La Leçon d’amour dans un parc (1920)/1

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Calmann-Lévy (p. 1-4).
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I

ce chapitre est écrit en guise de préface pour avertir le lecteur que l’on commence un conte libre


Je sais que votre désir secret, en ouvrant un livre, est de trouver un ami qui vous parle et qui volontiers vous laisse croire qu’il ne parle qu’à vous. Et moi, quand j’écris, je voudrais composer mes récits comme une lettre, où l’on rapporte ce que l’on veut, au gré de son humeur, en ayant présente à l’esprit l’image de celui qui demain brisera l’enveloppe à son réveil. Aussi je vais m’offrir le plaisir, entre de graves romans qui sont difficiles, de raconter — une fois — ce qu’il me plaira, comme on improvise de jolis contes aux enfants.

Par exemple, je vous avertis, puisque j’adopte le sujet de mon goût, que je me risque à vous raconter une aventure délicate. Oh ! comme il est périlleux de raconter une aventure délicate, à une époque où la licence dans les ouvrages romanesques est sans bornes. Les abus des goujats, dans la liberté d’écrire, tueront, — si ce n’est déjà fait, — ce qu’il y avait de charmant à écrire librement, en notre langue, pourvu qu’on fût honnête homme. Plus sûrement qu’un régime oppressif, les excès nous raviront pis peut-être que la liberté même : le goût de parler d’amour.

Et je m’offre le luxe de choisir mes personnages ! Vous me voyez joyeux comme un écolier qu’on a laissé faire main basse dans un bazar ! Ah ! mon lecteur, foin des créatures viles, des êtres écœurants, des louches tripoteurs, des veules voyous dont vivote la librairie moderne ! Il s’agit d’oublier ces misères. Point davantage de personnages impeccables : race odieuse comme l’absolu, comme l’idée pure, comme toutes les conceptions des pédants, qui ne participent pas de la gracieuse imperfection des choses créées. Pour moi, je me plais dans la compagnie des gens qui sont capables de commettre d’insignes faiblesses, et qui les commettent, mais avec bonne grâce, d’une allure aisée et naturelle, telle, en un mot, que l’on sent que le bon Dieu les a mis au monde pour cela, et qu’il les regarde faire du coin de l’œil, sans trop froncer le sourcil.

Maintenant je vous prie de croire que je ne vais pas placer mon monde dans des endroits où l’odorat et la vue courent risque d’être offensés, ni dans ces maisons pauvres et grises où nous puisons nos documents quand il s’agit de fixer l’histoire des mœurs, ni dans ces hôtels somptueux de Paris qu’il est indispensable de faire habiter par des gens tarés, pour peu que l’on tienne à prouver, dès la première page, que l’on est un écrivain sérieux.

Enfin je dirigerai les péripéties à ma guise, ce qui ne bouleversera probablement pas beaucoup l’ordre logique des actions humaines, car tout ce qui contrarie le rythme immuable de cette marche me choque ; mais je ne ferai pas exprès de m’y conformer, et je me réjouis de m’imaginer que je suis le maître des événements.