La Foire sur la place/II/13

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Paul Ollendorff (Tome 1p. 218-220).
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Deuxième Partie — 13


Un beau soir, que le ciel moelleux, comme un tapis d’Orient, aux teintes chaudes, un peu passées, s’étendait au-dessus de la ville assombrie, Christophe suivait les quais, de Notre-Dame aux Invalides. Dans la nuit qui tombait, les tours de la cathédrale montaient comme les bras de Moïse, dressés pendant la bataille. La lance d’or ciselée de la Sainte-Chapelle, l’épine sainte fleurissante, jaillissait du fourré des maisons. De l’autre côté de l’eau, le Louvre déroulait sa façade royale, dans les yeux ennuyés de laquelle les reflets du soleil couchant mettaient une dernière lueur de vie. Au fond de la plaine des Invalides, derrière ses fossés et ses murailles hautaines, dans son désert majestueux, la coupole d’or sombre planait, comme une symphonie de victoires lointaines. Et l’Arc de Triomphe ouvrait sur la colline, telle une marche héroïque, l’enjambée surhumaine des légions impériales.

Et Christophe eut soudain l’impression d’un géant mort, dont les membres immenses couvraient la plaine. Le cœur serré d’effroi, il s’arrêta, contemplant les fossiles gigantesques d’une espèce fabuleuse, disparue de la terre, et dont toute la terre avait entendu sonner les pas, — la race, casquée du dôme des Invalides, et ceinturée du Louvre, qui étreignait le ciel avec les mille bras de ses cathédrales, et qui arqueboutait sur le monde les deux pieds triomphants de l’Arche Napoléonienne, sous le talon de laquelle grouillait aujourd’hui Lilliput.