La Grande Morale/Livre I/Chapitre 22

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CHAPITRE XXII.

§ 1. La libéralité est le milieu entre la prodigalité et l’avarice, deux passions qui s’appliquent l’une et l’autre à l’argent. Le prodigue est celui qui dépense dans des choses où il ne faut pas dépenser, plus qu’il ne faut et quand il ne faut pas. L’avare, tout au contraire du prodigue, est celui qui ne dépense pas là où il faut dépenser, ni ce qu’il faut, ni quand il faut.

§ 2. Tous les deux sont également blâmables : l’un est dans l’extrême par défaut, l’autre est dans l’extrême par excès. L’homme vraiment libéral, puisqu’il mérite la louange, tient le milieu entre les deux autres ; et le libéral, c’est celui qui dépense aux choses où il faut dépenser, ce qu’il faut et quand il faut.

§ 3. Il y a d’ailleurs plus d’une espèce d’avarice ; et l’on peut distinguer, parmi les gens dénués de toute libéralité, ceux que nous appelons des cuistres, des ladres à couper un grain d’anis en deux, des sordides, ne reculant jamais devant les lucres les plus honteux, des chiches, relevant à tout propos leurs moindres dépenses. Toutes ces nuances se rangent sous la dénomination générale de l’avarice; car le mal a une foule d’espèces, tandis que le bien n’en a jamais qu’une. Et, par exemple, la santé est simple, et la maladie a mille formes. De même, la vertu est simple aussi, et le vice est multiple ; et ainsi, tous les gens que nous venons de signaler sont indistinctement blâmables à l’endroit de l’argent.

§ 4. Mais appartient-il à l’homme libéral d’acquérir et d’amasser de l’argent? Ou doit-il négliger ce soin ? Les autres vertus sont dans le même cas que celle-ci ; et ce n’est point, par exemple, au courage de fabriquer des armes, c’est l’objet d’une autre science ; mais c’est au courage de les prendre pour s’en servir. De même encore pour la tempérance et pour les autres vertus sans exception. Ce n’est donc pas non plus à la libéralité d’acquérir de l’argent ; ce soin regarde la science de la richesse ou chrématistique.