Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/La Femme noyée

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XVI.

La Femme noyée.




IE ne ſuis pas de ceux qui diſent,
Ce n’eſt rien ;
C’eſt une femme qui ſe noye.
Je dis que c’eſt beaucoup ; & ce ſexe vaut bien
Que nous le regrettions, puiſqu’il fait nôtre joye.

Ce que j’avance icy n’eſt point hors de propos ;
Puiſqu’il s’agit dans cette Fable
D’une femme qui dans les flots
Avoit fini ſes jours par un ſort déplorable,
Son Epoux en cherchoit le corps,
Pour luy rendre en cette avanture
Les honneurs de la ſepulture.
Il arriva que ſur les bords
Du fleuve auteur de ſa diſgrace
Des gens ſe promenoient, ignorans l’accident.
Ce mary donc leur demandant
S’ils n’avoient de ſa femme apperçu nulle trace ;
Nulle, reprit l’un d’eux ; mais cherchez-la plus bas ;
Suivez le fil de la riviere.
Un autre repartit : Non, ne le ſuivez pas ;
Rebrouſſez plutoſt en arriere.

Quelle que ſoit la pente & l’inclination
Dont l’eau par ſa courſe l’emporte,
L’eſprit de contradiction
L’aura fait floter d’autre ſorte.
Cet homme ſe railloit aſſez hors de ſaiſon.
Quant à l’humeur contrediſante,
Je ne ſçay s’il avoit raiſon.
Mais que cette humeur ſoit, ou non,
Le défaut du ſexe & ſa pente,
Quiconque avec elle naiſtra,
Sans faute avec elle mourra,
Et juſqu’au bout contredira,
Et, s’il peut, encor par-delà.