La Guerre de 1870 (E. Ollivier)/03

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LA GUERRE DE 1870



NOTRE PREMIÈRE DÉFAITE. — L’INACTION JUSQU’AU 6 AOÛT



I

Proud’hon a écrit un livre intitulé Les contradictions économiques, dans lequel, examinant les principes les plus opposés, il démontre que chacun d’eux peut être rationnellement vrai en le considérant d’un certain côté. Quel livre intéressant il y aurait à faire sous le titre de Contradictions militaires ! Là, plus qu’en économie politique, il est exact que des principes les plus opposés sont également vrais dans les circonstances données. Ainsi enseigner qu’un chef de corps doit obéir strictement à l’ordre du généralissime, qui le conteste ? Mais n’est-il pas également vrai que, malgré cet ordre, il doit dans certains cas marcher au canon de sa propre initiative ? Il est indubitable qu’un chef doit se tenir en dehors de l’atteinte du feu, derrière ses troupes, afin que sa blessure ou sa mort, qui les priverait de direction, ne les mette pas en désarroi ; mais n’est-il pas des rencontres, où, sous peine de voir sa journée perdue, il doit, comme le firent dans tous les temps, les vrais capitaines, courir de sa personne au milieu de ses soldats afin de leur rendre le moral et les ramener au combat ? Il n’est aucun des préceptes professés dans les écoles de guerre qui ne soit susceptible d’objections, de limites, d’exceptions ; il n’en est aucun, quelque autorisé qu’il paraisse, qu’on ne puisse contester, et que, le cas échéant, on ne doive méconnaître. La considération de la qualité de l’adversaire suffit à changer les exigences de conduite : on ne combat pas un Soubise ou un Benedek comme on combattrait un Frédéric ou un Napoléon. Un seul précepte n’est susceptible ni de limite, ni d’exception, et reste de mise contre n’importe quel adversaire, c’est qu’en n’osant pas, eût-on une armée supérieure, on est sûr de l’échec, et qu’en osant beaucoup, même avec des troupes médiocres, on n’est pas sans espoir de succès.

En aucune circonstance, la célérité et l’initiative de l’attaque ne s’étaient imposées à un chef d’armée avec une plus instante évidence qu’en juillet 1870. Quel était alors, en effet, l’état de notre armée ? Nous étions prêts, c’est-à-dire nous avions dans les magasins, dans les arsenaux, dans les casernes, dans les foyers, en matériel et en hommes, toutes les ressources administratives et financières mises par les pouvoirs publics à la disposition de l’Empereur et de son ministre de la Guerre, pour recruter, instruire une armée et la porter sur les champs de bataille. Malgré la lenteur et le désordre inhérens à notre système de passage du pied de paix au pied de guerre, les ressources préparées avaient été mobilisées en grande partie, sinon en totalité, et étaient parvenues aux mains des troupes. Ces ressources mobilisées n’avaient pu nous fournir, il est vrai, qu’une armée inférieure en nombre ; mais cette infériorité du nombre était largement compensée par la qualité. Un des plus braves de ceux qui ont été à la peine pendant le siège de Metz, le général Deligny, a porté sur notre armée du Rhin un jugement dont la compétence ne peut être contestée : « Par la vigoureuse constitution des cadres, la vaillance des soldats, l’esprit militaire et de discipline dont tous étaient pénétrés, elle offrait tout ce que la France était capable de fournir de mieux en fait de troupes. Cette belle armée ne demandait qu’à être commandée, conduite et dirigée ; elle possédait à un très haut degré le sentiment de sa valeur ; son énergie et son dévouement pouvaient défier les plus dures épreuves ; malgré son infériorité numérique, elle était capable de remporter d’éclatans succès[1]. »

Les premières mesures prises par l’Empereur indiquaient la volonté de l’offensive immédiate. Les approvisionnemens, au lieu d’être accumulés dans les places fortes de l’intérieur, étaient réunis à la frontière même, à Forbach, Lunéville, Sarreguemines, dans des villes ouvertes ; les cartes distribuées aux officiers étaient celles de l’Allemagne parce qu’on ne supposait pas qu’on eût à combattre sur notre territoire. Une dérogation très significative avait été faite aux règles rationnelles du passage du pied de paix au pied de guerre. Rationnellement et en règle habituelle, toute troupe, toute armée, avant d’entrer en action, traverse deux opérations successives : la mobilisation qui consiste dans le passage du pied de paix au pied de guerre, au moyen de la réception des réservistes, des chevaux de complément et du matériel nécessaire, et la concentration qui prend les unités ainsi complétées et les amène sur le théâtre choisi pour les opérations, où elle les groupe. Cette mobilisation et cette concentration, opérées successivement, demandent un temps assez long : au lieu de ne faire commencer la seconde qu’après l’achèvement de la première, Le Bœuf décida qu’elles se feraient toutes les deux en même temps ; au lieu de laisser chacune de nos unités où elle était jusqu’à ce qu’elle fût complétée, il la prit là où elle se trouvait, augmentée seulement des permissionnaires rappelés ; il la jeta à la frontière et fit courir après chacune d’elles les élémens, hommes et matériel, par lesquels elle devait être complétée en son intégralité combattante. Comme nous avions, en état de formation facile à compléter la Garde, les corps d’armée de Paris, de Lyon, du camp de Châlons, cette mesure nous permettait d’agir offensivement avant que les Prussiens, englués dans leur mécanisme compliqué, eussent pu nous arrêter.

Chacun était tellement convaincu qu’on prendrait l’offensive quelque part, que nos généraux la commençaient devant eux de leur propre initiative. Du côté de la Sarre, le général Frossard (19 juillet) demandait l’autorisation d’occuper Sarrebrück, Sarreguemines et Sarrelouis. Du côté du Rhin, le général Ducrot insistait pour s’emparer de Kehl et le transformer en tête de pont fortifiée selon le plan préparé par notre génie. Voyant que, dès le 18 juillet, nous avions en état de marcher le corps de Frossard venu de Châlons, trois brigades de cavalerie, 90 bouches à feu ; que la Garde, l’armée de Paris et de Lyon et les garnisons de l’Est avaient élevé notre effectif disponible, le 23 juillet, à 123 500 hommes, ceux qui avaient le feu sacré de l’offensive voulaient user sans retard de notre supériorité provisoire et ne pas perdre un seul des jours pendant lesquels nous la possédions : ils conseillaient de pousser immédiatement une attaque sur Mayence ou les États du Sud, tandis que la mobilisation prussienne n’était pas terminée et la concentration pas même commencée. « Leurs plans de concentration sont si compliqués, a dit le reporter du Times, Russell, qu’une irruption soudaine aurait tout fracassé d’un coup[2]. »

Les Prussiens le redoutaient. Moltke disait à Bismarck : « Avec ces diables de Français, il faut s’attendre à tout ; s’ils venaient se jeter comme des fous au milieu de notre mobilisation, je ne sais pas trop ce qui arriverait. » Dans des notes trouvées à l’État-major, il disait encore : « Si les Français avaient l’intention d’attendre l’arrivée de leurs réserves pour commencer leurs opérations, ils n’auraient pas dès aujourd’hui déclaré la guerre. Il est vraisemblable qu’ils franchiront la frontière demain cinquième jour de notre mobilisation. Il est probable que les Français, en admettant qu’ils s’avancent d’une manière si décidée, arriveront devant Mayence le douzième jour (19 juillet). » Le 22 juillet, Moltke mandait au Roi que les Français n’avaient pas encore mis le pied sur le territoire allemand, mais pouvaient le faire d’un jour à l’autre et que rien ne pourrait les en empêcher. « On était en droit de supposer, a dit Moltke plus tard, que les Français, réunissant vivement toutes leurs forces disponibles, et s’assurant ainsi au premier moment une supériorité numérique considérable, allaient franchir les frontières de la province rhénane et du Palatinat pour s’opposer à la concentration des armées allemandes sur la rive gauche du Rhin. » La panique en Allemagne était générale et le mot de chacun au réveil était : Arrivent-ils ? La Valette écrivait confidentiellement à Gramont : « La Reine, prévoyant le cas où les succès de nos armes nous conduiraient au cœur de l’Allemagne, aurait exprimé très discrètement le vœu que certaines propriétés ayant appartenu au prince Albert, ou devant appartenir au duc d’Edimbourg, pussent être respectées par nos armées. Il y a là pour Elle, ou pour les siens, plus que des intérêts matériels : il s’y rattache de pieux souvenirs, toujours vivans dans sa mémoire. Lord Granville ne pouvait me parler de ce désir ni officiellement, ni même officieusement. Il m’en a fait part à titre tout à fait privé et sans me prier de donner suite à une telle confidence. Vous croirez sans doute utile de la soumettre à l’Empereur, et si Sa Majesté jugeait possible de tenir compte des vœux de la Reine, il serait peut-être opportun que j’en fusse instruit le plus tôt possible. Un des secrétaires de Lord Granville m’envoie, ce matin, à titre tout à fait privé et confidentiel, la liste des propriétés de la famille de Cobourg dont il avait été question (31 juillet). »


II

Mais dès que la machine militaire eut été mise en mouvement, comme épouvanté du bruit qu’elle faisait, l’Empereur s’arrête et un revirement subit s’opère dans ses résolutions offensives. Il avait déchaîné l’audace, il lui coupe lui-même les jarrets. De Paris, il notifie à ses chefs de corps qu’il ne veut pas commencer la campagne avant la constitution complète de l’armée. Bazaine télégraphie à Frossard : « L’Empereur interdit des engagemens qui pourraient entraîner hors de la frontière ! » Ordre est donné sur toute la ligne (20 et 22 juillet) de rester partout sur la défensive, en s’éclairant et se renseignant bien, et en ayant soin de ne pas s’avancer sur le territoire ennemi. Frossard fut uniquement autorisé, si cela était nécessaire, à occuper la partie de Sarreguemines située sur la rive gauche, et Ducrot fut prié de rester tranquille à Strasbourg. Partis comme des audacieux, en toute hâte, nous nous arrêtions à l’extrémité de notre territoire, devant un pays presque sans troupes, devant une ville ouverte, des ponts mal barricadés, un bataillon d’infanterie, un régiment de uhlans ; effrayés de la terreur que nous inspirions, prenant des hommes pour des escadrons, des escadrons pour des armées, n’ayant personne devant nous et n’osant faire un pas, comme si une frontière ainsi gardée pour la forme était un abîme ouvert dans lequel nous nous engloutirions. Et, ironie du sort, cette reculade était consommée dans les jours mêmes où les Prussiens, persuadés que nous allions nous ruer sur eux, reportaient de la Sarre au Rhin leur centre de concentration.

Que s’était-il donc passé ? On ne peut pas expliquer ce revirement par la déception de l’Empereur, trouvant une armée non prête là où il comptait sur une armée en complète formation : il n’avait pas encore pu à cette date, en admettant qu’il dût y avoir déception, l’éprouver déjà, puisque les mouvemens de troupes venaient seulement de commencer. L’explication se trouve dans un fait diplomatique que les critiques militaires semblent avoir ignoré. Notre offensive pouvait s’exercer par le Rhin ou par la Sarre. Le choix dépendait de l’attitude de l’Autriche. Était-elle décidée à s’unir à nous, il fallait aller à sa rencontre par le Rhin ; devait-elle rester neutre, c’était nécessairement par la Sarre que nous devions entrer en Allemagne. Or, le plan stratégique de l’Empereur, calqué sur celui de l’archiduc Albert, supposait la coopération de l’Autriche. L’Empereur s’y confiait d’autant plus que, le 15 juillet, Gramont, avec Metternich et Witzthum, confident de Beust venu de Bruxelles, d’une part, et Nigra et Vimercati de l’autre, avait arrêté un traité de triple alliance que Witzthum avait emporté à Vienne et Vimercati à Florence pour le soumettre à la signature de François-Joseph et de Victor-Emmanuel. Or ce traité de triple alliance n’avait pas été signé, et l’Autriche, dans un conseil solennel, venait de proclamer sa neutralité (18 juillet).

Si cette neutralité avait été déclarée comme celle de la Russie, d’une manière absolue, irrévocable, l’Empereur eût vu clairement la situation et eût certainement adopté le parti conseillé par le bon sens stratégique, d’autant plus que c’était le seul possible, puisqu’on n’avait pas fait irruption dès les premiers jours au-delà de la Sarre. Il aurait passé cette rivière, se serait établi entre sa rive droite et la zone boisée de Kaiserslautern, et là, maître des chemins de fer sur la rive intérieure entre les diverses armées allemandes, il eût, suivant les circonstances, opéré contre l’une ou contre l’autre. Aucune de ces armées n’était encore en état de l’assaillir. Steinmetz arrivait à peine à Trêves ; Frédéric-Charles n’était pas engagé dans les issues de la zone boisée et le prince royal, interrogé par Moltke, le 30 juillet, avait déclaré qu’il n’était pas encore en état de prendre l’offensive.

Mais Beust, en faisant annoncer sa neutralité la présentait comme provisoire : elle ne devait être que la préparation de l’alliance promise ; Gramont confirmait ces vaines illusions, et l’Empereur, espérant toujours une décision favorable de l’Autriche, ne se résolvait pas à s’éloigner de Strasbourg et à se rapprocher de la Sarre, craignant de fournir à l’Autriche un prétexte d’alléguer qu’en débouchant trop loin d’elle, nous la mettions dans l’impossibilité de nous rejoindre. Il regardait toujours vers cette soi-disant alliée, et, comme elle semblait flotter, n’accomplissant aucun acte, mais donnant de bonnes paroles, lui-même flottait, inclinant tantôt vers la Sarre, tantôt vers le Rhin, selon que lui arrivait de Vienne un souffle propice ou contraire.

Lorsque, le 21 juillet, Mac Mahon se rendant à l’armée passa par Paris, l’Empereur inclinait encore à l’action par Strasbourg. Dans une première audience, très calme, il parla plutôt de l’Algérie que de la guerre qui allait commencer. Le maréchal le quitta, étonné de la discrétion qu’il avait gardée sur ses plans. Il alla le revoir le lendemain. L’Empereur lui fit connaître son intention de franchir le Rhin au-dessous de Strasbourg. Il l’invita à examiner le point qui semblerait le plus convenable entre Strasbourg et Wissembourg. Du reste, il ne paraissait pas douter que, dès le début, l’armée française ne culbutât les Allemands. « Le maréchal, disait un de ses aides de camp au général Faverot de Kerbrech, est dans la joie. Il va avoir une armée composée en partie de troupes d’Afrique, avec des généraux comme Ducrot, Douay, etc. Dès qu’elle sera mobilisable, nous franchirons le Rhin ; nous séparons ainsi l’Allemagne du Sud de la Prusse et nous déroutons toutes les combinaisons de Moltke[3]. »

Quelques jours après, l’Empereur semble se décider au contraire à se rapprocher de la Sarre ; les dispositions qu’il prend le 23 juillet, aussitôt après l’arrivée de Mac Mahon à Strasbourg, dénotent qu’il a renoncé à pénétrer offensivement par le Rhin en Allemagne : Sans opérer une concentration résolue, il resserre Mac Mahon sur Failly, Failly sur Frossard, et il ordonne de ramener Douay de Belfort à Colmar et à Strasbourg.


III

De même que l’Empereur, dans nos négociations, avait passé alternativement d’une velléité de guerre à une volonté de paix, la guerre déclarée il était ballotté entre la confiance au succès et la crainte des revers. Quoiqu’il eût exprimé ce premier sentiment à Mac Mahon, le second prévalait généralement dans son esprit.

Les effervescences de la rue, de la presse et du Parlement le troublaient plus qu’elles ne l’exaltaient, et loin de les exciter, comme on l’en a si sottement accusé, il était préoccupé de les calmer et de montrer à l’opinion les difficultés là où elle ne prévoyait que les triomphes : il tenait surtout à ce qu’il fût surabondamment établi qu’il ne se décidait à cette guerre que par une nécessité d’honneur, ressentie par la nation. Il me pria d’obtenir de mes amis des articles dans ce sens. Lui-même n’essaya pas de cacher sa pensée intime dans un discours à Schneider venu à la tête du Corps législatif (22 juillet) lui apporter ses vœux. A l’ordinaire, dans des cérémonies de ce genre, son visage demeurait impassible et sa voix forte, étendue, mais sans inflexions quelles que fussent les idées qu’elle exprimait, résonnait uniformément ferme. Ce jour-là, il y eut dans l’expression de son visage un visible attendrissement, et plus d’une fois sa voix fut voilée et rendue moins claire par l’émotion. « Une guerre, dit-il, est légitime lorsqu’elle se fait avec l’assentiment du pays et l’approbation de ses représentans. Vous avez bien raison de rappeler les paroles de Montesquieu : « Le véritable auteur de la guerre n’est pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire[4]. » Nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour l’éviter, et je puis dire que c’est la nation tout entière qui, dans son irrésistible élan, a dicté nos résolutions. Je vous confie, en partant, l’Impératrice qui vous appellera autour d’elle, si les circonstances l’exigent. »

Pendant ce discours, je ne m’étais point placé à ses côtés, j’étais resté au milieu des députés. Lorsqu’il dit : L’Impératrice vous appellera autour d’elle, si les circonstances l’exigent, j’eus un soubresaut et, me retournant vers mon voisin Estancelin, je ne pus retenir cette exclamation : « Quelle imprudence ! » Ainsi l’Empereur, qui se plaignait que les journalistes fussent des pronostiqueurs de défaite, les imitait en prédisant, du haut du trône, des circonstances de telle gravité que l’Impératrice serait obligée de s’entourer des représentans de la nation ! S’il m’avait communiqué son discours, il n’eût pas prononcé ces paroles inconsidérées.

Le maréchal Vaillant, organe du parti de la guerre, engageait l’Empereur à dire tout haut le plus tôt possible : « Nous voulons le Rhin pour limite et la guerre ne finira que quand nous l’aurons obtenu[5]. » L’Empereur se garda de suivre ce conseil. Au contraire, dans sa proclamation au peuple français, il s’efforça de calmer les alarmes de l’Europe et surtout de l’Allemagne sur nos projets conquérans.

Le départ de l’Empereur pour Metz fut fixé au jeudi 28 juillet. Dans un des conseils qui précédèrent, nous complétâmes définitivement la liste des sénateurs, et, aux noms déjà arrêtés, nous en ajoutâmes de nouveaux. Des engagemens pris par l’Empereur ne nous permirent pas de marquer suffisamment cette liste de notre empreinte. Cependant, nous y introduisîmes le premier président de Toulouse, Piou, magistrat éminent, d’un libéralisme éprouvé, jusque-là traité en ennemi ; d’Albu-féra, chef de notre majorité ; Darblay, grand industriel ; Leclerc d’Osmonville, député distingué ; La Motterouge, un de nos plus solides divisionnaires ; un ancien pair de France, le comte Foy ; le directeur de l’Imprimerie nationale, Anselme Petetin, ami d’Armand Carrel et de Lamartine, esprit politique remarquable et vigoureux écrivain. La majorité fut difficile à obtenir sur le nom d’Emile de Girardin : elle ne fut que d’une voix, celle de l’Empereur. L’Empereur tint à signer tous ces décrets. Il me les remit avec recommandation de les insérer au Journal Officiel, au premier événement de guerre favorable.

Nous demandâmes aux ministres des divers cultes des prières publiques. Nous décidâmes que la garde nationale serait désormais chargée du service de sûreté et d’honneur confié jusqu’alors à l’armée, et l’Empereur témoigna, par une lettre adressée à son commandant en chef, la confiance qu’il avait en elle pour maintenir l’ordre dans Paris et veiller à la sécurité de l’Impératrice. Il eût été disposé à accorder une amnistie politique ; il y renonça sur mon opposition énergique. Outre que les amnisties ne profitent jamais à qui les fait, je me tenais comme engagé d’honneur à ce qu’il fût bien démontré, par un débat public, que je n’avais pas inventé un complot pour emporter le vote du plébiscite.

Il restait à régler la manière dont s’accomplirait le départ. Nous eussions désiré, et Maurice Richard insista particulièrement dans ce sens, que l’Empereur traversât Paris, ainsi qu’il l’avait fait en 1859. La population y comptait ; elle attendait ce moment pour faire une manifestation qui eût dépassé de beaucoup en unanimité enthousiaste celle du départ pour l’Italie. On nous objecta que le préfet de police craignait de n’être pas sûr de prévenir les accidens et de maintenir l’ordre au milieu d’un concours si extraordinaire : comme si l’ordre n’avait pas été maintenu dans des circonstances bien autrement épineuses ! L’Empereur ajouta qu’il lui répugnait d’aller à une ovation avant la victoire : comme si l’acclamation d’un peuple à son souverain qui va au champ de bataille n’était pas un encouragement plutôt qu’une ovation ! L’Impératrice invoqua l’inconvénient d’exposer le jeune prince à l’excitation nerveuse d’une telle journée : comme si celle du canon ne serait pas plus intense ! Ces mauvaises raisons étaient des subterfuges déguisant la véritable, que nous ignorions et qu’on ne nous révéla pas : l’impossibilité physique pour le commandant en chef de l’armée de supporter, même en voiture, la fatigue d’un passage à travers la capitale. Nos représentations n’eurent aucun succès. Il fut arrêté que le départ aurait lieu de Saint-Cloud, à neuf heures et demie du matin. Un convoi amené à l’extrémité du parc conduirait par le chemin de ceinture à la gare de l’Est.

Les aides de camp qui devaient accompagner le souverain, Castelnau, Lepic, Pajol, Béville, représentaient ce qu’il y avait dans l’armée française de plus loyal, de plus vaillant, de plus digne de confiance. Tous comptaient des états de service magnifiques, mais ils étaient tous plus ou moins docilement inclinés devant le prestige d’un chef qu’ils aimaient, et, par affection plus que par servilité, enclins à dire comme Pandore à son brigadier : « Majesté, vous avez raison. » Béville avait l’assentiment moins facile et la langue plus indépendante, mais son jugement manquait de sûreté ; mécontent qu’on n’eût pas suffisamment récompensé la mission importante qu’il avait remplie au coup d’Etat, de faire imprimer les proclamations du Président, il débordait d’amertume, et, pessimiste systématique, jetait le découragement autour de lui par l’exubérance de ses prophéties de malheur. L’unique officier dont la présence au quartier général, à un titre quelconque, eût pu conjurer le mutisme des uns et la loquacité intempérante des autres, le général Fleury, était tenu au loin. Sa présence, inutile à Pétersbourg, aurait été d’un intérêt primordial près de l’Empereur. Lui seul aurait su lui parler avec une entière franchise sans le blesser, le tirer de l’isolement accablé auquel succombait sa volonté impuissante et déterminer à des actes résolus le chef qui voulait commander en étant hors d’état d’agir. Pénétrant, sensé, d’un esprit clair, courageusement dévoué, il n’eût fait prévaloir que les conseils utiles. S’être privé d’un tel auxiliaire fut une erreur aussi funeste que celle d’avoir envoyé Mac Mahon à Strasbourg au lieu de le garder à Metz.

L’Impératrice ne laissa point partir son malheureux mari sans prendre quelque précaution où se révélait sa sollicitude. La maladie avait quelquefois des rémissions pendant lesquelles toute souffrance disparaissait ; mais durant les crises, les douleurs étaient atroces et elles étaient augmentées toujours par le mouvement du cheval ou les secousses de la voiture ; de plus, pendant ces accès, on était obligé de recourir à l’emploi des sondes molles. Elle fit mettre dans les bagages une voiture de parc où l’on monte et descend sans portières ; et c’est dans cette voiture que Napoléon III fit la campagne. Elle pria aussi Conneau de demander à Nélaton un jeune chirurgien, à la main exercée, sur lequel on pût absolument se reposer, qui cependant, n’étant pas connu, pût suivre l’armée sans que sa présence y jetât le découragement qui l’aurait envahie si elle avait pu soupçonner l’état d’impotence de son chef. Nélaton désigna un de ses élèves de mérite, qui, depuis, a parcouru une belle carrière : Théophile Anger. Il fut attaché à l’état-major en qualité de chirurgien des ambulances, secrétaire de Conneau. Nélaton lui donna les instructions suivantes : « L’Empereur a une rétention d’urine intermittente. Alors il éprouve des angoisses inexprimables. Au bout de quelque temps, cela cesse. Vous le suivrez pour obvier à ces inconvéniens, s’ils se produisent, en emportant avec vous les instrumens de sondage et même d’opération. » Anger demanda naturellement si l’Empereur avait la pierre. Nélaton ne répondit ni oui ni non : « Pour le savoir sûrement, il faudrait le sonder ; il n’a pas voulu encore y consentir. » Avant de partir, Anger alla dire adieu à Sée qui ignorait sa mission, mais la devina : « C’est Nélaton qui vous envoie ? L’Empereur a la pierre. »

Lorsqu’on songe que celui qui va se mouvoir difficilement, lentement, rarement, mais enfin qui va se mouvoir, ordonner, s’avancer, reculer au milieu d’un drame terrible, est par moment un véritable infirme, on est stupéfait de ce qu’il lui a fallu de puissance sur soi-même, de courage, de sentiment du devoir, pour se donner, même par instans, l’air d’être encore un homme, un général, un souverain. Jamais la force morale ne s’est déployée avec plus de grandeur.


IV

Le 28 juillet, à neuf heures, arrivèrent à Saint-Cloud les ministres, les hauts fonctionnaires et quelques amis. On introduisit les ministres dans la salle du Conseil. L’Empereur s’y trouvait : il portait le costume de général de division de petite tenue. Sans même s’asseoir, il nous lut une lettre du Pape qui proposait sa médiation, donna quelques signatures, me remit un mémoire de Magne sur le Conseil privé, que, sans me le prescrire, il m’engagea à convoquer, si les circonstances devenaient graves. Puis s’avançant vers chacun de nous, il lui tendit la main et l’embrassa en lui adressant quelques paroles. Il m’embrassa plus longuement que mes collègues et me dit d’un ton expressif de confiance qui me remua : « Je compte sur vous. » Ce sont les dernières paroles que j’aie entendues de sa bouche. Il alla ensuite rejoindre les autres personnages dans le salon et, accompagné par tous, à travers la salle à manger et les galeries, il se dirigea vers le jardin. Quoiqu’il s’efforçât de paraître dispos, son visage pâle portait des traces de souffrance où les superstitieux crurent lire le pressentiment des calamités prochaines. Le jeune prince, en sous-lieutenant de voltigeurs de la Garde, était souriant ; le prince Napoléon sombre et de mauvaise humeur ; les autres, graves, préoccupés, émus. On eût cru, comme l’a dit un serviteur, qu’il y avait un cercueil dans la maison. En quelques minutes, des voitures nous conduisirent à l’extrémité du parc où était arrivé le train impérial. L’Impératrice embrassa en sanglotant son mari et son fils ; au moment où la locomotive s’ébranla, elle cria au jeune prince : « Louis, fais bien ton devoir ! » L’Empereur salua encore l’assistance d’un geste affectueux ; le train disparut, et Napoléon III sembla s’évader de sa capitale comme il l’eût fait au lendemain d’une catastrophe. Je revins à pied tout pensif, le long de ces allées témoins de tant de splendeurs et de tant de gloires, que Napoléon avait foulées après Iéna, et que son neveu venait de traverser pour la dernière fois, avant que les Prussiens y établissent leurs bivouacs !

La tristesse officielle contrastait avec le sentiment qui se manifestait au dehors et que le prince Napoléon, quoiqu’il ne le partageât pas, constate dans son carnet : « 28 juillet. Départ. Enthousiasme. » A la Villette, l’Empereur se retrouva en contact avec le grand public : là, plus de mélancolie, une exaltation confiante et pleine d’entrain. La foule occupait depuis le matin le pont qui se trouve sur la voie ; une nuée d’ouvriers remplissait les abords. A l’entrée en gare éclatèrent d’unanimes acclamations et les cris de : « Vive l’Empereur ! Vive le prince impérial ! Vive la France ! » retentirent tout le temps de l’arrêt et se prolongèrent jusqu’à ce que le train fût reparti. Le voyage ne fut qu’une longue ovation. La province faisait la manifestation patriotique qui eût éclaté à Paris, si on l’avait traversé. Mais le pauvre souverain n’était plus sensible à ces élans populaires qui autrefois gonflaient et animaient son cœur. Il n’y voyait qu’une occasion de fatigue. « L’enthousiasme, écrivit-il à Gramont, est une belle chose, mais parfois bien ridicule. »

A Metz, aucune réception solennelle (6 h. 40 soir), aucun déploiement de troupes ; les généraux en tenue de campagne. L’Empereur se rendit à l’hôtel de la Préfecture où il établissait son quartier général et se laissa choir sur un siège plutôt qu’il ne s’y assit. Une conférence s’ouvrit immédiatement avec Le Bœuf et Bazaine. Le Bœuf ne doutait pas que l’arrivée de l’Empereur à Metz ne fût le signal de l’action. Le 26 juillet, il avait télégraphié à Bazaine : « L’Empereur arrivera jeudi à sept heures du soir ; je vous prie de vous trouver ici pour recevoir Sa Majesté. Notre immobilité donne confiance à l’ennemi. Il est temps de prendre l’offensive ; tenez-vous donc prêt pour jeudi ou dimanche 31 juillet. (20 juillet, huit heures du soir.) Son premier mot à l’Empereur fut celui qui avait été son dernier à Gramont : « Eh bien ! sire, où en est-on avec l’Autriche ? — On négocie, répondit l’Empereur. — On négocie ! riposta le maréchal, mais dans deux ou trois jours, il faut que nous entrions en campagne ! si nous ne marchons pas, on nous attaquera. » On examina la situation de l’armée. Quoique se rendant bien compte de ce que sa formation laissait encore à désirer, on ne crut pas qu’ayant sous la main 210 000 hommes bien armés, on dût rester immobiles, et il fut convenu que, le lendemain, aurait lieu une conférence à la gare de Saint-Avold, avec Frossard, dans laquelle on déterminerait l’opération à exécuter. Le télégramme à Frossard recommandait que l’Empereur fût reçu comme il l’avait été à Metz : « Point de réception officielle, point de prise d’armes. »

Le lendemain 29, Napoléon III se rendit péniblement à Saint-Avold et il tint à une heure, dans la gare, conseil avec Le Bœuf, Bazaine, Frossard. Frossard préconisa une offensive sur Sarrebrück qu’il avait conseillée dans son Mémoire militaire de mai 1867, « parce que, disait-il, ce coup de main, s’il réussissait, porterait une grave atteinte aux projets de l’ennemi, en désorganisant sa base contre la Lorraine et en mettant en notre pouvoir le nœud de ses chemins de fer. » — « En effet, il fut décidé, constate Castelnau qui était présent, que l’occupation prompte de Sarrebrück serait la première opération. » L’Empereur revint à son quartier général, brisé de lassitude. « Il est malade, fatigué, dit le prince Napoléon, il souffre. »

Le lendemain 30, l’Empereur envoya Le Bœuf à Strasbourg voir où en était Mac Mahon et le ramener. En son absence, Lebrun lança deux séries d’ordres résultant de la résolution prise à Saint-Avold : la première avait pour objet de rapprocher le 2e corps d’armée de Sarrebrück et de resserrer le 3e sur le 2e, et le 4e sur le 3e. La seconde précisait aux 2e, 3e, 5e corps d’armée les grandes lignes de la mise en œuvre de l’opération : Frossard franchirait la Sarre le 2 août au point du jour et s’emparerait de Sarrebrück ; il serait soutenu par une partie du 2e et du 3e corps d’armée, tandis que le 4e surveillerait les débouchés de Sarrelouis. Bazaine aurait le commandement des trois corps d’armée destinés à coopérer à cette expédition. Rendez-vous était fixé pour le 31, à onze heures du matin, à Morsbach, quartier général de Frossard ; on y arrêterait, avec les généraux Frossard, Failly, Coffinières et Soleil le, les détails d’exécution pour lesquels, s’en tenant à un ordre d’ensemble, l’Empereur s’en rapportait à l’expérience du maréchal.

Les moyens matériels de franchir la Sarre furent immédiatement assurés. Des ponts fixes existaient à Sarreguemines et à Sarrebrück et, en outre, à cette époque de l’année, on pouvait se servir de plusieurs gués. Un de nos espions avait passé à Grosbliederstroff (7 à 8 kilomètres en amont de Sarrebrück) en ayant de l’eau jusqu’au genou. Mais il suffisait d’un orage pour que ces gués cessassent d’être guéables. En aucun cas, ils ne pouvaient suffire à une grosse fraction de troupes, ils ne pouvaient être passés par l’infanterie que homme par homme, et l’artillerie ne pouvait s’en servir à cause de son poids. L’Empereur en interdit l’usage, et il fut arrêté que l’artillerie établirait deux ponts et le génie deux autres ; le 2e corps d’armée n’ayant pas encore reçu son équipage de ponts, celui du troisième lui serait envoyé.

Le Bœuf revint dans la soirée du 30 de Strasbourg avec Mac Mahon. Le lendemain dimanche 31 juillet, au sortir de la messe où il s’était rendu à pied avec son fils, l’Empereur vit Mac Mahon seul. Le maréchal le trouva très affecté. L’armée, lui dit-il, n’était pas prête ; l’alliance autrichienne et italienne ne se nouait pas. Il était obligé de renoncer à son attaque par le Rhin.

Le 31, Frossard n’était pas à Morsbach : il s’était fait ordonner par l’Empereur de transférer son quartier général à Forbach où il trouvait un télégraphe qui n’existait pas à Morsbach. C’est là qu’eut lieu la conférence. Bazaine jugea trop audacieux de passer la Sarre et d’occuper Sarrebrück : il fallait se réduire à une reconnaissance sur la rive gauche et attendre. Il révélait dès lors la fatale inertie qui a perdu lui, l’armée et la France. Son avis prévalut, et à l’unanimité il fut décidé que l’opération, fixée au 2 août, se réduirait à occuper les positions de la rive gauche de la Sarre dominant la gare qui serait battue par le canon. Bazaine se hâta d’instruire l’Empereur de cette conclusion. (31 juillet, 4 h. 50 soir.)

Ainsi on avait d’abord projeté l’offensive par le Rhin, puis on y avait renoncé à cause de la neutralité de l’Autriche, et on s’était rabattu à l’offensive sur la Sarre ; on renonçait encore à celle-ci et on se réduisait à une reconnaissance sur la rive gauche, ce qui signifiait qu’on ne ferait rien en ayant l’air de faire quelque chose et qu’on ne prendrait l’offensive d’aucun côté.

V

Pendant ces jours de tergiversation, le découragement s’insinuait dans l’armée, et le froid qui glaçait le cœur descendait insensiblement jusqu’aux extrémités. Au début, l’ardeur était unanime : c’était à qui proposerait, prendrait une initiative d’action ou au moins de conseil, c’est à qui surtout demanderait à s’élancer, à franchir la frontière. Puis les jours s’écoulent ; tout le monde devient indifférent, engourdi. On eût dit qu’une fée malfaisante avait attaché au sol ces pieds si rapides à courir au combat, énervé ces volontés bouillantes et rendu plus prudens que la prudence ces courages qui, jusque-là, ne mesuraient pas les obstacles. Si encore on avait attendu dans l’immobilité et le repos, on n’eût pas usé ses forces, mais l’attente était troublée par une succession non interrompue de fausses nouvelles d’ordres et de contre-ordres.

Notre état-major n’avait qu’une connaissance très imparfaite des emplacemens et des mouvemens de l’armée prussienne. Il en était aux conjectures et restait comme au fond d’un puits, ne voyant, ne sachant rien de ce qui se préparait en dehors. A tout propos, des alertes inconsidérées mettaient les troupes en mouvement. Le général de Bernis télégraphie (26 juillet) que les gares de Gundershoffen et de Reichshoffen sont détruites : on va voir ; Reichshoffen et les environs étaient complètement tranquilles ; pas un ennemi. Le général de Septeuil (28 juillet) mande que Wissembourg est occupé par 4 000 hommes : on vérifie ; il ne s’agissait que de quelques Bavarois disparus devant un coup de feu.

Les ordres et les contre-ordres ont toujours été une calamité : avec le télégraphe, cette calamité devient plus terrible encore. La transmission par estafette exigeait un certain temps ; les chefs avaient toujours quelque période d’accalmie et d’initiative et le contre-ordre trouvait souvent l’ordre accompli. Mais quand il suffit d’un signe pour qu’un ordre donné soit révoqué, quel trouble si l’on use inconsidérément de cette facilité ! L’emploi du télégraphe exige dans le commandement une clarté, une suite, une réflexion d’autant plus attentives que la transmission de la volonté est plus rapide. Or le commandement ne s’est jamais exercé avec plus d’incertitude et d’incohérence : la moindre émotion du quartier général se traduisait par un coup de télégraphe ; la secousse était à peine arrivée qu’un nouveau coup communiquait une impulsion nouvelle. Dégoûtés par ces va-et-vient perpétuels, impatientés par ces marches et ces contremarches sur des routes toujours les mêmes, officiers et soldats se demandaient si vraiment ils avaient quelqu’un à leur tête. Les régimens se déplaçaient, partaient, arrivaient sans comprendre pourquoi, ignorant qui les précédait ou qui les suivait, perdant, dans cette stérile agitation, plus de forces que dans plusieurs batailles et, souvent, dans leurs pérégrinations, se heurtant à des camarades surpris de les rencontrer. Que voulez-vous que devienne un général qu’à chaque instant on lance, on retient, on appelle, on renvoie, on recule, on porte à gauche, à droite ? Quelle initiative peut-on attendre de lui ? À ce métier, le plus fougueux coursier de race devient une haridelle de fiacre. Chacun n’entrait dans une conduite que jusqu’au point où cela était nécessaire pour ne pas désobéir, pas assez à fond pour ne pas se retourner et s’engager dans la conduite opposée. On racontait que lorsqu’un officier recevait l’ordre de se mettre en marche, il disait à son ordonnance : « Alors, ne prépare rien, nous allons rester. » « Hâte-toi de tout emballer, nous allons partir, » disait-il au contraire lorsqu’on lui annonçait l’ordre de rester.

Ces contradictions désolaient les soldats autant que les généraux. Ainsi on envoie une division en toute hâte sur un point ; les soldats se dépêchent, arrivent, et se couchent sur leurs sacs pour se reposer. Survient un officier ou un aide de camp : « Retournez d’où vous venez. » Et quelque chose énervait les soldats plus encore que les ordres et les contre-ordres, c’était les stationnemens d’attente. Un mouvement devait-il s’exécuter à dix heures, on rangeait les troupes dès cinq heures du matin et elles demeuraient, le sac au dos, le fusil au pied pendant des heures et des heures mortelles. Le signal du départ était-il enfin donné, ils étaient déjà exténués. On eût compris que ces pauvres gens se fussent couchés le long des routes, disant à leurs officiers : « Allez vous promener ! jusqu’à ce que vous sachiez ce que nos chefs veulent. » Le général Frossard a décrit leur état : « Confiance, entrain, bonnes dispositions : ce qui les excédait, c’étaient les ordres, contre-ordres, marches, contremarches. Dès qu’on leur paraissait aller en avant, leur cœur se ragaillardissait, ils retrouvaient leur entrain et leur joie. » Ainsi notre torpeur et notre agitation dans le vide nous nuisaient doublement : par le mal que nous ne faisions pas à l’ennemi, par celui que nous nous faisions à nous-mêmes.

Pour occuper le temps, les hauts chefs avaient appelé leurs femmes. Le camp en était plein. « Trop de femmes d’officiers, » écrivait le prince Napoléon dans son carnet. Le major général avait donné le mauvais exemple en faisant venir sa femme et sa fille. L’Impératrice eût voulu les imiter ; l’Empereur ne le lui permit pas. Les journaux constataient ironiquement ces réunions de famille et publiaient la note suivante : « LES FEMMES DES MARECHAUX. — Un train spécial pour le service de la Cour a porté hier soir Mme la maréchale de Mac Mahon à Strasbourg, et Mme la maréchale Le Bœuf à Metz ; M. le maréchal Canrobert est à Châlons avec sa femme et son fils. Ces dames doivent, dit-on, y passer huit jours. Mme Bazaine doit se rendre aujourd’hui au camp du maréchal (27 juillet). » Un général de division aussi gourmet que martial avait fait venir son cordon bleu, nommé Catherine, bientôt célèbre parmi l’état-major, et se délectait avec les camarades.

Les repas étaient servis sur des tables élégamment dressées où brillaient les cristaux et l’argenterie. En revenant d’une inspection où il avait été choqué de ce luxe, Le Bœuf trouve dans ses propres bivouacs le même appareil somptueux et un service de table fraîchement arrivé : il le fait emballer et renvoyer. On ne l’imita guère. Le sans-gêne atteignit à un degré inconnu. Un des chefs de l’armée avait installé à côté de ses bureaux sa femme, sa fille, une nourrice avec un enfant. Tout ce monde circulait au milieu des estafettes et des plantons, courant aux nouvelles, arrêtant l’un, causant avec l’autre, encombrant l’hôtel, et ce pêle-mêle indescriptible donnait à Metz l’aspect d’un champ de foire plutôt que d’un camp.

L’état-major général siégeait à l’Hôtel de l’Europe. Il travaillait dans une petite salle sur laquelle donnaient trois portes qui, quelquefois, s’ouvraient bruyamment toutes à la fois, et dans laquelle trente officiers écrivaient au milieu d’une chaleur effroyable et quelquefois d’interruptions bruyantes. Les escaliers, les salles, les cours de l’hôtel étaient livrés au public ; les journalistes français et étrangers en quête de nouvelles s’y pressaient et ne perdaient pas leur temps. Le moindre de nos mouvemens était aussitôt connu de Moltke ; le Standard publiait la composition de notre armée, l’indication des régimens, le nom des généraux, l’emplacement de tous les corps sur la frontière.

Le soldat, dont aucune considération personnelle ne troublait le bon sens, qui n’attendait pas des services de table, qui n’avait pas de femme, de Catherine ou de nourrice à ses côtés, s’étonnait de l’engourdissement dans lequel on le laissait. Il ne se plaignait pas de manquer de tout, puisqu’il ne manquait de rien, mais il disait : « Puisque nous ne manquons de rien, pourquoi nous abrutit-on en nous tenant l’arme au pied ? » Pour leur faire prendre patience, on avait imaginé de leur distribuer de petites brochures sur la tactique et sur les avantages de notre fusil, comme s’ils étaient dans un camp d’instruction ! Ils ne lisaient guère les brochures, et ils avaient pris le parti de se mettre à leur aise et, quand on ne les faisait pas circuler, de passer leurs journées couchés sur le dos. Les grenadiers de la Garde demandèrent de quitter leurs bonnets à poil et de se contenter du bonnet de police : on le leur accorda. Alors les voltigeurs sollicitèrent de se débarrasser de leur schako. Et comme ils n’étaient plus protégés contre le soleil, ils arrangeaient sur leur tête des mouchoirs fixés à des petits morceaux de bois.


VI

L’Empereur ne trouvait pas autour de lui dans ses officiers l’élan convaincu qui aurait pu le réveiller de sa torpeur. « Je remarque, écrit Anger dans son carnet, qu’il y a peu d’hommes capables de rendre des services dans la suite de l’Empereur. Les officiers d’ordonnance sont des jeunes gens la plupart de bonne famille, inconsciens et bons garçons. Un seul travaille (Pierron) et pourra rendre des services. Le général de Béville est une bonne vieille croûte qui critique tout, bâtit l’histoire à sa fantaisie, redoute beaucoup les Prussiens. L’Empereur ne se laisse pas aborder franchement, c’est plutôt une Cour qu’un quartier général. »

Deux fois, dans sa voiture de parc, et non à cheval, le pauvre souverain alla visiter les bivouacs. Son visage morne étouffait les acclamations qui s’élançaient vers lui. Comme s’il eût voulu détourner sa pensée de cette guerre qu’il ne se décidait pas à affronter, il suivait d’un regard attentif ce qui se passait à l’intérieur et, malgré l’installation de la régence, continuait à demeurer le chef véritable de son gouvernement. Les ministres conféraient de leurs affaires avec l’Impératrice, mais aucune décision sérieuse n’était prise sans l’assentiment de l’Empereur. Chaque jour, le préfet de police Piétri lui envoyait un rapport ; après chaque séance du Conseil, je lui en faisais un sur les questions abordées et sur la situation générale. L’Impératrice présidait nos conseils avec une gravité pleine de bonne grâce, d’intelligence, d’application. Quand elle n’était pas au courant des affaires qui se traitaient, elle s’en faisait instruire et, avec sa facilité d’assimilation, en parlait aussitôt comme si elle ne les eût jamais ignorées.

Dans mon premier rapport, j’indiquai l’impression favorable qu’avait produite sa première présidence : « Nous n’en sentons pas moins vivement la place qui est vide au milieu de nous et nous regrettons plus d’une fois la lumineuse raison, qui a d’autant plus d’empire sur nous qu’elle n’emprunte, en dehors de la force qui lui est propre, que la bonté et la grâce. Nous vous prions de ne vous imposer que les fatigues nécessaires et de vous conserver pour le pays qui a besoin de vous, et pour les serviteurs dévoués qui sont, ainsi que moi, affectueusement et respectueusement à vous. » L’Empereur me répondit : « Mon cher monsieur Emile Ollivier, je vous remercie de vos lettres et je vois avec plaisir que vous continuez à maintenir l’esprit public à la hauteur des circonstances. — Nous avons tout intérêt à tirer la guerre en longueur, puisqu’il nous est impossible de la terminer par ce qu’on appelle un coup de foudre. — Le préfet de police propose une mesure que je crois nécessaire. Je pense qu’il vous en aura parlé. Tenez ferme le gouvernail à Paris au milieu des flots révolutionnaires et comptez sur ma sincère amitié. »

La phrase de l’Empereur : Nous avons tout intérêt à traîner la guerre en longueur, me consterna. Mais j’eus beau insinuer l’audace, l’Empereur ne voulut pas entendre et continua à ne pas remuer. De nouveau, je m’adressai à Dejean, à Blondeau et leur demandai anxieusement d’où venait cette immobilité ; est-ce que nous n’étions pas prêts ? « Nous ne le sommes que trop, répondirent-ils, puisqu’ils ne savent que faire de ce que nous leur envoyons et qu’ils en sont accablés. Le peu qui manque encore dans les détails administratifs est en route de tous les côtés ; s’ils ne vont pas de l’avant, c’est que cela ne leur convient pas ; adressez-vous à eux. » Voyant les jours s’écouler sans qu’on s’arrachât de Metz, j’écrivis à Le Bœuf : « Pourquoi ne faites-vous rien ? Décidez-vous donc. Je fais appel à votre patriotisme et à votre intelligence. Nous sommes étonnés que vous n’ayez encore rien fait. » (1er août.)

Dans le monde, on était stupéfait de notre immobilité. « La situation était si simple et si avantageuse, a dit depuis un général prussien, qu’un général allemand, qui en pareille circonstance eût négligé d’attaquer, eût été traduit devant un Conseil de guerre[6]. » Ne sachant pas encore combien nos maréchaux étaient innocens de cet anéantissement de la volonté guerrière, on les comparait à de vieilles femmes filant de la laine ou à des marchandes accroupies dans un marché auprès de leurs paniers d’œufs. Le roi Guillaume exprimait son étonnement à la Reine : « Les Français se retranchent comme s’ils choisissaient la défensive, ce qui est incroyable, après qu’ils ont mis une telle hâte à occuper la frontière[7]. » Même après l’événement, la stupéfaction ne cessa pas. La guerre finie, Le Bœuf passant à Amsterdam alla visiter la reine Sophie, amie fidèle et dévouée de l’Empereur et de la France. Elle s’écria avec véhémence : « Pourquoi donc n’avez-vous pas passé la Sarre ? »

A Paris, nous étions dans les transes. Tant de circonspection stratégique, après qu’on nous avait demandé tant de décision politique, nous paraissait incompréhensible. Aucun de nos actes diplomatiques n’avait plus le sens commun s’il n’était, ainsi qu’on nous en avait donné l’assurance, la préface d’une entrée en campagne rapide. Pourquoi, au lieu de ne nous concentrer qu’après avoir terminé la mobilisation, avoir concentré et mobilisé à la fois, malgré les inconvéniens tumultueux de cette méthode, si c’était pour ne pas avancer ? Pourquoi avoir réuni les approvisionnemens à la frontière, si c’était pour ne pas la franchir ? Pourquoi n’avoir distribué à nos officiers que des cartes d’Allemagne, si c’était pour attendre l’invasion de notre territoire ? Pourquoi surtout cette déclaration de guerre, si ce n’était pas l’avertissement exigé par le droit des gens à l’ouverture immédiate des hostilités ? Elle n’aurait donc servi qu’à donner à Bismarck des facilités pour triompher des hésitations de la Bavière, invoquer le casus fœderis, enflammer le sentiment national allemand ?


VII

Il fallut bien pourtant se résoudre à faire quelque chose. Cette expédition sur Sarrebrück qu’on s’était tant appliqué à rogner fut l’amusement offert aux troupes. À ce moment, il n’y avait en face des deux divisions du 5e corps d’armée qu’une compagnie à Sarreguemines et quelques uhlans détachés de Sarrebrück ; devant le 2e et le 3e corps d’armée il n’y avait que trois compagnies et un escadron de uhlans ; à l’Ouest une compagnie ; au pont de Wolklingen-Wehrden trois compagnies et cent uhlans ; en arrière, à Dudweiler, un escadron. Rien autre, non seulement dans les environs, mais encore au loin. Le lieutenant-colonel von Pestel commandait ces faibles forces. Lors des premières mobilisations, le grand quartier général le jugeant trop exposé lui ordonna de se replier. Pestel demanda à rester : « Laissez-nous ici car ils ont plus peur de nous que nous d’eux, » dit-il. On le lui permit en lui rappelant la prescription, déjà donnée à tous, de se retirer devant des forces supérieures et de rendre les chemins de fer inutilisables en enlevant les rails, sans les détruire à fond et sans faire sauter les ponts. C’est contre cette poignée d’hommes que nous mîmes en mouvement trois corps d’armée avec un grand fracas de précautions stratégiques inutiles à relater, tant elles furent vaines.

Le Bœuf partit le 1er août pour Saint-Avold, accompagné de quatre officiers, après avoir convenu avec l’Empereur que celui-ci n’assisterait pas à l’affaire, puisqu’elle se réduisait à n’être qu’une reconnaissance, et que le commandement en serait confié à Frossard et non à Bazaine. Arrivé le lendemain matin, à sept heures un quart, devant la position, il faisait connaître à Frossard cette résolution de l’Empereur de ne pas venir, lorsque le général reçut de l’Empereur lui-même un télégramme annonçant qu’il arrivait. Il ne voulait pas que le premier coup de feu fût tiré hors de sa présence, et il était parti, malgré son triste état, avec le prince impérial, sans prévenir le prince Napoléon. Les chevaux de selle étaient préparés. Le Bœuf, voyant que l’Empereur souffrait, lui dit : « Ne montez pas à cheval, sire. — Non, mes soldats vont se battre, il faut que je sois avec eux. » Mais il ne put supporter le trot, et l’on s’avança au pas.

Le combat s’engagea à dix heures. Pestel, malgré ses faibles forces, nous donnant l’exemple de ce que nous aurions dû faire, ne reste pas sur la défensive derrière la Sarre : il se porte offensivement au-devant de nous sur la rive sud très élevée, occupant le Winterberg et le Reppertsberg, mettant en état de défense une maison dite Maison Rouge. Assailli méthodiquement par nos trois brigades, il se retire de l’autre côté de la Sarre en disputant le terrain pied à pied par retours offensifs. « Ils reculent ! Poursuivons-les ! » s’écrie le prince impérial exalté. L’Empereur, qui avait à ses côtés Lebrun, dit : « Soutenez-moi, Lebrun, je ne puis me tenir à cheval. » Et il mit pied à terre. « Votre Majesté paraît souffrante. — Oui, je souffre horriblement. — Votre Majesté veut-elle remonter en voiture ? — Non, je préfère marcher un peu ; cela me soulage. » Quelques instans après, il put remonter en voiture et regagna Metz où il parvint à quatre heures. Nélaton, arrivé de Paris, l’y attendait. L’illustre chirurgien resta au quartier général jusqu’au lendemain soir. « Enfin, écrit Anger dans son journal, soulageons mon cœur. Je n’ai pas trouvé jusqu’ici au quartier général un seul homme, Nélaton étant parti hier (4 août, 11 heures du soir). »

Le petit détachement prussien s’établit, sans être inquiété, à sept kilomètres au nord de Sarrebrück. Il avait perdu quatre officiers, 75 hommes tués ou blessés et cinq disparus. Frossard, laissé sans ordres, demeura sur les hauteurs de la rive gauche de la Sarre, sa gauche ayant pour appui la division Montaudon du 3e corps d’armée qui la reliait à Bazaine, et sa droite, soutenue par la brigade Lapasset qui le reliait à Failly. Son quartier général fut établi en avant de Styring, à la Brême d’Or. Il avait perdu six officiers et 72 hommes tués ou blessés. Nos troupes n’avaient tiré que sur le viaduc du chemin de fer ; la ville n’avait été ni bombardée, ni brûlée, ni même menacée du feu. Nous n’occupâmes ni ne détruisîmes les ponts, le chemin de fer et le grand viaduc par lequel la ligne de Sarrebrück à Metz traverse la Sarre, on ne toucha pas au télégraphe : nous ne voulions pas que les Prussiens fussent longtemps privés de nos nouvelles

VIII

« Cet engagement de Sarrebrück de dimensions fort restreintes, dit le major Scheibert, n’eut qu’un résultat : ce fut de contribuer grandement à donner aux Allemands confiance en eux-mêmes. » Poussé à bout, il eût pu nous assurer dès le premier jour un succès décisif. Si, Sarrebrück occupé, nous eussions lancé, en quelque état de formation qu’ils fussent, nos corps d’armée de Lorraine vers les issues des défilés de la zone boisée, Steinmetz, ardent, téméraire, malgré ses vieilles années, ne voulant pas que son armée attendît au port d’armes le débouché du prince Frédéric-Charles, se serait jeté sur nous. Une « bataille sérieuse se serait engagée entre les VIIe et VIIIe corps prussiens et trois ou quatre corps d’armée français, et l’armée prussienne aurait été battue. La Ve armée eût éprouvé une défaite ; les avant-gardes de la IIe auraient été hors d’état de la soutenir. » Notre offensive aurait eu de plus, pour conséquence, outre l’échec infligé à la Ire armée, le mouvement en arrière de la IIe, peut-être son recul au-delà du Rhin, et le sort de la campagne eût été complètement changé[8]. »

Moltke, qui avait formellement enjoint à Steinmetz de rester sur une défensive passive, a écrit en marge de la lettre où son lieutenant lui expliquait rétroactivement son projet avorté : « Ce qui eût exposé la Ire armée à une défaite[9]. » C’est ce que les critiques allemands autorisés ont reconnu aussi. « Frossard, disent-ils, aurait rencontré le 3 août la division avancée de Gœben près d’Heusweiler ; les chances étaient évidemment pour les Français et le VIIIe corps devait être rejeté vers l’Est. Le VIIe corps ne pouvait porter aucun secours au VIIIe, car le 3 août il marchait en deux colonnes tranquillement sur Merzig et Lesheim où se rendait l’état-major du commandant de l’armée. Là encore les Français auraient eu une forte supériorité numérique ; il était parfaitement possible que le VIIe corps fût rejeté vers le Nord-Ouest[10]. » Alors Frédéric-Charles eût été obligé de faire demi-tour, rebrousser chemin et reporter son armée sur le revers oriental du Hardt en deçà des montagnes. « Si la première bataille, avait dit Bismarck à l’historien Muller, nous eût été défavorable, nous étions perdus. » Nous aurions eu là cette première bataille redoutée par Bismarck et nous nous serions assuré toutes les chances de l’imprévu, qui peut toujours retourner les cartes au profit de ceux qui savent oser[11].

On ne doit jamais oublier le mot de Napoléon : « A la guerre, tout est moral. » Le seul fait du passage de la Sarre eût paru un succès, parce qu’il indiquait, comme toute offensive résolue, la volonté et l’espérance de vaincre. La confiance de notre armée en elle-même se fût exaltée et si, à ce premier effet moral, se fût joint le résultat matériel d’une victoire, grande ou petite, obtenue n’importe où, l’effet eût été incalculable. L’élan de notre armée fût devenu irrésistible et eût démontré ce que valait la puissance de sa qualité. En Allemagne, se serait accentuée la dépression produite déjà par la seule crainte de notre offensive. Les mécontentemens qu’avait étouffés l’exaltation de la partie manifestante du peuple auraient retrouvé la parole ; les traités d’alliance avec les États du Sud n’eussent pas été rompus, mais les populations se seraient souvenues de leurs griefs et auraient gêné l’action de leurs rois ; les troupes prussiennes elles-mêmes n’auraient plus conservé au même degré leur entrain de confiance ; les imperfections du système, jusque-là amnistiées par la victoire, se seraient révélées. On a attribué à Moltke ce mot : « On ne peut juger de l’armée prussienne ; elle n’a jamais été vaincue. » Ce n’est en réalité que dans les revers qu’on peut juger de la solidité d’une armée et des principes sur lesquels elle est constituée. A l’extérieur, l’effet eût été instantané et la plume que Beust et Visconti tenaient en l’air se serait abaissée sur le projet de traité et l’aurait signé.


IX

Le 4 août parvenait au quartier général une dépêche de Bouille, notre attaché militaire à Vienne, disant : « Le colonel Welserheim, arrivant de Berlin, me dit que les Prussiens, dans la Bavière rhénane, n’ont pas encore complété munitions et transports, que la circonstance est exceptionnellement favorable pour les attaquer, que l’occasion est unique et ne se retrouvera pas plus tard. » (2 août.) Aucun avis ne tomba plus à propos. C’était, en quelque sorte, une nouvelle indication et celle-là suprême, de la seule conduite qui pût nous mener au salut. En effet, à ce moment, nous pouvions encore gagner les débouchés de la zone boisée avant que le gros de l’armée de Frédéric-Charles l’eût franchie, et écraser ses fractions avancées avec des forces supérieures.

L’Empereur qui ne disait jamais non, quand on le pressait, parut goûter ce projet ; Lebrun et Jarras furent chargés d’en préparer l’exécution. Mais Lebrun émit le déplorable avis qu’il serait utile auparavant de consulter les chefs de l’armée. C’était encore un retard : l’Empereur l’accueillit avec empressement. « En tenant des conseils, on finit par prendre le plus mauvais parti qui, presque toujours à la guerre, est le plus pusillanime[12]. » On en vit une nouvelle preuve. Soleille et Coffinières approuvèrent le projet de passer la Sarre, qu’ils avaient blâmé le 31 juillet. Mais l’intendant général Wolff déclara qu’il n’avait pas de quoi accompagner l’armée par ses vivres et que ses renseignemens lui présentaient le Palatinat comme étant hors d’état de nourrir des troupes. En quoi eût-il été plus compliqué de pousser les convois envoyés de Paris jusqu’à Neunkirchen et Hombourg, au lieu de les arrêter à Metz ? A la vérité, nous n’aurions pas même eu à attendre nos approvisionnemens ; dans le pays riche, abondamment pourvu, où les troupes pouvaient être facilement cantonnées, nous n’aurions eu qu’à puiser à pleines mains par des réquisitions. On a su depuis que les paysans du Palatinat avaient mis en réserve des vivres à nous fournir, afin de n’être pas brutalisés ou dévalisés. L’Empereur, naturellement, accepta cette assertion bouffonne et dit : « Puisqu’il en est ainsi, je ne puis prendre la résolution de porter mon armée en avant. » Et l’opération fut abandonnée une fois de plus.

Le sort en était donc jeté, tout espoir était perdu, et selon l’observation de l’état-major prussien : « tandis que le déploiement des armées allemandes approchait de son terme, le mois de juillet s’était écoulé sans que les Français eussent tiré parti de la supériorité momentanée qu’ils s’étaient ménagée en partant de leur garnison de paix avant d’être organisés. » Nous n’y avions gagné que l’ineffable désordre qui avait démoralisé tout le monde. Le cœur se brise même avant d’arriver aux sanglantes défaites, lorsqu’on suit pas à pas la série non interrompue des affaissemens d’énergie de ces quelques semaines.

« Tout l’art de la guerre, a dit Napoléon, consiste dans une défensive bien raisonnée, extrêmement circonspecte et dans une offensive audacieuse et rapide[13]. » L’Empereur n’avait pu se décider à l’offensive, et rien dans ses résolutions n’était audacieux et rapide. Mais il n’osait pas davantage se replier sur la défensive et rien dans ses mouvemens n’était raisonné et circonspect. Lorsqu’on a pris un parti résolu soit d’offensive, soit de défensive, on sait ce que l’on veut et où l’on entend aller. Est-on à l’offensive, on ne se préoccupe des projets de l’ennemi que pour l’induire en erreur, jusqu’à ce qu’on soit en mesure de l’aborder. A-t-on préféré la défensive, on ne pense qu’à se grouper fortement pour attendre l’ennemi : d’où qu’il vienne, il ne nous surprendra pas. L’offensive n’était pas seulement le parti le plus glorieux, c’était le plus sûr. La défensive cependant avait aussi ses chances et pouvait donner des succès. Après avoir tout sacrifié à l’offensive, on s’était brusquement retranché dans la défensive ; puis on s’était placé en dehors de l’une et de l’autre. On écartait tous les projets d’attaque offensive et on ne manœuvrait pas pour s’établir sur la défensive ; on ne coupait pas les ponts et les voies ferrées ; on ne se fortifiait nulle part ; on laissait d’immenses approvisionnemens dans des villes ouvertes sur la frontière. Au lieu d’adopter un plan unique, on s’en tenait aux plans à plusieurs fins qui sont impropres à toutes les fins. Croyant ainsi se prémunir contre les diverses éventualités, on ne se mettait en garde contre aucune ; espérant tout refuser au hasard, on lui livrait tout. Nous avons été surpris, a-t-on dit, en état de formation… Dites : en état d’ahurissement. Le lieutenant-colonel Maistre, dans son étude sur Spickeren, a décrit remarquablement cette situation. « Au grand quartier général français, les esprits sont en désarroi, le commandement n’arrivera pas à se ressaisir. Faute d’une bonne doctrine de guerre, il ne comprendra pas les conditions de la défense stratégique à laquelle il se trouve réduit. Faute d’un service de renseignemens organisé à l’avance, faute de savoir utiliser la cavalerie, gardée dans les lignes ou en arrière, il va être à la merci de nouvelles douteuses qui signalent l’ennemi en force partout. À la fois, ou tour à tour, on se croira menacé dans les directions de Trêves, de Sarrelouis, de Sarrebrück, de Sarreguemines ou de Bitche. On voudra se garder partout et on se dispersera. L’idée de l’économie des forces, l’idée de manœuvre, l’idée d’avant-gardes jetées dans les directions dangereuses pour reconnaître l’ennemi, le contenir et permettre au gros établi en arrière de se porter au point où l’attaque se présente en forces, sont absentes. Tous les échelons de la hiérarchie apparaissent comme frappés d’inertie. Au lieu d’organes doués d’une vie propre, agissant ou réagissant d’eux-mêmes sous l’impulsion venue d’en haut, on n’a que des instrumens passifs. »

On a expliqué notre incompréhensible inertie en prétendant que si nous n’avions pas bougé, c’est que nous étions hors d’état de le faire : on manquait de tentes-abris, d’ustensiles de campement, etc. ; que les réservistes n’étaient pas arrivés. Les tentes-abris manquaient ? N’y en eût-il eu aucune, cela eût mieux valu, car elles ajoutaient un poids écrasant sur les épaules de nos soldats déjà trop chargés, et à défaut de ces tentes-abris on les eût cantonnés, et ils s’en seraient félicités. Certes, il y avait encore des réservistes qui n’avaient pas rejoint, mais ils étaient de moins en moins nombreux, et ceux qui n’étaient point arrivés (à peine 10 000 sur 170 000) étaient en nombre moindre de beaucoup que ceux qui avaient pris vaillamment leur place dans le rang. Un historien a osé écrire : « La pénurie était générale. » C’est une monstruosité. Ce qui était général, c’était l’abondance de tout ce que les anciens, par un pressentiment, ont appelé impedimenta. L’armée avec tous les convois qu’elle traînait à sa suite, marchant sur une seule route, aurait occupé un développement de 200 kilomètres ou 50 lieues. On l’appelait déjà l’armée de Darius. L’encombrement résultant de la difficulté des déchargemens était la principale cause des retards ; cet inconvénient disparaissait dès qu’on marchait en avant ; alors, l’armée s’éloignant, les gares vomissaient ce qu’elles avaient englouti. La pénurie était si peu générale que lorsque l’armée fut en possession de tout ce dont on l’avait comblée, elle ne put plus remuer. On n’avait pas marché afin d’attendre ce qui, une fois arrivé, eût empêché de marcher si on n’eût opéré des amputations[14] !

En une matière sujette à tant de controverses et de confusions, il faut donner à sa pensée une forme en quelque sorte mathématique, afin qu’on ne puisse pas s’y méprendre. Je ne dis pas qu’au 31 juillet, par suite, soit de la lenteur inhérente à notre système de mobilisation, soit à cause de la simultanéité de la mobilisation et de la concentration, soit par l’effet de négligences dans l’exécution, il n’y eût pas encore des manques dans l’administration, dans les objets de campement, dans les ambulances, mais je dis qu’il n’y en avait point dans les canons, dans les fusils, dans les obus, dans les cartouches. Je dis que les manques existans n’étaient que provisoires, parce qu’il y avait indisponibilité et non pénurie, et cette indisponibilité cessait jour par jour, heure par heure. Je dis que ces manques provisoires n’étaient que partiels, et que les télégrammes de ceux qui réclamaient, parce qu’ils n’étaient point pourvus ne comptent pas à côté du silence de ceux, bien plus nombreux, qui ne réclamaient point parce qu’ils étaient pourvus. Je dis que ces manques provisoires et partiels n’étaient pas de nature à empêcher un général vigoureux de pousser son armée en avant. Écoutez-le dire par Thiers. Emporté par son instinct d’historien, il a prononcé ce grave jugement, dans lequel on retrouve le narrateur des batailles de l’Empire : « Si, au début, on avait agi avec vigueur et présence d’esprit, si, au lieu de demeurer vingt jours immobiles, sans plan, sans vues arrêtées, dispersés sur une ligne de cinquante lieues, de Thionville aux bords du Rhin, en cinq corps qui ne pouvaient pas se secourir les uns les autres ; si, au lieu d’accumuler toutes ces fautes, on avait laissé 30 000 hommes sur la crête des Vosges pour observer la vallée du Rhin et qu’avec 220 000 on eût marché vigoureusement sur Trêves, on aurait rabattu les Prussiens, peut-être percé leur ligne, rejeté leur énorme masse sur Mayence et changé la face des événemens. On le croyait tout à fait en Prusse. »

Je dis que ces manques provisoires, partiels, qui ne devaient pas empêcher de marcher en avant, eussent été bien moins nombreux et peut-être nuls, si l’armée eût eu à sa tête un général vigoureux. Là ce sont les intendans qui nous instruiront. Blondeau dit : « Les changemens d’emplacement étaient permanens. La grosse affaire, en 1870, c’est que les projets ont varié tous les jours. Je citerai, par exemple, le 6e corps qui avait reçu l’ordre de se rendre du camp de Châlons à Nancy ; qui, arrivé en partie à Nancy, a reçu l’ordre de rétrograder sur le camp de Châlons, et qui, à peine de retour au camp, a dû se porter sur Metz où il n’est arrivé qu’en partie, ayant été coupé à Frouard[15]. » Wolff parle comme son chef : « Ce qui m’a surtout empêché de prendre des mesures, c’est l’absence d’ordres, de projet. Il régnait une incertitude perpétuelle. Dans les premiers jours, on parlait de passer la frontière et d’envahir les provinces rhénanes ; plus tard, on devait marcher sur Nancy, puis sur Châlons, mais tous ces projets étaient plus vite abandonnés que conçus. Comme il n’y avait jamais de plan arrêté, je ne pouvais pas recevoir d’ordres, et il arrivait fréquemment que l’on n’attendait pas seulement une réponse sur les ressources administratives pour changer de projet[16]. »

La plupart de ceux qui ont barbouillé tant de pages pour démontrer que l’armée, faute d’objets de campement, d’ambulances, etc., n’était pas en état de franchir la frontière, blâment cependant Napoléon III de ne pas l’avoir passée le 2 août et de n’avoir pas été chercher la victoire que lui aurait offerte Steinmetz. Mettez un peu de cohérence dans vos idées, je vous en prie ! Mais si l’armée était dans l’état que vous dites, l’Empereur eût été coupable de l’exposer aux hasards d’une telle rencontre. Si elle avait la possibilité de remporter la victoire comme vous le dites, c’est qu’elle n’était pas dans l’état où vous la dépeignez. Et c’est là la vérité.

La théorie, inaugurée en 1870, qu’il ne fallait pas faire un pas avant d’être muni comme à une parade du camp de Châlons, inspirée en grande partie par le général Trochu représenté à l’état-major général par Lebrun, constitue une véritable éclipse de la raison militaire. Le « débrouillez-vous » avait sans doute été poussé trop loin ; mais il ne faut pas le dédaigner. C’est cette ardeur qui nous a faits grands et qui nous rendra de nouveau grands. Quand une armée a des fusils, des canons, des cartouches, des obus, qu’elle est chez elle ou dans un pays riche et peuplé, non dans des steppes ou dans un désert, manquât-elle d’une portion de ses approvisionnemens et de ses objets de campement, elle est prête, et elle doit, à tout risque, marcher en avant ; ce qui lui manque peut toujours être suppléé.

Ici notre autorité sera encore plus haute : « Quand on a bonne volonté d’entrer en campagne, disait le jeune général de l’armée d’Italie, il n’y a rien qui arrête. » — « Il est des circonstances, disait le vainqueur d’Iéna dans son bulletin, où aucune considération ne doit balancer l’avantage de prévenir l’ennemi et d’attaquer le premier[17]. » Et l’Empereur aux abois le répétait avec véhémence à un de ses premiers compagnons d’armes, Augereau, dans une lettre historique (21 février 1814) qu’il faut toujours lire dans les circonstances critiques : « Les six bataillons de la division de Nîmes manquent d’habillement et d’équipement et sont sans instruction ? quelle pauvre raison me donnez-vous là, Augereau ! J’ai détruit 80 000 ennemis avec des bataillons composés de conscrits, n’ayant pas de gibernes et étant mal habillés ! Vous manquez d’attelages ? prenez-en partout. Vous n’avez pas de magasins ? ceci est par trop ridicule. Je vous ordonne de partir douze heures après la réception de cette lettre pour vous mettre en campagne. Si vous êtes toujours l’Augereau de Castiglione, gardez le commandement ; si vos soixante ans pèsent sur vous, quittez-le et remettez-le au plus ancien de vos officiers généraux. » Quels rugissemens de colère n’eût-il pas poussés si, en présence des entassemens gargantuesques de la gare de Metz, des approvisionnemens de Forbach, de Sarreguemines, de Lunéville, de l’abondance des objets de campement, on lui avait répondu : Nous n’avançons pas, parce que nous n’avons pas ce qu’il nous faut.

Notre inaction du 20 juillet au 6 août a été la cause de notre premier et, peut-être, de notre plus irréparable revers, car « presque toujours les premières fautes nécessitent et entraînent les autres[18]. » Un de nos officiers généraux ayant appris de l’Empereur qu’il s’arrêterait après Sarrebrück, ne put retenir ses larmes. « Nous sommes perdus, » dit-il à la personne de sa confiance qui lui demandait la cause de son émotion. De ce jour, en effet, l’empire des armes nous a été virtuellement enlevé. Tant il est vrai qu’une armée comme la nôtre ne pouvait être défaite par l’ennemi qu’après avoir été défaite par ses chefs !

La cause de cette inaction fatale n’a pas été notre infériorité numérique, puisque, pendant tout ce temps, nous avons été en forces supérieures. Elle n’est pas imputable davantage à la pénurie de ce qui est nécessaire à la bataille, car nous l’avions plus qu’en suffisance. La cause réelle a été, — et je ne crois pas manquer à mon culte affectueux envers la mémoire de l’Empereur en le reconnaissant, — la cause réelle a été le commandement de l’armée entre les mains d’un chef dont les qualités éminentes de vaillance et d’intelligence étaient paralysées par une infirmité des plus déprimantes. Ce n’est pas au lendemain du jour où on est obligé de se faire sonder par un chirurgien venu de Paris qu’on peut se lancer dans une offensive vigoureuse. Dès le début de ce récit, nous sommes condamné à dire ce que nous serons obligé de répéter toujours et plus tristement jusqu’à la fin : « A la guerre, les hommes ne sont rien, un seul homme est tout. » (Napoléon Ier.)


EMILE OLLIVIER.

  1. Général Deligny, Armée de Metz, p. 10 et 12.
  2. The last great war, ch. I, p. 27.
  3. Faverot de Kerbrech : Mes Souvenirs, p. 18. — Souvenirs inédits du maréchal Mac Mahon.
  4. Schneider s’était trompé en attribuant cette maxime à Montesquieu. Lanfrey l’a revendiquée, et elle se trouve en effet dans son Histoire de Napoléon, mais il l’avait empruntée lui-même à l’histoire de la Révolution française de Mignet.
  5. Note du maréchal Vaillant à l’Empereur, 22 juillet 1870.
  6. Étude militaire, p. 57.
  7. Lettre du roi de Prusse à la reine ; — Mayence, 4 août 1870.
  8. Histoire de la guerre de 1870-71 par la section historique de l’État-major de l’armée française.
  9. Revue d’Histoire. État-major français.
  10. Voyez le commandant Defrasse, Vierteljahrshefte de décembre 1909. — Lieutenant-colonel von Moser, même Revue, avril 1909.
  11. J’aime à citer les opinions des correspondans anglais admis dans l’armée prussienne, parce que leurs impressions sont le reflet de celles qu’ils recueillaient autour d’eux. Celui du Daily News, Forbes, très hostile à la France, dit : « Le fait est que ni le 2 août, ni bien des jours après, les Allemands n’étaient prêts à défendre leur frontière et qu’ils n’auraient jamais envahi la France s’ils avaient été attaqués ou repoussés de la manière que le passé de la France faisait attendre. On a prétendu que les bois derrière Sarrebrück étaient pleins de troupes qui auraient repoussé avec succès toute tentative dans l’intérieur. La vérité est qu’il n’y avait aucunes forces plus rapprochées que Neunkirchen. Si une armée française, allant au-delà de Sarrebrück le 2, avait marché rapidement vers l’intérieur, elle les eût dispersées facilement ; il eût été impossible à la concentration de ces troupes dispersées de s’opérer. » (P. 62 et suiv.)
  12.  ?
  13. Au roi de Naples, 28 juillet 1806.
  14. Le sous-intendant Gaffiot, Déposition au procès Bazaine, p. 479. — « M. le maréchal avait été frappé de l’encombrement des routes par suite du nombre considérable des équipages ; les allocations réglementaires qui avaient été fixées au commencement de la campagne, au point de vue des équipages, soit des officiers sans troupes, soit des corps de troupes, étaient un peu élevées ; M. le maréchal jugea indispensable de se rendre plus mobile, et il prescrivit la réduction de ces équipages, qui furent alors réduits de moitié. »
  15. Déposition de Blondeau, 12 février 1873.
  16. Déposition de Wolff, 17 février 1873.
  17. Au Directoire exécutif, 27 germinal an V. Voir aussi Lettre au général Clarke, 5 novembre 1807.
  18. Gouvion Saint-Cyr.