La Maison du péché (éd. 1941)/XXIV

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Un dimanche, après la grand-messe, Mlle Cariste rentra chez elle tout émue. Elle cria, dès le seuil :

« Mon frère, viens vite ! Un malheur… M. de Chanteprie… »

Le capitaine, dans la petite cour, nettoyait le clapier. Il s’élança dans le salon, tenant par les oreilles un petit lapin qui gigotait.

« Augustin est mort ?

— Plût à Dieu qu’il fût mort ! »

M. Courdimanche lâcha la bête, qui se fourra sous les franges du canapé.

« Que dis-tu, ma sœur ?

— Monsieur de Chanteprie est perdu pour nous, pour sa pauvre sainte mère, pour la religion. Il quitte Hautfort-le-Vieux, avec la créature.

— Comment le sais-tu ?…

— Mlle Piédeloup a su de Mlle Perdriel que M. de Chanteprie avait commandé au Bazar Parisien une malle d’osier, doublée de toile cirée, à compartiments… Ce n’est pas pour voyager de Neauphle à Rouvrenoir, je suppose… Autre fait, plus grave : la créature est au Chêne-Pourpre depuis mardi. La veuve Giloux l’a vue entrer dans le jardin des Chanteprie, par la petite porte. Elle va rejoindre Augustin chaque soir… (Le visage de Mlle Courdimanche se couvrit d’une chaste rougeur…) Elle passe les nuits au pavillon.

— Et quand même !… cela ne prouve pas…

— Elle a déclaré, – Mlle Perdriel le tient de la mère Testard – elle a déclaré qu’elle n’habiterait pas le Chêne-Pourpre, cet été, et qu’elle enverrait des locataires.

— Tu as raison, ma sœur. Ils doivent comploter quelque chose… Malheureux enfant !… »

M. Courdimanche dut s’asseoir.

« Cette nouvelle est très douloureuse pour moi… Non, jamais je n’aurais cru… Si tu savais comment Augustin a soigné Faron, quelle charité généreuse ?…

— Hypocrisie !… Il vous bernait… Sa gueuse l’a perverti, démoralisé… M. le Curé dit qu’elle est la Bête de l’Écriture, cette femme-là. »

Mlle Cariste prononça ces mots à demi-voix. Son âme puérile était incapable de haine, mais on sentait, dans son accent, l’effarement vertueux des vierges vieillies, devant la femme d’amour. Elle se reprochait d’avoir reçu Fanny, une fois, chez elle : et il semblait que l’honnête salon, au meuble vert, aux mousselines immaculées, en gardât une souillure. Une femme de mauvaise vie s’était assise sur le canapé de velours, en face du Sacré-Cœur et de Saint-Joseph, et Mlle Courdimanche lui avait offert la liqueur de prunelle réservée aux ecclésiastiques… Quel souvenir !

« Je plains M. de Chanteprie, mais je ne puis lui pardonner d’avoir introduit chez nous sa… maîtresse ! »

Et Mlle Cariste rougit encore, en prononçant ce mot de maîtresse…

« Je ne peux pas lui en vouloir, ma sœur. Il était de bonne foi, le cher enfant… Ah ! mon Dieu, quelle épreuve !… Que faire ?… Nous ne pouvons que prier pour lui… pour eux…

— J’aimerais mieux me couper la langue que de dire un Ave pour la créature…

— Ce n’est pas un sentiment chrétien, ma sœur.

— Notre Seigneur a maudit celui ou celle par qui les innocents sont scandalisés… »

Midi sonna. Mlle Cariste fit le signe de la croix, et lança dans un soupir : « Cœur de Jésus, sauvez-nous ! » – l’oraison jaculatoire qui lui valait cinquante jours d’indulgence. – Puis elle posa sur la cheminée son paroissien de maroquin noir, gonflé d’images pieuses, dénoua les brides de son chapeau et tira ses mitaines de fil perse, toutes reprisées.

« Et s’il l’épouse !… dit-elle en se tournant vers le capitaine. Elle veut le mariage, c’est sûr !

— Mme de Chanteprie dira toujours non… Et puis, Augustin n’a pas vingt-cinq ans.

— Il a vingt-quatre ans et demi, mon frère… Et la loi permet les actes respectueux.

— Si j’allais voir Mme Manolé ?… Si je lui exposais la situation, en faisant appel à sa délicatesse ?…

— La délicatesse de ?… Mon frère, oserais-tu aller chez cette personne qui vit publiquement avec M. de Chanteprie sans être mariée !… Que dirait notre ange, qui te regarde du haut du ciel !…

— Soit !… Je verrai Augustin.

— Et moi, je verrai Mme de Chanteprie.

— Elle sait peut-être, par Jacquine…

— Allons donc !… Jacquine est aux gages de la créature… Mais, tôt ou tard, je te l’affirme, elle déguerpira de la maison. »

Dans l’après-midi, le capitaine, digne et boutonné jusqu’au cou, le ruban rouge à la boutonnière, un chapeau presque neuf sur la tête, se présenta chez Augustin. Il s’était mis en tenue de cérémonie sans savoir pourquoi, craignant peut-être que son vieux veston et son feutre râpé ne fissent tort à la gravité de sa mission.

Mais, dès les premières paroles d’Augustin, il fut déconcerté ; il oublia le discours préparé chemin faisant… M. de Chanteprie avouait ! Tristement, résolument, il annonçait son voyage en Hollande…

« Alors, c’est vrai, tu pars ?

— Je reviendrai.

— La rumeur publique dit que tu t’en vas… avec une femme…

— Je ne savais pas être espionné !… mais cela m’est indifférent. La rumeur publique ne vous trompe pas : je pars avec une femme.

— Mon Dieu ! » gémit le vieillard.

Il n’entassa pas les malédictions sur les anathèmes. Son cœur simple était déchiré par le malheur d’Augustin.

« Mon enfant, tu réfléchiras… Mais avant de prendre une résolution désespérée, tu penseras à tes devoirs, à ta mère, au bon Dieu… Je ne suis pas venu pour te faire de la peine. Je t’ai toujours bien aimé, mon cher enfant… Nous devons être indulgents les uns pour les autres, afin que le bon Dieu soit indulgent pour nous. Moi, pécheur, je ne voudrais pas condamner mon frère qui vaut peut-être mieux que moi : condamnerai-je mon fils ?

— Vous êtes le meilleur des hommes et je suis indigne de votre affection… Mais je ne peux pas tout vous dire. Pardonnez-moi… J’ai engagé ma parole… D’ailleurs, je vous le répète, je reviendrai.

— Non, tu ne reviendras pas. Sans doute, en partant, tu nous diras « au revoir », de bonne foi, mais quand tu auras vu le monde, changé de pays, amusé ton remords, tu ne voudras plus revoir Hautfort-le-Vieux… C’est tout un passé que tu dépouilles. Ici, tu ne reconnaîtrais plus rien, ni le visage des gens, ni le visage des choses. Et puis, elle, crois-tu qu’elle te laisserait revenir ?

— Ne me parlez pas d’elle, en ce moment.

— Je ne prétends pas l’accabler, elle non plus, répondit M. Courdimanche. C’est une malheureuse à qui manque la foi comme la grâce t’a manqué… Je la plains… Je vous plains… Mais si je pouvais la voir, je lui représenterais le mal qu’elle t’a fait, déjà, et le mal qu’elle va te faire. Je la déciderais…

— Elle ne vous écouterait même pas… Elle et moi, nous n’avons plus notre liberté, monsieur Courdimanche… Nous sommes des possédés d’amour, des maudits…

— Tu en es là ! toi, notre petit Augustin, l’enfant si pieux et si pur, qui rêvait l’apostolat et le martyre !… Esclave honteux d’une femme, à présent !… Que dirait M. Forgerus ?… Quelle douleur pour ce saint homme, s’il te voyait déchu !…

— M. Forgerus lui-même ne pourrait rien pour moi. Il doit déplorer mon ingratitude, car depuis l’automne j’ai cessé de lui écrire et n’ai plus reçu de lettres de lui… Mon pauvre vieil ami, épargnez-vous l’émotion d’un débat cruel pour nous deux, et bien inutile. J’ai lutté contre ma passion. La femme que je chérissais, je l’ai traitée en ennemie… Mais je suis vaincu : je suis à terre. Abandonnez-moi !

— Ah ! cette femme nous l’a tué ! » s’écria M. Courdimanche, pénétré de douleur.

Augustin dit, avec un sourire qui effraya le vieillard :

« Vous voyez en moi un amant heureux. Ma détresse, ma déchéance, c’est l’œuvre de l’amour. »

Le capitaine, indigné, se leva :

« L’amour ?… mais tu n’es pas digne de prononcer ce mot, malheureux !… L’amour est un reflet de la charité divine… J’ai aimé… On t’a conté mon histoire : je n’étais plus jeune ; je vivais en égoïste, presque en païen, quand j’ai rencontré une jeune fille, si simple, si pieuse, un ange !… Je l’ai épousée. Dieu me l’a prise. Va, je la chérissais autant que tu peux chérir ta Fanny… Eh bien ! l’amour m’a sauvé du péché de désespoir ; l’amour m’a donné la force de vivre et l’espoir de la retrouver, elle, dans le paradis ! L’amour m’a jeté dans les bras des pauvres ; il m’a fait comprendre leur dignité. Que serais-je, sans l’amour ? Un vieux soudard tout occupé de ses manies, de ses infirmités, de son whist et de son absinthe… Et je suis un homme heureux, plein d’espoir et de foi : un chrétien… Qu’est-ce donc que vous appelez l’amour dans votre langage ?

— Je ne puis vous répondre… Laissez-moi souffrir seul.

— Alors… adieu ! »

Augustin dit, d’une voix sourde :

« Vous avez raison : je ne reviendrai pas. Pleurez-moi comme un enfant mort… Adieu ! je n’oublierai pas que seul entre tous, après tous, vous m’avez aimé. »


M. Courdimanche quittait à peine le pavillon que Fanny arriva, tout inquiète.

« Quelqu’un est venu, dit-elle, – et ses yeux erraient autour de la chambre comme pour y découvrir un ennemi. – Quelqu’un vous a troublé, Augustin.

— Le capitaine Courdimanche sort d’ici.

— Il vous a représenté le scandale de votre conduite. Ses discours vous ont ému… Vous avez regretté…

— Que vous êtes peu généreuse avec vos suppositions, et vos reproches indirects, et vos airs de blâme !… Je suis prêt à vous suivre. J’approuve en bloc tout ce que vous faites. J’abdique ma volonté… Et vous n’êtes pas contente ! »

Elle pensait tristement que cette passivité d’Augustin, ce n’était pas la joyeuse complaisance de l’amour, mais une manière de ne pas conclure, d’éviter les responsabilités.

Parce qu’elle attribuait aux paroles un pouvoir de suggestion, elle n’osa expliquer, tout haut, sa pensée.

« Admettez que je sois un peu malade… un peu folle… dit elle en s’efforçant de sourire. Le bonheur m’effraie. De stupides pressentiments me clouent sur place, vingt fois par jour… Jamais je n’entre ici, sans me dire : « C’est peut-être la dernière fois… » Et lorsque vous me gardez, la nuit, je ne peux pas dormir. Je souhaite mourir avec vous, tout de suite.

— En effet, vous êtes un peu folle, mon amie… Je vais vous rassurer : dans huit jours, mon notaire m’enverra un régisseur que j’installerai chez Testard, au Chêne-Pourpre.

— Un régisseur ?… Mais vous reviendrez à Hautfort, après notre voyage.

— Ne nous mentons pas à nous-mêmes. Revenir ? Avec vous ?… C’est impossible… Sans vous ?… Je n’aurai pas la force de vous quitter ! Reprendre ma vie solitaire, tourmentée d’angoisses et de jalousies, dénuée de secours spirituels… Ah ! Fanny, si vous me laissiez revenir, vous seriez bien imprudente !… »

Elle murmura :

« Qu’ai-je fait ?… J’ai mis le trouble dans votre âme et dans votre vie… Pourrai-je vous rendre heureux ? Si vous aviez su m’aimer, je n’aurais voulu rien changer à notre existence ! Et, tenez, en ce moment même, j’ai presque envie de vous dire : « Restez ! Vivons comme avant. »

— Comme avant !… Pour qu’un Barral profite de vos rancunes… Pour qu’un soir de solitude et d’ennui…

— Augustin ! Vous me faites injure !

— Non, nous sommes liés l’un à l’autre par les plus fortes chaînes… celles qu’on n’avoue pas… Notre amour n’est plus un rêve de jeunesse, ni même un besoin de notre cœur… C’est… Ah ! t’aimer comme avant,… après ce que tu m’as fait connaître ?… Souviens-toi ! »

Fanny baissa la tête… Elle se rappelait des sanglots étranges, un amour furieux comme la haine, la stupeur de la mort sur un visage décoloré… Pendant ces nuits de volupté funèbre, elle avait cru revivre les pires heures de son mariage… Elle avait reconnu dans les yeux de son amant le même éclair qu’elle avait vu luire, dans les yeux fous de Pierre Manolé… Malheureuse ! Elle avait déchaîné elle-même l’impur démon qui possédait Augustin. Détestant la puissance de sa chair, elle souhaitait vainement triompher par la seule tendresse. Augustin la désirait. Elle voulait être chérie… Et sa victoire trop complète l’épouvanta.

Le régisseur, M. Dussaux, s’installa au Chêne-Pourpre, dans un petit bâtiment annexe à la ferme de Testard. Et tout le monde connut que le départ de M. de Chanteprie était proche.

Contre le « fils dénaturé », contre la « mauvaise femme », les vertus hérissées des bourgeois, les rancunes sournoises des paysans, se coalisaient. Les Testard, obligés de céder leur pavillon, surveillés de près par le régisseur, méticuleux et maussade, ne décoléraient plus. La Vittelotte crachait de côté quand elle rencontrait la Parisienne. Des inscriptions ignobles souillaient les murs des Trois-Tilleuls. Endoctrinées par Mlle Courdimanche, menacées de perdre la clientèle dévote, les lingères et les blanchisseuses de Hautfort refusaient leurs services à Fanny.

Un jour, le petit Vittelot, embusqué sous une haie, éclaboussa d’ordures la robe de la jeune femme. Mme Manolé secoua le gamin. Aux piaillements de sa progéniture, la Vittelotte accourut et menaça des gendarmes « c’te traînée qui couchait avec tout le monde et assassinait les gosses des pauvres gens ». M. Dussaux délivra Fanny de la mégère. Alors Augustin s’effraya de sentir sa maîtresse seule aux Trois-Tilleuls, exposée à toute la méchanceté des voisins. Il lui conseilla de partir la première, sans avertir personne et d’aller l’attendre à Paris. Huit jours lui suffiraient pour mettre ordre à ses affaires : dans huit jours, il la rejoindrait.

« Ne puis-je saluer l’abbé Vitalis ? Je n’ose aller au presbytère…

— Le curé de Rouvrenoir est, comme nous, entouré d’espions. J’ai su qu’on avait envoyé une lettre anonyme à l’évêque. Craignez de compromettre Vitalis. Je lui écrirai…

— Nous sommes donc des parias !… Pourtant nous ne faisons de mal à personne. Quel pays affreux !… Quelles vilaines gens !

— C’est ici comme partout. Les sots et les lâches, sous couleur de défendre la morale, se déchaînent contre une femme seule. Et je ne puis vous défendre. Nous aurions toujours tort. Bientôt, à mon bras, vous ne craindrez personne.

— Dans huit jours, vous serez à Paris ?

— Je vous l’affirme !

— Sur l’honneur ?

— Sur l’honneur.

— Eh bien ! je vous obéirai. J’ai confiance. »

La veille de son départ, elle voulut faire un pèlerinage dans la campagne de Rouvrenoir. Un ciel blanc, soleil et vapeur, flottait sur la croupe des coteaux, sur l’outremer délicat des plaines. Dans les prairies foisonnaient l’anémone simple et le coucou safrané, flore enfantine du nouveau printemps. Comme au matin des amours pures, il y avait, sur le bord des routes, des traînées de violettes mauves, pâles et sans parfum. Des vols de corbeaux suivaient les charrues ; et l’inquiétude, le désir, l’attente, toutes les voix de la saison gémissaient dans le roucoulement langoureux de la tourterelle sauvage.

Augustin et Fanny prolongèrent l’émotion des adieux parmi ces choses aimées, qu’ils ne devaient plus revoir, et sur qui descendrait bientôt, comme un crépuscule immuable, la fixe beauté du souvenir. L’âme passionnée de la femme, hier élancée vers les félicités de l’avenir, s’attachait éperdument au passé et le conjurait de revivre. Au déclin du jour, une averse murmura dans les feuillages ; des nuages violets, à cimes lumineuses, amoncelés sur le couchant, laissèrent filtrer des gerbes de rayons jaunes. Réfugiée dans la chambre presque démeublée des Trois-Tilleuls, Fanny, aux bras d’Augustin, songeait en silence.

Et lui, saturé de mélancolie, la joue contre la joue de sa maîtresse, s’étonnait d’être sans désir.

« Nous avons souffert, disait-il, nous souffrirons encore l’un par l’autre ; mais tout le bonheur que peut donner l’amour humain, ce bonheur imparfait et douloureux, je te le donnerai, ma chérie… »

Et Fanny répondait :

« J’ai peur, maintenant, d’être trop heureuse… Ah ! si cette minute pouvait durer toujours !… »

Il voulait que Fanny prît du repos, car Jacquine, avec la voiture devait venir la chercher avant l’aube. Vers minuit, elle l’accompagna jusqu’à la porte du jardin. C’était une nuit de brume et de lune, douce, un peu humide. L’ombre s’étalait en flaque d’encre au pied des tilleuls, et, sur la surface laiteuse de la maison, les sarments de vigne dessinaient une arabesque précise comme un dessin à la sépia. La terre était toute mouillée. Sur la lisière du petit bois, un crapaud lançait l’appel d’amour, une note claire, retombant à intervalles réguliers comme une goutte sonore dans une clepsydre de cristal.

« Huit jours ! disait Augustin, et je serai près de toi, pour vivre avec toi, toute ma vie… Toute une vie, c’est un long bail, mon amour… Ah ! chère folle, si affamée de joie qu’elle ne sait rien sacrifier du bonheur d’aujourd’hui au bonheur plus sûr de demain !… Chère folle qui vis dans le présent comme une petite fille !

— Le présent seul existe, Augustin. Hier n’est plus ; et que sera demain ?… Nous pouvons mourir avant l’aube. Reste, oh ! reste ! Ne tenons plus les méchants hasards ! Vois, je te tiens ; je tiens dans ce petit cercle de mes bras tout mon bonheur, longtemps poursuivi, conquis à grand-peine. Et je lâcherais prise, maintenant ! »

Suspendue à son amant, elle l’implorait, pâle dans sa longue robe grise. Son front, sous sa chevelure, était un beau marbre couronné de lierre noir. Ses dents éclatantes brillaient entre ses lèvres ouvertes pour une dernière supplication, et son visage, son geste, sa parole, à cette minute, eurent quelque chose de surnaturel. Près de la barrière fermée, elle parut comme un ange féminin, un esprit de ténèbres et de lumière, arrêtant l’homme au seuil du paradis…

Augustin baisa les mains qui le retenaient et doucement les écarta.

« Pour l’amour de moi, Fanny, rentre !… Dors aussi confiante, aussi paisible que si tu reposais sur mon cœur. »

Bouche contre bouche, ils s’étreignirent.

« Adieu, ma chère âme, adieu ! »

Elle répéta : « Adieu ! » d’une voix défaillante, et sans un mot, sans un mouvement, elle regarda Augustin s’éloigner.

Au tournant du chemin, il se retourna pour la voir encore. Appuyée contre la barrière, silencieuse, rigide, les plis blanchâtres de sa robe tombant droit sur ses pieds, toute baignée de cendre lunaire, elle était déjà très loin, – elle n’était plus qu’un fantôme.