La Maison des Rossignols

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Daphné : poèmes
Bibliothèque Artistique & Littéraire (p. 53-61).




La Maison des Rossignols




 
Le parc d’or vert et d’ombre est clos par neuf enceintes
De murs crépis, se déployant silencieux ;
Par leurs fentes, on voit frissonner l’hyacinthe ;
Des cimes d’arbres se balancent dans les cieux !

Sur les gazons, on voit miroiter des nigelles,
Et le murmure des oiseaux est éternel :
Tonne l’eau des bassins au marbre des margelles !
— Mais quand s’approfondit un Couchant solennel,


Quand le soleil des soirs s’assied sur les terrasses,
Sur les tuiles, en rouges gouttes de clarté
Court le sang du soleil comme le sang des races
Qui, dans l’enchantement du parc, ont habité ;

Là, débordant les cimes d’arbres, un Palais tremble
Qui, se haussant, surpasse aussi les horizons :
Aux cieux dormants, on voit blanchir bouleaux et trembles,
Et les nigelles miroiter sur les gazons.

Quand, sur le parc maudit, s’abaisse un ciel d’orage,
De son nid rose et vert, quand s’envole un éclair,
Sonne un feuillage, sous l’averse qui l’outrage.
— Quand, d’échos foudroyés, les antres sont couverts,

Joyeux, le parc attend qu’une aurore calmée
S’épanouisse à l’orient des horizons :
Mais les fenêtres sont, depuis des ans, fermées ! ―
La nigelle fleurit et miroite aux gazons.


C’est la Maison des Rossignols ! Seule, l’habite
L’enchanteresse au front d’azur, qu’on ne voit pas.

Fleur de pourpre pieuse, en son épiscopat
Vint l’Evêque escorté des sacrés cénobites,

Et les portes du sud, sur leurs gonds, ont tonné,
Au clair des violons, ont frémi les feuillages,
Des barques, aux bassins, ont creusé des sillages
Qu’on a comblés de jasmin rose et de genêts.

Des torches ont rougi les bras noirs des statues,
Des cymbales ont fait les horizons grondants.
Puis, quand s’ouvrit la porte d’or de l’occident,
La torche est morte et les cymbales se sont tues.

L’Evêque a trépassé ! Les portes éclatantes,
Comme s’attendrissait une aurore de lait,
Ont jeté sur ses pieds sacrés et blancs d’attente
Un adolescent pâle et qui me ressemblait !


« Cessez les chants, ô rossignols ! Mourez, les roses !
Et que l’éclair des yeux de l’eau passe en mes yeux :
Ton front, sur mes genoux ployés, que tu le poses !
N’est-ce pas qu’ils sont morts les vieux azurs des cieux ?


N’est-ce pas que tu veux mourir aux hautes joies ?
Dormir aux grottes d’eau quand luit l’été fatal ?
Que la forge d’enfer sur la terre rougeoie,
Pourquoi veux-tu l’éteindre et que te fait le mal ?

Et la souffrance, en toi, des aurores livides !...
Viens cueillir avec moi les grands coquelicots,
Tes pas aimés manquaient à mes cavernes vides,
Tes poëmes sont adoptés par mes échos !

Te voici devant moi, jeune comme une aurore,
Mes roses m’ont prédit la pudeur de tes mains,
Le cœur des hommes bat dans ton seul sein sonore :
Viens te coucher dans mes cheveux, sous les jasmins ! »

Et des flûtes sonnaient sous la lueur des branches,
Le ciel brillait comme un beau vitrail violet ;
Et blancs muguets, jasmins blancs et jacinthes blanches,
Toutes les fleurs avaient un cœur qui m’appelait !


« — Comme un lys naît des eaux, surgisse un dieu qui guide
L’abeille au saule roux, la chèvre au bois glacé ! ―

Aux sons des sources d’or — sous le feuillage humide
Cueillant la Lyre dans les fleurs, veux-tu danser ?

Pourquoi donc égorger en moi les hautes Joies ?
De ton enchantement faut-il qu’on te guérisse ?
De la Rose la joue auguste, ici, rougeoie :
Que le sentier qui mène aux grottes s’abolisse ;

Le mal de l’aube dont ma chair a grelotté,
Ce n’est pas le baiser des femmes qui l’apaise ;
Un soir, au bleu des lacs, j’ai goûté leur beauté
Quand la lune brillait aux feuilles des mélèzes.

Comme tout un ormeau s’effeuille dans le vent,
Ainsi le souvenir de la chair possédée :
Vienne le jour où, comme un lourd soleil levant,
Resplendisse l’Idée !

Femme, l’aube qui tombe a fait tes bras luisants :
J’ai l’horreur de mon cœur et je n’aime personne.
J’ai le dédain de l’acte et hais les méprisants,
Mais je me prends à frissonner quand l’heure sonne !

Femme, une palme est née et ma droite verdoie
Et ruisselle du sang des fleurs qui m’ont tenté ;

Et j’ai brûlé mon cœur, afin qu’une clarté
Se levât sur mes voies !

Tu m’as tendu l’amphore où tu n’avais pas bu ;
Mais dédaignant tes mains, j’acceptai tes corolles :
Vers les grottes, tes pas errants se sont perdus ;
Puisses-tu dérober aux sources des paroles !

Naisse l’azur intérieur ! qu’un clair dieu guide
Aux épis mûrs, le pâle Chœur de tes pensers : ―
Aux sons des sources d’or — sous le feuillage humide,
Cueillant la Lyre au sein des fleurs, veux-tu danser ? »


Du chant des rossignols ma parole est couverte :
Les bras noyés par la lumière des bassins,
Elle marche dans l’éclat blanc de ses deux seins
Resplendissants aux plis de sa robe entr’ouverte.

Son pied cadencé tombe et sa jupe s’emplit
D’un flot de papillons et de fleurs voltigeantes ;
Elle chante ; et d’un tel éclat sa voix s’argente,
Que la voix de cristal des rossignols pâlit !


Elle s’en vient baiser mes mains victorieuses :
Puis ses yeux s’abaissant sur les fleurs qu’elle aima,
Font présider aux couronnes qu’elle forma
Les lys immaculés et les roses rieuses !


Quand sa voix se taisait, des feuilles débordantes
Le chant des rossignols, par nappes, s’abattait :
Comme lutte leur aile avec les vents, luttait
Leur vaste chant contre le bruit des eaux grondantes.

Et les sources tonnaient ! Mais, pleins de rossignols,
Plus haut retentissaient les ormeaux et les charmes ;
Lors, la belle, les yeux baissés, ploya son charme
Comme un mélancolique oiseau ferme son vol.

Puis elle releva ses yeux silencieux.
Sa robe était tombée et sa face éclatante
Vêtit l’aspect de la vierge de mes attentes :
Sa lèvre renversa mon front blanc vers les cieux !


Sa chair calma mes yeux comme ces fraîches lunes
Qui passent sur les fleurs, les lacs et les rochers,
Quand un vorace ciel a fait les vierges brunes :
Les fleurs, les rocs suants, sous leur flamme, ont séché.

On frissonne à la paix des lunes glorieuses
Comme en entrant au froid des sources, pour le bain !
— Elle forma douze couronnes, de ses mains
Où présidaient les lys et les roses rieuses ;

Elle posa douze couronnes sur mon front,
Me pressa douze fois de sa bouche farouche,
Puis elle disparut comme un soleil se couche,
Comme meurt l’or grondant des vivaces clairons.


Maintenant, j’étais seul sous l’horreur verdoyante
Des feuillages s’épaississant vers l’horizon.
Et pour multiplier son image fuyante
Les nigelles d’argent miroitaient aux gazons !

Les sources prolongeaient leur bucolique orage,
Comme un éclair, la voix des rossignols brillait :

Et le Rosier de jeunes roses s’habillait :
D’angéliques lauriers me couvraient de courage,

Des lauriers nouveau-nés, mais blancs de fleurs, pareils
Par la félicité de leurs feuillages sombres
A la Nuit magnifique et blanche de soleils,
Et l’on prophétisait en passant sous leurs ombres !

Les cavernes de fraude et d’ombre revêtues,
Ont croulé dans la Mer (car la Mer mi-voilée
Par les branches du parc scintillait). Leurs statues
Captives ont bondi vers la voûte étoilée !


Quand veillé par les lys et les roses des bois
J’y dormirai — bercé des flots — mon dernier somme,
Puissent les rossignols décider de leur voix
L’étoile du bonheur à jaillir sur les hommes !