La Législation française des aliénés

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La législation française des aliénés
Jacques Roubinovitch

Revue des Deux Mondes tome 50, 1909


LA
LÉGISLATION FRANÇAISE DES ALIÉNÉS

Malgré des assauts nombreux et ardens, la vieille loi sur le régime des aliénés promulguée en France le 30 juin 1838 par Louis-Philippe tient toujours debout. Tiendra-t-elle encore longtemps ? Les coups qu’elle a reçus à la Chambre des députés ont été assez violens pour qu’il soit permis d’envisager la possibilité de sa prochaine disparition et de son remplacement par une loi nouvelle. D’autre part, la Commission du Sénat, chargée d’examiner le projet voté par la Chambre, poursuit activement ses travaux sous la présidence de M. Rolland. Le moment est donc venu de comparer la loi qui s’en va à la loi qui arrive.


I

La loi dont l’opinion publique ne veut plus a été en son temps jugée idéale. Avant elle, les aliénés dépendaient de tout le monde sans que personne se crût obligé à un devoir quelconque vis-à-vis d’eux. Leur sort était réglé par le caprice du premier venu ; ils étaient vraiment victimes de l’arbitraire. Sans remonter bien loin, on constate que la situation des aliénés en France au commencement du XIXe siècle était déplorable à tous les points de vue : législatif, humanitaire, médical. Vers 1817, on considérait le préfet du Nord comme bien hardi, presque comme révolutionnaire : ne s’était-il pas imaginé, ce fonctionnaire épris du respect de la liberté individuelle ; de prendre un arrêté pour que l’asile d’aliénés d’Armentières ne reçût aucun pensionnaire « sans jugement d’interdiction préalable et sans un arrêté préfectoral d’admission ? » C’était un exemple qui étonnait tout le monde. Il indique aussi que, partout ailleurs, on entrait dans un hospice de fous sans la moindre formalité. La seule mesure générale qui s’appliquait « théoriquement » à tous les établissemens pour insensés consistait en une visite trimestrielle des préfets, sous-préfets ou des maires, visite qui devait être suivie de l’envoi au ministère de tableaux statistiques concernant ces maisons. Comme bien on pense, cette mesure n’était qu’une formalité paperassière qui n’intéressait personne et qui laissait tout dans le statu quo le plus coupable. On était, à part quelques rares spécialistes de Paris, préoccupé exclusivement de garantir la sûreté publique contre les méfaits de certaines personnes supposées atteintes d’aliénation mentale ! Leur bien-être, leur guérison possible, n’entraient encore nullement en ligne de compte. Un asile de fous n’était et ne devait pas être autre chose qu’un lieu de contrainte et de séquestration. Séparé du reste du monde, il ressemblait réellement à un tombeau où des êtres vivans étaient entassés sans que jamais un témoin désintéressé pût y pénétrer pour raconter toutes les ignominies qui s’y passaient, toutes les souffrances qui y étaient endurées. Une sorte de conspiration du silence empêchait les préfets et les maires de dire toutes les vérités cruelles que les malades leur hurlaient à chacune de leurs visites trimestrielles. « Ce sont des fous, » se disaient-ils, et leur « pitié » d’administrateurs n’en était pas autrement émue. Les appels désespérés des pensionnaires les laissaient aussi parfaitement indifférens, et ils s’en allaient la conscience tranquille. « Du moment qu’ils sont enfermés, pensaient-ils, c’est qu’ils sont fous. Quant à leurs plaintes, elles n’ont aucune valeur, car tous les fous se plaignent de leur captivité… » Et ces maîtres de la Sûreté publique partaient satisfaits, sans se demander si les tenanciers de ces établissemens et leurs gardiens n’étaient pas plus ou moins intéressés dans la réclusion de tel ou tel de leurs administrés… Le mot d’ordre de beaucoup d’administrateurs : « surtout, pas d’histoires » les mettait à l’abri du doute et des questions du genre de celles-ci : « Cet hospice pour insensés ne contient-il que des fous ? Parmi ces captifs, n’y en a-t-il pas qui soient là pour permettre à ceux qui les ont internés de satisfaire avec plus d’aise leurs désirs, leurs passions ou, même, leurs tendances criminelles ? Et si tous ces malheureux ne sont que des malades, reçoivent-ils des soins convenables ?…

« N’y en a-t-il pas parmi eux qui sont traités plus mal que des animaux, qui sont laissés dans l’abjecte pourriture jusqu’à ce qu’ils meurent enlevés par quelque infection généralisée ?… » Jamais, dis-je, ces fonctionnaires ne se posaient de pareilles questions et ils continuaient à adresser très régulièrement leurs rapports fastidieux et inutiles à leurs chefs hiérarchiques…

Or, les séquestrations arbitraires et illégales étaient extrêmement faciles et fréquentes à cette époque, et cela malgré l’article constitutionnel qui défendait de mettre qui que ce soit « en chartre privée. » Rien n’était plus commode que de confisquer aux gêneurs de leur famille leur liberté et leur fortune. Les témoignages de cette situation existent nombreux et authentiques. Je ne citerai que celui du professeur Foderé qui enseignait vers 1817 la médecine légale et la police médicale à la Faculté de médecine de Strasbourg[1]. Chargé en 1813, par l’autorité, de visiter l’hôpital des fous de la ville méridionale de D…. il y fit la découverte de plusieurs « détentions illégales… » Il y trouva notamment un fermier dont le voisin convoitait la propriété et qui avait toujours joui de son bon sens. Ce pensionnaire avait été enfermé un jour où, échauffé par le soleil et les travaux de la moisson, il avait bu plus que de raison et avait divagué, sans doute comme un bon ivrogne. Depuis des mois, la séquestration durait. Foderé obtint des magistrats que la liberté fût rendue à ce paysan. Un autre pensionnaire injustement interné, était un jeune soldat manchot, arrivé des montagnes du Dauphiné. Peu habitué aux vins du Midi, il leur avait fait, paraît-il, trop d’honneur en débarquant à D… Sa qualité de manchot ne disant rien qui vaille à l’administration militaire, celle-ci profita de son état d’ivresse pour le faire déclarer fou. Il fut reçu en cette qualité à l’asile d’aliénés, où, heureusement pour lui, il put faire entendre ses plaintes à Foderé… Mis en liberté, il donna ultérieurement toutes les preuves de sa parfaite lucidité.

Trois autres soldats étaient à l’asile de D… depuis cinq à six ans. Foderé trouva l’un couché sur un peu de paille. Il était vieux, infirme et couvert de vermine. L’inspecteur médical le fit nettoyer et nourrir. Puis il lui fit prendre, pendant plusieurs jours consécutifs, « du quinquina dans du vin. »

Et Foderé ajoute :

« Cet homme, après cela, était très sensé, et les servans m’assurèrent qu’il n’avait jamais divagué. »

Quelques jours plus tard, Foderé découvrit à l’asile, comme par hasard, deux autres militaires qui étaient couchés par terre sur un peu de paille, dans un cachot obscur, infect et très humide. Ils étaient presque nus. L’un d’eux était aveugle. Ils expliquèrent qu’on les avait placés là parce que l’administration militaire ne savait qu’en faire. D’après les renseignemens recueillis, ces malheureux n’avaient pas donné, depuis leur séquestration, le moindre signe de folie[2]

Légalement, il existait des règles permettant d’obtenir l’interdiction et l’internement d’un aliéné. Il fallait s’adresser aux tribunaux pour réaliser la première de ces mesures ; mais aucune loi n’avait réglementé la seconde. Il arrivait alors tous les jours qu’on amenait des gens dans les maisons d’aliénés sans que les tribunaux aient eu à se prononcer. On y voyait des sujets dont l’internement datait de plusieurs années et dont l’interdiction n’était pas encore obtenue. Ils étaient ainsi, pendant un temps plus ou moins long, dans cette situation incroyable, mais vraie : aux yeux de la loi, ils jouissaient encore de tous leurs droits, alors qu’en fait, ils en étaient déjà entièrement privés. Cela faisait admirablement le jeu de tous ceux qui croyaient avoir droit à la succession du séquestré. Tant que l’interdiction n’était pas prononcée par les tribunaux, tant qu’il n’y avait pas de tuteur légal responsable de la gestion de la fortune de l’interné, ceux qui l’avaient enfermé pouvaient se livrer à la spoliation des biens du malheureux avec la plus parfaite impunité. Sur ce point, comme nous le verrons, la loi de 1838 offre, elle aussi, des lacunes très regrettables. On comprend même pourquoi l’interdiction tardait parfois à être prononcée : plus elle était éloignée, plus les spoliateurs pouvaient se livrer au gaspillage, à la déprédation des biens de leur victime.

La fortune des aliénés, ou supposés tels, n’était pas plus respectée que leur liberté. Quant au traitement des malades, il était avant 1838 d’une barbarie sans nom, excepté à Paris, à Charenton, à Bicêtre, à la Salpêtrière, où il commençait à s’humaniser un peu sous l’influence aussi bien de renseignement de Pinel et d’Esquirol, que sous celle d’exemples venus des asiles d’Ecosse et d’Angleterre.

Ainsi, vers cette époque, la ville de Montpellier offrait aux aliénés un local infect qui était adossé à l’hôpital Saint-Éloy. C’était un long corridor, noir comme un four. De chaque côté, il y avait des cellules où les malades étaient reclus dans l’obscurité et la puanteur. Le grand remède était le purgatif, dont les effets ne devaient certes pas rendre plus respirable l’air de ces ignobles cachots. Autre exemple : à Strasbourg, la situation des fous était absolument répugnante. On les détenait dans un bâtiment annexé à l’hôpital civil. Ceux qui paraissaient calmes étaient enfermés dans les salles basses de ce local. Une simple cloison en bois séparait la salle des hommes de celle des femmes. Les lits se pressaient l’un contre l’autre, tellement la place était restreinte. Dans la journée, ces aliénés déambulaient dans une cour qui leur était commune avec les malades ordinaires de l’hospice. Dans ces mêmes salles, déjà si étroites, on avait établi, sur les côtés et à chacun des bouts, des espèces de cages ou d’armoires en planches, élevées d’un demi-pied au-dessus du sol. C’est là-dedans qu’on mettait les fous agités ou les gâteux. Chaque cage était jonchée d’un peu de paille hachée sur laquelle couchait le malade, le plus souvent nu. Il y prenait ses repas et y satisfaisait tous ses besoins. On s’imagine facilement le degré d’infection qui régnait dans le placard. Les galériens mis à la chaîne devaient être plus à l’aise… Et la salle où « reposaient » les malades tranquilles contenait treize de ces cages de chaque côté… Quelles nuits infernales on devait passer dans un pareil dortoir ! Que de scènes tragiques, que d’actes sauvages et cyniques devaient résulter de ce mélange dantesque d’une cinquantaine de fous de toutes les catégories !… Un jour, on a mis dans une de ces cages dont je viens de parler un dragon pris d’un accès d’excitation violente. Il avait pour voisine dans l’armoire contiguë une jeune paysanne dont l’agitation maniaque était également très vive. Le soldat parvint à enlever une planche de la cloison commune ; il cohabita avec la paysanne.

Il arrivait souvent que des individus amenés à la section des aliénés de Strasbourg pour des troubles mentaux légers, devenaient rapidement des fous dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres. Pas un malade ne résistait à un pareil régime. Au bout de quelques mois, les pensionnaires tombaient généralement dans une démence plus ou moins profonde, ou, comme on disait dans ce temps-là, dans l’« idiotisme. »

Et il en était encore ainsi presque partout en France, il y a soixante ou soixante-dix ans !


II

Aussi le monde civilisé a-t-il considéré comme un bienfait immense une loi qui, par son article premier, obligeait chaque département, soit à posséder pour son propre compte un établissement public destiné à recevoir et à soigner les aliénés, soit à traiter, à cet effet, avec un établissement public ou privé, après approbation du ministre de l’Intérieur. De même, a-t-on jugé très sages les précautions édictées par l’article 4, destinées à empêcher la présence illégitime à l’asile des personnes non aliénées.

D’après cet article, les établissemens publics ou privés consacrés à ces malades doivent être visités régulièrement par le préfet et les personnes spécialement déléguées à cet effet par lui ou par le ministre de l’Intérieur : le président du tribunal, le procureur, le juge de paix, le maire de la commune. Ces diverses personnes sont chargées de recevoir les réclamations des pensionnaires et de prendre à leur égard tous renseignemens propres à faire connaître leur position. Si cette disposition légale était appliquée dans toute sa rigueur, le maintien dans un asile d’une personne non aliénée deviendrait bien difficile.

Des faits récens l’ont prouvé suffisamment. Cette loi de 1838 qu’on appelle « barbare » et que des personnes très bien intentionnées, mais ignorantes, intitulent pompeusement : « le dernier vestige des iniquités d’autrefois, » a permis à plus d’un séquestré dans un asile d’aliénés de retrouver assez rapidement sa liberté.

L’histoire la plus typique à cet égard et qui a fait d’ailleurs grand bruit dans toute la presse, est celle d’un homme de lettres qui fut interné à Charenton le 10 novembre 1902. A la suite de scènes de ménage dans lesquelles une jalousie à tendances agressives semble avoir joué un rôle important, cet homme subit un examen, un peu rapide, d’un médecin aliéniste qui le déclara « persécuté dangereux, » et délivra un certificat grâce auquel on put conduire le mari aux paroles menaçantes à l’hospice de Charenton.

Seulement, comme la loi de 1838 ordonne la présentation d’un certificat médical à l’entrée dans l’établissement et d’un second certificat après quinze jours d’observation, il arriva que le médecin de Charenton, n’ayant trouvé chez son nouveau pensionnaire « aucun signe de folie, » le fit savoir à qui de droit. Devant cette flagrante contradiction, le préfet responsable des aliénés déclarés « dangereux » s’entoura de tous les renseignemens que la même loi de 1838 lui prescrit de recueillir. Des inspecteurs préfectoraux vinrent, interrogèrent et examinèrent ce pensionnaire. En fin de compte, l’affaire se termina par la mise en liberté de l’intéressé, le 6 janvier 1903.

Certes, c’est une fâcheuse aventure, et celui qui reste deux mois indûment enfermé doit trouver déplorable une législation qui permet de pareilles iniquités ; il n’en est pas moins vrai : 1° que la justice l’a emporté, ce qui n’est pas toujours le cas en ce monde ; 2° que si pareil malheur était arrivé avant la loi de 1838, le pauvre homme de lettres étranger aurait passé à l’asile le reste de sa vie, mais en cellule, camisolé et battu.

Il faut donc reconnaître que cette loi constitue un progrès réel sur l’état antérieur et que, si elle permet des lenteurs, elle offre de sérieuses garanties comparativement à l’anarchie, à l’arbitraire, au laisser faire qui régnaient avant elle. Ce qui a paru surtout rassurant dans cette loi, ce sont les visites des autorités administratives et judiciaires avec obligation d’entendre les plaintes des pensionnaires et de se donner la peine de vérifier jusqu’à quel point elles se justifient.

Il est vrai que ces inspections, d’après le même article de la loi, ne doivent pas se faire trop fréquemment : dans les établissemens privés, à des jours indéterminés, une fois au moins chaque trimestre ; dans les asiles publics, une fois au moins par semestre…

Mais le titre actuellement le plus contesté de la loi de 1838 est celui qui est relatif à des placemens faits dans les établissemens d’aliénés.

Ce placement peut être de deux sortes : 1° volontaire et 2° d’office. Le premier s’applique à toute personne atteinte d’aliénation mentale, quelle qu’en soit la variété clinique. Le second vise tout individu dont la maladie psychique compromet l’ordre public ou la sûreté des personnes. Le placement d’office est ordonné à Paris par le préfet de police et dans les départemens par les préfets. L’article 18 qui contient ce dispositif a été fortement attaqué. L’article suivant qui autorise les commissaires de police à Paris et les maires dans les autres communes à provoquer l’internement des personnes atteintes d’aliénation mentale et constituant, par leur folie, un danger imminent attesté par le certificat d’un médecin ou par la notoriété publique, a été également vivement critiqué. Pourquoi ? Parce que plusieurs cas de séquestrations provoquées en vertu de ces dispositions administratives ont ému l’opinion publique et lui ont fait craindre la possibilité d’un internement injustifié dans un asile d’aliénés.

D’ailleurs, les mêmes critiques ont été adressées aux conditions exigées pour un placement volontaire et énumérées dans l’article 8.

D’après le § 2 de cet article, ce placement peut se faire moyennant un certificat médical constatant l’état mental de la personne à placer et indiquant les particularités de la maladie ainsi que la nécessité de faire traiter la personne désignée dans un établissement d’aliénés et de l’y tenir enfermée. Le législateur ajoute que ce certificat ne pourra être admis, s’il a été délivré plus de quinze jours avant sa remise au chef ou directeur ; s’il est signé d’un médecin attaché à l’établissement, ou si le médecin signataire est parent ou allié, au second degré inclusivement, des chefs ou propriétaires de l’établissement ou de la personne qui provoque le placement. Le caractère définitif de l’internement effectué ainsi en vertu d’un simple certificat médical a été reproché à cet article de la loi.

Il est certain, par exemple, qu’il eût mieux valu que le mari, dont nous avons rappelé le séjour de près de deux mois à Charenton, y eût été placé non pas à titre d’aliéné confirmé, mais à titre de malade en observation. On a trouvé à cet article sur le certificat encore d’autres défauts, parmi lesquels celui de n’indiquer aucune prohibition qui résulte d’un lien de parenté entre la personne à séquestrer et le signataire du certificat médical. D’après ce même paragraphe de l’article 8, les chefs des établissemens publics pourront, en cas d’urgence, se dispenser d’exiger le certificat de médecin. Autrefois, on usait largement de cette dispense ; on n’en use guère aujourd’hui. Cette latitude est refusée d’ailleurs radicalement aux chefs des établissemens privés, qui ne doivent recevoir que des personnes munies de ce certificat avant même leur entrée dans la maison de santé. Si les choses se passent parfois autrement, on commet une grave infraction à la loi.

En ce qui concerne le placement des enfans atteints de troubles mentaux, la loi ne s’en occupe point spécialement. Il en résulte que les mineurs de tout âge sont internés dans les asiles publics ou privés, dans les mêmes conditions que les personnes majeures.

Il en est de même pour les aliénés criminels ou les condamnés devenus aliénés.

La loi n’indique pas non plus les règles à suivre vis-à-vis des étrangers devenus aliénés en France. Lorsque ces aliénés sont dangereux « pour l’ordre public ou la sûreté des personnes, » ils tombent sous le coup de l’article 18 et sont internés d’office ; s’ils sont internés en vertu d’un placement volontaire, on agit avec eux conformément à l’article 8. Les diverses mesures de protection des personnes placées dans les asiles s’appliquent également aux étrangers. Ces mesures sont : visite médicale par l’inspecteur préfectoral ; notification de l’internement au procureur de l’arrondissement du domicile de la personne placée et au procureur de l’arrondissement de la situation de l’établissement ; certificat médical de quinzaine fourni au préfet par le directeur de l’asile ; etc.

Il est clair que si toutes ces prescriptions étaient faites intégralement et conformément non seulement à la lettre, mais à l’esprit de la loi, il n’y aurait vraiment à craindre ni séquestrations arbitraires, ni séquestrations indûment prolongées… On peut même dire que la loi de 1838 s’occupe trop des conditions de séquestration et pas assez des conditions de traitement des aliénés. Elle a été certainement inspirée par le besoin de défendre la société contre les divers méfaits de ces malades, mais elle a laissé, de côté toute disposition pouvant leur assurer un secours médical prompt et efficace. L’état de la psychiatrie dans la première moitié du XIXe siècle explique jusqu’à un certain point ce mutisme de la loi sur toutes les mesures susceptibles de favoriser la guérison des maladies mentales.

C’est à peine si on commençait à se débarrasser des théories scolastiques sur la folie qui obsédaient les aliénistes des siècles précédens. Pendant qu’on bâtissait des systèmes et imaginait des hypothèses sur les troubles mentaux, on traitait les insensés avec la dernière brutalité. Pinel lui-même, qui comprit qu’il fallait aux maladies mentales un traitement moral aussi doux que possible, était pourtant dominé par l’idée de répression[3]. En cela, il subissait, malgré lui, l’influence de tous ses prédécesseurs. Et ce même Pinel, qui a supprimé les chaînes comme moyen de contention des aliénés, a maintenu dans toute sa rigueur « la camisole de force et les douches dans le but de vaincre un refus obstiné de nourriture et de dompter les aliénés entraînés par une sorte d’humeur turbulente et raisonnée. » On peut considérer toute la première moitié du XIXe siècle comme une période préparatoire pendant laquelle on s’est mis enfin à observer les aliénés d’une façon clinique, sans idées théoriques préconçues, cela à la façon des botanistes qui examinent des plantes, les comparent entre elles et les classent aussi méthodiquement que possible. Cette observation régulière et systématique a permis au successeur de Pinel, à Esquirol, de publier, justement en 1838, son livre très remarquable sur les « maladies mentales, » livre qui est le résultat de quarante années d’étude consciencieuse des fous et qui peut être regardé comme la véritable encyclopédie psychiatrique de cette époque[4]. Esquirol a créé en France le goût de la psychiatrie. Son Traité a été pour un grand nombre de médecins une révélation. Beaucoup d’entre eux ne se doutaient guère que les maladies mentales pouvaient se traiter autrement que par des moyens de contrainte violente. Ils tombaient des nues quand ils lisaient dans l’œuvre d’Esquirol qu’il ne fallait jamais terroriser les fous, car « la crainte, écrivait-il, est une passion débilitante qui exerce une telle influence sur l’économie qu’elle peut suspendre l’action de la vie et même l’éteindre. » Ces médecins apprenaient avec étonnement que l’excitation maniaque devait être considérée comme une maladie aiguë comparable à une pneumonie ou à une fièvre typhoïde et qu’il fallait la traiter non par des moyens violens de contrainte, mais par des bains longtemps prolongés, des laxatifs, des saignées si la pléthore cérébrale l’exigeait, des moyens moraux en rapport avec le délire. C’est encore Esquirol qui a fait connaître le rôle du régime alimentaire, du travail, des distractions dans la vie journalière des aliénés. Mais la vulgarisation médicale de toutes ces connaissances psychiatriques a été fort lente, et la loi de 1838 a été faite sans en tenir le moindre compte. Il est certain que l’opinion publique d’alors était encore moins éclairée que celle d’aujourd’hui sur tout ce qui touche au problème de l’aliénation. Même à l’heure qu’il est, beaucoup de personnes appartenant aux classes cultivées de la société sont persuadées que « la folie est toujours incurable. » Ceux qui ont fait la loi de 1838 n’ont pas pensé autrement et je ne citerai comme preuve que cette déclaration du comte Portalis : « Nous ne faisons pas une loi pour la guérison des personnes menacées ou atteintes d’aliénation mentale. »

C’était là un aveu dépouillé d’artifice. Pourquoi avoir alors parlé, dans l’article premier de la loi, de la création d’établissemens destinés à recevoir et à soigner les aliénés ?

Enfin, au sujet de la fortune des aliénés internés, la vieille loi, par son article 31, règle l’administration des biens des pensionnaires des établissemens publics. Elle laisse libres, par son article 32, les ayans droit (parens, époux, épouse, le procureur, le tribunal) de faire ou de ne pas faire nommer un administrateur provisoire des biens de toute personne non interdite placée dans un établissement public ou privé

L’incertitude de cette disposition législative laisse le champ libre à toutes les cupidités qui peuvent se manifester autour d’une personne atteinte d’une maladie du système nerveux.

A cet égard, la situation actuelle des aliénés riches n’est pas mieux sauvegardée que du temps où sévissaient les chaînes et les cages. Aussitôt que l’un d’eux est mis dans un établissement spécial, les parens les plus proches restent pendant un temps plus ou moins long les maîtres absolus de tous ses biens, meubles et immeubles. Pour peu qu’ils aient des intentions intéressées, et le fait se produit souvent, ils se livrent à un partage comme si le malheureux n’existait plus. C’est à peine si ces « héritiers prématurés » laissent un capital suffisant pour entretenir d’une façon convenable dans la maison de santé leur parent malade. Quand on arrive à l’interdiction, une grosse partie de la fortune s’est volatilisée sans qu’il soit possible de l’établir d’une façon légale… Le tour est joué, et bien joué…


III

A partir de 1860, à l’occasion de plusieurs séquestrations dans le genre de celle que j’ai citée plus haut et qui ont été jugées arbitraires par l’opinion publique, la loi de 1838 commence à être attaquée. On la trouve surtout « attentatoire à la liberté individuelle » à cause de la toute-puissance qu’elle accordé aux préfets et de l’importance énorme qu’elle attache à un simple certificat médical. La question de la réforme de cette loi est reprise en différentes fois. Un nombre considérable de députés et de sénateurs, médecins pour la plupart, tous inspirés consciemment ou inconsciemment par Esquirol, présentent des projets et des rapports parlementaires. Mais il faut abréger pour arriver au projet du docteur Dubief, ancien ministre de l’Intérieur, discuté et voté par la Chambre des députés en janvier 1907.

Plusieurs particularités caractérisent la loi nouvelle dont le Sénat doit s’occuper prochainement. La principale de ces particularités est clairement énoncée dans son article premier, ainsi conçu : L’assistance et les soins nécessaires aux aliénés sont obligatoires. La tendance dominante est donc non l’ « enfermement » pur et simple de l’aliéné considéré par la loi ancienne comme étant toujours un être anti-social, mais le traitement de l’aliéné jugé par la nouvelle loi comme étant avant tout un malade. Cette conception rationnelle, déjà introduite et largement développée par Esquirol, conduit à un ensemble de dispositions législatives qui ont pour la plupart et constamment ce double but :

Traiter le malade le plus tôt et le mieux possible ;

Garantir le malade et son entourage contre tous les méfaits pouvant résulter des troubles psychiques commençons.

Nous allons voir, en effet, que le projet du docteur Dubief essaie de répondre d’une façon pratique à cette double indication.

Tout d’abord, le projet tend à faciliter l’entrée précoce des malades dans un établissement approprié en déclarant cette entrée purement provisoire. Le paragraphe 3 de l’article 13 dit, en effet, ceci : « Les personnes admises dans les établissemens d’aliénés, conformément aux dispositions précédentes (demande d’admission, rapport médical circonstancié), ainsi que les personnes dont le placement aura été ordonné d’office, ne sont internées qu’à titre provisoire et sont placées en conséquence, dans un quartier d’observation spécial, ou, à défaut, à l’infirmerie de l’asile, et inscrites sur un registre spécial.

Le malade placé dans ces conditions est l’objet de toutes les formalités prévues déjà par l’ancienne loi : envoi, dans les vingt-quatre heures, du rapport médical au préfet et au procureur de la République ; visite du médecin inspecteur au malade placé dans un établissement privé ; envoi du compte rendu de cette visite au préfet et au procureur de la République ; nouvel envoi d’un rapport médical, quinze jours après l’entrée du malade (article 17 du projet Dubief).

On conçoit la préoccupation du législateur Il y a des troubles psychiques transitoires d’ordre dégénératif ou liés à une infection ou intoxication passagère qui, tout en nécessitant un isolement du malade pendant quelques jours dans un milieu approprié, ne motivent pourtant pas un internement dans un asile fermé. À l’hôpital d’observation, le diagnostic pourra se faire dans les conditions les plus favorables. La loi de 1838 n’a pas prévu des quartiers d’observation, en quoi elle se montre évidemment inférieure au projet adopté par la Chambre.

Dans toutes les lois sur les aliénés, une des plus grosses questions est leur entrée dans un établissement spécial. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que la première indication, la plus urgente, dans le traitement de la plupart des aliénés, c’est de les isoler de leur milieu habituel. Seulement, il y a isolement et isolement.

De tout temps, on a isolé les fous ; il arrivait même qu’on oubliait totalement de les examiner et de les soigner. C’était là une mesure purement policière qui avait pour unique objectif de les empêcher de troubler la tranquillité des personnes de leur entourage. Avec Esquirol, l’isolement des malades devient un moyen thérapeutique adopté depuis par tous les aliénistes. Il a pour but de modifier la direction vicieuse de l’intelligence et des affections des aliénés ; il permet de les soustraire aux diverses causes extérieures qui ont provoqué leur folie ; il aide à vaincre la résistance de ces malheureux à recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin, à suivre le régime alimentaire ou hygiénique qui convient le mieux à leur rétablissement. Toutefois, il est reconnu que ce moyen ne doit pas s’appliquer invariablement à toutes les affections mentales. Il est nécessaire dans certaines psychoses ; il peut être inutile, ou même nuisible, dans d’autres. C’est affaire de diagnostic non seulement de la nature de l’affection mentale, mais de la période de son évolution. Dans un cas d’excitation violente et persistante, le doute n’est guère permis ; ne pas isoler d’urgence en pareil cas dans un asile fermé, c’est aller fatalement au-devant d’une catastrophe. Mais faut-il agir avec la même précipitation et la même rigueur dans la dépression mélancolique ? Tous les mélancoliques n’ont pas nécessairement besoin d’être séquestrés dans un établissement fermé. Je suis même persuadé que certains malades de cette catégorie, simples déprimés sans délire, mis en contact avec des délirans persécutés, des hallucinés, des démens, sont péniblement impressionnés et voient leur propre trouble mental s’aggraver au lieu de s’améliorer. Une maison ouverte où ils entreraient librement et où ils ne rencontreraient pas d’aliénés agités, leur serait plus salutaire. Au contraire, les mélancoliques qui gémissent du matin au soir, qui se croient damnés, qui attentent à leur vie à chaque instant, ne peuvent guérir que dans un asile fermé, bien organisé. L’isolement sévère s’impose dans le traitement des intoxiqués délirans tels que les alcooliques, les morphinomanes, les héroïnomanes. Il est le plus souvent inutile pour les démens séniles qui ne délirent pas et qui présentent un simple affaiblissement des facultés intellectuelles. Si nos asiles d’aliénés sont encombrés de malades de cette catégorie, la faute en est en grande partie à leurs familles, qui ne veulent ou ne peuvent veiller sur eux et qui trouvent plus commode de s’en débarrasser en les séquestrant, très légalement d’ailleurs. Une maladie dans laquelle l’isolement à l’asile d’aliénés s’impose à une certaine période et devient inutile à une autre, c’est la paralysie générale. Fort souvent, cette affection des centres nerveux se manifeste au début par une excitation intellectuelle très vive, un besoin d’action, des tendances délictueuses de toute sorte… Plus tôt on met un frein à cette exubérance morbide, plus grandes sont les chances de calmer le malade et de lui épargner, ainsi qu’à sa famille, quelque désastre financier ou moral. Mais plus tard, quand l’orage méningo-encéphalique s’est calmé et que les neurones corticaux plus ou moins atrophiés ont déterminé un état puéril de l’intelligence, le malade n’a plus besoin que d’une surveillance très douce qui, la plupart du temps, pourrait s’exercer dans la famille. Il est vrai qu’il se produit, pour les paralytiques généraux arrivés à la période inoffensive de leur maladie, le même phénomène que pour les démens séniles : les familles, lassées par la longueur de la maladie, par les divagations enfantines du malade, souvent par son gâtisme, laissent, jusqu’à la fin de leurs jours, les malheureux à l’asile d’aliénés. Ici encore, la loi se prête à cet arrangement entre parens.

Si donc il y a des aliénés pour lesquels l’isolement dans un asile spécial est une nécessité inéluctable, et d’autres qui n’en ont pas besoin, cette grave question de l’internement ne peut, être qu’une affaire d’espèce. La solution dépend entièrement et exclusivement d’un bon diagnostic médical. Et pour que celui-ci puisse être fait dans les conditions les plus probantes, l’examen préalable dans un quartier spécial d’observation est une mesure qui met à l’abri de toute erreur, de toute fausse manœuvre. Imaginez, en effet, un individu qui délire au cours d’une pneumonie. Le médecin ordinaire qui le soigne peut penser à tort à un début d’aliénation mentale et délivrer un certificat d’internement dans un asile spécial. Au lieu d’être séquestré purement et simplement, le malade, grâce à la nouvelle loi, est placé provisoirement au quartier d’observation. Son délire disparaît au bout de quelques jours. Il quitte le quartier complètement guéri comme il aurait quitté un hôpital quelconque, et nulle trace de son passage n’existe sur les registres des aliénés.

Le quartier d’observation remplira ainsi l’office d’un filtre chargé de retenir les aliénés qui doivent vraiment être isolés dans un asile spécial et de libérer les autres.

Le jour où le public sera convaincu qu’un malade placé dans ce quartier n’est pas du tout considéré encore comme un « aliéné, » qu’il peut en sortir sans la moindre tache jetée sur sa réputation d’homme sain d’esprit, ce public hésitera moins à faire traiter ses malades suspects de folie. Et c’est ici qu’intervient dans toute son importance la mesure du traitement rapide, aussi précoce que possible, des troubles mentaux. Actuellement, sous l’empire de l’horreur que les asiles d’aliénés inspirent encore à la plupart de nos contemporains, les malades n’y sont amenés que six mois, un an, même deux ans après l’éclosion des premières manifestations de la folie. Les parens éloignent tant qu’ils peuvent la solution redoutable : l’isolement à l’asile. Mais plus le temps s’écoule, plus l’état du malade s’aggrave : ses idées délirantes encore incertaines finissent par se coordonner se fortifier, se systématiser… L’affection mentale à peine ébauchée a eu tout le temps d’évoluer. Six mois, un an après, elle a pris toutes les allures d’une maladie chronique. C’est à ce moment que, de guerre lasse, on séquestre l’aliéné. Et les mêmes parens sont surpris de constater que leur malade ne se guérit pas à l’asile ! Ce sont eux encore qui entretiennent cette légende que toutes les maladies mentales sont incurables ! Or, neuf fois sur dix, s’il en est ainsi, c’est parce que la famille, mal conseillée d’ailleurs par son médecin traitant, insuffisamment instruit en psychiatrie, a trop tardé à prendre la seule mesure rationnelle qui s’imposait à l’aurore même de la maladie mentale : l’isolement. Sur 226 entrées d’aliénés à l’asile de Blois, pratiquées moins de trois mois après le début de l’affection mentale, le docteur Lasserre comptait déjà en 1872 : 164 guéris, 213 curables et 13 incurables. Le même praticien a constaté, sur 210 malades admis à l’asile un an et plus après le début des troubles mentaux : 24 guéris, 35 curables et 175 incurables !

Des statistiques semblables ont été établies dans beaucoup d’autres asiles français et étrangers. La loi nouvelle a donc infiniment raison d’insister sur la nécessité de l’isolement précoce et d’en faciliter la pratique par l’établissement du quartier d’observation spéciale.


IV

Mais où des réserves s’imposent, parce qu’on semble aller à l’encontre du but principal visé par le projet : favoriser le traitement rapide des aliénés, c’est lorsque l’article 18 fait intervenir au quartier d’observation le tribunal pour transformer le placement provisoire en internement définitif.

Voici cet article très discuté dans les milieux médicaux compétens :

« Aussitôt après les formalités prescrites à l’article 17, le procureur de la République adresse ses réquisitions écrites., avec le rapport médical d’admission, les rapports médicaux de vingt-quatre heures et de quinzaine du médecin de l’établissement et le rapport du médecin commis par le préfet, s’il y a lieu, au président du tribunal de l’arrondissement où l’établissement est situé, Le président statue sur le maintien ou la sortie de la personne placée, Lorsque le président a des doutes, lorsqu’une opposition à l’internement a été formulée par l’aliéné, le conjoint, un membre de la famille, un ami, la décision sera prise par le tribunal qui statuera d’urgence, en Chambre du conseil. Toutes les fois que le tribunal ne croit pas pouvoir statuer définitivement, il ordonne, sous la réserve de tous autres moyens d’information, une expertise qui sera faite contradictoirement par deux médecins, dont l’un sera désigné par l’aliéné ou son représentant.

Il est clair, tout d’abord, que les magistrats composant ce tribunal, ne pourront juger l’opportunité de l’admission définitive du malade que sur pièces médicales et administratives. Pourront-ils apprécier réellement la valeur intrinsèque d’un rapport médical, discuter les moyens employés pour examiner le malade et les argumens avancés pour arriver au diagnostic ? Est-ce là, d’ailleurs, le rôle d’un tribunal ?

N’est-il pas à craindre que les magistrats, fort occupés par leurs fonctions habituelles, se contentent de porter sur le dossier du malade à interner définitivement un coup d’œil superficiel, alors que, peut-être, ce dossier aurait besoin d’être scruté à fond, dans ses moindres détails médicaux d’ordre technique ? On a dit aussi, et c’est parfaitement soutenable, que ce dossier du malade contient des secrets de famille qu’il est difficile, sinon impossible de garder lorsque toutes les pièces qui le composent sont fatalement à la disposition de divers membres de la magistrature. Que devient ce quartier d’observation qui, pour rassurer le public, doit être un endroit discret dont l’entrée comme la sortie devraient rester inaperçues ? Et tout cela pourquoi ? pour contrôler le placement provisoirement effectué par voie administrative ?

Mais puisque ce contrôle sera forcément illusoire et non effectif, pourquoi le pratiquer ? Le législateur veut, c’est la pensée dominante et excellente du projet du docteur Dubief, traiter les malades le plus tôt et le mieux possible.

C’est la pensée de tous les aliénistes depuis Esquirol jusqu’à nos jours. L’intervention de la magistrature est-elle de nature à engager les familles à faire entrer rapidement leurs malades dans des établissemens spéciaux ? N’est-il pas à craindre qu’elles se laissent arrêter par cette formalité qui leur paraîtra superflue et surtout compliquée, officielle, indiscrète ? Alors, elles chercheront, comme aujourd’hui, à retarder le plus possible un internement qui doit les exposer à des ennuis. De là, même résultat déploré aujourd’hui : dommage probable pour l’avenir de l’aliéné. Il est donc permis de faire toutes sortes de réserves sur l’opportunité de l’article 18 du nouveau projet et d’une façon générale de toute disposition qui charge le pouvoir judiciaire d’un contrôle sortant de sa sphère habituelle de compétence. Ce contrôle ne peut et ne doit être que strictement scientifique, médical et technique. Ceci dit, il est évident que la loi de M. Dubief est animée d’un bout à l’autre du désir d’offrir à l’aliéné un secours médical aussi hâtif et aussi efficace que possible. L’article 15 en est une autre preuve, car, grâce à lui, toute personne majeure qui, ayant conscience de son état d’aliénation mentale, demande à être placée dans un établissement d’aliénés, peut y être admise sans d’autres formalités qu’une demande signée par elle et la production d’une pièce propre à constater son identité.

Ces « séquestrations spontanées » ne sont point rares. Il y a des aliénés qui sont parfois plus raisonnables que leurs parens soi-disant lucides. J’ai reçu dernièrement une dame qui m’a présenté, avec mille précautions oratoires, son époux atteint depuis deux ans d’un délire de persécution actif fondé sur des hallucinations auditives, extrêmement pénibles. Le malade, à force d’entendre toute sorte d’injures et d’allusions blessantes, à force d’être espionné dans ses pensées et ses actes les plus intimes, a fini par arrêter une ligne de conduite violente à l’égard d’un groupe de persécuteurs… Quand j’ai proposé à sa femme, prise à part, de le faire entrer dans un asile fermé, elle s’est mise à fondre en larmes et a protesté contre un pareil remède… Je m’attendais à une résistance plus grande encore de la part du principal intéressé… Mais, à peine avais-je exposé au malade mon conseil, qu’il me dit avec un air de vive reconnaissance : « A la bonne heure, docteur ; c’est cela que je désire, et le plus tôt sera le mieux… »

Aux consultations externes de la Salpêtrière, j’ai reçu en quelques mois une douzaine de personnes délirantes venues spontanément demander leur isolement dans un asile d’aliénés. Il appartiendra au médecin du quartier d’observation de s’assurer qu’il n’a point affaire à un pilier d’asile cherchant à se faire héberger aux frais de l’Etat, dans un établissement public, ou bien à un malfaiteur simulant des troubles psychiques pour éviter la peine que méritent ses actes. Mais dans le cas où il s’agit de vrais malades ayant conscience de leurs troubles psychiques et désireux de se faire traiter, la loi nouvelle leur ouvre largement la porte de l’asile et elle fait bien.

De même, l’article 26 autorise le placement de toute personne dont le maintien en liberté compromettrait, en raison de son état d’aliénation mentale, la sécurité, la décence ou la tranquillité publiques, sa propre sûreté ou sa guérison. Comme atténuation de cette disposition qui oblige tout aliéné à se faire traiter, les articles 8 et 9 admettent le principe du traitement de l’aliéné dans sa famille, sous certaines conditions de surveillance médico-administratives.

Nous avons montré plus haut, à propos de la question d’isolement dans un asile, que certains malades, mélancoliques sans délire, persécutés inoffensifs, démens séniles, paralytiques généraux arrivés au dernier stade de leur affection cérébrale, pourraient aussi bien être traités chez eux. A la rigueur, on peut même organiser, si la situation de fortune s’y prête, un isolement dans une maison de campagne aménagée à la façon d’une maison de santé. La loi nouvelle veut seulement que l’autorité compétente puisse s’assurer que la personne ainsi isolée est vraiment atteinte d’une affection mentale et qu’elle reçoit les soins indispensables, appropriés à son état morbide. On ne peut que souscrire à des dispositions aussi protectrices.

De même, les colonies familiales départementales, si précieuses pour l’assistance de certains aliénés, sont autorisées par l’article 2.

La colonisation des aliénés ou leur placement dans les familles des paysans constituent des systèmes de traitement inspirés du plus grand libéralisme. Les premières tentatives de colonisation de ces malades ont été faites en France, vers 1826, à Bicêtre. C’est le docteur Ferrus, médecin de cet hospice, qui eut l’idée d’occuper à l’air libre ses quatre cents aliénés. « Le travail des champs, a-t-il constaté dans un de ses rapports, est le meilleur calmant pour l’aliéné[5]. » Cette tentative ébauchée en France trouve des imitateurs en Allemagne. A partir de 1860, ce mode d’assistance est adopté dans tous les pays civilisés. Le système idéal consiste à établir une vaste colonie agricole autour d’un asile central. Tous les malades aptes à des travaux d’agriculture doivent y être employés régulièrement, sous la direction de personnes autorisées et compétentes. Les aliénés d’origine citadine, ouvriers et employés, doivent trouver dans cette colonie des ateliers divers, des bibliothèques et des bureaux pour occuper leurs journées à un travail utile. Naturellement, seuls les calmes, inoffensifs et suffisamment valides, pourront être envoyés à la colonie annexée à l’asile. Étant donné la proportion considérable de malades de ces catégories dans nos asiles de province, on prévoit quelle amélioration ce système nouveau, largement appliqué, est appelé à procurer au sort de beaucoup d’aliénés.

Quant à l’idée de placer ces malades dans les familles de paysans, elle a été réalisée dans un petit pays belge, à Gheel, près d’Anvers, aux premiers âges du christianisme. Son existence scientifique nous a été révélée seulement en 1821, toujours par cet infatigable Esquirol[6].

Une très jolie légende est même attachée à l’histoire de la fondation de Gheel. Au VIIe siècle vint se réfugier dans cette région où s’élevait une chapelle dédiée à saint Martin, l’apôtre des Gaules, la fille d’un roi païen d’Irlande qui la poursuivait de son amour incestueux. Convertie au christianisme, la jeune princesse vint chercher la paix près de la chapelle du saint. Mais le père réussit à rejoindre sa victime et lui trancha la tête. Le tombeau de la jeune martyre devint un rendez-vous de tous les habitans pieux de la région. Or, parmi eux, il y avait plusieurs « fous » qui guérirent brusquement en priant sur le tombeau. Ces guérisons miraculeuses ont valu à la malheureuse princesse le titre de « patronne des aliénés. » Dès lors, on amena des malades à Gheel de tous les coins des pays environnans, et on les y installa chez les habitans du village qui les soignaient et les entretenaient en attendant le miracle de leur guérison qui, malheureusement pour eux, n’était pas toujours instantané. Et depuis des siècles on continue à envoyer les fous à Gheel, qui est aujourd’hui une sorte de vaste Salpêtrière à portes ouvertes. Les malades y sont libres dans les maisons et dans les rues tant qu’ils sont calmes et inoffensifs. Ils sont hébergés chez des nourriciers qui ne doivent accepter chacun que deux aliénés à la fois, et toujours de même sexe. Ils peuvent travailler, s’ils le veulent, à des métiers de leur choix. Depuis 1882, le village est administré et inspecté par une commission spéciale et permanente. Nuit et jour, on y voit des gardes qui surveillent les malades dans les rues, qui les visitent à domicile et qui s’assurent de leur bien-être. Le service médical est assuré par quatre médecins. En cas de crise aiguë, les malades sont immédiatement transportés dans une infirmerie spécialement aménagée pour le traitement des affections intercurrentes. Remarquons qu’on envoie à Gheel principalement les aliénés chroniques et intellectuellement déjà affaiblis. Le système de liberté quasi absolue qu’on y applique ne peut guère convenir aux fous agités, violens, à tendances homicides ou suicides.

Des fondations analogues existent à Lierneux en Belgique et à Dun-sur-Auron, en France. Elles rendent de grands services aux aliénés intellectuellement affaiblis, aux mélancoliques, aux convalescens des psychoses aiguës, en les laissant profiter d’une liberté aussi large que possible. Il importe seulement, comme le dit le docteur Auguste Marie qui a largement contribué à l’organisation de la colonie de Dun, de faire avec la plus grande circonspection le choix des malades pour lesquels un pareil traitement est indiqué.

Toujours en vue des meilleures conditions du traitement des aliénés, le nouveau projet exige une organisation d’après laquelle les asiles publics doivent comprendre, à défaut et dans l’attente d’établissemens spéciaux, des quartiers annexes ou des divisions pour les épileptiques, les alcooliques, les idiots et les crétins.

Dans un délai de dix ans, les départemens devront ouvrir des établissemens spéciaux ou des sections spéciales destinées au traitement et à l’éducation des enfans idiots, imbéciles, arriérés, crétins ou épileptiques et au traitement des buveurs (art. 2).

La statistique de 1907 du ministère de l’Intérieur, sur les rapports de l’intoxication alcoolique avec l’aliénation mentale en France, démontre que le nombre de fous alcooliques va en augmentant. L’enquête ministérielle établit cette comparaison instructive pour trente-six départemens français : en 1897, le nombre d’aliénés alcooliques internés a été de 2 540 ; il est de 3 988, en 1907 ; soit, en dix ans, une augmentation de 57 pour 100 ; sur 71 547 fous internés dans les asiles publics et privés de France, l’enquête compte 9 932 alcooliques. C’est une proportion de 13,60 pour 100 alors que, dix ans auparavant, elle n’était que de 11,29 pour 100. L’augmentation est donc régulière et constante, et le cri d’alarme élevé contre l’alcool est parfaitement légitime.

Il n’est que temps d’aller au secours de ces nombreux individus indigens, encore consciens de leurs tendances à boire, qui demandent à être traités et qui ne peuvent entrer dans un hôpital spécial pour se guérir de leurs penchans morbides. Comme disait Berthelot en 1882, ces malheureux « sont condamnés à boire jusqu’à « ce qu’ils aient présenté les signes positifs d’une lésion mentale qui leur donne droit à la séquestration[7]… » À ces victimes de mauvaises habitudes, il faut donner la possibilité de s’en corriger pendant qu’ils sont encore débutans dans la carrière des buveurs.

Il est indispensable de leur faciliter l’entrée et le séjour prolongé dans des asiles dont l’organisation et le régime seraient fondés sur le principe de l’abstinence alcoolique absolue, et cela non seulement pour eux, mais pour tous ceux qui sont chargés de s’occuper d’eux : médecins, surveillans, infirmiers. En Angleterre, en Amérique, en Suisse et en Allemagne des asiles de ce genre existent depuis longtemps[8]. En France, nous ne connaissons que le service d’alcooliques de Ville-Evrard, absolument insuffisant. La loi nouvelle a grandement raison d’obliger les départemens à créer des asiles pour buveurs encore capables d’être guéris de leur dangereuse habitude.

La loi veut pourvoir aussi à l’instruction et à l’éducation des enfans anormaux, cela, dans des établissemens spécialement organisés pour eux. Jusqu’à présent, les pouvoirs publics ne s’intéressaient en France qu’aux sourds-muets, aux aveugles, aux épileptiques, aux idiots, aux imbéciles gravement atteints. Ils laissaient complètement de côté un nombre considérable d’enfans atteints simplement de débilité ou d’instabilité mentale, mais qui sont plus ou moins réfractaires au régime éducatif ordinaire.

Si beaucoup d’entre ces débiles et instables peuvent profiter d’une instruction et d’une éducation spéciales dans des externats qu’un projet de loi du ministre de l’Instruction publique veut créer pour eux[9], il y en a d’autres dont le nombre n’est pas encore fixé exactement et qui ont besoin d’être élevés dans des internats appropriés. Rappelons-nous, en effet, qu’il s’agit surtout des « dégénérés » dont les familles sont elles-mêmes forcément tarées. Alors que soustraire un enfant normal de sa famille constitue souvent une erreur pédagogique, c’est le plus souvent un bien que de mettre un petit amoral ou faible d’esprit à l’abri de l’influence paternelle ou maternelle.

La question de la fondation de ces nouveaux établissemens est étudiée chez nous depuis plusieurs années par des commissions ministérielles diverses. L’organisation de ces maisons, le mode d’admission et la sélection des enfans appelés à y être élevés, la nature de l’enseignement professionnel et de l’éducation morale, l’utilisation sociale ultérieure des pupilles, sont autant de questions mises à l’étude. Mais le principe de l’assistance rationnelle et obligatoire de l’enfance anormale se trouve fort justement consacré dans le projet Dubief.

Le projet adopté par la Chambre des députés s’occupe aussi très particulièrement des aliénés dits criminels et des condamnés reconnus aliénés. Par ses articles 35-39, il règle ce grave problème en obligeant l’Etat à construire pour cette catégorie de malades dangereux un ou plusieurs asiles de sûreté. Une disposition nouvelle est à enregistrer :

« Chaque année, le ministre de l’Intérieur prescrit une inspection dans les prisons civiles et militaires aux fins d’examen des détenus qui pourraient se trouver dans les conditions des condamnés reconnus aliénés ou épileptiques. »

De même que l’entrée définitive à l’asile dépend d’une décision judiciaire, de même la sortie définitive du malade d’un établissement d’aliénés se fait en vertu d’un jugement du tribunal qui décide sans délai en Chambre du conseil, d’après toutes les pièces médicales et administratives du dossier du malade. Les réserves que nous avons faites plus haut au sujet de l’article 18 s’appliquent également ici. Inutile donc d’y insister.

Mais le projet prévoit la possibilité légale des sorties d’essai pouvant être autorisées par les médecins des établissemens, pour une durée indéterminée.

Il faut dire que ces sorties sont pratiquées officieusement depuis de longues années dans un grand nombre d’établissemens publics et privés. Elles permettent le plus souvent de préparer ‘avec sûreté la libération définitive de l’ex-malade. Replongé pendant huit à quinze jours dans son ancien milieu, il montre par sa manière d’être nouvelle qu’il est ou n’est pas encore apte à reprendre la vie normale. A la Salpêtrière, dans un des services d’aliénées on compte chaque année entre trente à cinquante de ces congés provisoires des malades en voie de guérison. Les résultats de ces essais sont généralement excellens. De temps à autre, mais tout à fait exceptionnellement, une rechute se produit sous la forme d’une crise d’excitation, d’un acte plus ou moins baroque, d’une attaque. En choisissant bien les malades, capables de profiter des sorties d’essai, le médecin responsable ne court guère de risques graves. On ne peut que louer, en outre, une mesure imaginée par M. Dubief, et qui rendra probablement ces sorties d’essai très populaires : « Une subvention qui n’excédera pas le prix de journée payé à l’asile pourra être accordée sur le budget de rétablissement à tout malade, pendant la sortie provisoire. »

Quant aux aliénés qui s’évadent, leur réintégration peut s’accomplir sans formalité, si elle a lieu dans un délai de quinze jours. Passé ce délai, ces malades ne peuvent être réadmis dans un asile qu’à la condition qu’il soit procédé à leur placement soit volontaire, soit d’office, conformément aux prescriptions qui s’appliquent à l’internement de tous les aliénés en général.

Comme il était juste de s’y attendre, l’administration des biens des aliénés occupe une place importante dans le nouveau projet et vient combler une lacune si regrettable de la loi de 1838. C’est ou bien la commission de surveillance qui désigne un ou plusieurs de ses membres pour gérer gratuitement ces biens, ou bien c’est le ministre de l’Intérieur qui nomme des administrateurs provisoires ; cela sur une liste dressée par le tribunal civil du chef-lieu. En ce dernier cas, les administrateurs perçoivent comme émolument un droit sur le revenu des aliénés. Dans tous les cas, la personne chargée de l’administration des biens d’un aliéné, autre que le mari, doit remettre au curateur, qui le communique au procureur de la République, un état de la situation de la fortune de l’aliéné, une première fois dans le mois de son entrée en fonction, et, ultérieurement, une fois tous les ans.

Si l’aliéné est placé dans un établissement privé, l’administrateur provisoire est autorisé à conserver entre ses mains, sous le contrôle du curateur, les sommes nécessaires aux besoins de l’aliéné lorsqu’elles n’excèdent pas 1 500 francs. Au-dessus de ce chiffre, le mode de conservation doit être approuvé par le président du tribunal.

L’emploi des sommes qui ne sont pas nécessaires aux besoins de l’aliéné est réglé, suivant qu’elles excèdent ou non 1 500 francs. Quand le capital ne dépasse pas ce chiffre, son emploi est réglé, le curateur entendu, par la commission de surveillance : quand il le dépasse, son emploi nécessite l’homologation du tribunal statuant en Chambre du conseil (art. 50).

Avant de me résumer, qu’on me permette d’aborder encore une question de détail qui a trait à l’organisation médicale du service des aliénés.

Dans le texte voté par la Chambre, une disposition édictait que les médecins des asiles d’aliénés pourraient demeurer au dehors des établissemens auxquels ils sont attachés. Il leur serait même loisible de se livrer à l’exercice de la médecine. Les plus vives appréhensions d’ordre professionnel et d’intérêt général sont nées dans l’esprit d’un grand nombre de médecins actuels des asiles au sujet de cette modification. Et dès maintenant, la commission sénatoriale, d’accord en cela avec le ministre de l’Intérieur, a résolu à l’unanimité de proposer au Sénat le maintien du statu quo. La résidence du médecin dans l’asile, indispensable au bien-être des malades dans la plupart des établissemens provinciaux sera, comme par le passé, obligatoire. Il ne pourrait être dérogé à ce régime normal que dans certains cas exceptionnels et sous des garanties nettement établies.

En somme, à part les réserves qui s’imposent au sujet du mode d’intervention du pouvoir judiciaire dans le contrôle des internemens et de quelques détails relatifs à la résidence des médecins des asiles, le projet de loi adopté par la Chambre constitue un progrès indiscutable sur la loi de 1838, et cela pour les raisons suivantes :

1° Il assure l’assistance et le traitement obligatoires aux aliénés.

2° Il préconise l’entrée hâtive des malades dans les établissemens en donnant à l’admission un caractère provisoire et en établissant pour eux des quartiers d’observation.

3° Il admet, sous certaines garanties indispensables, le traitement des aliénés dans leurs familles.

4° Il se préoccupe du classement rationnel des malades au point de vue des soins qui leur conviennent en demandant l’organisation prochaine et obligatoire d’établissemens spéciaux pour épileptiques, alcooliques, arriérés, etc.

5° Il encourage les départemens à établir des colonies agricoles et familiales constituant un excellent instrument d’assistance et de traitement pour certaines catégories de malades ;

6° Il favorise le retour dans leur milieu des aliénés guéris en rendant les sorties d’essai faciles et en accordant aux pensionnaires en congé un secours régulier.

7° Il entoure de nouvelles garanties l’administration des biens des aliénés internés dans des établissemens privés.

Ce sont là d’excellens principes dont on ne retrouve aucune trace dans la loi de 1838. Ils font le plus grand honneur à la Chambre des députés de 1907 ainsi qu’au docteur Dubief qui les a présentés. Vigoureusement défendus par notre confrère, ils tendent à amplifier, à développer en France les idées fécondes et généreuses d’Esquirol.

Mais, tout en rendant cet hommage aux promoteurs de la nouvelle loi, nous faisons quelques réserves, surtout à propos de l’article 18 qui, à notre avis et pour des raisons longuement exposées plus haut, aurait besoin d’un remaniement dans le sens de l’établissement d’un contrôle scientifique réel. Ce sera, sans doute, l’œuvre du Sénat, qui, après des modifications indispensables sur plusieurs points, n’éprouvera pas un très grand embarras pour voter le projet de la Chambre, puisque, en 1887, il a déjà fait siens la plupart des principes contenus dans le projet soumis aujourd’hui à son approbation.


JACQUES ROUBINOVITCH.


  1. F. E. Foderé, Traité du délire, Paris, 1817.
  2. Loc. cit., p. 430 et suivantes.
  3. Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie, Paris, an IX, p. 188 et suivantes.
  4. Esquirol, Des Maladies mentales, Paris, 1838.
  5. Annales médico-psychiques, 1861.
  6. Loc. cit., t. II, p. 707. Voyez aussi, sur Gheel, une colonie d’aliénés, l’étude publiée ici même, le 1er novembre 1857, par M. Jules Duval.
  7. Berthelot, Annales d’hygiène, 1882, t. VII, p. 422.
  8. P. Sérieux, Les Asiles de buveurs. Annales d’hygiène, 1896.
  9. Projet de loi ayant pour objet la création de classes et d’écoles de perfectionnement. Chambre des députés, séance du 13 juin 1907.