La Lanterne magique/94

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 144-145).
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Huitième douzaine

XCIV. — ZIMRI

Angèle Ritti a invité ses meilleurs amis à venir chez elle lui souhaiter sa fête. Ils sont là tous, la fleur du panier, Arlès, Madriat, Louis de Triger, le comte Dorido, et la compagnie ! Mais elle leur a donné un si bon dîner, avec des coulis réels ! et le boudoir est si tiède, si bien éclairé, si confortable ; on y est tellement à l’aise sur les fauteuils de satins japonais, sur les coussins à fleurs d’or et sur les tapis de Perse que ces messieurs, trop heureux, ne songent même pas encore à tirer de leur poches les écrins qu’ils ont apportés, fument avec égoïsme les cigares dorés offerts par la maîtresse de la maison, et stupidement causent politique, Arabi, affaires d’Égypte, comme des portières. Cependant le petit chien Zimri, que son maître le peintre Joseph Croix a pris la liberté d’amener, et qui, lui aussi, a dîné comme un diplomate ; l’étrange petit Zimri à la tête de Chimère, dont le regard diffus cherche l’infini, et dont la moustache frisée et l’aigrette, qu’il porte entre les deux yeux, semblent avoir été faites avec de la barbe de plume grillée au four ; le fantasque Zimri n’entend pas de cette oreille-là, et se montre profondément agacé par de telles conversations bourgeoises. Après avoir aboyé furieusement, il saute sur les genoux d’Angèle, puis grimpe encore, et résolument se met à caresser, à baiser et à lécher de sa langue rose la gorge nue de cette charmeresse.

— « Eh bien ! Zimri ! » s’écrie Joseph Croix d’une voix fâchée, pour ramener cet audacieux à une plus stricte observation des convenances.

— « Mais non, laissez, » dit tranquillement la belle Angèle. Et elle ajoute avec douceur, en montrant le petit chien : « Monsieur me semble être le seul qui, pour le moment, — soit dans la question ! »