La France contre les robots/Chapitre 8

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Robert Laffont (p. 201-222).


VIII


Imbéciles ! chaque fois que j’écris votre nom, je me reproche de donner au dernier chapitre de ce modeste petit livre l’apparence d’une espèce de proclamation aux Imbéciles. N’importe ! À bien réfléchir, votre salut m’apparaît de plus en plus comme la condition — peut-être surnaturelle — du salut de tous les hommes. Dans la Civilisation des Machines, pourquoi ne tiendriez-vous pas, en effet, la place des pauvres ? L’ancien monde sacrifiait le pauvre à sa prospérité, à sa grandeur, à sa beauté, à ses plaisirs. Le monde moderne vous sacrifie à ses expériences démesurées. Il ne vous sacrifie pas de la même manière que l’ancien monde sacrifiait le pauvre. Jadis le pauvre manquait du nécessaire pour que le riche puisse jouir du superflu. Mais l’espèce de pauvreté qui vous est particulière n’enrichit personne, les imbéciles ne sont pas imbéciles pour que certains privilégiés de l’intelligence aient du génie. Il arrivait autrefois que les pauvres se révoltassent. Quel pourrait bien être le but de la révolte des pauvres sinon de dépouiller les riches ? La révolte des imbéciles n’a pas de but.

J’ai écrit dans « les Grands Cimetières » que la colère des imbéciles menaçait le monde. La « Colère des Imbéciles » ravage aujourd’hui la Terre. Elle est mille fois plus redoutable que celle des Huns ou des Vandales. Les Huns et les Vandales voulaient de l’or, du vin, des femmes et de grandes chevauchées sous les étoiles. Mais les imbéciles ne savent pas ce qu’ils veulent. Les imbéciles se battent avec le désespoir convulsif d’un noyé qui s’accroche des ongles à l’épave, et sanglote de la sentir s’enfoncer sous lui. Certes, le hitlérisme ou le fascisme ne pouvaient soutenir personne à la surface des eaux, dans cet ouragan d’apocalypse. Mais les imbéciles, rendus furieux par la peur, seraient parfaitement incapables d’utiliser la meilleure des planches de salut.

La colère des imbéciles est pour la Civilisation des Machines un témoignage accablant. Une société normale compte toujours une grande proportion d’imbéciles, c’est entendu, mais ils s’y distinguent peu des autres citoyens pour la raison que, étant incapables de recevoir beaucoup d’idées à la fois, ils n’en accueillent par un naturel réflexe de défense que le petit nombre indispensable à l’entretien de leur vie, à l’exercice de leur métier. La Civilisation des Machines force cette défense jour et nuit. La Civilisation des Machines a besoin, sous peine de mort, d’écouler l’énorme production de sa machinerie et elle utilise dans ce but — pour employer l’expression vengeresse inventée au cours de la dernière guerre mondiale par le génie populaire — des machines à bourrer le crâne. Oh ! je sais, le mot vous fait sourire. Vous n’êtes même plus sensible au caractère réellement démoniaque de cette énorme entreprise d’abêtissement universel, où l’on voit collaborer les intérêts les plus divers, des plus abjects aux plus élevés — car les religions utilisent déjà les slogans. Politiciens, spéculateurs, gangsters, marchands, il ne s’agit que de faire vite, d’obtenir le résultat immédiat, coûte que coûte, soit qu’il s’agisse de lancer une marque de savon, ou de justifier une guerre, ou de négocier un emprunt de mille milliards. Ainsi les bons esprits s’avilissent, les esprits moyens deviennent imbéciles, et les imbéciles, le crâne bourré à éclater, la matière cérébrale giclant par les yeux et par les oreilles, se jettent les uns sur les autres, en hurlant de rage et d’épouvante.

Ne pas comprendre ! il faudrait un peu plus de cœur que n’en possèdent la plupart des hommes d’aujourd’hui pour ressentir la détresse de ces êtres malheureux auxquels on retire impitoyablement toute chance d’atteindre le petit nombre d’humbles vérités auxquelles ils ont droit, qu’un genre de vie proportionné à leurs modestes capacités leur aurait permis d’atteindre, et qui doivent subir, de la naissance à la mort, la furie des convoitises rivales, déchaînées dans la presse, la radio. Être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, tel est le sort des imbéciles. Toute la vie d’un de ces infortunés ne suffirait pas probablement à lui permettre d’assimiler la moitié des notions contradictoires qui, pour une raison ou pour une autre, lui sont proposées en une semaine. Oui, je sais que je suis presque seul à dénoncer si violemment ce crime organisé contre l’esprit. Je sais que les imbéciles dont je prends ainsi la défense n’attendent que l’occasion de me pendre, ou peut-être de me manger, car où s’arrêtera leur colère ? N’importe ! je répète que ce ne sont pas les Machines à tuer qui me font peur. Aussi longtemps que tueront, brûleront, écorcheront, disséqueront les Machines à tuer, nous saurons du moins qu’il y a encore des hommes libres, ou du moins suspects de l’être. La plus redoutable des machines est la machine à bourrer les crânes, à liquéfier les cerveaux. Oui, oui, riez tant que vous voudrez de ma colère, misérables prêtres sans cœur ! Tant que vous aurez un bout de tribune pour y menacer de l’enfer l’imbécile qui ne tire pas sa casquette au Curé, ou qui ne donne pas à la quête, vous vous vanterez de tenir en main des consciences. Mais la Machine à bourrer les crânes en aura fini depuis longtemps avec le jugement, et sans jugement, pas de conscience ! Vos menaces ne toucheront plus que les tripes, non les âmes.

Les âmes ! On rougit presque d’écrire aujourd’hui ce mot sacré. Les mêmes prêtres imposteurs diront qu’aucune force au monde ne saurait avoir raison des âmes. Je ne prétends pas que la Machine à bourrer les crânes est capable de débourrer les âmes, ou de vider un homme de son âme, comme une cuisinière vide un lapin. Je crois seulement qu’un homme peut très bien garder une âme et ne pas la sentir, n’en être nullement incommodé ; cela se voit, hélas ! tous les jours. L’homme n’a de contact avec son âme que par la vie intérieure, et dans la Civilisation des Machines la vie intérieure prend peu à peu un caractère anormal. Pour des millions d’imbéciles, elle n’est qu’un synonyme vulgaire de la vie subconsciente, et le subconscient doit rester sous le contrôle du psychiatre. Oh ! sans doute, le psychiatre ne saurait être tenu pour responsable de cette bêtise, mais il ne peut pas non plus faire grand’chose contre elle. La Civilisation des Machines qui exploite le travail désintéressé du savant est moins tentée que jamais de lui déléguer la plus petite part de son magistère sur les consciences. Peut-être eût-elle été tentée de le faire au temps de la science matérialiste dont certaines théories, du moins en apparence, s’accordaient avec sa propre conception de la vie, mais la science actuelle ne se prête nullement aux grossières simplifications de la propagande.

Dans sa lutte plus ou moins sournoise contre la vie intérieure, la Civilisation des Machines ne s’inspire, directement du moins, d’aucun plan idéologique, elle défend son principe essentiel, qui est celui de la primauté de l’action. La liberté d’action ne lui inspire aucune crainte, c’est la liberté de penser qu’elle redoute. Elle encourage volontiers tout ce qui agit, tout ce qui bouge, mais elle juge, non sans raison, que ce que nous donnons à la vie intérieure est perdu pour la communauté. Lorsque l’idée du salut a une signification spirituelle, on peut justifier l’existence des contemplatifs — c’est ce que fait l’Église au nom de la réversibilité des mérites et de la Communion des Saints. Mais dès qu’on a fait descendre du ciel sur la terre l’idée du salut, si le salut de l’homme est ici-bas, dans la domination chaque jour plus efficiente de toutes les ressources de la planète, la vie contemplative est une fuite ou un refus. Pour employer une autre expression de l’avant-dernière guerre, dans la Civilisation des Machines tout contemplatif est un embusqué. La seule espèce de vie intérieure que le Technicien pourrait permettre serait tout juste celle nécessaire à une modeste introspection, contrôlée par le Médecin, afin de développer l’optimisme, grâce à l’élimination, jusqu’aux racines, de tous les désirs irréalisables en ce monde.

Imbéciles ! Vous vous fichez éperdument de la vie intérieure, mais c’est tout de même en elle et par elle que se sont transmises jusqu’à nous des valeurs indispensables, sans quoi la liberté ne serait qu’un mot. Vous vous fichez non moins éperdument de ces valeurs ? Soit ! Ce que j’écrivais il y a un instant sur les gaillards qui se sont à peu près libérés de leur âme ne vous intéresse pas davantage ? Tant pis. Je me permettrai pourtant de revenir sur ce type si parfaitement représentatif, en un sens, de l’ordre et de la civilisation des machines, l’aviateur bombardier. À ce mot, les imbéciles recommencent à se gratter ; je devrai donc vous ouvrir une parenthèse. Il est d’usage, pour essayer de distinguer entre eux les imbéciles, de les classer en imbéciles de droite et en imbéciles de gauche. Les imbéciles de gauche n’auront pas tort de dire que la guerre totale est une invention des fascistes. Mais supposons, par exemple, qu’au temps de la guerre espagnole, les vaillantes armées russes aient envahi l’Allemagne. Existe-t-il, à droite ou à gauche, un imbécile assez imbécile pour oser me démentir si je dis que les aviateurs du Maréchal Staline auraient pu se comporter exactement comme le firent, quatre ans plus tard, les aviateurs du Maréchal Gœring, sans encourir le moindre blâme de leurs amis ? Ces messieurs, en se grattant plus énergiquement que jamais, auraient invoqué les impitoyables nécessités de la guerre, comme dix ans plus tôt ils invoquaient, pour excuser les milliers de cadavres de l’épuration léniniste, les nécessités, non moins sacrées de la révolution communiste. Imbéciles de droite et de gauche, chiens que vous êtes, si vous vous grattez si furieusement, c’est que vous vous sentez, au fond, tous d’accord, vous savez tous très bien qu’à la Civilisation des Machines doit logiquement correspondre la guerre des machines. Assez de grimaces, hypocrites ! Torchez-vous une dernière fois les yeux, et revenons si vous le voulez bien à l’aviateur bombardier. Je disais donc que le brave type qui vient de réduire en cendres une ville endormie se sent parfaitement le droit de présider le repas de famille, entre sa femme et ses enfants, comme un ouvrier tranquille sa journée faite. « Quoi de plus naturel ! » pense l’imbécile, dans sa logique imbécile, « ce brave type est un soldat, il y a toujours eu des soldats ». Je l’accorde. Mais le signe inquiétant, et peut-être fatal, c’est que précisément rien ne distingue ce tueur du premier passant venu, et ce passant lui-même, jusqu’ici doux comme un agneau, n’attend qu’une consigne pour être tueur à son tour, et, devenant tueur, il ne cessera pas d’être un agneau. Ne trouvez-vous pas cela étrange ? Un tueur d’autrefois se distinguait facilement des autres citoyens, non seulement par le costume, mais par sa manière de vivre. Un vieux routier espagnol, un lansquenet allemand, ivrogne, bretteur et paillard, se mettaient, comme d’eux-mêmes, en dehors, ou en marge de la communauté. Ils agissaient ainsi par bravade sans doute, mais nous savons que la bravade et le cynisme sont toujours une défense, plus ou moins consciente, contre le jugement d’autrui, le masque d’une honte secrète, une manière d’aller au-devant d’un affront possible, de rendre terreur pour mépris. Car le routier espagnol, le lansquenet allemand se jugeaient, eux aussi, de simples instruments irresponsables entre les mains de leurs chefs, mais ils n’en étaient pas fiers. Ils préféraient qu’on les crût plutôt criminels que dociles. Ils voulaient que leur irresponsabilité parût venir plutôt de leur nature, de leurs penchants, de la volonté du Bon Dieu, auquel ils croyaient en le blasphémant. Le bombardier d’aujourd’hui, qui tue en une nuit plus de femmes et d’enfants que le lansquenet en dix ans de guerre, ne souffrirait pas qu’on le prît pour un garçon mal élevé, querelleur. « Je suis bon comme le pain, dirait-il volontiers, bon comme le pain et même, si vous y tenez, comme la lune. Le grincement de la roulette du dentiste me donne des attaques de nerfs et je m’arrêterais sans respect humain dans la rue pour aider les petits enfants à faire pipi. Mais ce que je fais, ou ne fais pas, lorsque je suis revêtu d’un uniforme, c’est-à-dire au cours de mon activité comme fonctionnaire de l’État, ne regarde personne. »

Je répète que cette espèce d’homme diffère absolument de celle où se recrutaient jadis les aventuriers, les soudards. Elle est mille fois plus dangereuse, ou, pour mieux dire, afin de n’être pas injuste, son apparition et sa propagation parmi nous est un présage inquiétant, une menace. L’espèce des soudards demeurait nécessairement peu nombreuse. On ne trouve pas, à chaque coin de rue, de ces risque-tout, de ces hors-la-loi — la guerre moderne, d’ailleurs, s’en accommoderait mal ; les fameux miquelets seraient plutôt aujourd’hui, en Amérique du Nord, des gangsters ou des policiers… Il est prouvé aujourd’hui que la Civilisation des Machines, pour ses besognes les plus sanglantes, peut trouver des collaborateurs dans n’importe quelle classe de la société, parmi les croyants ou les incroyants, les riches ou les pauvres, les intellectuels ou les brutes. Trouvez-vous cela très rassurant, imbéciles ? Moi, pas. Oh ! sans doute, les bombardiers démocrates, dites-vous, exécutent une besogne de justice. Mais les bombardiers d’Italie, par exemple, à l’époque de la guerre d’Éthiopie, ne pouvaient nullement prétendre exécuter une besogne de justice. Ils ne s’en recrutaient pas moins dans les mêmes milieux décents, bien-pensants. Et rappelez-vous, rappelez-vous un peu !… Parmi les justiciers démocrates d’aujourd’hui en Amérique, comme en Angleterre, n’auriez-vous pas trouvé alors un grand nombre d’amis et d’admirateurs de Mussolini ? M. Churchill lui-même ne comptait-il pas alors parmi eux ? Imbéciles ! Voilà longtemps que je le pense, si notre espèce finit par disparaître un jour de cette planète, grâce à l’efficacité croissante des techniques de destruction, ce n’est pas la cruauté qui sera responsable de notre extinction et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’elle inspire, les représailles et les vengeances qu’elle suscite ; ni la cruauté, ni la vengeance, mais bien plutôt la docilité, l’irresponsabilité de l’homme moderne, son abjecte complaisance à toute volonté du collectif. Les horreurs que nous venons de voir, et celles pires que nous verrons bientôt, ne sont nullement le signe que le nombre des révoltés, des insoumis, des indomptables, augmente dans le monde, mais bien plutôt que croît sans cesse, avec une rapidité stupéfiante, le nombre des obéissants, des dociles, des hommes, qui, selon l’expression fameuse de l’avant-dernière guerre, « ne cherchaient pas à comprendre ». Imbéciles ! Imbéciles ! Êtes-vous assez parfaitement imbéciles pour croire que, si demain, par exemple, l’impérialisme russe affrontait l’impérialisme américain, les bombardiers de l’une et l’autre nation hésiteraient une seconde à remplir de nouveau leur tâche ? Allez ! Allez ! imbéciles ! nous n’en resterons pas là. Les mêmes mains innocentes se feront demain dans la paix, avec la même indifférence professionnelle, les humbles servantes de l’État contre les inconformistes de mon espèce, les mal-pensants. « Que voulez-vous ? Je n’en suis pas responsable », voilà l’excuse-type, valable pour n’importe quel cas. Des milliers de braves gens de mon pays l’ont entendue tomber de la bouche du policier ou du gendarme de Vichy, pendant l’occupation allemande. Ces policiers, ces gendarmes étaient leurs compatriotes, souvent même leurs anciens camarades de la guerre, n’importe ! Pétain se nommait le Chef de l’État, et l’État, dont les imbéciles croient dur comme fer que le rôle est de les élever, ou de les nourrir, de les instruire, de les soigner dans leurs maladies, de les entretenir dans leur vieillesse et finalement de les enterrer, a tous les droits. Que Pétain fût devenu Chef de l’État par une véritable escroquerie et dans les conditions les plus déshonorantes pour un militaire, c’est-à-dire à la faveur de la déroute, le policier ou le gendarme ne s’embarrassaient nullement de ce détail. Au fond, l’immense majorité des hommes modernes est d’accord sur ce point. Le Pouvoir légitime est celui qui tient les cordons de la bourse, et par conséquent dispose des fonds nécessaires pour les entretenir, eux et leur progéniture. Si les chiens raisonnaient, ils ne raisonneraient pas autrement en faveur de celui qui leur donne la niche et la pâtée. « Ne te fâche pas, disait le gendarme de Vichy à son compatriote, je m’en vais te livrer à la police allemande, qui après t’avoir scientifiquement torturé te fusillera, mais que veux-tu ? Le Gouvernement m’a donné une situation, et je ne peux naturellement pas risquer de perdre cette situation, sans parler de ma petite retraite future. Allons ! ouste ! Il ne faut pas chercher à comprendre. » La preuve que ce raisonnement est tout à fait dans le sens et l’esprit de la vie moderne, c’est que personne ne songe aujourd’hui à inquiéter ce policier ou ce gendarme. Lorsque ce brave serviteur de l’État rencontre le Général de Gaulle, il le salue, et le Général lui rend certainement son salut avec bienveillance.

Obéissance et irresponsabilité, voilà les deux Mots Magiques qui ouvriront demain le Paradis de la Civilisation des Machines. La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c’est-à-dire pleinement responsables de leurs actes : la France refuse d’entrer dans le Paradis des Robots.

Et d’ailleurs, ce Paradis n’existe pas. Rien non plus ne l’annonce. Dans son discours d’inauguration à la Conférence de San Francisco, le nouveau Président des États-Unis, Harry Truman, a déclaré textuellement : « Avec la brutalité et la destruction en rythme croissant, la guerre moderne, si nous ne réussissons pas à la contenir, détruira, en dernière instance, toute la civilisation. » Cette conférence est sans doute la dernière opportunité de salut qui est laissée au monde. Or, je le demande aux imbéciles, n’est-ce pas la condamnation du Système et de la Civilisation fondés sur le primat des formes les plus grossières de l’action que de telles paroles aient pu être prononcées, notamment par ce Truman, politicien d’affaires, sans race, sans passé, sans culture, et qui devrait avoir dans la Civilisation des Machines une confiance aveugle ? Hélas ! nous voyons bien se perfectionner chaque jour les instruments et les méthodes de la destruction, mais que trouvons-nous à opposer à la guerre sinon la guerre elle-même ? Oh ! je sais bien, il y a les conférences et les traités. Mais les imbéciles eux-mêmes comprennent que le perfectionnement de la guerre entraine logiquement l’affaiblissement et la décadence des méthodes pacifiques de la diplomatie. Chaque invention nouvelle accroît le prestige de la Force, et fait décroître celui du Droit. Dans un monde armé jusqu’aux dents, le Juge de Droit International Public finit par devenir une espèce de personnage cocasse, le survivant d’une époque disparue. Et d’ailleurs, il n’y a pas de professeur à la Conférence de San Francisco ; le public a déjà très bien compris qu’elle est un événement de la guerre, qu’elle est dans le cadre de la guerre, les maîtres de la guerre s’y faisant représenter par des civils dont la seule besogne sera de traduire les formules de l’impérialisme en langage diplomatique et juridique.