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La Flotte internationale dans l’Adriatique/01

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La Flotte internationale dans l’Adriatique
Le Monde illustré des 25 septembre et 2, 17, 24 octobre, 4 décembre 1880 et 12 février 1881 (p. 1-5).
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La flotte internationale à Raguse


Il est impossible de se dissimuler que cette éternelle question d’Orient prend de nouveau une tournure inquiétante. Les Albanais et les Monténégrins sont à la veille d’en venir aux mains, à propos de cette malencontreuse affaire de Dulcigno, qui a déjà mis en mouvement les flottes des grandes puissances. Tout fait craindre que la remise de Dulcigno aux Monténégrins ne s’accomplisse pas sans effusion de sang.

On doit se rappeler que le traité de Berlin signé en 1878 accordait un notable accroissement de territoire au Monténégro, surtout sur sa frontière Est, au détriment du pays occupé par les Albanais, qui sont les éternels ennemis des habitants des Montagnes-Noires (Tchernagorra), Ceux-ci purent occuper sans grandes difficultés Podgoritza et Antivari, petit port sur l’Adriatique ; mais quand ils se préparèrent à entrer sur le territoire de Gusingé et de Plava, les montagnards de cette région déclarèrent qu’ils se feraient exterminer jusqu’au dernier avant de remettre leur pays au Monténégro.

Pour empêcher tout conflit, et d’après les indications de la commission de délimitation du Monténégro, la Porte offrit au Monténégro de lui céder en échange les districts de Tusi et de Vrani, sur le lac de Scutari. Mais quand les troupes turques eurent évacué ces deux territoires, les Albanais les occupèrent aussitôt et se mirent en état de défense contre les Monténégrins.

Tout dernièrement, et comme dernier terme d’arrangement, on vient d’offrir au Monténégro le port de Dulcigno, sur l’Adriatique.

Mais là, comme à Plava et à Vrani, les chefs de la ligue albanaise, après s’être réunis en grand conseil à Prizrend, centre de la ligue, ont fait occuper par 8 000 hommes Dulcigno et la forteresse, après avoir chassé les deux bataillons de nizams qui en formaient la garnison. Les Albanais ont aussitôt élevé sur les hauteurs de la Mazura, situées en arrière de la ville, cinq lignes d’ouvrages en terre, reliés entre eux par des chemins couverts.

L’action du gouvernement de Constantinople est nulle auprès des Albanais, qui sont disposés à une défense à outrance. Riza-Pacha, qui se trouve à Marenga, sur la route de Scutari, avec dix bataillons de troupes régulières, ne peut faire entendre raison aux révoltés ; bien plus, de nombreux soldats désertent journellement de son camp et se joignent aux Albanais.

De leur côté, cinq mille Monténégrins viennent de camper le long de la frontière, près de la côte, à quelque distance de Dulcigno, attendant l’escadre internationale.

Celle-ci vient de se réunir dans la baie de Gravosa, qui sert de rade au port de Raguse, et se compose de vingt bâtiments, autrichiens, russes, italiens, allemands, anglais et français, avec un équipage total de sept mille trois cents hommes et cent trente-six canons. Elle est commandée par le vice-amiral anglais sir Beauchamp Seymour.


L’AFFAIRE DE DULCIGNO. — La flotte internationale des puissances signataires du traité de Berlin au mouillage de Gravosa, près Raguse. (Dessin de M. Scott, d’après le croquis de M. Z…, notre correspondant spécial.)

On croit que si les Albanais résistent, la flotte internationale a ordre de soutenir immédiatement et activement l’attaque que les troupes monténégrines doivent tenter contre Dulcigno.


LA FLOTTE INTERNATIONALE


Nous ne pouvions manquer d’être bien informés sur la présence de la flotte internationale rassemblée à Raguse. Après le croquis d’un officier de marine, que nous publions, et dont nous attendions les notes explicatives, il nous arrive, au moment de mettre sous presse, une photographie de la flotte qui, quoique prise d’un peu plus loin, nous montre que le dessin fait d’après nature a été de la plus grande exactitude.

Nous tenons néanmoins à remercier M. Guisti, notre fidèle correspondant à Naples, de son envoi. C’est à lui que nous emprunterons les notes explicatives.

On sait que Gravosa est le port de Raguse ; il est situé à une demi-lieue environ de cette dernière ville. Une dizaine de maisons à peine, éparpillées vers la côte, forment Gravosa ; mais il n’y manque ni la poste ni le télégraphe pour répondre aux besoins du port, pas plus qu’un café, ce lieu de rendez-vous obligé pour les marins. Les environs, outre les grands chantiers de construction, sont remplis de jolies villas entourées de jardins au milieu a une campagne luxuriante. Les roses, et particulièrement la rose thé, y sont splendides et aussi odoriférantes que celles à Nice.

Les officiers de la flotte descendent peu cependant à Gravosa ; c’est à Raguse qu’ils vont chercher une société agréable, surtout chez les consuls des nations auxquelles ils appartiennent. Ils pensent peu à la sérieuse démonstration, encore moins au bombardement prochain, dit-on, de Dulcigno et de ses hauteurs occupées par les Albanais. On danse, on rit, on organise des fêtes et des parties de plaisir, et l’on fraternise de navire à navire. Il est à souhaiter que l’entente des nations réponde à celle de leurs envoyés.

La flotte internationale se compose des navires suivants :

Angleterre : l’Alexandre, le Téméraire, l’Iris, le Falcon, le Bitter ; les canonnières Condor et Helicon. Le vice-amiral lord Seymour a arboré son pavillon à bord de l’Alexandre.
Italie : le Palestre, ayant à son bord le contre-amiral Futcati ; la Roma et le Marco Antiono Colonna.
Russie : la Svetlana, ayant à son bord le contre-amiral Cramer, et la Iemscoug.
Autriche : la Custoza et le Prince-Eugène.
Allemagne : la Victoria, la Zrini et la Landon.
France : le Suffren, le Friedland et l’Hirondelle.
R. MICHELY.