moment, mais en lui témoignant sa reconnaissance.

« Vous ne voulez pas ? dit-il ; comme cela vous conviendra : quand vous désirerez vous promener, vous n’aurez qu’à prendre une ombrelle, sortir, rentrer sans mot dire. Vous verrez que nous avons fait peu de changemens, très-peu ; et comme c’est Sophie qui les a dirigés, je vous promets qu’ils sont très-bons et très-utiles : vous pourrez dire à sir Walter que M. Shepherd les a tous approuvés. Dans ma chambre, je me suis contenté d’ôter toutes ces grandes glaces : je ne comprends pas ce que sir Walter pouvait faire d’une telle quantité de miroirs, il y en a assez d’un pour voir qu’on vieillit tous les jours : aussi j’ai dit à madame Croft : Sophie, allons enlever et cacher tous ces objets, qui prouvent à chaque instant qu’on n’est plus jeune. Elle a voulu en laisser un sur la cheminée, j’y ai consenti, mais je n’en approche que rarement. »

Alice s’amusait de ce ton de bonhomie, quoiqu’elle éprouvât cependant une sorte d’embarras à entendre plaisanter sur une des manies de son père ; elle rompit cette conversation ; et l’amiral, craignant de n’avoir pas été assez poli, lui dit encore avec effusion de cœur :

« La première fois que vous écrirez à votre bon père, miss Elliot, dites-lui mille amitiés de ma part et de celle de Sophie ; assurez-le que nous nous trouvons aussi bien à Kellinch-Hall que si nous y avions vécu toute notre vie ; tout est à merveille, La cheminée de la chambre à manger fume bien un peu quand le vent du nord donne, mais il ne souffle pas toujours ; les fenêtres du salon ne ferment pas bien, mais il n’y a qu’à ne pas l’habiter l’hiver, et l’été on ne s’aperçoit pas de cela ; ces misères ne sont rien, et je n’ai pas vu d’emplacement ni de maison qui me convinssent mieux que ceux-ci. Ne manquez pas de lui faire part de notre satisfaction ; il sera charmé de savoir ce que nous pensons de Kellinch-Hall. »

Lady Russel et madame Croft se plurent beaucoup mutuellement ; mais leur connaissance, qui serait probablement devenue très-intime, fut bornée momentanément à cette visite ; les Croft dirent qu’ils allaient partir pour le nord, où ils voulaient voir quelques parens, et qu’ils ne seraient sans doute pas de retour avant le départ de lady Russel pour Bath.

Ainsi tout danger pour Alice de rencontrer le capitaine Wentworth à Kellinch-Hall, et de le voir en société avec son amie, était anéanti ; elle sourit en pensant combien elle avait eu d’inquiétudes inutiles à ce sujet, puis elle soupira, en se disant tristement : « Tout est fini, je ne le reverrai que l’époux de Louisa, qu’elle trouvait bien heureuse, malgré ses souffrances. »