La Guerre de 1870 - À l’armée de Metz

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LA GUERRE DE 1870

Á L’ARMÉE DE METZ[1]

Les souvenirs que je résume dans ces pages, sont appuyés sur des notes prises au jour le jour.

J’étais attaché, en qualité de capitaine d’état-major, à la division de Cissey, 1re du 4e corps.

Mon chef, qui m’honora de son amitié et d’une confiance particulière, a pleinement approuvé mes impressions recueillies d’après la marche des événemens. Il m’a éclairé dans mes jugemens, avec sa haute expérience des hommes et des choses ; je puis donc dire que les vues d’ensemble que je vais exprimer sont en parfaite concordance avec les siennes, fréquemment manifestées pendant la campagne proprement dite, et durant les jours de la triste captivité à Hambourg.


I. — LES DÉBUTS DE LA GUERRE. — LA CONCENTRATION AUTOUR DE METZ

22 juillet-11 août 1870. — Chacun sait comment fut engagée la malheureuse guerre de 1870 !

L’Empereur, qui voulut la diriger personnellement, était dans un très mauvais état de santé, qui ne lui permettait pas d’en supporter les fatigues.

Lorsqu’on vit la guerre inévitable, l’élaboration du plan de campagne fut très précipitée, alors qu’on aurait dû l’assurer longtemps auparavant ; elle se traduisit par une concentration défectueuse, par un dispositif en rideau étendu, de Thionville à gauche jusqu’à Strasbourg-Belfort à droite.

Cette ligne de front, faible sur tous les points, était sans cohésion, et surtout sans moyens d’action efficaces, pour prendre, à une heure donnée, l’offensive hardie et vigoureuse qui eût été conforme à nos traditions françaises !

Dans l’entourage de l’Empereur, des influences diverses et très multipliées exercèrent, de façon variable, une pression plus ou moins heureuse sur l’esprit du souverain.

Pourquoi l’Empereur, qui se savait malade, et dans l’impossibilité de conduire personnellement les opérations, pourquoi l’Empereur n’avait-il pas fait choix, à l’avance, de l’homme de grand caractère et de réel savoir, auquel il aurait confié, de façon absolue, la direction des destinées militaires de la France ?

Nous nous trouvions en présence d’un adversaire redoutable ! Cet ennemi se préparait de longue main à la guerre qu’il déchaîna sciemment, et qu’il voulait pour l’accomplissement de ses desseins ultérieurs ; on le savait pertinemment ; de nombreux documens avaient été réunis à cette fin ; il était facile d’être fixé en haut lieu sur les éventualités les plus graves, et absolument inévitables dans un délai de temps quelconque.

C’était donc avant, et non pas à l’heure où la guerre éclatait, qu’aurait dû être élaboré notre plan de campagne. Si le chef suprême des armées françaises choisi par l’Empereur, et désigné par lui en temps utile, avait connu la mission qui lui était réservée, il se serait certainement préparé à la remplir le cas échéant. Alors, dès le début de la guerre, notre concentration aurait pu, en restant logique, être resserrée au lieu d’être éparpillée ; on aurait été maîtres de l’heure et par conséquent de l’offensive ; on aurait pu la prendre incontinent, avec tout ce que nous avions de disponible sous les drapeaux, pour agir en coup de foudre, de manière à troubler la mobilisation et la concentration des Allemands, détraquer par un premier choc audacieux leur savant mécanisme du temps de paix. Nos magasins, dans les places frontières, étaient, il est vrai, insuffisamment approvisionnés quand éclata la guerre, mais, même en ayant égard à cette condition défavorable, le chef suprême désigné par le Souverain, sentant sa responsabilité engagée, aurait fait approvisionner ces places et l’armée dans le minimum de temps. La plus grande activité s’imposait d’ailleurs, dès la première heure des hostilités : elle serait restée des plus productives, parce que le chef, choisi et qualifié pour ordonner, l’aurait entretenue et soutenue avec méthode et réflexion. Les effectifs, déjà si faibles dans nos unités d’infanterie, n’auraient pas, dès le commencement, subi des prélèvemens de combattans, néfastes et déplorables, au profit de l’administration de l’armée dont l’outillage laissait à désirer ; on aurait assuré les services administratifs par d’autres moyens, tels que les réquisitions, auxquelles il fallut forcément recourir par la suite en improvisant du train auxiliaire.

Quand une guerre, comme celle de 1870, éclate brusquement et, si on le veut, en coup de tonnerre, le premier moment de surprise, voire même de saisissement, est admissible. Mais on doit se reprendre et surtout se reprendre vite.

En résumé, l’unité de vues, jointe à l’unité de direction, permettaient seules de résoudre le problème qui surgissait, troublant la quiétude d’esprit et un peu aussi l’insouciance générale ! Sous une bonne impulsion, nous serions certainement arrivés à la production rapide, quoique laborieuse, de tous les efforts commandés par les circonstances.

Rien de cela n’a été réalisé !

Qu’en résulta-t-il ?

Chacun des chefs des groupes importans, lancés précipitamment a la frontière, et répartis sur notre front de longueur démesurée, resta, durant des jours si précieux, dans une attente passive et incertaine des événemens, c’est-à-dire des manifestations d’attaque du côté adverse. Les Allemands, qui pendant ce temps n’étaient pas inquiétés, eurent tous loisirs, toutes facilités, pour se mobiliser, pour se concentrer, puis pour choisir enfin les points d’où ils pouvaient avantageusement fondre sur nous. Nous n’arrivions même pas à être renseignés comme il convenait, sur les projets d’irruption de l’ennemi sur notre territoire ; nous n’avons pas connu en temps utile les points qu’il choisissait pour franchir la frontière ; nous aurions dû savoir, et nous aurions pu tout au moins chercher à mieux agir.

Comme conclusion, et l’on ne saurait trop insister à cet égard, il nous aurait fallu, avant tout et par-dessus tout, un chef autoritaire, vif et alerte, sagace et prévoyant ; il fallait le Dux des anciens, secondé par un bon état-major, possédant son entière confiance, et qui aurait su, à tous instans, assurer la réalisation entière de la pensée dirigeante, celle de l’homme de commandement choisi entre tous, envers et contre toutes influences.

Quand on dispose de troupes, merveilleuses d’endurance et d’entrain, comme l’ont été celles de l’armée de Metz, rien ne devait être impossible ; il fallait débuter avec elles en allant hardiment de l’avant ; l’harmonie dans les efforts, la confiance en soi, se seraient manifestées ; l’espoir du succès, dans ce choc formidable de deux nations fortes, aurait certainement pu devenir, pour nous, très fondé et très légitime.


II. — PÉRIODE DES GRANDES BATAILLES

Du 22 juillet au 8 août, notre situation au 4e corps, aile gauche de l’ordre de bataille français, fut un état d’expectative et d’incertitude.

Nous restions dans une attente anxieuse, bien que nos reconnaissances journalières, poussées très loin dans la direction de Sarrelouis, donnassent à penser que l’effort allemand ne se produirait pas tout d’abord de notre côté.

La division de Cissey, placée en avant du gros du 4e corps, à Sierck d’abord, puis à Bouzonville, Teterchen et Boulay, avait servi de couverture à son corps d’armée, depuis le 23 juillet jusqu’au 8 août.

Le 8 août, nous recevions des ordres, pour commencer une marche rétrograde vers Metz où l’armée allait se concentrer.

Le 10 août, nous apprenions que le maréchal Bazaine avait été investi du commandement suprême de l’année ; le général Jarras lui avait été donné, contre son gré je crois, comme chef de l’état-major de l’armée.

Cette désignation du général Jarras, a dit le général de Cissey, ancien chef d’état-major du maréchal Bosquet en Crimée, qualifié par conséquent pour porter un jugement, ne pouvait permettre d’espérer un utile fonctionnement de l’état-major général de l’armée. Et cependant, cet état-major était composé d’officiers distingués, particulièrement choisis, les uns en raison de leur grande expérience de la guerre, les autres parce qu’ils avaient une connaissance approfondie de l’organisation militaire de l’Allemagne.

Mais le général Jarras n’avait pas la confiance du maréchal Bazaine, qui le tint autant que possible à l’écart, et ne le mit jamais au courant de ses projets ni de ses combinaisons.

Ce manque de liaison, entre le généralissime et son chef d’état-major, devait être des plus préjudiciables au cours de la campagne, pour le bon fonctionnement de l’organe essentiel qu’est un état-major d’armée.

Au lieu d’être employés de façon incessante au service actif, le seul qui permette au chef suprême d’être constamment renseigné, de pouvoir ordonner, et surtout de taire assurer l’exécution de ses ordres, ces officiers d’élite furent particulièrement absorbés par un travail de bureau ; en fait, la plupart du temps, ils restaient immobilisés, inutilisés, alors qu’ils auraient pu si bien faire ! En station, dans les marches et surtout au combat, il aurait fallu les employer sans cesse, au lieu de les garder inertes en paralysant leur bonne volonté et leur ardeur. Dans notre modeste état-major divisionnaire, nous étions constamment à cheval, et notre chef, qui savait se servir de nous, voyait par nos yeux quand il lui était impossible de voir par lui-même. Quand il n’y a pas utilisation rationnelle d’un état-major, le chef qui est appelé à se faire seconder par lui, lut-il un homme très supérieur, se place inévitablement dans des conditions d’infériorité certaine vis-à-vis de son adversaire, car il se prive gratuitement de son organe de liaison et d’investigation auprès de ses troupes, il reste ignorant de bien des choses, qui peuvent lui être utiles pour le travail de la pensée, celui qui amène les résolutions !

La concentration sous Metz était réalisée le 13 août et l’armée se disposait à passer le 14 août sur la rive gauche de la Moselle, en vue d’une marche générale de repli dans la direction de Verdun.

De notre côté, au 4e corps, la division Lorencez (3e) tenait la tête de la marche vers les ponts de la Moselle ; la division de Cissey, 1re, venait ensuite ; la division Grenier, 2e, attendait sur le plateau, à proximité de Mey, son tour d’entrer dans la colonne. :

Tout à coup, le canon tonne violemment, la division Grenier, qui avait à sa droite les troupes du corps Lebœuf (3e corps), est très fortement attaquée.

La division de Cissey, déjà à proximité des ponts de l’île Chambière sur la Moselle, entendant la violente canonnade, laisse vivement ses sacs à terre le long de la route, remonte au pas gymnastique, accompagnée par son artillerie, sur le plateau à Mey : elle vole au secours de la division Grenier, que les Allemands avaient déjà poussée très vivement et délogée des bois en avant de Mey.

La division de Cissey, appuyée par sa droite à la division Grenier, s’empare à nouveau du village de Mey, puis des bois avoisinans. Attaqué avec une extrême vigueur, l’ennemi, refoulé, se replie en désordre en éprouvant de très grosses pertes.

La nuit arrive, les Allemands tentent un violent retour offensif, mais ils sont à nouveau repousses et se retirent définitivement.

Nous bivouaquons sur les positions conquises.

Cette première rencontre avec nos adversaires, dénommée bataille de Bovny, nous indiquait déjà ce que nous pouvions espérer de nos belles troupes !

Les pertes de la division, dans cette affaire, furent : Officiers : 2 tués, 4 blessés. — Troupe : 11 tués, 81 blessés, 11 disparus.

Les heureux résultats obtenus dans cette journée, par le 4e corps, peuvent être attribués sans conteste à l’initiative du général de Ladmirault, admirablement secondée par l’intrépidité de la division de Cissey, qui courut avec vivacité et entrain au secours de la division Grenier. Les Allemands, bien renseignés, avaient espéré culbuter les forces françaises laissées sur la rive droite, pendant que leurs principales masses, par un mouvement de grande envergure, traversaient la Moselle en aval de Metz, afin de nous couper de la ligne de Verdun. Le général Jarras, chef de l’état-major de l’armée, avait cependant été avisé, dès le 13 août, qu’une avant-garde de cavalerie prussienne avait passé la Moselle au pont d’Ars, qu’il eût été si facile de faire sauter le 13 au soir. Il ne tint pas compte de ce précieux l’enseignement, restant par surcroît sans liaison avec son général en chef, qui, déjà, ne se souciait guère de l’avoir auprès de lui. On perdit une occasion superbe d’infliger un sanglant désastre à l’adversaire, qu’on prenait en pleine exécution d’une manœuvre trop audacieuse.

La direction générale de l’armée de Metz se manifesta, dès ce début de baute lutte, très incertaine et flottante.

Rien d’heureux ne résulta pour nous du brillant combat de Borny, premier succès par lequel Lions avions vengé nos échecs en Alsace !

Après avoir bivouaqué sur son champ de bataille, la partie du 4e corps qui avait été engagée reprenait le 15 août à la pointe du jour, suivant les ordres reçus, son mouvement interrompu la veille ; elle passait sur la rive gauche de la Moselle ; la division de Cissey s’installait à Voippy.

L’armée de Metz devant toujours se replier sur Verdun, le corps de Ladmirault, 4e, avait l’ordre de se porter le 16 août sur Doncourt.

La division Lorencez était dirigée par Rozérieulles sur une route déjà très encombrée ; les divisions Grenier et de Cissey par Saulny et Saint-Privat.

On devait savoir que le gros des forces allemandes ne serait pas loin de Doncourt, puisque, depuis deux jours, elles passaient la Moselle sur plusieurs points en amont de Metz. Malgré cela, le grand quartier général de l’armée commit la lourde faute de laisser s’engager sur la route de Saulny, entre les divisions Grenier et de Cissey, un parc de réserve d’artillerie, un lourd convoi d’ambulances et de bagages. Or, le village de Saulny présente un long défilé étroit ; c’était compliquer singulièrement la marche de la division de Cissey, qui, prête à suivre immédiatement la division Grenier, avait un intérêt majeur à atteindre promptement le plateau, c’est-à-dire Saint-Privat, pour gagner ensuite Doncourt, son objectif de marche assigné. S’il y avait eu des officiers du grand état-major de l’armée, non seulement pour régler méthodiquement l’ouverture de nos marches de guerre à proximité de l’ennemi, mais encore pour en surveiller l’exécution au nom du général en chef, nul doute que nos mouvemens dans le 4e corps, au commencement de la journée du 16 notamment, n’eussent été assurés avec la régularité et la ponctualité nécessaires ; l’encombrement par les impedimenta, sur les routes affectées aux élémens de combat, eût en particulier été évité.

Il arriva forcément que la division de Cissey, échelonnée derrière la division Grunier, ne put la suivre immédiatement ; elle éprouva en outre, dans la traversée du défilé de Saulny, les plus grands retards et les plus grandes difficultés ; elle perdit beaucoup de temps avant de gagner le plateau de Saint-Privat. Elle y parvint cependant, aussitôt qu’elle le put, grâce à l’initiative de son chef. Quittant la route encombrée par les équipages, dès qu’elle fut sortie du long défilé, elle put enfin atteindre Saint-Privat vers 11 heures du matin, après avoir marché à travers champs.

Un arrêt a Saint-Privat venait d’être ordonné, afin d’y faire le café, et d’y grouper en même temps les deux brigades de la division, qui avaient formé deux échelons de marche, mais, à ce moment même, une très forte canonnade éclata du côté de Gravelotte, Mars-la-Tour. On put pressentir tout de suite, à la vivacité et à l’intensité du feu, une sérieuse attaque dirigée contre l’armée française pour l’empêcher de poursuivre sa marche sur Verdun.

Fidèle au principe de courir au canon, le général de Cissey, sans songer un instant à attendre passivement des ordres du commandement supérieur, prescrit de renverser les marmites et de se remettre en marche vers Doncourt, tout en prenant sa direction sur la ferme de Butricourt.

C’était aller droit à l’attaque allemande. La brigade de Golberg, 2e de la division, marche en tête : la brigade Brayer, 1re de la division, s’arrête quelques minutes à Saint-Privat pour reprendre haleine, puis elle doit continuer à la suite de la 2e brigade, formant comme auparavant le deuxième échelon de marche.

La division de Cissey est, à partir de Saint-Privat, en formation de marche condensée ; elle coupe à travers champs pour atteindre le terrain de la lutte dans le minimum de temps. Un officier, envoyé par le général de Ladmirault, arrive au galop, annonçant qu’une grande bataille est engagée et qu’il est urgent de hâter le plus possible notre marche, pour arriver au secours de la division Grenier, déjà fortement aux prises avec l’ennemi et qui a un impérieux besoin d’être secourue. La chaleur est écrasante, nous franchissons 10 kilomètres sans nous arrêter, l’infanterie en colonnes par sections, l’artillerie par demi-batteries, les troupes bien massées. Pas un homme ne reste en arrière.

De la ferme de Batricourt, où le général de Cissey, suivi de son état-major, s’est porté au galop, il est facile de se rendre compte que la bataille du 16 est en plein développement.

L’intention indiquée par le général de Ladmirault, commandant du 4e corps, est de tourner l’aile gauche ennemie par Mars-la-Tour ; il fait canonner vigoureusement l’adversaire, pour assurer le mouvement de la division Grenier, malheureusement dessiné un peu trop tôt. Nos batteries divisionnaires, devançant la brigade de Golberg, vont se mettre en ligne avec les batteries de réserve du 4e corps ; elles ouvrent un feu nourri sur les lignes prussiennes.

Bientôt arrive la brigade de Golberg, qui garnit la partie de la ligne de iront qui lui est assignée, de façon (pie la division de Cissey, après l’arrivée de la brigade Brayer, puisse se trouver rangée par brigades accolées sur deux lignes, sur la rive droite du ravin de la Cuve. Notre entrée en action permet de porter plus à droite une masse de cavalerie française qui continuera à former l’extrême droite de notre ordre de bataille général.

Mais, pendant notre entrée en ligne, l’ennemi recevait de nouveaux renforts, à la faveur desquels il prononçait un vigoureux retour offensif sur la division Grenier ; il l’obligeait à céder du terrain et à passer même assez brusquement en échelon défensif derrière nous. Notre masse d’artillerie, qui se sentit alors menacée à son tour, vint chercher rapidement une autre position plus en arrière.

A un certain moment, notre adversaire se crut assuré du succès ; il poussait nos tirailleurs, les rabattant sur notre masse, et sa tête d’attaque (brigade Vedel) s’avançait jusqu’à quarante pas de nous.

L’instant était critique, car, au même moment, un coup de mitraille ennemie balayait le général de Cissey et son état-major, dont un seul officier, le capitaine Garcin, était resté à cheval et indemne. Sans perdre une minute, le général de Cissey fut promptement dégagé de dessous sa monture qui venait d’être tuée, et alors qu’un officier allemand s’apprêtait à lui casser la tête ; il put remonter vivement à cheval en prenant celui du capitaine Garcin, qui venait de le débarrasser de l’officier ennemi. Alors, sur les ordres brefs et rapides du général, sa division s’ébranlant comme une masse puissante, se jette avec furie sur les troupes ennemies. Celles-ci, fauchées en même temps par notre artillerie, qui venait de prendre une position rapprochée très avantageuse, furent littéralement écrasées et vivement refoulées dans le fond du ravin de la Cuve qui nous séparait de Mars-la-Tour. A ce début de la lutte acharnée, le général Braver, commandant notre 1re brigade, et son aide de camp le capitaine de Saint-Preux tombaient mortellement frappés tous deux. Cette mort brillante sur le champ de bataille semblait avoir été en quelque sorte pressentie par le valeureux commandant de la 1re brigade. Il répondait en effet quelques instans auparavant, au capitaine Garcin, envoyé par le général de Cissey, pour le presser d’arriver sur la ligne de feu avec ses régimens : « J’accours ; on va toujours vite quand on va à la mort ! » Son aide de camp, le capitaine de Saint-Preux, camarade de jeunesse du capitaine Garcin, lui avait, lui aussi, déjà manifesté peu auparavant, dans une rencontre amicale, les plus noirs pressentimens ! Tous les deux recevaient simultanément la palme du martyre, en offrant ensemble leur vie pour la Patrie ! Singulier phénomène que les gens de guerre constatent parfois, tout en allant au sacrifice, avec insouciance, hardiment, sans peur ni reproche !

Mais reprenons la suite du combat.

Le général de Cissey et son état-major, l’épée à la main, en tête de la division, poussaient l’adversaire, la baïonnette dans les reins et achevaient sa déroute complète ; nos drapeaux victorieux étaient plantés sur les positions ennemies ; le drapeau du 16e poméranien, ainsi que divers trophées, tombaient entre nos mains.

Pour tâcher de sauver leur infanterie, en pleine déroute vers Mars-la-Tour, les Allemands lancèrent sur la division de Cissey leurs escadrons disponibles, qui, avec beaucoup de bravoure, exécutèrent sur nous la charge de la mort. Notre infanterie, pleine de sang-froid, formant rapidement des carrés, laisse arriver cette cavalerie, la fusille, de face, sur les lianes et à revers : elle l’anéantit si complètement, que pas un seul des cavaliers engagés n’échappe au désastre ; tous sont tués, blessés ou faits prisonniers.

Nous étions entièrement maîtres du champ de bataille.

Ah ! il eut fallu alors faire occuper tout de suite Mars-la-Tour, avec tout le 4e corps et une réserve ; nous aurions ainsi intercepté la route de Paris et empêché les Allemands de garder ce point important en se renforçant pendant la nuit.

Mais le haut commandement n’a pas dirigé cette bataille du 16.

Nous n’avons pas vu le général en chef ; pas un officier de son état-major n’est venu voir ce qui se passait de notre côté, qui était peut-être, a un instant donné surtout, celui où l’engagement général était le plus important.

Cette inertie fut coupable, puisqu’on ne tira pas profit des efforts et des sacrifices si volontairement consentis par les troupes engagées ; pareille inertie ne pouvait résulter que d’une grande insuffisance, dans les capacités de direction et de conduite des masses. Tel qui a pu briller parfois au second rang, s’éclipse totalement au premier.

Sur l’ensemble du 4e corps, une seule division, la division de Cissey, avait réellement donné son maximum d’efforts. La division Lorencez, arrêtée longtemps dans sa marche par des impedimenta de toute sorte, avait tardé pour atteindre le champ de bataille, ne pouvant accourir au canon, à travers champs, comme l’avait spontanément fait la division de Cissey, en dépit de la chaleur et d’une marche des plus fatigantes au cours de la journée.

La nuit étant proche, nos tirailleurs, qui avaient atteint Mars-la-Tour, ne pouvaient songer à y rester, si notre division n’était appuyée, ni soutenue. Le capitaine Garcin avait été envoyé auprès du général de Ladmirault, pour lui exposer notre situation si avantageuse, et pour lui demander avec insistance, de la part du général de Cissey, l’aide nécessaire pour garder le terrain gagné, en occupant fortement Mars-la-Tour. Malheureusement, en dépit des instances de cet officier, le commandant du 4e corps crut devoir ordonner l’abandon du terrain conquis, et le repli de la division sur la rive droite du ravin de la Cuve.

Malgré les efforts surhumains produits dans la journée par tous les élémens de notre division, les troupes étaient remplies d’un enthousiasme indescriptible ; elles acclamaient au passage leur vaillant chef, qui une fois encore les avait menées à la victoire.

L’action terminée, parce que le jour avait disparu, on s’occupa a relever les blessés et à les diriger sur la ferme de Butricourt, où avait été organisée une ambulance à l’aide de nos ressources divisionnaires ; les nombreux prisonniers que nous avions faits furent conduits en arrière des troupes. L’hécatombe des Allemands dans le ravin de la Cuve et sur ses bords avait été telle que les tués s’y trouvaient amoncelés en masses épaisses, montrant bien ainsi qu’ils y avaient été littéralement écrasés.

La prise du bivouac réalisée au cours des premières heures de la nuit, la 1re division, qui n’avait de toute la journée du 16 absolument rien mangé, s’alimenta comme elle le put autour des feux allumés, puis elle prit un peu du repos dont elle avait si grand besoin. Chacun était persuadé que la lutte reprendrait certainement acharnée dès le 17 au matin ; on s’était endormi avec cette pensée enthousiaste et réconfortante !

Hélas ! vers une heure du matin, l’ordre nous arrivait de nous replier vers Metz, et la 1re division, groupée a 3 heures du matin, après de grandes difficultés dans la marche à cause de l’obscurité, se trouvait, autour de la ferme de Butricourt, prête à se remettre en marche.

Nos pertes dans la division, à la fin de cette glorieuse journée du 16, étaient : Officiers : 20 tués, 58 blessés. — Troupe : 179 tués, 692 blessés, 97 disparus.

Le 16 août, les 2e et 6e corps d’armée, avec la Garde, avaient tenu, depuis le matin, la gauche et le centre de notre ordre de bataille général. Le 3e corps était venu les renforcer vers 3 heures du soir. Le 4e corps, à la droite, avait tout d’abord occupé Bruville et Saint-Marcel avec la division Grenier ; il avait rejeté les forces ennemies dans la direction de Vionville. La division de Cissey, entrée en action vers 5 heures et demie du soir, avait immédiatement réalisé son hardi et vigoureux mouvement offensif sur Mars-la-Tour, après avoir relevé en première ligne la division Grenier. A l’extrême droite, une masse importante de notre cavalerie avait chargé la cavalerie ennemie non sans succès, mais avait éprouvé des pertes sérieuses. Les Allemands avaient produit, vers 5 heures du soir, un retour offensif général sur leur ligne de combat ; ils avaient échoué et avaient été partout repousses.

Cette bataille du 16 août, qui n’avait cessé qu’entre 8 et 9 heures du soir, était dans son ensemble un succès réel pour l’armée française. Elle aurait produit les plus grands résultats, si nos masses, amenées méthodiquement sur le terrain de la lutte, avaient été dirigées avec suite et habileté, si nous avions répondu à la hardiesse imprudente de l’adversaire qui n’était pas en nombre, en prenant toujours et toujours l’offensive, qui est dans notre tempérament, et qui aurait été des plus fécondes avec nos admirables soldats.

Le destin, hélas ! était contre nous.

Le 17 août au matin, nous exécutions donc, ainsi que cela avait été absolument prescrit, le mouvement de repli, qui pour nous était sur Amanvillers, Saint-Privat. C’est de cette opération néfaste que résulteront tous nos désastres !

Elle était, selon le maréchal Bazaine, motivée par la nécessité de se rapprocher de Metz, afin de se ravitailler plus aisément en vivres et en munitions.

Bien pauvres motifs ! L’idée dirigeante qui aurait dû l’emporter sur toutes autres considérations, eut été de reprendre résolument l’offensive, le 17 dès l’aube, en profitant de notre succès du 16. Nous aurions rejeté sur la Moselle notre ennemi empêtré dans des ravins difficiles. Nous aurions pu transformer sa retraite en une complète déroule.

En tout cas, puisque cette idée si naturelle était écartée, pourquoi ne se portait-on pas franchement dans les directions Elain, Briey ? Nous n’aurions pas cessé alors de rester en communication avec Metz et Thionville, nous aurions encore pu nous y ravitailler rapidement, tout en nous appuyant sur l’Argonne et en faisant plus tard notre jonction avec Mac Mahon. Les désastres de Sedan et de Metz eussent été évités et le sort de la campagne fût peut-être resté finalement à notre avantage.

Pour justifier encore, si possible, son repli sur Metz, cette place, disait le maréchal Bazaine, eût été investie et bombardée aussitôt après notre départ : elle n’eût pas tardé à succomber, puisque ses forts incomplètement armés et mal approvisionnés auraient été hors d’état de résister efficacement.

Ce sont ces faibles raisons, données pour masquer de l’impéritie et un manque de résolution, qui ont en tout cas fait perdre de vue que le sort d’un pays se résout par la lutte en rase campagne et non pas en s’accrochant à une place que l’ennemi finit par encercler et bloquer.

Il aurait fallu penser à la capitulation d’Ulm.

Reprenons maintenant les faits, tels qu’ils se déroulèrent par la suite.

La division de Cissey avait l’ordre de venir s’établir le 17, sa droite à Saint-Privat, sa gauche à Amanvillers. Elle installait donc son bivouac dans la matinée. Vers 4 heures du soir, le corps de Canrobert (6e) se plaçait à notre droite ; l’extrême-gauche du 0e corps était installée dans le village même de Saint-Privat.

Le 18 août au matin, une brusque canonnade éclate, nous couvrant de projectiles. Sans prendre le temps de lever le bivouac, la division de Cissey garnit rapidement la ligne de front qu’elle avait à tenir, entre le 6e corps à droite, les autres divisions du 4e corps à gauche.

Pendant plusieurs heures, ce ne fut qu’un combat d’usure, sans effort décisif. Encadrée, notre division restait impassible sous le feu de l’artillerie ennemie, toujours renforcée. Les Allemands, qui augmentaient constamment le nombre de leurs pièces postées en face de nous, finirent par obtenir une supériorité de feu écrasante. Nos batteries furent successivement démontées, aucun renfort ne nous parvint, malgré des demandes incessamment renouvelées.

A un moment de la lutte engagée, se dessina nettement à nos yeux la préparation par les Allemands de leur attaque décisive sur Saint-Privat.

De la ligne de front que nous occupions, nous nous rendions facilement compte des agisse mens de l’adversaire ; les forces ennemies chargées de donner l’assaut se massaient, le canon tonnait de plus en plus vite et criblait d’obus Saint-Privat et la division de Cissey. Ce village ne nous semblait pas, d’autre part, occupé de façon suffisante pour pouvoir résister au choc prochain de la masse prussienne.

Le maréchal Canrobert, du point où il stationnait sur la hauteur, ne pouvait se rendre compte, comme nous-mêmes, de ce qui se préparait contre Saint-Privat, c’est-à-dire contre la gauche de son corps d’armée. Il fallut même une grande insistance de la part de l’auteur de ce récit envoyé auprès de lui, pour le convaincre du péril qui menaçait ce point important de notre ligne de bataille et contre lequel allaient se produire tous les efforts de nos adversaires.

J’avais insisté en effet de telle façon, que M. le maréchal Canrobert, m’interrompant, me donnait à entendre que je pouvais me retirer. Comme je ne bougeais pas : « Vous êtes donc Breton, mon capitaine ! s’écria-t-il. — Non, monsieur le maréchal I Je suis désespéré, ajoutai-je, d’avoir aussi mal rempli ma mission, puisque mon exposé du péril qui menace Saint-Privat ne me semble pas vous convaincre ! » J’avais, entre temps, indiqué au maréchal un point du terrain à proximité, d’où l’on pouvait se rendre compte des préparatifs d’attaque de l’ennemi.

« Eh bien ! j’y vais avec vous ! » s’exclama le maréchal. A peine la vision du péril avait-elle lieu, que le maréchal, me serrant la main, me disait affectueusement et rapidement : « Merci. Dites au général de Cissey que je compte sur lui pour me soutenir. »

Le maréchal renforce à la hâte Saint-Privat, effectivement assez dégarni de troupes, parce que le gros du 6e corps avait été amené à s’étendre sur sa droite, dans la crainte d’un mouvement tournant dirigé par le général allemand Steinmetz, qui, d’après le maréchal, voulait le séparer de Metz.

L’attaque de Saint-Privat déjà prévue a donc lieu ; les troupes à l’aile gauche du corps Canrobert sont écrasées et refoulées de Saint-Privat malgré leur éclatante bravoure, la situation devient pour nous des plus dangereuses, puisque la ligne de bataille française sera tout à fait rompue, si les Allemands réussissent et parviennent finalement à occuper le village.

C’est alors qu’intervient, si utilement et si efficacement, proprio motu, la division de Cissey. Par un rapide changement de front sur sa droite, qui reste toujours appuyée à Saint-Privat, notre division se place à petite portée de fusil, face au flanc droit de la colonne d’assaut allemande. Elle la décime en moins d’un quart d’heure par une fusillade des plus rapides ; elle arrête net l’élan des troupes chargées de l’attaque, qui subissent alors les pertes les plus terribles, voyant nombre de fois tomber leurs drapeaux dont les porteurs sont tués successivement !

Ah ! si, à ce moment psychologique, le secours des réserves tant de fois réclamées était survenu, c’était la victoire, la brillante victoire !

Le maréchal Bazaine, loin du champ de bataille, ne savait pas ce qui se passait alors !

Bientôt les Allemands se ressaisissent, de nouveaux groupes d’artillerie viennent s’ajouter à la masse des pièces déjà en position ; un feu d’une intensité inouïe, puisque les obus tombaient comme grêle, s’abat sur notre division, la décime et l’écrase.

Pour donner une idée de la violence de ce feu de l’artillerie allemande, une batterie française, rencontrée disponible en arrière de notre ligne de feu, y avait été amenée par le capitaine de la Boulaye, de notre état-major. Ouvrant son feu aussitôt après sa mise en batterie, elle fut immédiatement repérée par l’artillerie allemande, et si vite écrasée, qu’elle ne put tirer qu’un seul coup par pièce ; ses affûts, ses caissons furent brisés, ses officiers, sous-officiers et servans tués ou blessés ; le capitaine de cette batterie, tout couvert de sang, venait, peu d’instans après l’ouverture du feu par ses canons, dire au général de Cissey : « Voilà ce qui reste de ma batterie, moi seul disponible ! »

La division de Cissey tint bon cependant autant qu’elle le put, malgré des pertes considérables en officiers et troupe. Bien que Saint-Privat ait été complètement abandonné par les derniers élémens du 6e corps en retraite sur Metz, noire résistance est si héroïque à ce moment de la lutte que la tête de la colonne d’assaut allemande reste comme figée à mi-pente, sur la croupe de terrain qu’elle suivait pour atteindre Saint-Privat ; elle y restera immobile et terrifiée par ses pertes jusqu’à la nuit venue !

Le général de Cissey, considérant qu’il ne sera pas secouru, malgré ses demandes de renforts réitérées, voyant que sa division va être entièrement anéantie sous le feu le plus violent qu’on puisse imaginer, recule très lentement par échelons de brigade afin d’aller prendre une position de résistance en arrière à la lisière des bois de Saulny. L’attitude de ses troupes en impose toujours à l’adversaire, qui n’agira plus désormais jusqu’à la fin de la bataille que [par des feux très puissans d’artillerie auxquels nous ne pouvons répondre qu’avec quelques pièces en nombre insuffisant. La nuit approchait, il était sept heures du soir ; à cet instant, le soleil rouge comme du feu allait descendre au-dessous de l’horizon ; Saint-Privat, Amanvillers étaient en flammes, laissant échapper vers le ciel de longs tourbillons de fumée ; le peu qui nous restait de l’artillerie du 4e corps, non démonté et utilisable, tonnait et vomissait obus et mitraille ! Quel spectacle grandiose et impressionnant ! C’était, à cette heure tragique, l’effort suprême pour l’honneur que nous donnions à la France ! Il fallut, dans l’obscurité qui nous avait enfin gagnés, abandonner ce champ de bataille couvert de nos morts et de nos blessés ; il fallut, suivant les ordres reçus, rallier Metz au cours de la nuit : mais, malgré tout, la vaillance restait au cœur de nos soldats incomparables ; ils avaient soutenu une lutte gigantesque et se tenaient encore prêts, jusqu’à la fin, à de nouveaux sacrifices !

Nous avions perdu dans notre division : Officiers : 20 tués, 71 blessés, 21 disparus. — Troupe : 184 tués, 1 177 blessés, 375 disparus.

Si le 6e corps (Canrobert) avait été appuyé le 18 par les nombreuses batteries de la réserve générale, que l’on n’a jamais utilisées dans les journées de haute lutte, le général de Ladmirault aurait pu, avec les divisions Grenier et Lorencez, jointes à la division de Cissey marchant en échelons, se jeter résolument sur les Allemands arrêtés dans leur premier élan quand ils donnaient l’assaut à Saint-Privat. Cette puissante contre-attaque aurait permis d’infliger à l’ennemi une sanglante défaite, malgré leurs corps d’armée accumulés devant nous. La Garde, qui serait venue à la rescousse derrière le 4e corps, aurait complété notre effort d’ensemble et nous aurions pu arriver à nous rendre définitivement maîtres de la situation.

Malheureusement, notre chef suprême n’était pas là, pour profiter de l’occasion qui s’offrait à lui pour la seconde fois, afin de déterminer un grand succès final ! Son état-major restait immobilisé auprès de lui, loin du champ de bataille ; le maréchal Bazaine ne voulut pas se renseigner, et par conséquent connaître, d’instans en instans, les incidens graves qui caractérisaient les phases de la bataille décisive de Saint-Privat. L’inertie et l’insouciance rendaient inutiles les impressions apportées par ceux qui venaient de la ligne de feu, demandant à être soutenus et renforcés sur les points les plus menacés.

Pour la journée du 18 août le dispositif général de l’armée de Metz avait été le suivant :

La ligne de front de combat allait de Rozérieulles à Saint-Privat.

Le 6e corps, a la droite, tenait Raucourt et Saint-Privat.

Le 4e corps, divisions de Cissey et Grenier en première ligne, division Lorencez en seconde ligne, occupait Amanvillers, Montigny-la-Grange et se reliait à Saint-Privat, par la droite de la division de Cissey, à l’extrême gauche du Ge corps.

Le 3e corps, à gauche du 4e, avait son front couvert par les fermes La Folie, Leipzig, Moscou, sa gauche arrivant à la ferme du Point-du-Jour.

Le 2e corps couronnait la hauteur qui domine Rozérieulles, un bataillon du 97e d’infanterie à Sainte-Ruffine.

La Garde avait une brigade de voltigeurs au chalet Billaudel, formant réserve pour le 3e corps ; la division de grenadiers, avec le général Bourbaki, fut d’abord placée sur le plateau de Plappeville, puis plus tard, mais beaucoup trop tard, elle vint à l’entrée du bois de Saulny. La 2e brigade de voltigeurs se tint avec le général Deligny au col de Lessy.

Le maréchal Bazaine resta à Plappeville avec son état-major.

Dès le début de la bataille, l’ennemi fit effort contre notre droite ; Sainte-Marie-aux-Chênes, un instant occupé parle 0ecorps, fut écrasé d’obus et dut être abandonné. Roncourt fut ensuite attaqué, et le 0e corps, bien qu’il fut soutenu par la brigade de cavalerie du Barail et d’autres élémens de même, arme, finit par l’évacuer.

Dans le 4e corps, la division Lorencez n’avait pas tardé à être portée en ligne, à gauche de la division Grenier.

Dans le 3e corps, une brigade, tenant bien le bois de Géni-vaux, avait couvert efficacement la partie de notre front défendue par les divisions de ce corps d’armée.

Dans le 2e corps, les positions occupées avaient été facilement gardées, et, de ce côté, l’ennemi se contenta d’une démonstration de mouvement tournant vers Jussy, mouvement qui fut repoussé par la brigade Lapasset.

Le 19 août au matin, la division de Cissey, après une marche de nuit rétrograde, pénible et difficile, sur une route encombrée d’impedimenta, atteignit enfin le village de Voippy.

Après quelques heures de repos bien courtes, et dès cinq heures, son chef la faisait rassembler provisoirement, puis, conformément aux ordres reçus, l’établissait au-dessous du fort Saint-Quentin.

Une pluie diluvienne avait mis dans un état lamentable nos malheureux soldats, démunis de tout, puisqu’ils n’avaient pas eu le temps de reprendre leurs effets, laissés au bivouac de la veille, quand on avait commencé la bataille de Saint-Privat. Ces braves garçons, résignés et admirables en tout, nous rendaient plus malheureux encore, en raison de leurs souffrances et de leurs privations, qu’ils enduraient après des heures de combat acharné et sans avoir pris le repos nécessaire.


III. — COMMENCEMENT DE L’INVESTISSEMENT. — ENCERCLEMENT DE L’ARMÉE DE METZ. — TENTATIVES DE PERCÉE DES 26 ET 31 AOUT

A partir du 20 août, commence l’encerclement de l’armée et de la place de Metz ; il sera soigneusement assuré par les Allemands !

Notre général en chef va, au fond, rester passif jusqu’à la fin du drame. Nous, infortunés, nous allons subir le supplice d’un enlizement fatal, contre lequel nous voudrons nous débattre, mais qui forcément aura raison de nous, puisque la passivité restera à l’ordre du jour !

Sentant déjà que, quoi qu’il advienne, nous devons remplir notre rôle du mieux que nous pourrons, nous allons nous organiser aussi fortement que possible, pour une résistance énergique.

Les Allemands finiront peut-être par nous réduire, mais ce sera en nous affamant et non pas en nous maîtrisant par le combat !

Les forts de Metz étaient à compléter pour être mis en mesure de soutenir un siège, il faudra fournir pendant un certain temps de nombreux travailleurs pour assurer leurs conditions défensives.

Les Allemands, très renseignés sur nous, grâce à leur service d’espionnage parfaitement organisé, peuvent déjà compter, qu’en établissant un blocus sévère, ils viendront à bout de la résistance de Metz sans coup férir et dans un nombre de jours qu’ils peuvent presque escompter à l’avance.

26 août. — Le 26 août doit avoir lieu, nous dit-on, une première tentative pour forcer, sur la rive droite de la Moselle, un point du cercle ennemi qui nous enserre ! Les forces françaises, établies sur la rive gauche, doivent, à cet effet, quitter leurs emplacemens dans la nuit du 25 au 26 et franchir la rivière. Pour cette démonstration, le 6e corps tiendra la gauche entre le château de Grimont et la Moselle ; le 4e corps sera à hauteur de Mey avec les divisions de Cissey et Grenier en première ligne, la division Lorencez en seconde ligne, formant réserve du 4e corps. Le 3e corps doit se placer à la droite du 4e. Le 2e corps devait être maintenu en réserve générale de l’armée avec la Garde.

L’ennemi, qui est en forces dans les villages de Servigny, Poix et Sainte-Barbe où il a déjà établi de nombreuses batteries, reste immobile en attendant notre attaque !

Quant à nous, nous sommes maintenus dans l’expectative des ordres du maréchal Bazaine, qui préside un conseil de guerre réuni au château de Grimont.

A 6 heures du soir, et sans que nous ayons combattu, il nous est enjoint d’aller reprendre sur la rive gauche de la Moselle, nos positions primitives !

La pluie torrentielle qui n’a pas cessé de tomber, au cours de la journée, dure toute la nuit : elle alourdit cette épreuve inutile imposée à nos soldats !

On n’utilise même pas notre concentration sur la rive droite, pour s’assurer la possession des approvisionnemens en denrées de consommation existantes sur le terrain que nous quittons et qui plus tard nous auraient été si précieuses si on les avait fait entrer dans Metz.

Ce furent les Allemands qui en profitèrent ! Après une marche de nuit déprimante, la division de Cissey gagnait avec grandes difficultés Longeville-lès-Metz, nouveau point de stationnement assigné.

Ce ne fut qu’à la pointe du jour, le 27, qu’il nous fut possible de faire un établissement définitif. Une brigade s’installe en avant de Longeville-lès-Metz, l’autre, sous le fort Saint-Quentin, avec avant-postes à Scy et à Chazelles ; l’artillerie de la division a son parc établi à l’extrémité de Longeville, du côté de Metz ; le quartier général est à Longeville.

Le 2e hussards, qui avait été adjoint à la division, assura un service de vedettes à nos avant-postes.

Beaucoup se sont demandé à quel effet avaient eu lieu les marches du 26 août, pour concentrer l’armée sur la rive droite de la Moselle ? L’utilité de cette démonstration est restée un mystère !

31 août. — Dans la nuit du 30 au 31 août, nouveaux ordres pour se porterie 31, dès o heures du matin, sur la rive droite de la Moselle, et aller prendre position sur le plateau de Grimont.

Les 2e et 3e corps d’armée avaient été maintenus sur cette rive le 26 au soir.

A 8 heures du malin, la division de Cissey est formée, la droite au bois de Mey, la gauche à la route de Bonzonville ; la division Grenier est à sa gauche, à hauteur de Villers-l’Orme. La division Lorencez est en seconde ligne.

Le 4e corps d’armée a le 6e corps à sa gauche et le 3e corps à sa droite ; plus à droite encore, le 2e corps d’armée. La Garde, formant la réserve générale, est placée derrière le 6e corps, entre le château de Grimont et la Moselle.

Vers midi, le général de Ladmirault, sortant du conseil de guerre qui vient d’être tenu, annonce avec une joie rayonnante que nous allons avoir enfin une vraie bataille ! Nous aborderons l’ennemi de front, en cherchant à le tourner par sa gauche. On ne se bornera pas à le canonner, mais nous le forcerons à mesurer son infanterie avec la nôtre ! Celle nouvelle, vite répandue dans les corps de troupe, rend nos soldats tout heureux, à la pensée de n’être pas tenus immobiles sous le feu des canons allemands, mais de pouvoir rendre coups pour coups, et de se servir énergiquement de leurs baïonnettes.

La division Aymard, du 3e corps, à notre droite immédiate se précipitera sur Servigny ; nous soutiendrons cette attaque, et le mouvement d’offensive générale sera appuyé par trois pièces de gros calibre de 24 et une batterie de 12 établies à 800 mètres en avant du fort Saint-Julien.

L’attaque, par les autres élémens du 3e corps, sera subordonnée aux progrès du mouvement du 2e corps, agissant à l’extrême droite de notre front de bataille. Le 2e corps, qui va menacer l’extrême gauche ennemie, doit encore l’empêcher de fournir une résistance à outrance, dans les villages qu’il occupe et dans les retranchemens qu’il a construits.

Mais tous ces mouvemens ordonnés sont retardés par des causes restées inconnues ; la division Aymard n’entre en action qu’après 4 heures du soir !

Pendant qu’on perd ainsi un temps précieux, l’ennemi riposte violemment aux feux de nos grosses pièces d’artillerie en position fixe : le tir de l’adversaire est sans grande efficacité, grâce à la précaution prise de tenir les troupes d’infanterie très déployées et en arrière des crêtes.

La division de Cissey, appuyant l’attaque commencée par la division Aymard, se porte en avant en lignes échelonnées ; notre artillerie divisionnaire, réduite à 4 pièces par batterie, inaugure une nouvelle manière de combattre. Elle se porte rapidement derrière les crêtes successives, ôte les avant-trains hors de la vue de l’ennemi, met en batterie à bras d’hommes, tire rapidement plusieurs salves efficaces, remet les avant-trains, puis change de position par un mouvement de flanc au galop. L’ennemi couvre immédiatement d’obus le terrain que viennent de quitter nos batteries, et comme il n’y a plus personne, ce sont des munitions consommées en pure perte ! Par cette manière de faire, notre artillerie supplée à son infériorité numérique !

Le 20e bataillon de chasseurs à pied, attaché à notre division, ne tarde pas à devancer la division Aymard ; nos tirailleurs et les partisans de nos compagnies franches pénètrent dans les premières maisons de Servigny et causent de grandes pertes aux Allemands. En même temps, notre masse d’infanterie enlève, avec une rare énergie, les tranchées-abris et les retranchemens de toutes sortes qui protègent nos adversaires ; un grand nombre de canons ennemis de position tombent entre nos mains, mais doivent être encloués, faute d’attelages pour les emmener.

La nuit survient malheureusement avec un brouillard épais ; il devient très difficile de remettre l’ordre nécessaire dans ces troupes qui viennent de combattre avec acharnement, jusqu’à ce que la lutte soit devenue impossible. Les Allemands, guidés par les feux de bivouac imprudemment allumés dans la division Aymard, repoussent de Servigny nos avant-postes, qu’on ne peut plus soutenir efficacement à cause de l’obscurité complète. Les pertes subies par la division de Cissey dans cette journée du 31 août furent :

Officiers : 4 tués, 29 blessés, 4 disparus. — Troupe : 41 tués, 449 blessés, 255 disparus.

1er septembre. — Le Ier septembre, à la pointe du jour, la division Lorencez nous remplace en première ligne et ce mouvement est favorisé par le brouillard toujours très épais.

La division de Cissey va remplir le rôle de réserve du 4e corps, si, comme nous l’espérons, l’ensemble des troupes doit marcher de l’avant, afin de profiter du premier succès obtenu la veille.

Mais, vers 9 heures du matin, le maréchal Bazaine apprenant que notre 3e corps (Lebœuf) est attaqué par des forces considérables, prescrit de battre en retraite sur toute la ligne, et de venir prendre une position de rassemblement à proximité du fort Saint-Julien.

A 1 heure du soir, la division de Cissey quittait cette position de rassemblement, allait passer la Moselle, puis venait reprendre sa situation du 30 août sur la rive gauche, après une marche exténuante, provenant surtout de l’encombrement de la route suivie.

Diverses améliorations, au point de vue de l’installation, comme à celui des conditions de résistance éventuelles, sont réalisées à cette heure du retour vers Longeville-lès-Metz.

Le village de Moulins-lès-Metz, qui est un des points principaux de notre ligne de couverture, est particulièrement renforcé. Deux compagnies de grand’gardes, relevées toutes les 24 heures, y feront le service concurremment avec une des quatre compagnies franches de la division.

Le commandement supérieur de ce poste important de Moulins-lès-Metz est donné à M. Arnous-Rivière, chef d’une compagnie de volontaires, installée en permanence dans cette localité.

M. Arnous-Rivière, ancien officier au régiment étranger, avait une grande habitude de la guerre d’avant-postes, qu’il avait pratiquée en maintes circonstances et notamment durant le siège de Sébastopol ; il a rendu des services très appréciables au cours du blocus de Metz, non-seulement en assurant la sécurité de la division, dans la direction d’Ars-sur-Moselle et dans celle de Sainte-Ruffine, mais encore en nous procurant des approvisionnemens en denrées diverses pour la subsistance de la troupe, qu’il savait découvrir, et que nous faisions enlever par nos compagnies franches, composées d’hommes résolus et adroits.

Le 2e hussards ayant été de nouveau rattaché à la division de Cissey, un groupe de cavaliers alimentait chaque jour le service des vedettes.

Les villages de Scy et de Chazelles étaient occupés par des corps de notre division, qui assuraient d’autre part la sécurité en avant de ces localités, et toujours en liaison avec les grand’gardes de Moulins-lès-Metz.

Le mouvement de retraite de l’armée de Metz, dans la journée du 1er septembre, fut désastreux à tous les points de vue !

Il avait fait constater notre impuissance, même après un succès ; il témoignait, à partir de ce moment, de l’abandon absolu de l’idée de faire une trouée pour rejoindre l’armée de Mac Mahon ; il indiquait nettement la résolution de rester confinés sous Metz.

On a prétendu que le maréchal Bazaine croyait avoir devant lui, le 1er septembre au matin, 220 000 Allemands venus en partie pendant la nuit après avoir franchi la Moselle ! Il ignorait donc à ce moment que les deux principales armées allemandes manœuvraient pour envelopper Mac Mahon ? Les prisonniers que nous avions faits le 31 août, sans compter un service d’espionnage bien assuré, auraient pu nous l’apprendre ! mais le service des renseignemens, au grand quartier général de notre armée, a été, du commencement à la fin, tout à fait insuffisant ; nous n’avons jamais su ce que nous avions exactement devant nous, et encore moins ce qui se passait à l’extérieur !


IV. — BLOCUS DE L’ARMÉE DE METZ. — PRIVATIONS ET MISÈRES 1er SEPTEMBRE-24 OCTOBRE

Nous entrons dans la période du blocus proprement dit :

Les journées des 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 septembre sont particulièrement employées à une forte organisation défensive de nos positions.

Par des retranchemens, des tranchées-abris, des maisons crénelées aux endroits indispensables, nous arrivons à des conditions d’ensemble excellentes pour la résistance ! L’ennemi, qui sait très bien ce qui se passe de notre côté, ne tentera jamais de nous surprendre et surtout de foncer sur nous avec l’intention de nous réduire par le combat pendant le temps que durera le blocus. :

Un service d’avant-postes, rigoureux et très soigneusement assuré, fonctionnera chez nous sans relâche jusqu’au dernier jour.

Avec nos quatre compagnies franches, soutenues quand il est nécessaire, nous enlevons de vive force tous les approvisionnemens à notre portée en céréales et denrées fourragères, nous assurons avec nos propres moyens, dans la division, la fabrication de notre pain quotidien.

Cet ensemble de mesures nous sauvegardera et nous empochera de mourir de faim dans les derniers jours.

La plus grande propreté doit constamment régner dans nos cantonnemens et à nos avant-postes ; nous éviterons par là toutes causes d’épidémies qui auraient été la ruine complète de nos effectifs, si diminués déjà dans les combats antérieurs !

L’état-major de notre division se multiplie sous l’impulsion intelligente et ardente du général de Cissey, pour surveiller l’exécution des mesures de sécurité prises et de tous les détails du service quotidien. Cet état-major fournit surtout du service actif et non exclusivement un service de bureau.

A dater du 8 septembre, la viande de cheval est mise en distribution.

Des pluies torrentielles tombaient très fréquemment, et venaient accroître de façon marquée nos premières misères.

Des bruits alarmans et sinistres courent alors dans les camps ! D’après ces rumeurs, l’armée de Mac Mahon aurait été anéantie à Sedan. La France était entièrement ouverte à l’invasion de l’ennemi.

On ne savait comment ces nouvelles, que le grand quartier général disait non confirmées, avaient pu être mises en circulation ! D’aucuns assuraient que c’était l’ennemi qui nous les faisait parvenir pour nous démoraliser et nous énerver.

9 septembre. — À 7 heures du soir, par une pluie diluvienne et un ouragan très violent, une forte canonnade commence sur toute la ligne ennemie ; elle est dirigée contre nos positions et nos cantonnemens.

Les Allemands ont leur artillerie déployée sur la rive gauche de la Moselle, c’est-à-dire vers Ars-sur-Moselle, à Vaux, Jussy, le Point-du-Jour, etc. Nos forts de Saint-Quentin et de Plappeville répondent à cette canonnade. Nous n’éprouvons pas de pertes, grâce aux dispositions de préservation adoptées ; toutefois, comme c’est peut-être là le prélude d’une attaque générale préparée contre nous, tout le monde se rend à son poste de combat.

Le bruit a été accrédité, à propos de cette canonnade, terminée vers 8 heures et demie du soir, que les troupes prisonnières de l’armée de Sedan contournaient Metz à ce moment même ! Le découragement dont elles étaient sans doute déjà envahies ne devait-il pas être augmenté par cette démonstration de l’artillerie allemande ?

10 septembre. — À partir du 10 septembre, la ration des chevaux est sensiblement réduite. Le temps continue à être épouvantable. Dans la soirée du 10, a lieu, à nos avant-postes de Moulins-les-Metz, une échange de 600 prisonniers.

Nous apprenons par les nôtres, qui nous sont rendus et proviennent de l’armée de Sedan, combien le désastre y a été complet et malheureux pour notre cause. Désormais, notre général en chef devait être certain de ne plus pouvoir compter sur des renforts venant par le Nord de Metz.

Il aurait pu, croit-on, avant notre affaiblissement définitif, tenter une trouée par le Sud, se jeter sur Château-Salins en coupant les chemins de fer à l’ennemi, et chercher ensuite à gagner le plateau de Langées pour avoir l’appui de cette place et de celle de Besançon.

Cette conception aurait, parait-il, été envisagée et même étudiée à l’état-major général de l’armée, mais il n’y fut donné aucune suite.

Nous apprenons, par un émissaire venant d’Ars-sur-. Moselle, la nouvelle de la révolution du 4 septembre.

11 et 12 septembre. — Travaux de perfectionnement et d’achèvement dans notre organisation défensive. Réduction nouvelle de la ration d’avoine pour nos chevaux, on la remplace par de la graine de minette et de sorgho.

M. Debains, jeune diplomate attaché en qualité d’historiographe a l’état-major de l’armée, essaie de franchir en parlementaire nos avant-postes de Moulins-les-Metz.

Il est, en fait, envoyé par le maréchal Bazaine au gouvernement de la Défense nationale, pour lui exposer notre situation exacte.

M. Debains s’était donné comme sujet belge, avocat au barreau de Liège, enfermé dans Metz par suite de circonstances fortuites.

Les Allemands l’accueillent poliment, le gardent toute la journée à leurs avant-postes, puis nous le renvoient le soir dans nos lignes, se refusant à le laisser sortir de Metz.

13 et 14 septembre. — L’avoine disparaît progressivement de la ration journalière de nos chevaux ; elle est remplacée par tout ce qu’il est possible de trouver.

Le mauvais temps persiste et le froid se manifeste.

L’effectif de notre division est réduit à 5 500 hommes environ.

Une brigade de la Garde nous avait été promise comme renfort pour garder nos positions très étendues, mais cette promesse n’est pas suivie d’effet ; la brigade de la Garde reste tranquillement maintenue au Ban Saint-Martin.

15 septembre. — Un service postal, par petits ballons, est inauguré dans la place de Metz ; ce service est avantageusement utilisé.

16 septembre. — Un ordre général apprend officiellement à l’armée de Metz la composition du gouvernement nouveau qui s’est formé à Paris.

18 septembre. — Il nous est prescrit de livrer tous les jours, à partir de cette date, un certain nombre de chevaux d’artillerie vi de cavalerie, afin d’assurer le service de distribution de la viande aux troupes.

Depuis longtemps déjà, il ne nous reste plus que du cheval à manger !

19 septembre. — Nous recevons l’ordre d’utiliser les feuilles de vigne et d’arbres encore existantes, pour assurer la nourriture des chevaux qui nous restent.

20 septembre. — Un ordre général réduit d’une quantité très notable les rations de sel, sucre et café.

23 septembre. — Un parlementaire prussien amène dans la journée, pour franchir nos lignes, un homme aux allures mystérieuses, qui se dit envoyé diplomatique auprès du maréchal Bazaine.

C’était le célèbre Régnier, comme nous le sûmes plus tard !

Il nous parait, dès l’abord, très peu au courant des usages diplomatiques, car il avait pris, pour drapeau de parlementaire, une chemise attachée au bout de son parapluie.

C’était un bavard et un incohérent, qui, à première vue, n’avait pas l’air sérieux et ne paraissait pas susceptible d’inspirer confiance.

Le capitaine Garcin, de l’état-major de la division, chargé de le conduire en voiture, les yeux bandés, au maréchal Bazaine au Ban Saint-Martin, avait tout de suite remarqué ses allures étranges et assez louches, pendant le trajet depuis Longeville-lès-Metz ; il avait eu de la peine à l’amener à se taire et à se dispenser de réflexions formulées à haute voix.

Après avoir eu un entretien secret d’une certaine durée avec le maréchal, ledit M. Régnier fut reconduit, sur sa demande et -d’après l’ordre du maréchal, directement à nos avant-postes de Moulins-lès-Metz.

Il était sûr, affirmait-il au capitaine Garcin, de pouvoir repasser nos lignes sans difficultés, car c’était, d’après lui, entendu avec les Allemands ; ils l’en avaient assuré au moment où il venait à nous. Mais la chute du jour se produisait quand nous fûmes à proximité des avant-postes ennemis, une grêle de balles fut la réponse aux sonneries du trompette qui accompagnait les parlementaires.

M. Régnier, qui ne se souciait nullement d’être tué ou même blessé, demanda alors très instamment qu’on le gardât pendant la nuit à Moulins-lès-Metz. Il y fut donc retenu, gardé à vue bien entendu, car la confiance qu’il nous inspirait était vraiment des plus médiocres.

24 septembre. — L’étrange diplomate retourne donc de grand matin au quartier général du prince Frédéric-Charles à Frascaty.

Il revient, le soir même de ce jour, mais cette fois, et contrairement aux usages habituels, il est introduit dans nos lignes par un officier de l’état-major général de l’armée, envoyé à l’avance à Moulins-lès-Metz pour le recevoir et l’amener directement au maréchal Bazaine.

25 septembre. — Le matin, à la pointe du jour, M. Régnier retournait au quartier général prussien, emmenant avec lui le général Bourbaki habillé en civil, ainsi que des médecins luxembourgeois en séjour à Metz appartenant à une ambulance internationale, qui avaient demandé à sortir de la place.

27 septembre. — A 9 heures du matin, la canonnade se fait entendre du côté du fort de Queuleu ; elle correspondait à une pointe tentée sur Peltre et Mercy-lès-Metz, action offensive que nous devions soutenir au besoin.

Le général Lapasset, du 2e corps, réalisa à cette occasion un brillant coup de main, faisant à l’ennemi plus de 200 prisonniers et enlevant des approvisionnemens assez considérables.

Nos hommes avaient enlevé avec un entrain remarquable dans ce combat tous les retranchemens de l’ennemi ; les wagons blindés qui avaient porté une partie des troupes assaillantes jusque sur le théâtre du combat, avaient servi ensuite pour ramener les prises faites aux Allemands.

Toute l’armée eut grande joie quand elle apprit ce succès dû à la hardiesse et à la vivacité de nos soldats habilement dirigés ?

28 septembre. — La ration des chevaux est de nouveau réduite de 500 grammes et composée en grande partie de tourteaux. Les pauvres animaux font pitié, tant ils sont maigres et décharnés ; on en voit constamment qui tombent d’inanition sur les routes ! Aussi, le petit nombre qui reste vivant n’est-il guère propre à faire un service et encore moins bon pour la boucherie !

30 septembre. — Une mentalité particulière, causée par l’irritation et les souffrances endurées, commence à se manifester chez certains !

Des menées, plus ou moins secrètes, sont ourdies en vue de faire remplacer le maréchal Bazaine comme commandant en chef, par le général de Ladmirault, qui prendrait alors le général de Cissey comme chef de l’état-major général de l’armée. Le général de Ladmirault, en présence du maréchal Bazaine, flétrit comme il convient ces fâcheuses tendances à l’indiscipline, toujours condamnables, fussent-elles motivées par une irritabilité assez naturelle, qui résultait de nos épreuves et de nos infortunes accumulées !

L’abandon du sentiment du devoir, manifesté par un certain nombre, eut malheureusement et par surcroît une triste répercussion, car notre ennemi l’apprit tout de suite, grâce à son habile service d’espionnage ; il fut édifié sur notre situation militaire intérieure et encouragé à nous serrer toujours de plus près.

2 octobre. — Les Allemands, à 1 heure et demie du soir, canonnent nos avant-postes extrêmes placés à Sainte-Ruffine ; ils paraissent disposés à agir de vive force contre nous. L’artillerie de nos forts répond avec ses grosses pièces à celles de l’ennemi et éteint leurs feux vers 2 heures et demie. Notre adversaire renonce à prononcer son attaque décisive et nos forts continuent à tirer sur Ars-sur-Moselle et sur Frascaty où ont lieu des mouvemens de troupes allemandes.

A 4 heures du soir, l’alerte étant passée, nos troupes reprennent leurs conditions de vie habituelles. La ration de tourteaux de colza donnée à nos chevaux est remplacée par un équivalent de betteraves ; les pauvres bêtes font plus que jamais pitié ! Quelques chevaux d’officiers, seuls, sont encore capables de faire du service en étant très ménagés.

3 octobre. — L’ennemi, exaspéré de n’avoir pu nous déloger de nos avant-postes de Saiute-Ruffine, qu’il n’avait pas voulu la veille attaquer à l’arme blanche, nous canonne à nouveau avec une grande intensité de feux. Il n’a pas plus de succès que le 2 octobre ; nos troupes, remarquablement aguerries et très alertes, le tiennent en respect de façon absolue. Le fort Saint-Quentin répond d’ailleurs très efficacement aux batteries allemandes.

4 octobre. — Gardant encore, malgré tout, une dernière espérance au cœur, celle de nous frayer, les armes à la main, un des jours prochains peut-être, un chemin à travers les mailles qui nous enserrent, nous préparons tout en vue de la réalisation d’une percée à outrance.

Le chargement du soldat d’infanterie est réduit à son dernier minimum d’effets, afin de pouvoir emporter un plus grand nombre de cartouches.

On voudrait tout faire pour écarter la hideuse vision d’une capitulation, vision qui commence à nous hanter sans répit. Cette pensée d’échapper à une triste fin ne devait être, hélas ! qu’une illusion dernière.

Pour tout esprit calme et réfléchi, ce qu’on aurait pu envisager avec chances de succès les 26 et 31 août, ne pouvait l’être désormais ; nous n’avions plus ni artillerie ni cavalerie en état d’agir !

Il ne nous restait plus qu’une résolution dernière, celle de mourir en braves pour la France.

6 octobre. — Nous tentons, à 3 heures du matin, un coup de main audacieux contre les avant-postes prussiens établis entre Châtel et Lessy. L’attaque, réalisée avec plein succès, nous indique que nos hommes ont gardé toute leur ardeur.

A 1 heure et demie du soir, une forte canonnade s’engage en avant de nos lignes ; les batteries allemandes bombardent a nouveau Scy, Chazelles et Maison-Neuve.

A 3 heures et demie, la canonnade cessant tout à coup, une forte colonne d’infanterie prussienne se porte sur le village de Lessy pour l’enlever. Mais, accueillie de front, par une vive fusillade du régiment de la division Lorencez du 4e corps qui occupe Lessy, en liane et a revers par nos propres avant-postes qui sont voisins, la colonne allemande est forcée de se retirer précipitamment après avoir subi de fortes pertes.

7 octobre. — Il n’est plus fait de distribution de sel, cette denrée manquant de façon absolue. Indépendamment des chevaux qu’on abat pour les distributions de viande quotidiennes, l’armée en fournit 200 par jour à l’administration qui les transforme en viande de conserve.

La misère est telle dans les villages que nous occupons, qu’il nous faut venir en aide aux habitans pauvres par l’intermédiaire des maires ; on donne des chevaux pour leur nourriture et aussi des secours en argent. Une souscription faite à cet effet dans notre division, où chacun, quoi que soit son rang, a voulu donner, a produit plus de 2 600 francs !

Dans cette journée du 7, continuation de vives escarmouches-aux avant-postes ; affaire brillante de Ladonchamp, menée par le général Deligny avec les voltigeurs de la Garde.

La dernière espérance de sortir en masse dans la nuit du 7 au 8 octobre est déçue comme tant d’autres. Il ne nous reste même plus la pensée de pouvoir aller au dernier sacrifice pour l’honneur ! Nos squelettes de chevaux encore sur pieds auraient été, assurait-on, incapables de traîner un canon de 4 dans les terres détrempées. Nous aurions toujours eu nos fusils et l’arme blanche !

9 octobre. — La ration journalière de pain ayant été réduite à 300 grammes, celle de viande de cheval est portée à 750 grammes. Les chevaux ont atteint un tel état de dépérissement qu’on a grand’peine pour les faire marcher jusqu’à l’abattoir. Ils sont entièrement maigres et décharnés, leur viande ne contient presque plus de principes nutritifs, et, comme elle est mangée, sans sel, l’estomac se l’assimile difficilement.

Chez nos soldats, bien que le moral soit encore bon et que l’esprit reste excellent, les forces physiques diminuent à vue d’œil, les affections gastriques se multiplient de façon effrayante !

10 et 11 octobre. — Notre état de misère s’accentue.

Dans la soirée, un parlementaire prussien vient au Ban Saint-Martin pour s’entretenir avec le général en chef : il repart accompagné du colonel Boyer, premier aide de camp du maréchal Bazaine ; ce colonel va se rendre en mission au quartier général du roi Guillaume à Versailles. C’est la reprise ou la continuation des négociations Régnier dont il a déjà été question !

Le maréchal Bazaine voit avec terreur s’approcher le jour où il ne lui restera plus un cheval, ni un grain de blé à manger ! Il s’est laissé endormir par le fol espoir de réussir avec des négociations ; incapable jusqu’au bout, il est acculé à la nécessité de nous livrer sans merci, car nous n’avons plus la moindre chance de réussite en essayant un coup de force. Les jours qui suivent passent mornes et désolés ; ils ne sont marqués que par des canonnades continuelles dirigées contre nos positions ; l’artillerie de nos forts répond aux tirs des batteries ennemies.


V. — DERNIERS JOURS DU BLOCUS. — NÉGOCIATIONS FINALES. — REDDITION DE LA PLACE ET DE L’ARMÉE DE METZ

17 octobre. — Journée sans incidens militaires.

Le colonel Boyer rentre de sa mission infructueuse à Versailles, nous n’avons plus rien à espérer d’une armée de secours quelconque ! Les Allemands, sachant à quoi s’en tenir sur ce que nous pouvons avoir encore de vivres, édifiés sur l’état physique de nos soldats, peuvent patienter aisément, convaincus qu’il nous faudra sous peu nous résoudre à accepter les conditions qu’il leur plaira de nous imposer.

21 octobre. — Par une sorte d’accord instinctif et tacite, les avant-postes cessent complètement de tirer les uns sur les autres. Les soldats allemands en arrivent, par humanité, à offrir de quoi manger aux nôtres qui leur font face !

C’est notre agonie que respecte notre ennemi lui-même !

23 octobre. — On arrive à pouvoir encore distribuer dans notre division 25 grammes de blé par homme.

25 octobre. — Distribution de 30 grammes de riz et de 25 grammes d’orge et de seigle par homme.

Nous apprenons le résultat d’une nouvelle mission du colonel Boyer, envoyé auprès de l’impératrice Eugénie en Angleterre.

L’Impératrice a déclaré qu’elle ne pouvait que souhaiter et désirer ardemment le salut de notre armée, mais qu’elle ne pouvait intervenir, pas plus cette fois-ci qu’à l’époque où avaient commencé les négociations Régnier !

Il fut alors décidé, dans un conseil de guerre, que le général Changarnier, dont personne n’avait à suspecter la grande loyauté, se rendrait auprès du prince Frédéric-Charles pour entamer des négociations !

Le général de Cissey est appelé ensuite d’urgence, à 5 heures du soir, au grand quartier général du Ban Saint-Martin. Il y trouve le maréchal Bazaine en conférence avec le général Changarnier. Le maréchal lui fait savoir qu’il doit se rendre au château de Frascaty, le soir même et sans retard.

Le général Changarnier expose alors lui-même qu’il s’est déjà, rendu le matin chez le prince Frédéric-Charles. Le prince, après l’avoir reçu avec de grands honneurs militaires et l’avoir traité avec la plus haute courtoisie, n’a rien voulu céder aux demandes du général Changarnier ; il s’est retranché derrière les ordres du Roi, qui exigeait la reddition absolue de Metz, et celle de l’armée entière avec son matériel.

Il fut impossible au général Changarnier d’obtenir que l’armée sortit avec les honneurs de la guerre, pour se retirer soit dans des départemens du nord de la France, qui auraient été neutralisés, soit en Algérie, avec rengagement de ne plus prendre les armes contre l’Allemagne.

Le prince avait prié le général Changarnier, au moment de se séparer, de demander au maréchal Bazaine d’envoyer à Frascaty le chef de l’état-major général français, pour qu’il pût envisager avec le général de Sthiele, chef d’état-major du prince, les détails de la convention à intervenir.

C’est alors que le maréchal Bazaine, gardant encore un inutile espoir de conditions améliorées, prescrivit au général de Cissey de se rendre personnellement au quartier général du prince Frédéric-Charles.

Le général de Cissey, aussitôt après son arrivée à Frascaty, dut entrer en rapports avec le général de Sthiele et s’efforça de remplir sa mission au mieux de nos intérêts !

Il rencontra les mêmes sentimens d’inflexibilité et le même esprit de résistance qu’avait trouvés auprès du prince le général Changarnier.

Toutes considérations rappelant l’héroïsme dont nous avions fait preuve, les souffrances multiples que nous avions endurées, trouvèrent un cœur sec, hautain et égoïste. Dans toutes les réponses faites, les ordres du Roi étaient invoqués.

Et cependant, nous restions des affamés et non des vaincus ! Nous avions rempli noblement notre devoir, en gens de guerre dévoués à leur patrie !

Tout fut inutile ! Tout sentiment de générosité chevaleresque, fréquent entre adversaires qui ont motifs de s’estimer réciproquement après la lutte, fut de parti pris systématiquement écarté.

Le général de Cissey quitta alors Frascaty, emportant le protocole de la capitulation de Sedan, auquel on devait se conformer, pour rédiger la convention à intervenir pour notre armée. Revenu auprès du maréchal Bazaine, pour lui faire connaître les résultats infructueux de sa mission, il lui demanda de lui épargner tout au moins la tristesse d’apposer sa signature au bas d’un acte de capitulation et de faire terminer les arrangemens concernant cet acte par le général Jarras, son chef d’état-major, puisque rétablissement d’un tel document le concernait et non pas d’autres !

Le général de Cissey, rentré à son quartier général de Longeville-lès-Metz, nous narra les incidens de cette cruelle soirée, et la nuit que nous passâmes, les uns et les autres, fut une nuit de désespoir et de larmes qu’on ne saurait jamais oublier !

26 octobre. — Distribution de 20 grammes de pain par homme et de 100 grammes de semence de trèfle et de luzerne pour faire de la bouillie.

Les hommes des quatre compagnies franches de la division, qui avaient rendu jusqu’au dernier jour des services signalés, rentrent à leurs corps respectifs et reprennent place dans leurs unités.

Le 57e régiment d’infanterie de notre division, qui avait été forcément maintenu au bivouac sous la tente, faute de place dans les villages de notre secteur, est reparti en entier dans Moulins-lès-Metz.

A 8 heures du matin, a lieu le grand conseil de guerre réuni au Ban Saint-Martin chez le maréchal Bazaine.

Le général de Cissey y est appelé pour rendre compte de sa mission de la veille à Frascaty.

Il fait savoir que le général de Sthiele avait particulièrement insisté sur la question de la remise de nos drapeaux ! Le général de Cissey lui avait alors répondu que, le gouvernement impérial ayant été renversé, ces drapeaux, suivant l’usage après un changement de gouvernement, avaient été versés à l’artillerie pour être brûlés !

On ne peut donc s’expliquer pourquoi l’incinération de nos drapeaux, formellement annoncée comme une chose déjà faite, n’a pas été réalisée avant la signature de la capitulation.

27 octobre. — Signature de la capitulation de la place de Metz et de l’armée qui était restée sous ses murs.

28 octobre. — Notre division verse ses armes à 4 heures du matin au fort de Plappeville.

Le général de Cissey fait ses adieux à ses vaillantes troupes ; il demande aux officiers de se mêler à leurs soldats, de soutenir leur moral dans une aussi pénible épreuve, de leur faire comprendre enfin, qu’après en avoir imposé à leurs adversaires par leur courage, ite devaient alors se faire respecter par leur dignité dans le malheur.

Je joins à ce travail ce bel ordre d’adieux aux troupes de la 1re division.


ORDRE DE LA DIVISION

Officiers, sous-officiers et soldats de la 1re division,

Nous avons combattu ensemble et supporté les plus rudes épreuves. Votre courage, votre constance et votre discipline ne se sont pas un instant démentis : vous avez excité chez vos ennemis un sentiment d’admiration et de respect.

Malgré vos efforts valeureux, le sort des armes ne nous est pas favorable.

Nous ne sommes pas vaincus, mais nous cessons la lutte devant des armées innombrables et devant la famine ! Nous avons épuisé toutes nos dernières ressources ; notre pays ne peut nous demander davantage, car, après avoir livré plusieurs sanglantes batailles, vous avez fait tout ce que l’on pouvait attendre de vous pour donner à la France le temps de s’armer et de se défendre.

Malheureusement, aucune armée de secours ne peut venir à nous.

Forcés de subir une bien douloureuse fatalité, vous partirez d’ici le front haut, car votre honneur est sauf !

Vous allez entrer en Allemagne pour y séjourner pendant peu de temps, je l’espère. Je suis convaincu que vous subirez cette dernière épreuve avec dignité et calme, comme il convient à des hommes d’honneur. Vous continuerez dans l’exil à vous faire respecter de vos ennemis, par votre discipline, votre résignation, et par les mâles vertus que vous avez montrées.

Avant de me séparer de vous, le cœur brisé par les malheurs de notre Patrie, je tiens à vous dire combien je suis fier d’avoir commande a d’aussi valeureux soldats, et combien je suis profondément affligé de vous dire adieu.

Vous emportez mon affection et mon estime.

Tous les corps de la division ont rivalisé de courage, et, en vous remerciant de vos nobles efforts, je ne puis oublier de mentionner les services que nous ont rendus, pendant cette mémorable lutte, le 2e régiment de hussards, les compagnies de partisans et des francs-tireurs d’Ars, par une fraternité d’armes qui leur fait le plus grand honneur.

Adieu, soldats, ou plutôt : au revoir !

Votre général espère que vous ne serez pas perdus pour votre pays et que vous aurez plus tard d’importans services à rendre.


Metz, 28 octobre 1870.

Le Général commandant la 1re division du 4e corps

Signé : DE CISSEY.

29 octobre. — A 11 heures du matin, les troupes de notre division, après être passées une dernière fois devant leur général, profondément ému et bouleversé, sont conduites dans l’ordre le plus parfait et un silence morue, sur le plateau d’Amanvillers où elles sont remises aux autorités prussiennes. Il est facile de penser combien la séparation finale, entre des chefs estimés et aimés et d’aussi braves soldats, fut cruelle et déchirante pour tous !

30 octobre. — Nous passons cette journée du dimanche 30 octobre de la façon la plus pénible, jusque dans les moindres détails qui la marquèrent.

Le général Jarras avait, comme son chef, quitté Metz dès le matin ; son état-major général n’était plus en fonctions. Il nous fallut nous enquérir directement, auprès des autorités allemandes, de l’heure du départ du convoi qui nous emmènerait en Allemagne, ainsi que des divers détails concernant notre mise en route.

Nous avions hâte de nous soustraire au spectacle navrant de& campagnes désolées que nous allions quitter et des ruines involontairement amoncelées autour de nous !

Nous parlons enfin, pour accomplir, sans interruption jusqu’à Hambourg-sur-l’Elbe, notre long voyage de plusieurs jours et plusieurs nuits consécutifs.

Au passage à Nancy, nous y sommes grossièrement insultés par une lâche populace qui nous jette de la boue au visage parce que nous sommes des vaincus !

C’était, avant de quitter notre chère France, l’ultime sacrifiée et la dernière douleur qui nous étaient imposés dans notre infortune si grande et si peu méritée !


Général E. GARCIN.

  1. Dans le journal que nous publions pour faire suite aux articles de M. Emile Ollivier, le général Garcin rend compte avec clarté et précision, et sans autre souci que celui de l’exactitude, des événemens militaires auxquels il a participé jusqu’à la chute de Metz.