Causeries, deuxième série/La Grève des Épouseurs

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Hachette (2p. 42-57).

LA GRÈVE DES ÉPOUSEURS.

J’ai pour voisin de campagne un provincial dans mon genre, qui a fait ses études à Paris, et même, entre vingt et trente ans, quelques études sur Paris. Mais il n’y retourne plus de plein gré depuis qu’il est marié, père de famille, et absolument heureux dans son coin. C’est un homme vraiment bon, pour deux raisons sans réplique : d’abord parce qu’il n’a rien à désirer, ensuite parce qu’il travaille du matin au soir et qu’il dort du soir au matin. Les Parisiens fiévreux, qui font du jour la nuit, se moqueraient de lui et de moi, si je disais à quelle heure il se couche.

Cet homme, sur qui les poules semblent avoir déteint, a la monomanie du bien et du juste. Il s’insurge à tort et à travers contre les iniquités sociales ; c’est un vrai don Quichotte en chambre, toujours prêt à tomber sur l’ombre même des abus. Un de ses dadas favoris est l’esclavage auquel nous réduisons le sexe faible. Il a trop de bon sens pour rêver une invasion de jupes dans la politique, mais il tient et il maintient qu’au point de vue du cœur une femme vaut un homme, si tant est qu’elle ne vaille pas mieux. Son équité voudrait que le sexe le plus faible ne fût pas condamné toute la vie à attendre le bon plaisir du plus fort. Lorsqu’il voit, dans un bal de province, une fille intelligente et bonne faire tapisserie de huit heures à minuit, ses nerfs s’agacent « Eh quoi ! dit-il, la pauvre enfant est soumise au caprice de neuf ou dix garçons ignorants et vulgaires dont le meilleur ne vaut pas son petit doigt ! » Je n’ai pas besoin d’ajouter que les vieilles filles, si injustement raillées en tout pays, sont le plus cher objet de ses sympathies. Il enrage de voir les carrefours de la vie honnête encombrés de personnes aimables et respectables, qui n’attendent même plus le bon plaisir de l’homme, et qui, pour consoler la douleur la plus amère, n’obtiennent que les ricanements du mépris. « Est-ce leur faute, dit-il, si elles n’ont pas trouvé quelques billets de mille francs dans leur berceau ? Or, il en faut au moins une poignée pour acheter un secrétaire de la mairie ou un employé des droits réunis. Pouvaient-elles amasser un capital par elles-mêmes ? Nous vivons dans un monde où la femme est exclue de tous les travaux lucratifs ! Or, la femme qui n’a pas les moyens de se payer un mari est condamnée par cela seul à une espèce de mutilation morale. Ses instincts d’épouse et de mère, tout ce qu’il y a de meilleur en elle s’atrophie, se dessèche et se brûle ; le corps même dépérit au bout d’un certain temps un être organisé ne se soustrait pas impunément aux lois de la nature. Il n’y a qu’un remède à cette consomption, et il est pire que le mal : la société, qui ne peut rien pour établir honnêtement la jeune fille honnête, la foule aux pieds dès qu’elle immole le devoir à l’instinct. »

Vous pouvez reconnaître à cet échantillon que les théories de mon ami ne sont pas d’un méchant homme.

Jugez de mon étonnement lorsqu’il entre chez moi, ce matin, au retour d’un petit voyage, et me dit en se frottant les mains d’un air guilleret :

« Savez-vous la bonne grève qui vient de se déclarer à Paris ?

— Il n’y a pas de bonne grève.

— Si ! il y en a au moins une ; et c’est celle que j’ai eu le plaisir de constater moi-même.

— Alors, j’y suis. Comme champion du beau sexe, vous prenez fait et cause pour les blanchisseuses de fin ?

— Vous êtes à cent lieues de la question, mon cher. La grève qui fait mon bonheur, c’est…

— Allez donc !

— La grève des Parisiens, qui ne veulent plus épouser les Parisiennes !

— Où diable avez-vous trouvé ça ?

— Mais dans le meilleur monde, à la fin d’un très-joli bal, chez mon camarade et mon ami M. Léon S…

— À l’heure du cotillon ? Les danseurs se sont retirés sur le mont Aventin ? Ils ont fait un pronunciamiento et demandé une augmentation de vingt-cinq pour cent sur toutes les dots ? Est-ce cela que vous voulez dire ?

— Je dis tout simplement que les jeunes gens de Paris ne veulent plus se marier à aucun prix, et qu’après avoir entendu froidement leurs raisons je les approuve, morbleu !

— Vous ? avec vos idées ?

— Moi ! sans démentir un seul mot de ce que j’ai toujours dit.

— Alors, expliquez-vous, car il me semble que je rêve.

— Mon cher, le bal avait été charmant, sans hyperbole, pour un bal de l’arrière-saison. J’y ai compté plus de quarante jolies personnes, femmes ou filles… on ne les distingue plus trop bien les unes des autres, car elles portent les mêmes robes et parlent à peu près de la même façon. Il n’y a que les diamants ! Mais beaucoup de femmes du monde laissent leurs diamants dans l’écrin au mois de mai. Les jeunes gens étaient fort empressés ; ils n’avaient pas cet air fourbu qu’on remarque chez eux à la fin du carnaval : la sève remonte dans les cœurs comme dans les arbres, et le printemps luit pour tout le monde. Je ruminais en moi ce joli vers de Musset :

Toute femme aujourd’hui doit désirer qu’on l’aime !

Et je pensais que réciproquement tout homme devait être en disposition d’aimer. Vous savez la réflexion de Frédéric II, par une belle nuit d’hiver, bien étoilée : « Voilà, dit-il, un temps qui donnera beaucoup de soldats à la Prusse. » Moi, je disais en aspirant les parfums du jardin par les fenêtres ouvertes : « Ces jolis bals de printemps doivent donner beaucoup de ménages à la France. »

Tous les invités, ou peu s’en faut, restèrent jusqu’au matin, et l’appétit des soupeurs dépassa les prévisions du maître d’hôtel. Il fallut diviser le public en trois fournées ; je crois même qu’on alla réveiller Tortoni et le café Anglais pour obtenir un supplément de vivres. J’étais de la dernière série, avec Léon S… et huit ou dix danseurs intrépides qui donnèrent un fameux coup de dent. Quant à moi, vous savez, j’ai l’estomac campagnard, même à Paris. Que je veille ou que je dorme, mon appétit se couche à huit heures et le canon des Invalides ne le réveillerait pas. Je demeurai pourtant, sur les instances du cher Léon ; ne suis-je pas le seul ami qui lui reste du collége ? Il en avait sept ou huit, intimes comme moi, lorsqu’il s’est marié en 1850. Madame les a éloignés l’un après l’autre, celui-ci parce qu’il mettait mal sa cravate, celui-là parce qu’il manquait de religion, l’un parce qu’il avait épousé une personne trop simple, l’autre parce qu’il n’aimait pas la musique de Gounod. Le Parisien choisit ses amis lui-même, mais sa femme fait un travail de révision qui les élimine parfois jusqu’au dernier.

Quand la troisième série, dont j’étais, eut sucré son café et allumé les cigares, la conversation s’anima comme il arrive partout où le vin de Champagne a coulé. Moi qui n’avais rien pris qu’une tasse de thé, je payai mon écot par quelques réflexions sur les harmonies secrètes qui unissent le mariage et le printemps. Un immense éclat de rire accueillit mes paroles : je m’étais fourvoyé dans un guêpier de célibataires endurcis et un peu gris. Vous savez quel est le premier mouvement d’un homme qui tombe à l’eau : il cherche une branche. Je saisis Léon S… qui est des nôtres, lui ! et je le pris à témoin.

Léon secoua la tête et me dit : « Mon bon vieux, tu as vu ce soir pas mal de jolies filles ?

— Énormément.

— Pas tant que ça. Mais il y en avait sept qui peuvent passer pour jolies, qui appartiennent à des familles honorables, qui ont reçu une bonne éducation de cours ou de couvent, qui ne manquent ni de santé, ni d’esprit, ni de grâce, et qui, malgré ces avantages, roulent depuis deux, trois, quatre et cinq ans travers tous les bals de Paris sans trouver qui les épouse !

— Quoi ! m’écriai-je, l’avarice des hommes a-t-elle fait de si grands progrès ? En sommes-nous descendus là que, faute d’un peu d’argent ?…

— Arrête ! Tu vas lancer une tirade inutile. Le vil métal, pas vrai ? Naïf homme des champs ! Le vil métal n’est pas ce qui leur manque. Elles sont dotées, ces colombes ! Si elles ne l’étaient pas, la chose irait de soi, et mon observation n’aurait plus aucun sel. Mais elles ont des dots, en espèces sonnantes. La plus pauvre des sept a quatre-vingt mille francs déposés chez le notaire ; la plus riche en a quatre cent mille en obligations du Nord ; les cinq autres sont échelonnées entre les deux chiffres que je t’ai dit. Et personne, j’entends aucun des hommes qu’elles pourraient accepter, ne veut ni d’elles ni de leur argent. On refuse avec acharnement ces petites personnes appétissantes et ces dots qui feraient ouvrir de grands yeux et de grandes bouches à tous les épouseux de la province. Qu’en dis-tu ?

— Je dis que tu te moques de moi, et que tu n’es pas aimable pour un ami qui devrait être couché depuis hier soir.

— Demande à ces messieurs ! Ils te diront tout d’une voix que ma maison n’est pas la seule où l’on constate ce phénomène. C’est partout la même histoire ; fais un tour dans les salons de Paris, et tu verras ! Vous autres provinciaux, quand vous voyez une fille de deux cent mille francs coiffer sainte Catherine, vous entrez en défiance, vous soupçonnez des tares occultes, vous vous dites qu’il y a quelque chose là-dessous. Vous cherchez si les parents n’ont pas été en cour d’assises, si la jeune personne n’est pas épileptique ou si elle n’a pas eu des familiarités trop vives avec un petit cousin. À Paris, mon garçon, les filles de vingt-cinq ans n’étonnent plus personne. On sait qu’elles ont monté en graine, avec leur dot, parce que les hommes n’en ont pas voulu.

— Mais pourquoi ?

— Interroge ces messieurs ! Tu as là toute une tablée de célibataires. Moi, je suis marié ; si je plaidais la cause du célibat, j’aurais l’air de me plaindre, et d’accuser quelqu’un, ce qui est à cent lieues de ma pensée. »

Un bambin de dix-huit ans qui fumait un gros cigare en frisant l’espoir de sa moustache, prit la parole avec aplomb et dit :

« Ma parole d’honneur panachée, mon cher monsieur, votre innocence m’étonne. Le père Thibautodé, mon auteur, m’a laissé cent mille balles de rente. C’est le strict nécessaire pour un garçon posé comme moi sur le pavé de Paris. Mon écurie en mange la moitié à elle seule, et pourtant je n’ai que trois chevaux de course, ou, pour parler plus juste, deux et demi. Le reste me permet d’être aimé pour moi-même, en second, par tout ce qu’il y a de plus chic dans le monde de la crinoline. J’étais hier avec Nana, je la lâcherai ce matin pour Tata, à moins que le souffle azuré de la fantaisie ne me pousse dans le giron de Zaza. Je ne me ruinerai pas ; a pas peur ! je sais compter ; c’est tout ce que j’ai appris au collége. Je pense aller comme ça, tout doucement, jusqu’à ma dernière année, suivant l’exemple de plusieurs vieillards vénérables qui émaillent le boulevard. Avouez que je serais bien bon enfant de partager cette modeste aisance avec une bégueule comme on en voit tant, et un tas de petits Thibautodé qui ne m’amuseraient pas du tout ! »

Ce petit homme, pourri avant d’être mûr, ne m’inspira qu’un profond dégoût. Je m’apprêtais à lui donner une leçon, mais son discours fut hué de telle sorte que mon éloquence eût été du superflu. Quand le tapage fut apaisé, un beau garçon de trente-cinq ans prit la parole et me dit :

« Ne croyez pas, monsieur, que l’égoïsme bête et le goût des plaisirs faciles soient les seules raisons qui nous détournent du mariage. Je ne suis ni un égoïste, ni un oisif ; j’ai travaillé pour moi toute ma vie, et si j’éprouve un regret, c’est, de ne pouvoir travailler pour une famille. Mais voyez où j’en suis, et dites-moi ce que vous feriez à ma place. Je me suis élevé, non sans peine, à un emploi de 12 000 francs ; mon revenu me suffit pour vivre. Si…

— Un instant ! m’écriai-je. Épousez une femme qui vous en apporte autant ! Voilà comme on fait les bonnes maisons !

— En province, peut-être à Paris, non. Vous ne savez pas, monsieur, ce que Paris est devenu depuis quelques années. Une femme qui m’apporterait douze mille francs de rente ajouterait beaucoup plus à ma dépense qu’à mon revenu. D’abord, elle entendrait dépenser elle-même en toilette, en mobilier, en dîners, en luxe de maison l’intérêt de son capital. Trop heureux si elle n’empiète pas sur les appointements de ma place ! La position que j’occupe lui ouvre les portes d’un certain monde ; par quels raisonnements lui persuaderais-je de n’y point aller ? Elle me répondrait sans hésiter : Eh ! monsieur, je ne vous ai pas épousé pour autre chose. Si je l’y mène, elle s’apercevra, dès la porte d’entrée, qu’elle n’est pas aussi bien mise que Mesdames telle et telle ; elle n’exigera peut-être pas que je lui donne autant de diamants qu’elle en voit sur les autres ; mais, par compensation, elle voudra se faire habiller par le tailleur à la mode. Savez-vous ce qu’un bal coûte en moyenne au mari de la femme la plus raisonnable ? Trois cents francs ! Tirez-vous d’affaire avec un revenu de deux mille francs par mois. Je ne parle pas des enfants : qu’il en survienne un seul, nous serons sur la paille. Et lui, donc ! ce pauvre petit diable ! Quel héritage pourrons-nous lui laisser, sinon nos dettes ? En province, les gens de bien font presque tous des économies, parce qu’en province on vit pour soi. À Paris, les plus honnêtes gens font presque tous des dettes, parce qu’ils sont forcés de vivre pour les autres ! Je ne parle pas du célibataire : il a le droit d’être philosophe ; mais l’homme marié est l’esclave d’une esclave : il appartient à sa femme, qui appartient à la vanité. »

Je crus devoir protester contre une accusation si absolue.

« Monsieur, dis-je, il y a des femmes de bon sens, même à Paris. »

Ce jeune homme sourit poliment, et me dit avec condescendance :

« Oui, monsieur ; j’en connais plus d’une. Je crois même qu’en général la femme est plus raisonnable que l’homme ; elle est plus sobre, d’abord, et s’abstient de tous les poisons qui nous troublent le cerveau. Vous trouverez le bon sens chez les femmes du peuple, ces innocentes victimes du cabaret ; chez les femmes de la petite bourgeoisie, qui mettent sou sur sou pour l’échéance ou le loyer ; vous le trouverez plus haut encore, chez toutes les femmes d’un certain âge, celles qui ont passé quarante-cinq ans et qui l’avouent. Celles-là ont reçu une éducation plus solide que les poupées à trente-six ressorts qu’on nous fabrique aujourd’hui ; elles ont eu le temps de lire, elles ont pris l’habitude de penser, elles habitent des hauteurs morales où le tapage des boulevards, les bouteilles cassées à la Marche et les chansons de mademoiselle Thérésa n’éveillent aucun écho.

« La folie que j’accuse ne sévit que dans un milieu spécial, une sorte de champ clos, où quelques milliers de femmes, inégales par le rang, la fortune, la naissance et la beauté, se démènent incessamment pour s’effacer les unes les autres. Ce milieu, où nous sommes jetés pour notre malheur, est ce qu’on appelle par excellence le monde. Les filles qui dansaient ce soir chez notre ami S… sont des filles du monde ; elles ne se marient qu’à la condition de devenir femmes du monde : or, l’obligation de loger, de voiturer, d’habiller et de farder une femme du monde, entraînée pour les steeplechases du monde, comporte aujourd’hui tant de dépenses que les célibataires intelligents ne s’y frottent plus.

— Mais, monsieur, répondis-je, il n’y a pas de plaisirs sans peines. Le bonheur coûte peut-être un peu plus cher Paris qu’en province, mais il est conséquemment plus vif ! »

Un autre interlocuteur, homme de quarante ans environ, partit comme une fusée :

« Le bonheur ! s’écria-t-il, de quel bonheur voulez-vous parler, je vous prie ? Je suis veuf, moi, et je vous jure qu’on ne me reprendra plus à ce bonheur-là. Je ne regardais pas à la dépense ; ma fortune n’est que trop grande pour le profit qu’elle m’a fait ! De tous côtés on m’offrait des dots à choisir j’ai dit : Non ! Puisque j’ai le moyen d’épouser une femme qui me plaise, prenons-la pauvre, elle nous en saura gré. J’ai donc fait une parvenue ! J’ai élevé à moi une de ces pauvres désolées qui promènent dans le monde un sourire forcé, triste amorce où personne ne mord ! Moi, j’ai mordu, v’lan ! Il y avait une famille, j’ai fait un sort à la famille.

« On m’a prouvé, chiffres en main, que pour produire mademoiselle et la mettre en lumière on s’était endetté de cent mille francs. J’ai payé. Il ne me restait plus qu’à encaisser mon bonheur : Ah ! la belle plaisanterie ! Ma femme avait dit comme moi sur toutes les questions, tant qu’elle n’avait pas été ma femme. Le lendemain du sacrement, elle a dressé la tête, roide comme aspic. Elle a démasqué toute une batterie de sottises vieilles et neuves, prêtes à mitrailler mon pauvre bon sens. Elle avait une foi à elle, des principes à elle, un confesseur à elle, une littérature, une médecine à elle, et tout un bataillon d’amies à elle, qui n’ont jamais été les miennes, grâce à Dieu ! J’ai des goûts simples, elle en avait d’autres. Mon père m’a laissé un nom auquel je tiens, et un titre dont je ne fais aucun cas : on est de son époque. Ma femme était de son époque, à elle ; le bonheur d’être marquise lui faisait sauter la cervelle au plafond. Elle m’a rétabli, bon gré, mal gré, dans ce coquin de marquisat, que je donnais au diable ; elle a tiré mes armes de la poussière pour les étaler partout : sur les panneaux de ma voiture, sur mon argenterie, mon linge, mes tapis, mes meubles ; pour un rien, elle me les aurait plaquées dans le dos ! Elle était née Dupont en ligne mâle et Mathieu en ligne féminine : épousez donc une bourgeoise par amour de la simplicité !

« Après deux ans de l’union la plus désunie qui ait jamais enchaîné un homme de bien, je n’étais plus ni maître ni valet dans ma maison. Ma femme avait tout usurpé, avec une demi-douzaine de petites amies. On faisait des parties de médisance à mes dépens, chez moi, hors de chez moi ; il y avait sept bouches chrétiennes qui confessaient mes iniquités tous les samedis à je ne sais quel bon jésuite !

De guerre las, j’ai pris la porte, et je vous demande, à vous, monsieur le moraliste, ce que vous auriez fait à ma place ? Ma femme n’était pas une femme, mais quelque chose de creux, de remuant, d’échauffé, de mobile et de nerveux ; une fontaine de larmes, un orchestre de cris, une catapulte de convulsions, une bobine de Rhumkhorff. Et toutes ses amies (j’en ai compté six, mais peut-être étaient-elles douze), toutes ses amies lui ressemblaient comme autant de gouttes d’un même acide.

« Ma femme est morte, Dieu merci ! mais les autres vivent, et elles font école. Le monde parisien est à elles, et me préserve le ciel de troubler leurs ébats ! »

Tous les convives applaudirent cordialement cette tirade : j’en conclus que tout le monde pensait comme l’orateur avait parlé. Et moi qui ai prêché jusqu’à ce jour la sainte cause du mariage, je suis forcé de donner raison à la grève de Paris. »

Ainsi parla mon sage ami, et je ne savais que lui répondre, car je n’avais jamais eu vent de ces choses-là. Épouseurs de Paris, mettez-vous en grève, si bon vous semble, mais n’essayez pas de nous entraîner dans le mouvement ! Nous sommes gens de province, et nous avons les femmes qu’il nous faut, car nous prenons le soin de les façonner nous-mêmes. C’est la grâce que je vous souhaite.